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20e Episode : Trois contes d'hiver
#1
CHRONIQUES DE L'EMPIRE D'EMERAUDE

La 5e Réincarnation : 20e Episode (II)<!--/sizec-->
Rat 1127



Trois contes d'hiver<!--/sizec-->


Le visiteur du soir<!--sizec--><!--/sizec-->

[Image: ninja.jpg]


Le crâne dégarni, les traits tirés, les yeux creusés, la bouche noire et vide comme un trou, les mains maigres comme celles d'un squelette, il s'approcha d'Ikky et lui saisit le poignet. Elle ne l'avait pas vue venir : elle sentit ses doigts glacés et le repoussa vivement.
Un autre s'approchait, plus mort que vif, la bave aux lèvres, l'air ahuri. La yojimbo fit reculer Ayame de quelques pas et envoya son poing dans la figure du premier, qui alla rouler à terre. Les autres hésitèrent un moment, leurs loques frissonnant dans le vent d'hiver. Dehors, de lourds flocons s'abattaient dans le petit jardin.
- Reculez ! reculez !
Ikky était comme folle : elle suait pour tenir éloignés ces drogués, pour tenter de préserver le peu de puretés qu'il leur restait.

Bientôt une heure qu'elle et Ayame devaient attendre, parmi cette assemblée de fantômes. Les pires intoxiqués de la ville avaient rendez-vous ici : on disait que certains avaient été samuraï, d'autres marchands, d'autres etas, mais à présent, cela ne faisait plus grande différence. La nuit tombait sur le jardin blanc ; entre chien et loup, ces grisâtres fantoches devenaient encore plus inquiétants. Ils n'avaient pas vu de femmes nobles comme elles depuis longtemps.
Ayame, pâle, malade, s'appuyait contre le mur, pendant que la solide Ikky défiait l'assistance du regard. Le vieux parquet grinçait au moindre mouvement.

Enfin un moine entra, et ordonna aux locataires des lieux de déguerpir. Un solide moine, bâti d'une pièce, dans ses rudes habits, qui rentrait de couper du bois. A la lumière mourante de ce jour d'hiver, le lieu avait perdu de ses couleurs ; tout devenait couleur grisaille, puce. Lieu morne et déjà inquiétant.
Apeurés, les pauvres hères partirent à l'autre bout de la pièce. Le moine les couvrit de son regard quelques instants. Puis, sûr qu'ils se tiendraient tranquilles :
- Suivez-moi, honorables samuraï. Mon nom est Heiji et je serai votre serviteur pendant la durée de votre séjour.
Un rude gailllard, avec les jambes arquées et parlant avec un fort accent de l'ouest : sans doute un ancien cavalier Licorne.
- Rassurez-vous : nous ne vous logerons pas avec eux.
Et pourtant, les deux femmes auraient pu jurer que c'était exprès qu'on les avait laissées là, pendant tout ce temps, pour qu'elles se rendent bien compte de ce qu'on devenait, à force de consommer de l'opium !
Le moine les mena dans une autre aile du temple et leur présenta une petite chambre, propre et modeste, où deux servantes s'occupaient de chauffer les draps.

C'était donc là que les deux femmes passeraient au moins un mois, en pénitence, loin du monde. Et pourtant, elles étaient encore bel et bien dans la Cité des Histoires, mais l'agitation, la rumeur, les vices, les mesquineries et les dangers de la ville semblaient bien loin, contenues derrière le mur d'enceinte. Ici, dans ce petit monde de neige et de nuit, on respirait la pureté. Durant la journée, le ciel avait été gris et lisse, comme un lac de glace ; après le coucher du soleil, il serait noir et lourd, sans espoir. Oui, les nuits allaient être longues à partir de maintenant.

Heiji s'inclina et laissa les deux femmes prendre possession des lieux. Dans un coffre, quelques affaires. Un baquet pour leurs nécessités. Deux exemplaires du Tao de Shinsei, et d'autres livres de piété mystique. Des lectures bien trop négligées par Ayame !
La shugenja se sentait épuisée. Ce soir-là, elle et Ikky ne se rendirent même pas au repas en commun. Heiji passa dans la soirée, toqua, puis ouvrit légèrement le panneau : elles dormaient à poings fermés, comme si c'était la première fois depuis des années.
Le moine s'éloigna en silence et traversa la cour encotonnée par la neige, le bruit de ses pas assourdis. Il frissonna quand une bise aigre s'infiltra en sifflant dans la cour ; il était pressé d'aller profiter de la cheminée du réfectoir.

[Image: ninja3.gif]

Certainement inspirée par l'esprit d'un Ancêtre ou par un divin signe des Dragons élèmentaires, Ryu avait commencé à s'occuper d'un petit carré de jardin, au palais de la Magistrature. Dès le lever, elle allait s'y promener et y méditer. Elle s'y prenait trop tard pour espérer le voir fleurir. Mais elle se sentait en harmonie avec ces lieux.
Hiruya, de retour de ses exercices matinaux, la regardait prier, près du petit étang gelé.
Ils n'étaient plus que trois maintenant : eux deux et Shigeru.
Riobe parti sur les routes ; Bayushi Bokkai et Shinjo Kohei à la guerre ; et les deux Phénix, recluses au temple jusqu'à nouvel ordre.

