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20e Episode : Trois contes d'hiver
#1
CHRONIQUES DE L'EMPIRE D'EMERAUDE

<span style="color:green">La 5e Réincarnation : 20e Episode (I)</span><!--/sizec-->
Sanglier 1127



Trois contes d'hiver (I)<!--/sizec-->

Deux Phénix dans l'automne mourant<!--sizec--><!--/sizec-->



"Demain, à la fin des célébrations de Daikoku, l'assassin du Magistrat trouvera la mort à son tour."

Par ce beau matin froid de fin d'automne, un fonctionnaire du palais d'Emeraude avait apporté une lettre à Kakita Hiruya. Notre Magistrat venait de terminer ses exercices au dojo, l'avait ouverte et lut. Il ne fit aucune remarque et signifia au porteur qu'il pouvait se retirer.
Le lendemain, l'abbé Okawa célébrerait pendant une grande partie de la journée un ensemble de cérémoniels annuels destinés à s'attirer les faveurs de Daikoku, Fortune de la Richesse et donc Fortune tutélaire de la ville !
A leur arrivée à la Cité, nos héros avaient rapidement poussé leurs recherches sur le Condor. Mais auparavant, ils avaient survolé deux autres affaires, avant de les abndonner : celle du Ninja et celle de l'assassinat d'Ashidaka Naritoki, Magistrat d'Emeraude du clan de la Grue. Son successeur, la fière et rude Matsu Shigeko n'avait pu résoudre l'affaire. Miya Katsu, pour effacer cette tâche sur le corps de la Magistrature, se devait de réussir.
On pouvait soupçonner l'implication des Scorpions, maîtres officieux des cartels de la drogue, qui avaient pu vouloir supprimer un Magistrat trop zélé à réprimer le trafic d'opium. Mais aucune piste n'avait été découverte.
Et voilà qu'on servait à nos héros, sur un plateau d'argent, le coupable !

Et pourtant, ce fut peut-être la seule enquête que les Magistrats de Miya Katsu ne purent mener à terme.
Etait-ce parce qu'on leur avait livré le coupable dès le début ? Est-ce parce que, trop vite, d'autres drames se jouèrent à la Cité des Histoires, qui empêchèrent la suite de l'enquête ?...

Samurai

L'enveloppe ne portait aucun signe distinctif.
- Tenez Ryu, examinez cette lettre. Dites-moi ce que vous en pensez.
L'enquêtrice avait affirmé que c'était l'écriture d'un homme du peuple. Or, si tous les samouraï ou presque savent lire, il est plus rare de trouver un heimin inscrit. Sauf chez les secrétaires et assistants des samouraï précisément. Mais il n'est pas de notoriété publique que tel ou tel heimin sache lire.
- Quoi qu'il en soit, avait Miya Katsu, nous avons une journée pour mettre la main sur le coupable.
- Oui, en espérant que l'auteur de la lettre pousse l'audace à tenter de tuer dans les jardins de Daikoku. Si cela se passe ailleurs en ville, nous n'avons aucune chance.

Ryu alla voir ses "alliés" du Syndicat des Teinturiers. Le chef, avec son regard perçant et ses traits tirés, avait examiné la lettre. Décontenancé, il avoua qu'il ne pouvait en tirer grand'chose. L'auteur avait bien pris soin de la rendre banale et anonyme au possible. Ni ne papier, ni l'encre, ni l'écriture n'avaient de signe distinctif.
- Je reviendrai vous voir, j'espère que vous aurez plus de renseignements...
Ryu disait cela d'un ton doux, mais où la douceur faisait ressortir par contraste le ton de menace insidieuse.
Elle avait fait calquer la lettre, pour la montrer à plus de personnes à la fois.
L'original avait été déposé dans l'urne des plaintes, dans la cour du palais. Un prédécesseur de Katsu-sama avait fait établir cette coutume : chacun pouvait librement venir déposer une lettre à l'intention de la magistrature.
Chaque semaine, la grosse urne était vidée et son contenu examiné par des fonctionnaires du palais, avant que les messages les plus intéressants ne remontent jusqu'aux magistrats eux-mêmes. Mais avec le passage incessant dans la cour, et la sûreté garantie à ceux qui venaient poser une lettre, il était impossible de retrouver celui qui avait déposé le message.