Ils prenaient leurs repas en silence, recevaient peu de monde et surtout pas de Scorpions. On festoyait sur l'île de la Larme, malgré l'hiver et la menace de l'Outremonde, on vivait dans une belle inconscience et on essayait de retrouver un peu de cette atmopshère de folie et de fantaisie d'il y a quatre ans. Asahina Masumi faisait revivre la mode, les Scorpions fomentaient des intrigues amoureuses, Doji Itto se disait intéressé par le patronage d'une ou deux geisha de luxe ; les Dragons prenaient part à la fête, eux qui vivaient d'habitude comme des moines.
Mais on voyait peu la Magistrature d'Emeraude.
- Nous avons été ridiculisés, répétait Ryu. Nous avons perdu toute crédibilité.
Hiruya soupira, d'entendre cette rengaine pour énième fois !... Et Miya Katsu qui était toujours à Shiro no Soshuro. Shigeru n'osait rien dire : mais il avait complétement arrêté la boisson.
A défaut d'être sociables, nos héros étaient au moins vertueux !
Pour un Grue comme Hiruya, cette situation était difficile : c'était instinctif, chez les gens de son clan, de se mêler au monde, de briller, de plaire. Mais il devait rester dans cet austère palais, à pratiquer ses exercices rituels au lieu de rivaliser avec Doji Itto, Jocho et d'autres pour le coeur d'une femme ou une compétition artistique !
Il fallait l'accepter, c'était ainsi. Il payait pour Ayame son assistante. Depuis que celle-ci avait abusé de l'opium en public, Hiruya avait interdit l'île de la Larme à ses assistants sans autorisation.

- Je pense qu'il nous faut d'autres assistants, remarquait Ryu.
Elle prenait du poil de la bête, ces temps-ci.
- Si je puis me permettre, je recommande l'excellent et honorable Kitsuki Hanbei. Un très grand magistrat.
Hiruya hocha la tête en avalant son riz à la vapeur : honorable, honorable, c'était bien vite dit ! On sait qu'il en avait après les secrets pas franchement honorables d'Ayame et qu'il avait magouillé avec les Scorpions, au moment du procès Kumanosuke.
Mais Hiruya ne fit pas plus de remarques à ce sujet. Il dit juste :
- A ma connaissance, Kitsuki Hanbei est d'esprit indépendant. Il travaille seul. Je ne pense pas qu'il accepterait de se mettre au service de Katsu-sama. Eux deux sont égaux ou presque dans l'Ordre Céleste.
- Je pense qu'il nous faut aussi un shugenja. Car Ayame nous a rendu ridicules !
Elle pesait bien ses mots pour administrer sa leçon.
- Pourquoi pas un shugenja du clan du Scorpion, Hiruya-sama ?
- Ah non !...
C'était le cri du coeur ! Et pourquoi pas avaler la fiole de poison directement ?
- J'ai une autre idée, dans ce cas...
La question était : combien en avait-elle ?
Shigeru gardait le nez dans son bol.
- Nous pourrions écrire au clan de la Licorne et demander la femme de Shinjo Kohei. Elle se nomme Iuchi Shizuka et c'est une shugenja.
Ryu était agaçante à répéter ce que tout le monde savait. Hiruya avait eu l'occasion, plusieurs fois, de rencontrer la femme de son ami Kohei. C'était une bonne maîtresse de maison et, avec son mari, un tyran domestique. Le pauvre Kohei devait jouer d'inventivité pour trouver une excuse pour sortir, et aller retrouver ses amis !
Et il n'était pas rare qu'il se fasse mettre à la porte, pendant que sa femme organisait le grand ménage.
- Cette idée me plaît davantage, concéda Hiruya. Je songeais aussi à envoyer une missive à Bokkai. Pour savoir si son général consentirait à me l'envoyer.
- Il serait utile pour faire le lien avec le palais Shosuro, nota Shigeru.
Et c'était bien ainsi que Hiruya l'entendait.
- Bon, je déciderai plus tard. Ryu, j'ai une mission à vous confier !
Fini de bavarder !
- J'ai reçu d'inquiétantes nouvelles, d'une petite vallée encaissée, au nord-est de la ville. C'est au village dit de la Pierre Rouge. On signale des morts suspectes. Vous allez vous y rendre, avec Shigeru.
Les deux samuraï s'inclinèrent, ravis d'avoir une mission à accomplir.
De fait, la Magistrature retrouvait sa raison d'être.
Hiruya savait vraiment le minimum de choses sur cette affaire, mais il savait que la Dragon et le Crabe ratisseraient la région et ne reviendraient pas sans avoir découvert de quoi il retournait !
- Vous avez trois jours !

Ryu et Shigeru partirent sur l'heure. Hiruya les salua puis aller rédiger deux lettres, la première à l'intention de l'armée du clan Bayushi et la seconde à Shinjo Zenzabûro, daimyo de la Cité du Lac aux Rives Blanches.

A suivre... [Image: ninja3.gif]
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#2
Même quand il n'est pas là, le Kohei est tout gros et tout ridicule :mrd:
:licorne:
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#3
CHRONIQUES DE L'EMPIRE D'EMERAUDE


[Image: ninja3.gif]

Le lendemain du départ des deux samuraï, on vint annoncer à Hiruya le retour de Miya Katsu.
Il fallut bien commencer par lui apprendre ce qui s’était passé sur l’île de la Larme.
- Mais c’est invraisemblable !… l’opium !
Le Magistrat pouvait se préparer à bien des mauvaises nouvelles, mais pas à celle-ci. Le coup venait de ses propres subordonnés. Hiruya savait bien que c‘était en partie sa faute. Il aurait voulu plaider responsable mais pas coupable : mais cette ligne de défense n’aurait pu tenir face à Katsu-sama !
Le vieil homme était dans tous ses états.
- C’est une véritable humiliation pour nous ! Au moment même où je mène de très délicates négociations !… Quand cela va se savoir à Shiro no Shosuro ! Je devais y retourner d’ici peu ! Mais j’ai déjà perdu la face !
Hiruya se taisait. Il fallut du temps pour que le Magistrat retrouve ses esprits et puisse tenir un discours cohérent.
- A tout le moins, c’est une belle leçon de modestie pour ces deux samuraï ! Une leçon qui aurait pu coûter la vie à la shugenja !
- Elles ne sortiront plus du temple avant qu’Ayame n’ait entièrement renoncé à sa drogue.
Katsu but son thé, les mains tremblantes. Il n’affichait pas sa consternation parce que c’était l’attitude convenable à ce moment. Il était vraiment atteint, frappé aussi durement que lorsqu’on avait tenté de l’empoisonner. Perdre la vie oui, mais perdre son honneur !…
- N’ayant plus que deux assistants valides, j’ai placé Ryu sous le commandement de Shigeru. Et j’ai pris la liberté de demander deux autres assistants. Bayushi Bokkai, que vous connaissez déjà ainsi qu’Iuchi Shizuka, la femme de Shinjo Kohei.
Si Katsu approuvait cette décision, il n’en retrouvait pas pour autant son calme. Hiruya-sama ne l’avait jamais vu comme ça, lui qui sans trembler avait enquêté sur la plus dangereuse secte de maho-tsukaï de l’Empire !
Il demanda à Hiruya de le laisser.
- Nous nous reverrons demain. Je vous parlerai de mes négociations avec le général Daini.
Non, la situation n’était pas brillante et Hiruya se sentait atteint dans son honneur. Il restait à la Cité pour calmer le vieux Katsu : il enviait Ryu et Shigeru, partis à la chasse au meurtrier dans une vallée perdue.

[Image: ninja3.gif]

Le jour-même, Kakita Hiruya se rendit au temple de Daikoku.
Les deux Phénix s'y trouvaient depuis deux jours. Il fit appeler Ikky, dans la salle réservée aux visiteurs de marque. La yojimbo arriva, dans son kimono prêtée par le temple et s'agenouilla aussitôt, plaquant son front à terre.
- Konnichi-wa, Ikky-san. Je suis venu prendre quelques nouvelles.
Hiruya n'avait pas pris un ton chaleureux, il gardait de la distance, mais il n'était plus aussi cassant que lorsque la yojimbo s'était réveillée de son ivrognerie.
- Je suis honorée de me trouver ici. Le moine qui veille sur nous, Heiji, nous a donné du travail. Je dois couper du bois, tandis qu'Ayame s'occupe des fleurs, au pavillon des senteurs.
- Tu m'en vois ravi. Cela vous fera le plus grand bien.
- Normalement, c'est dans deux jours que la shugenja aurait dû retourner consommer de l'opium.
Il semblait qu'un tabou avait été levé : maintennant on parlait ouvertement de la dépendance de la shugenja.
- Je compte sur toi pour soutenir Ayame, comme tu l'as toujours fait. Les jours à venir vont être les plus durs je pense. Elle devra apprendre à se passer pour toujours de cette substance.
- Oui, Hiruya-sama.
- Pour toi, je ne m'en fais pas trop. Je sais que tu es prête à te passer d'alcool.
- Merci, Hiruya-sama, merci ! Grâce à vous, nous retrouverons le chemin de l'honneur. Heiji est un bon moine : un coeur pur, un esprit droit !
Ayame, qui ne passait pas loin, entendit cette dernière phrase :
- Un grand dadais oui !
Bien sûr, elle avait murmuré cette phrase pour elle-seule...
Elle entendit alors qu'elle était convoquée à son tour. Elle croisa Ikky, qui l'embrassa d'un regard lourd.
- J'ai appris la nouvelle à Katsu-sama.
Ayame baissait la tête devant Hiruya.
- Tu peux facilement imaginer sa réaction... Il exige de savoir ce qui s'est passé...
- Je ne sais pas... je me souviens être allé dans le même établissement...
- Seule ?
- Oui, seule...
Ayame se sentait épuisée. Face à Hiruya, elle n'avait plus la force de lutter. Elle était comme une petite fille malade.
- Et pour ce qui concerne tes insatiables recherches ? ajouta Hiruya. Qu'en est-il ? Ce n'est peut-être pas une coïncidence si tu as abusé de l'opium ces temps-ci.
- Mais non, je vous jure...
- Je ne te crois pas ! Je ne suis pas dupe, Ayame !... Tu as grand tort d'essayer de me mentir. Je suis certain qu'il s'est passé quelque chose récemment. Ces choses-là se sentent à force. J'ai appris à reconnaître ceux qui ne sont pas au clair avec eux-mêmes, qui ont bafoué leur honneur.
"Tu ne veux rien me dire, très bien. Je te laisse réfléchir pour le moment.

Et Ayame resta le front à terre longuement, après le départ de Hiruya, incapable de chasser de sa mémoire sa rencontre nocturne avec Nahoko, et le nom maudit qu'elle lui avait donné : Ninube.
"Tu détruiras l'honneur d'honorables samuraï, à cause de ce nom, et peut-être même de familles entières !..."

[Image: ninja3.gif]

Ryu et Shigeru passèrent une première nuit à l’entrée de la vallée où ils avaient été envoyés, dans le village dit du Torrent - Serpent, nommé ainsi en raison de ses sinuosités.
Les habitants eurent droit à une démonstration de la méthode d’enquête Hida Shigeru : rassemblement dans la plus grande taverne du village et interrogatoire général !
Les quelques rumeurs parvenues jusqu’ici parlaient de meurtres au village de la Pierre Rouge, à une journée de là.

Nos héros y arrivèrent le lendemain soir et recommencèrent leur interrogatoire : le samuraï qui protégeait le village, membre de la famille Bayushi, avait disparu depuis plusieurs jours, en compagnie de ses yorikis. On avait entendu des cris et des hurlements, dans le bois voisin.
- Ce sont les esprits de la Forêt qui les ont emportés ! Ils sortent parfois et s’en prennent à ceux qu’ils rencontrent.
C’était le doyen du village qui avait parlé et les autres hommes hochaient la tête d’approbation.
Le lendemain matin, une mère amenait devant les deux samuraï son fils :
- Allez vas-y, dis-leur donc ce que tu as vu, puisque tu es si sûr de toi !
Shigeru fit au gamin son plus large sourire, ce qui lui donnait l’aspect d’un de ces monstres légendaires capables de manger des montagnes et d’abattre des armées de leur seul souffle !
- J’ai vu un Ninja…
Il baissait la tête, pendant que sa mort le tapait du coude :
- Alors continue…
- Il était prêt de la rivière, je crois qu’il m’a vu…
Shigeru se grattait le menton, très sceptique.
- Dis-nous où tu l’as vu.
Le gamin emmena les deux magistrats près du ruisseau qui courait derrière le village.
Ryu examina les lieux, haussa les épaules et remercia la mère.
- Qu’en pensez-vous ? demanda Shigeru
- Je ne sais pas. Je n’ai rien repéré de suspect dans les parages. Nous devrions aller voir au village suivant.
- Je peux m’en aller aussi ?
Le gamin osait à peine respirer, face à l’immense Shigeru.
- Oui mais sois prudent, dit Ryu. Le Ninja est dangereux, il peut découper les gens, n’en parle à personne…
Le gamin s’en fut pleurer dans les jupes de sa mère.
- Qu’aviez-vous besoin de lui dire ça, maugréa Shigeru.
Mais Ryu n’avait pas de réponse à cette question.