Lors du repas de la mi-journée, Yasuki Taka était l'invité du palais. Le vieux marchand avait apporté les indispensables bouteilles de saké qui dérideraient un fonctionnaire d'une petite ville provinciale. On pouvait compter sur lui (Taka, mais aussi son saké !wink pour remonter d'un ton l'humeur joyeuse de l'assemblée. Miya Katsu l'avait invité pour parler du rétablissement du clan du Lièvre. Il y avait un mois que l'affaire traînait et le Magistrat avait à coeur de terminer cette affaire.
- Un magistrat de la Cité Impériale, Seppun Fumihi doit arriver bientôt ici. Elle restera parmi nous le temps de briser le procès contre le clan du Lièvre.
- Tu m'en vois ravi, Katsu-san, disait Taka.

Seppun Fumihi était concernée au premier chef par cette affaire.

Miya Katsu, Episode 14 Wrote:- J'ai découvert, dit Katsu-sama, que l'ordre d'arrêter Ozaki à Morikage Toshi a été signé environ deux semaines avant qu'il ne commette son meurtre. Je me suis renseigné, et j'ai découvert qui avait signé cet ordre. Il s'agit de l'honorable Seppun Fumihi, une dame de très haute naissance, magistrate ayant ses entrées dans la Cité Interdite. J'ai voulu la retrouver pour comprendre. J'ai fini par savoir qu'elle avait été affectée ailleurs qu'à Otosan Uchi. Plus exactement sur les terres du clan du Blaireau, à la garde d'un village dans les montagnes arides, comptant plus de tête de bétail que d'habitants.
"Je suis tenace, samuraï, comme doit l'être tout magistrat impérial. Je me suis rendu sur les terres de ce clan lointain. J'ai interrogé Fumihi-sama. Elle m'a dit qu'elle détestait le climat, et qu'elle ne reconnaissait pas sa signature sur l'ordre d'arrestation.

Depuis, l'importante Magistrate avait échappé à la destruction du clan du Blaireau et retrouvé le silence feutré des couloirs de la Cité Interdite.
Taka faisait resservir l'assistance. Il était venu avec son neveu, Yasuki Garou, son successeur désigné. Depuis de nombreuses années, il lui avait fait découvrir les ficelles du métier ; le jour venu, il serait prêt à reprendre les rênes de l'empire commercial de Yasuki Taka !
Et bientôt, Taka-sama n'allait pas réaliser la plus mince opération de sa carrière : avec le rétablissement du clan du Lièvre, grâce à la rétractation de son témoignage, il se ferait un allié d'Usagi Ozaki et de ses hommes.
On remercia le daimyo d'avoir honoré le repas et celui-ci s'en alla sur quelques anecdotes et plaisanteries de derrière les fagots.

L'après-midi, Hiruya en revint à cette histoire d'assassin. Et si c'était Ozaki qui était visé ?
En effet, le premier crime dont on avait accusé le Lièvre était d'être l'auteur de la mort du Magistrat de Morikage Toshi.
Il y avait là une ambiguité. Qui sait du Magistrat de quel ville on parlait ?
Mais ce n'était que conjectures et l'enquête n'avançait pas. Shigeru avait fait la tournée de ses maisons favorites, de comptoirs en levées de coudes, de tables de jeux en conversations avec ses indics, mais il n'en était rien ressorti.
On savait déjà que le Magistrat Ashidaka Naritoki avait été tué au moment où il partait sur l'île de la Larme. Sa barque avait pris feu. Il n'avait pas pu sauter à l'eau, ce qui laissait supposer qu'il était déjà mort. Lui et son homme de confiance, le rônin Parole d'Honneur, y avaient perdu la vie.
C'était maigre.
La journée passa, sans apporter de nouveaux élèments. La mort annoncée semblait inéluctable.