[Image: ninja3.gif]

Dans l'après-midi, le Crabe et la Dragon partirent en direction du prochain village. Ils se firent de là conduire au bois où le samuraï Bayushi avait disparu. Il faisait très froid, dans l'ombre des sous-bois. La neige se remit à tomber, silencieusement. Ils étaient sur leurs gardes, car, au village, il y avait eu un mort.
Un gardien de chêvres, qui avait obtenu l'autorisation de chasser du petit gibier dans le bois. Il posait des collets. La veille, on l'avait retrouvé mort. Et le samuraï avait disparu deux jours avant. Et enfin, on affirmait que le poseur de collets avait été tué par un ninja...

Les branches et les plaques de glace craquaient sous les pas de nos deux samuraï, qui observaient attentivement, dans le jour gris, les arbres décharnés, grêles, tremblants et les marécages où grenouilles et insectes frissonnaient.
Ils progressaient sur le mauvais chemin poisseux boueux ; au moindre paquet de neige qui chutait d'une branche, on entendait l'affolement d'une volée de petits oiseaux ou la fuite de petits rongeurs. Ici ou là, un chat sauvage mort de froid, une poule d'eau à moitié dévorée.
Alors qu'ils progressaient depuis une bonne heure, ils firent une pause pour boire une petite liqueur de fruits que Shigeru avait pris au premier village.
Assis sur une grosse pierre, Shigeru maugréait contre cette saleté de pays. Ryu restait debout, attentive.
- Elle est encore en train de guetter un signe du ciel, se dit le Crabe.
Une corneille s'envola.

Ryu fixait des branchages, plus loin, à côté d'épaisses ronces.
- Des traces de lutte...
- Quoi ?
Shigeru s'essuyait la bouche. Il n'osait pas proposer de la prune à la Mirumoto : elle ne buvait pour ainsi dire jamais.
- Où ça des traces de lutte ?
Elle s'approchait des ronces, la main près du sabre. Shigeru la suivit prudemment.
Il y avait bien du sang sur les branches, par terre. Du sang séché, des morceaux de vêtements. Et au fond d'une mare à côté, des formes humaines, attachées à des pierres.
- Zakennayo !
Ryu s'approcha de l'eau, plongea la main pour prendre les cordes ; elle les coupa d'un coup de couteau. Les cadavres remontèrent à la surface : trois yorikis, portant le mon des Scorpions.
Un dernier corps, en armure, restait au fond : le samuraï assassiné.

En fin d'après-midi, les etas ramenaient les corps au village. Les victimes avaient eu la nuque brisée. Pas de traces de lames ni de griffes.
- Voilà comment je vois les choses, dit Shigeru, en aspirant un bon bol de nouilles brûlantes : le Ninja a pour complice le gardien de chêvre. Facile pour lui d'aller en forêt : il a le droit d'y poser des collets. Ensemble, ils tuent le Bayushi et ses yorikis. Et ensuite, le Ninja se débarrasse de son complice.
- Possible...
- Il faudrait que nous examinions de plus près ce poseur de collet. Pour savoir comment le Ninja s'y prend.

Après le repas du soir, nos deux assistants allèrent à la cabane du gardien de chêvre.
Il avait eu la gorge entaillée profondément. Mais par une lame très fine, même pas par un couteau. Une entaille fine comme du fil...
Ryu le fit tourner. Aucune trace de blessure ou de cicatrice. Notre enquêtrice ne vit d'abord rien, puis elle aperçut, sous le bras droit, une vilaine tâche, très sombre. Et il y en avait une autre sur la cuisse. Elles n'étaient pas sur la peau, mais plutôt dessous.
Ryu eut une moue de répulsion. Sa lèvre inférieure trembla.
- Ca ressemble pas à de la Souillure, dit Shigeru.
- Non, l'Ombre...
Ryu préfera reculer. Shigeru se tut, et fit signe qu'on brûle rapidement ce corps.

[Image: ninja3.gif]

Le lendemain matin, Kakita Hiruya reçut un messager de sa famille, vêtu de blanc. La couleur du deuil. Il venait d'arriver des terres de la Grue et affichait un visage dur et triste.
Notre Magistrat comprit qu'il fallait s'attendre au pire.
- Je suis porteur de mauvaises nouvelles, Hiruya-sama.
Le messager s'inclina plusieurs fois.
- J'ai le douloureux devoir de vous annoncer la mort de l'honorable Kakita Yobe, votre senseï. Il a été emporté par la peste voici dix jours.
Hiruya baissa les yeux et soupira.
- Hiruya-sama, votre senseï a combattu les Lions avec un courage qui l'honore. Sa famille s'en souviendra toujours. Il a pensé à vous jusqu'à la fin. Et il m'a chargé de vous porter ceci : son daisho.
Hiruya trembla en le voyant.
- C'est un présent magnifique...
- Il sait que votre famille a maintenant un autel dans le temple de cette ville. Son esprit sera honoré que son daisho y soit placé.
- Oui, je le ferai. Puisse ce daisho m'apporter un peu de sa bravoure et de sa noblesse.

Hiruya remercia le messager. Il alla revêtir un kimono blanc. Katsu demanda à lui parler. Ensemble, ils évoquèrent Yobe-sama, que Miya Katsu ne connaissait que de réputation.
C'était le père de Yobe qui avait tué le démon qui avait attaqué Kakita Takaaki, le père de Hiruya. Et Takaaki, avant de mourir, avait dit que Yobe serait le maître de son fils.
Yobe avait failli mourir, frappé d'une flèche, dans la Vallée des Cloches de la Mort. Il était le seul à connaître la vérité, avec sa mère, concernant Daidoji Dajan.
- Tous reconnaissaient la dévotion de Kakita Yobe dans l'art ancestral de votre famille, Hiruya-san. Il a incarné l'excellence de l'idéal de la Grue. Et nous savons que vous marchez sur ses pas. Chez vous aussi, l'honneur, le sabre et la vie ne font qu'un.
- J'aimerais le croire, soupira Hiruya.
Katsu resta silencieux, l'air grave.
- Yobe-senseï ne voudrait pas vous voir hésiter.
Hiruya s'inclina bien bas.

[Image: ninja3.gif]

Dans la journée, Hiruya retourna au temple, pour voir Ayame, et elle seule. La shugenja le vit habillé de blanc et ne fit aucune remarque. Elle respectait ce deuil tacitement.
- Je crois que peu à peu je retrouve la sérénité, dans ce temple...
Hiruya fut agacé par cette remarque. Elle essayait de noyer le poisson et aujourd'hui, il ne se sentait pas d'humeur !
- Hier, je vous ai posé une question, Ayame. Je vous ai même, généreusement, laissé une journée pour y penser. Maintenant, j'attends que vous répondiez.
La shugenja était dos au mur. Elle aurait voulu fuir, très loin, sans se retourner, pour ne pas affronter ce moment. Mais elle ne pouvait échapper au dur regard de Hiruya.
- C'était le mois dernier... J'ai revu une connaissance sur l'île de Larme.
Elle toussota.
Hiruya attendait. Et il attendrait le temps qu'il faut.
- C'était... c'était Nahoko.
Hiruya faillit bondir au plafond :
- QUOI ! Nahoko !
Mais dans quel monde vivait-il ! Qu'avait-il fait pour mériter ça ! Le karma pourri de quel ancêtre expiait-il à cause de cette shugenja !
- Nahoko !
Il avait les poings crispés ; il lui fallut toute la maîtrise de soi, apprise au cours des années, pour ne pas hurler. Et Benten savait qu'il était aux abois, durement frappé qu'il était par la mort de son senseï.
- Nahoko ! Mais comment as-tu seulement pu rencontrer cette traîtresse et, par dessus le marché, ne pas m'en parler ! Mais c'est insensé !
- La nuit... les circonstances...
- Quelle nuit ! quelles circonstances !... ton devoir aurait été de l'abattre sur place ! Tu le sais parfaitement !
Ayame s'inclinait. Elle avait entendu parler de ces bêtes gaijin, de gros oiseaux au long cou, incapables de voler, très rapides à la course, qui s'enterrent la tête.
- Que t'a t-elle dit ?
Ayame voulut retenir la vérité, ne pas la laisser sortir de sa bouche. Mais le ton impérieux, l'assurance et la colère noire du magistrat l'écrasaient. Elle voulait demander pitié.
- Que t'a t-elle dit, par Benten !
- Elle m'a reparlé de Heibetsu... De notre venue, de sa fuite avec la Grue Noire... Elle a dit qu'elle se sentait traquée par l'Ombre, menacée de l'intérieur.
- Excellent ! Elle a donc fait le voyage jusqu'ici pour dire qu'elle ne sentait pas bien et qu'elle était désolée de ce qui s'est passé !
- Elle m'a dit qu'elle est venue avec la Grue Noire, pour lutter contre le Condor.
- Ca, nous l'avons appris à la tour Nihai, Ayame !
- Mais elle voulait nous aider...
- Nous aider à quoi !
- A trouver le Condor, à lutter contre l'Ombre...
- Pourquoi m'avoir caché ça ?
- Nous avions déjà tant à faire...
- La sollicitude de Nahoko était déplacée, de même que tes scrupules ! A cette différence près qu'elle est déchue de l'Ordre Céleste, mais que toi tu en fais partie !... A t-elle seulement dit quelque chose de vraiment intéressant ?
- Je ne peux rien affirmer. L'Ombre est subtile, imprévisible... Pour lutter contre elle, il faut en apprendre sur elle. Le savoir, la sagesse, sont nos meilleures armes.
- Qu'es-tu prête à risquer pour acquérir un tel savoir !
- J'ai risqué mon honneur, je le sais... A la cour d'hiver, loin de me couvrir de gloire, je suis restée à l'écart... De même ici, j'ai renoncé à me faire connaitre, à briller...
- En éprouves-tu des regrets ?...
Ayame fixait toujours le sol. Elle sanglotait entre deux phrases. Hiruya n'était pas décidé à se laisser intimider.
- En éprouves-tu des regrets ?...
- Non.
- J'en étais certain. Ce qui me fait dire que d'ici peu, tu ressembleras tant à Nahoko que tu ne feras qu'un avec elle ! Tu n'as aucune limite à tes ambitions ! Que dira ton senseï ?
- Je suis certaine qu'il y a un moyen... Je n'en parle pas, pour éviter des ennuis à la magistrature...
- Ou plutôt, tu n'en parles qu'au dernier moment. Si j'ai bien compris, tu as tourné le dos à la voie de l'honneur !
- Non, s'écria t-elle, accablée. Je n'ai pas abandonné l'honneur ! J'en ai sacrifié, mais je ne l'ai pas perdue ! Je sais que je me bats pour le bien de l'Empire !
- L'honneur, ce n'est pas ça ! Combien sont-ils, persuadés de faire le bien de l'Empire, à demander du pouvoir aux démons ! Personne ne t'écoutera et toi, tu continueras sur cette voie.
Hiruya se tut. Des moines passaient dans le couloir.
Quand ils furent partis, il dit :
- Et je suis certain d'une chose : s'il le fallait, tu sortirais du temple pour trouver des informations. Tu braverais mon interdit.
- Non. Cette retraite au temple éclaircira mon esprit. Je ne désobéirai pas.
- Rappelle-toi ces paroles. Je suis sûr qu'un jour, j'aurai à te les rappeler.