Samurai

Le lendemain, l'auteur du message tint sa promesse. A l'heure de Shiba [16-18h], les célébrations de Daikoku se terminaient. Elles avaient réuni le Tout-Ryoko Owari : membres éminents de chaque clan et de chaque famille, visiteurs prestigieux, représentants des pompiers et des syndicats pêcheurs et marchands... Tous s'étaient retrouvés dans la grande salle de prière du temple, devant les milliers de petites statues et l'autel monumental de la Fortune de la Richesse. Ils avaient récité les sutra en choeur, accompagnés par la musique des moines, accompli plusieurs rituels de purification et enfin, fait des dons au temple.
L'assemblée sortait dans les jardins pour deviser entre petits groupes, comme si on était à la cour d'hiver (et celle-ci ayant été annulée, au grand dam de la famille Iuchi, il fallait trouver des compensations !wink.
Miya Katsu et tous ses Magistrats avaient été attentifs pendant la fin de cérémonie, au moment où l'heure fatidique approchait. Avant cela, Ayame avait commis une faute dans la récitation d'un sutra et on l'avait remarqué ! Ce qui faisait pour le moins désordre de la part d'une shugenja, qui est plus shugenja d'Emeraude !
Déjà agacé par cette erreur, Hiruya cherchait en plus qui allait tuer qui et enrageait d'être impuissant face à cette menace. Ce pouvait être n'importe qui dans l'assistance. Bayushi Korechika, le maître soupçonné du trafic ? Le Gouverneur elle-même ? Son fils Jocho, maître de la garde du Tonnerre ? Ou bien un Licorne ? Et pourquoi quelqu'un de difficile à soupçonner, comme un moine ?
Il était odieux de devoir porter ses soupçons sur n'importe qui, mais nos Magistrats en avaient assez vu pour savoir que grand seigneur n'équivaut pas nécessairement à grand honneur.

Alors qu'il s'attendait à un crime violent, spectaculaire (l'assassin se jetant sur sa victime en hurlant quelque insanité ou criant vengeance), Hiruya vit passer, dans le fond du jardin, deux etas qui en transportaient un autre sur une civière.
Il partit voir, suivi de ses assistants. L'assemblée ne manqua pas de noter cette agitation.
- Qui est-ce ?
Les deux etas étaient le front à terre.
- Un jardinier, seigneur. Il se nomme Sourcils.
- Il est mort ?
- Oui, nous venons de le trouver, là-bas...

Alors ça, c'était vraiment le comble !
Un eta !
Un pauvre jardinier, assassin du magistrat d'Emeraude ! Ce n'était pas croyable !
De qui se moquait-on ?
Hiruya alla prévenir Katsu-sama et fit procéder à l'enquête d'usage dans les jardins. Ryu s'en acquitta, avec son zèle habituel en la matière.

A suivre...Samurai
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#2
Tu n'as pas chomé aujourd'hui, pour notre plus grand plaisirbave

2 contes d'automne, 3 contes d'hivers... Cleveron dirait un test de QI, trouvez la suitelol
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#3
...4 bans de printemps.Kneu
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#4
CHRONIQUES DE L'EMPIRE D'EMERAUDE

L'après-midi, Hiruya reçut Ayame seul à seul. C'était l'heure de Shiba, mais surtout l'heure du savon !
- Ayame, vous avez commis une faute dans la récitation des sutra, durant la bénédiction aux Ancêtres ! Et cela n'a pas échappé à vos voisins, parmi lesquels des Bayushi, qui se sont empressés de répandre la nouvelle !...
Ayame baissait les yeux.
Depuis la mort de Soshi Seiryoku, la magistrature d'Emeraude était, c'était le moins qu'on puisse dire, en froid avec le palais Shosuro. L'ambiance était glaciale et les rencontres s'étaient réduites au strict minimum, lors d'occasions officielles. Mais Hiruya ne rencontrait plus Jocho sur l'île de la Larme, pas plus qu'Ayame ne voyait Kimi.
En revanche, la popularité des Magistrats s'était accrue dans des proportions gigantesques chez les Licornes, qui avaient appris avec ravissement la destruction d'une des quatre familles Scorpions de la Cité ! Poliment, les Magistrats avaient décliné leur invitation, mais on avait entendu le clan de la Ki-rin faire la fête très tard, ce soir-là et le palais gaijin retentir de musiques, de danse et de chants !
Toutefois, l'action rapide et maîtrisée de Hiruya était incontestable : le senseï Soshi était bel et bien un maho-tsukaï. Du reste, notre Magistrat n'avait pas écrasé Jocho sous son triomphe : au fond, les choses s'étaient déroulées en famille et Hiruya avait laissé aux Scorpions le soin de présenter l'affaire comme ils l'entendaient.