A suivre... [Image: ninja3.gif]
Reply
#4
Quote:Elle essayait de nettoyer le poisson[...]

Ah bah ça alors, me vlà poissionnièreCaptain


Bof remarque ça ou obéir à un chef tyrannique qui s'enerve pour oui pour un non et qui n'est jamais contentOuimaisnon
Reply
#5
' Wrote:
Quote:Elle essayait de nettoyer le poisson[...]

Ah bah ça alors, me vlà poissionnièreCaptain


Bof remarque ça ou obéir à un chef tyrannique qui s'enerve pour oui pour un non et qui n'est jamais contentOuimaisnon

RoflComment j'ai pu écrire ça !
Stait bien sûr "noyer le poisson".lol

Le quartier des pêcheurs t'attend ! :jmekiffe:
Recoudre les filets, vider les poissons, les cuisiner (façon Jin préparant les anguilleswink), toussa quoi !Roxx
Reply
#6
J'avais bien compris et je me suis demandé aussi ce qui avait bien pu te passer par la tête pour écrire ça, une envie de sardine au barbecue peut-êtrebave

Tiens je vais, pour me faire pardonner, préparer du poisson pour Ryu et Hiruya. Il parait qu'ils ont du très bon Fugu à Ryoko Owariayame

Et puis s'il en reste on pourra inviter Akitoki, Jocho, Bokai, Kitabakate, Masanaga, Nahoko...Swann
Reply
#7
Fugu sauce Bayushi, un régal !bave

T'as une liste d'invités impressionnante !Rofl

Quelle rageuse-haineuse, franchement !:P
Reply
#8
CHRONIQUES DE L'EMPIRE D'EMERAUDE


[Image: ninja3.gif]

La nuit était tombée sur le village. Shigeru ronflait à poings fermés. Les bêtes nocturnes crissaient dans l'hiver. Les étoiles scintillaient, silencieuses.
Un cri déchira cette atmosphère paisible.
Ahuri, Shigeru s'éveilla et s'assit d'un coup. Ryu ouvrit les yeux et observa par la fenêtre ce qui se passait.
Les hommes du village s'assemblèrent dans l'auberge et organisèrent des recherches à la lumière des lanternes. Un homme finit par lancer qu'il avait trouvé. Il se trouvait sur les bords du ruisseau, les pieds dans la boue. Il éclairait l'endroit, apeuré, sans oser approcher ni reculer.
Nos deux Magistrats approchèrent de l'endroit : un cadavre était revenu au village, par le courant de l'eau.
- Ca va reculez vous autres, mais éclairez-nous ! ordonna Shigeru.
- Qui est-ce ? demanda Ryu.
- Nous l'ignorons, Dragon-sama ! Il n'était pas du village !
Shigeru maugréa, bougon.

L'examen du corps, avec l'aide d'etas révéla bientôt un détail perturbant.
L'homme avait un bras nettement plus long que l'autre. Sa main pendait au bout d'un bras distordu.
Nos héros avaient compris : une déformation caractéristique des victimes de l'Ombre.
Ils prirent une lanterne et remontèrent la rivière dans la nuit. Il devenait urgent de trouver le coupable, qui ne pouvait être loin puisqu'il venait de tuer.
Ils arrivèrent près d'un autre champ en friche, à l'orée de la forêt. Et en dépit du froid, le vent amenait une écoeurante odeur de cadavre. Mais en pleine nuit, les recherches s'avéraient difficiles. Nos deux magistrats fouillèrent dans les herbes, sans rien trouver. Pourtant, ils étaient sûrs d'avoir un mort pour voisin !
Et c'est quand ils furent découragés de leurs recherches qu'ils comprirent qu'ils étaient perdus !... Ils ne savaient plus où se trouvaient la rivière.
Ils soupirèrent, dépités. Perdus en pleine cambrousse, ils avaient l'air malins ! Leurs Ancêtres pouvaient bien rire d'eux !
Shigeru se retourna vivement : il venait de voir passer une silhouette dans le bois tout proche !
Et une silhouette vraiment pas discrête : un homme habillé d'un habit blanc ! Le Crabe courut dans le bois, en dépit de toute prudence.
Il regarda à droite, à gauche, sentit quelqu'un passer près de lui et envoya un coup de tetsubo dans l'air ! La masse cogna le tronc d'un arbre, qui trembla comme si le sol s'ouvrait sous ses branches !
- Zakennayo !
Ryu arriva, plus posée.
- Allumons un feu.
Il faisait froid, humide. Des paquets de neige alourdissaient les branches. Et il n'en devenait que plus urgent de se chauffer.
Un qui ne devait pas prendre froid, c'est l'homme qui espionnait nos deux magistrats. Shigeru l'aperçut, perché sur une branche.
- Attends un peu ! je vais te cueillir toi !
L'homme se laissa tomber, se rattraper à sa branche, se balança, tourna et sauta sur la branche du dessus. Il agrippait le tronc et remontait encore. Shigeru envoya un violent coup dans l'arbre mais il ne reçut que de gros morceaux de neige sur la tête !
Un tanto fusa dans l'air et alla se planter dans l'arbre. Ryu venait de tirer à vue sur l'homme. Ils le virent, dans le peuplier d'à côté. Poursuite à travers les bois, dans les taillis blancs et raides. Et nos héros savaient de moins en moins où ils allaient.
- Perdus, samuraï ?...
La voix venait des hauteurs d'un vénérable saule, au bord d'un étang gelé. Une voix bien humaine, un rien amusée mais pas menaçante.
Ryu attrapa une branche basse, en monta quelques-unes, mais le bois craqua sous son pied : chute dans les ronces !
- Zakennayo !
Shigeru l'aida à s'extraire de ce piège pendant qu'on devinait le rire du mystérieux personnage.
Ils virent alors la lune briller et la rivière de leur village.
Ils avaient retrouvé leur chemin !
- Ca alors...
Ils avaient trop froid pour essayer de comprendre. Ils se dépêchèrent d'aller profiter du feu, à l'auberge où les villageois se réunissaient des villageois qui n'avaient pas retrouvé le sommeil. Les flammes bienfaisantes les dégourdirent et bientôt, Shigeru sombra dans un lourd sommeil, imité par Ryu.

[Image: ninja3.gif]

Après ses exercices du matin, sous un frais soleil dans la cour du palais, Hiruya consulta le courrier.
Une bonne nouvelle : Bayushi Bokkai avait obtenu son détachement. Il serait bientôt de retour dans la Magistrature d'Emeraude !
Aucune nouvelles des Licornes pour le moment.
En fin de journée, Hiruya vit revenir ses deux Magistrats : Shigeru, qui avait attrapé un refroidissement et Ryu, qui boîtait...
Las, Hiruya soupira et les convoqua pour leur rapport. Ce fut dit en deux mots, par Ryu :
- Un Ninja qui tue des gens touchés par l'Ombre.
Shigeru, en éternuait, produisait un bruit d'une force à renverser les murs.
Hiruya n'ajouta rien et ordonna aux deux samuraï d'aller se reposer. Il avait les épaules lourdes et n'avait plus envie de croire en rien. Il ne se sentait plus assez fort pour supporter la mort de Yobe. Sur le moment, il avait réussi à encaisser le choc. Maintenant, il se sentait attaqué dans le défaut de la cuirasse. Le deuil accomplissait son travail, accablant.

Au Temple, Ayame, malade, endurait les affres du manque d'opium. Elle était nourrie de bouillons de légumes. Ikky interrompait régulièrement son travail pour venir veiller sa shugenja. Celle-ci, les paupières lourdes, grelottait et suait. Au cours de l'après-midi, alors qu'on entendait les pas des moines crisser sur le gravier de la cours et les haches fendre le bois, qu'on sentait l'odeur des cuisines, notre shugenja aperçut au mur des inscriptions qu'elle n'avait pas encore remarquées. Enroulée dans sa chaude couverture, mais menacée de tous côtés par le froid, elle s'approcha du mur, le nez bleu.
Elle déchiffra ce qu'on avait marqué au mur : sur deux colonnes, des noms, avec des dates à côté.
Ayame reconnut quelques noms. Elle comprit que la colonne de gauche était remplie de noms de Gouverneurs de la ville et celle de droite, de Magistrats d'Emeraude. Y étaient-ils tous ? Il le semblait bien, et classés par ordre chronologique, de haut en bas. Seuls les derniers apparaissaient : une dizaine de noms, qui allaient de l'année actuelle 1127 jusqu'à 980. De même pour les Magistrats.
Qui avait pu s'amuser à un tel recensement ?...

En fin d'après-midi, Ikky revint, apportant avec elle la fraicheur du dehors, mais avec le temps frais, vif.
- J'ai parlé au Scorpion là, celui qui traîne dans le jardin. Il se nomme Yogo Jinnai.
Plusieurs fois, les deux femmes avaient en effet aperçu un Scorpion, la quarantaine bien sonnée, mal rasé, farouche, de longs cheveux en désordres, mais habillé d'un kimono de seigneur, qui grognait seul dans son coin.
- Il a bien voulu discuter avec moi, content qu'une femme s'adresse à lui j'imagine. Il a été écrivain et conteur à Otosan Uchi. Il a raconté la vie d'illustres personnages et retrouvé nombre de généalogies prestigieuses.
Ayame hochait la tête, qu'elle avait lourde. Elle baîlla et se rallongea. Ikky voyait bien qu'il n'était pas possible de distraire la shugenja de ses malheurs actuels. Alros la yojimbo l'exhorta encore à se défaire de la drogue, à lutter contre ce poison insidieux qu'elle s'inoculait volontairement.
- Vous êtes en guerre contre vous-mêmes, Ayame.
- Je te suis très reconnaissante de ton aide, Ikky.
- Peut-être que nous sommes trop proches l'une de l'autre, qui sait...
Ayame crut comprendre ce que la yojimbo voulait dire :
- Tu retrouveras le chemin de l'honneur, j'en suis certaine.
- Vous aussi, Ayame.

[Image: ninja3.gif]

Ryu bénéficia des soins d'Iuchi Sadako, la pipelette Licorne. Elle eut vite la cheville en place, grâce à l'application des mains de la shugenja, qui venait aux nouvelles. Hélas, nul moins que Ryu ne répandait de ragots et la shugenja repartit bredouille, sans avoir d'eau pour faire tourner son moulin à ragots.
Un coursier s'était présenté au palais, venu du village de la Pierre Rouge. Le samurai retrouvé mort au fond de l'étang était un petit Bayushi insignifiant, envoyé dans ce lieu perdu à la suite d'une faute de sa famille.
Hiruya était consterné par cette déconfiture. Des meurtres minables, des Magistrats désemparés... L'hiver s'annonçait rude.
Dans sa chambre, Ryu s'efforçait de marcher normalement en posant son pied endolori par terre. On vint lui apporter une enveloppe sur laquelle était inscrit son nom. A l'intérieur, un papier grossier, avec des caractères réguliers : "Content d'avoir pu vous aider à retrouver le chemin du village."

Pour le coup, elle fit un faux mouvement et de sa cheville remonta une douleur qui la fit grimacer. Elle sautilla plusieurs fois et se rassit, relut la lettre. Pour de la provocation !...
Elle sut ce qu'elle allait faire aujourd'hui. Elle chercha dans les archives du palais des mentions de ce Ninja, dont elle avait entendu parler au début de son séjour dans la Cité. Il avait été accusé de s'en prendre à des marchands en ville. Depuis, il n'avait pas été vu dans les rues de Ryoko Owari.

Au temple, au réveil d'une longue sieste, Ayame crut avoir la berlue : les inscriptions sur le mur étaient plus longue ! La liste s'était allongée !
Bien sûr, quand elle dormait, on pouvait entrer dans sa chambre. Mais imaginer que quelqu'un venait griffonner au mur !...
Par la fenêtre, elle vit passer Yogo Jinnai.
Yogo Jinnai qui était historien. Ses réflexes d'enquêtrice se remirent en marche. Et si c'était lui qui ?...
Mais c'était grotesque !... Ou bien ce Jinnai était un peu obsédé par les dates.
Cette fois, les inscriptions étaient plus floues. Ayame ne pouvait déterminer jusqu'à quand elles remontaient. Elle se frotta les yeux : non, pas d'erreur, on avait allongé la liste.
Ayame se dit qu'elle ferait semblant de dormir la prochaine fois.

Le lendemain, Hiruya, qui se sentait menacé par l'ennui, ordonna à Ryu et Shigeru de le suivre au village de la pierre rouge. On allait approfondir l'enquête !
On interrogea de nouveau les paysans. D'abord les meurtres dans la fôret, puis le cadavre dans les champs et enfin celui près du village. Manifestement, le Ninja se rapprochait de la Cité.
- Quelqu'un, demanda Hiruya au chef du village, est-il connu pour avoir une tare ? ou pour être un peu à part ? ou bien "spécial", ou quelque chose de ce genre ?...
- Je vois ce que vous voulez dire, honorable Magistrat. Il ya bien le vieux Hotori, qui ne fréquente pas grand'monde.
Le chef aurait été bien content que ce soit le Hotori en question qui soit coupable ! Qu'on trouve le meurtrier vite et bien !
- En quoi est-il donc spécial ?
- Par Ebisu, il fait des cauchemars qui le réveillent plusieurs fois par nuit, le vieux Hotori. Il n'ose jamais sortir à la pleine lune. Depuis que sa femme et ses enfants sont morts, il est comme sauvage...
Ca suffisait pour Hiruya. Suivi de ses deux assistants, il alla parler à ce Hotori.
Il vivait dans sa masure, au sortir du village. Il restait propre sur lui mais ses mains étaient agitées de tremblement. Il devait boire sans compter.
- Je suis hanté par ma famille, honorable Magistrat... Ils ressortent du lac, dans des habits de deuils immaculés et ils viennent m'enserrer pour m'emmener avec eux. Ils sont morts de froid, il y a quatre hivers et ils me disent que je suis coupable d'avoir survécu, que j'aurais dû partager leur sort... Que je dois rejoindre le monde des zombies à mon tour ! Je ne sors pas à la pleine lune, par peur qu'ils viennent me chercher et que le village entier soit touché par la poisse ! Voilà pourquoi je me tiens à l'écart !
- Et qu'est-ce qui pourrait te forcer à sortir ?
- Rien, s'écria le malheureux.
"Si sa maison brûle, pensa Hiruya, il faudra bien qu'il sorte."
Il ordonna à quatre soldats de garder sa maison et d'être très attentifs à la prochaine pleine lune.
Nos samurai passèrent la nuit au village.
Au beau milieu de son sommeil, Shigeru fut réveillé par un choc à côté de lui. Une pierre venait de rouler dans la pièce, avec un papier attaché autour.
A la lumière des étoiles, il le lut : "Le samuraï a été tué par les CREATURES DE L'OMBRE !!"

Le papier sonnait comme un reproche adressé au Crabe. A propos des morts de l'étang, Shigeru avait émis l'idée que le gardien de chêvre qui posait des collets était le complice du Ninja. Et le Crabe eut l'intuition que c'était le Ninja qui venait d'écrire ce billet.
Ce Ninja qui avait aidé les deux samuraï à sortir de la forêt, alors qu'il aurait pu les attaquer si facilement dans ces bois sombres. Le Ninja cherchait-il donc à aider la Magistrature ?... peut-être pas quand même !
Le lendemain matin, Hiruya lut le billet et fit la grimace. C'est alors qu'un yoriki arriva, affolé, avec une autre pierre et un billet. Notre Grue lui arracha des mains, agacé et le lut sans tarder : "A l'honorable Magistrat : le paysan en deuil est touché PAR L'OMBRE ! Il doit mourir !"
Hiruya froissa le billet et ordonna qu'on double la garde.
Puis il prit le chemin du retour avec Ryu et Shigeru. Il détestait cette sale campagne où il devait se donner du mal pour la vie de quelques malheureux hères !
Dans un autre village, plus proche des murs de la Cité, il apprit qu'il ne s'y était jamais rien passé !
Retour maussade à la Cité.
Au temple, Ayame, toujours malade, rendait une partie de son bouillon de midi.

[Image: ninja3.gif]

Le lendemain, Ryu demanda l'autorisation d'enquêter sur l'ile de la Larme. Elle avait l'intention de prouver qu'on avait aidé Ayame à prendre trop d'opium.
- Entendu, fit Hiruya, de guerre lasse dès le matin, mais interdiction d'importuner des samuraï à ce sujet !
Comme notre Grue s'y attendait, l'enquête ne donna aucun résultat.
Hiruya rendit visite au temple, où Ayame était toujours aussi mal en point.
- Le poison est dur à expulser, Hiruya-sama...

Il lui apprit l'existence du Ninja et sa lutte supposée contre les créatures de l'Ombre.
- D'autres que moi veulent agir aussi...
- Nous nous inquiétons de savoir qui sera la prochaine victime. Elle pourrait être dans la Cité...
Ayame toussa et se força à tousser encore, pour masquer sa gêne.
- Il y a beaucoup de gens dans la Cité, on ne peut pas savoir...
- Quelque chose d'anormal, Ayame ?
Elle lui désigna les inscriptions au mur :
- Quelqu'un vient griffonner pendant mon sommeil...
- Quoi ? quelqu'un peut-il s'en prendre à toi ici ?
Sincérement, Ayame répondit : non.

A suivre... [Image: ninja3.gif]
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#9
J'avais oublié la grande épopée de Ryu et Shigeru perdu dans les boislol
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#10
oui moi aussi... vraiment le "perdu samourai???", il vaut cher!!!

mais c'est encore loin du passage dans les bois ryu + riobe +hiruya, qui restera dans les anales du rire en jdr je pense!!!
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