- J'ai le sentiment, Ayame, que lorsque nos enquêtes ne touchent pas à quelque mystère malsain, vous y mettez bien moins d'ardeur... Comme une impression de distance, sinon de désinterêt...
- Je vous assure que c'est un hasard, Hiruya-sama. Je veux servir de mon mieux l'Empire, et combattre ce qui le menace. Et certaines pistes ne se révèlent importantes qu'après longtemps. Et les informations les plus difficiles à obtenir, les plus secrêtes, sont souvent les plus importantes pour servir l'Empire.
- Mais vous êtes inconsciente de ce que cela peut vous coûter ! Et coûter à la Magistrature d'Emeraude. Les Scorpions n'attendent qu'une occasion de nous faire perdre la face. Rendez-vous compte, Ayame, que vous passez tellement de temps en bibliothèque, que Ryu-san égale, sinon surpasse votre réputation !
Ayame, piquée à vif par l'argument, s'excusa platement et jura de sortir de sa bibliothèque. Elle n'irait que pour étudier les parchemins envoyés par Akitoki-sama. Elle n'ajouta pas, mais le pensa, qu'elle avait fini d'épuiser les secrets de cet endroit.
Maintenant, le seul endroit où elle pourrait en apprendre plus, ce serait l'imposant et tortueux palais Shosuro.
- Je ferai des efforts pour imiter Ryu-san.
Cette dernière phrase lui arracha la gorge mais elle savait qu'elle ferait plaisir à Hiruya.

Nos Magistrats oublièrent pour aujourd'hui l'affaire du jardinier Sourcils, le prétendu assassin. Dans la journée, Ayame était passée chez le vieil Asako Kinto-senseï, pour se renseigner sur les plantes cueillies par Sourcils et il n'y avait vu aucune malice. Des plantes médicinales, pour la plupart. Et on avait confirmé que Sourcils était herboriste dans le quartier du Petit Outremonde.

Samurai

Le lendemain, Ryu était la première en ville : elle se rendait chez Sourcils. Il habitait non loin de l'endroit où elle avait arrêté le rônin Mâchoire. Elle connaissait un peu le quartier et certainement, on la connaissait !
Elle entra dans la bicoque misérable qui lui servait de toits. Elle y trouva des fioles, des herbiers, du petit matériel pour piler des plantes et extraire du jus, quelques effets personnels insignifiants. Elle interrogea plusieurs voisins, qui ne purent rien lui apprendre.

Elle se rendit ensuite à la maison du syndicat des Teinturiers : le patron, désolé, dut lui confirmer qu'ils n'avaient rien appris. Cette lettre anonyme n'avait rien à révéler. Il suggéra qu'il avait bien sous la main quelques coupables tout désignés, mais Ryu déclina l'offre. Au palais, Ayame, assistée de Pitoyables et ses assistants, avait examiné le corps de l'eta : une piqûre à la base du cou.
Sourcils cueillait des herbes dans les jardins de Daikoku, pendant la cérémonie et l'assassin avait frappé au moment où l'abbé Okawa récitait la dernière prière de la journée.

Ryu, découragée par ce début de journée, décida de se consacrer pour une fois à une affaire personnelle. L'avant-veille, elle était allée en bibliothèque. Ayame et Ikky s'y trouvaient et l'avait vue arriver, ahuries. Elle avait répondu évasivement quand on lui avait demandé ce qu'elle cherchait.
Elle venait en fait chercher des informations sur Kishidayu.
Kishidayu : l'assassin de son mari, juste avant le coup d'Etat du Scorpion.

A Morikage Toshi, elle avait évoqué ce nom devant Emmon, mais n'avait pas à l'époque les moyens de se payer ses services.
A la fin de la cour d'hiver, avant son départ chez les Daidoji, elle en avait parlé à Bayushi Bokkai, qui avait dit le connaître, mais était resté très vague. Mais un Bayushi trahirait-il jamais un membre de sa famille ?
Son mari, Mirumoto Isamu, avait été assassiné non loin de Heibetsu, dans une embuscade, dans une gorge étroite, par des assassins bien organisés. L'oncle de Ryu était aussi du voyage et en avait réchappé. Sans doute par fierté, celui qui venait de tuer Isamu avait dit son nom. Kishidayu !
Depuis, ce nom hantait Ryu. Si elle avait pris les armes, si elle avait choisi de suivre la voie du guerrier, c'était pour le retrouver, le défier et le tuer. Pour lui, elle avait quitté son pays, laissé sa fille Akiko et affronté la mort plusieurs fois. Même sa situation de samuraï d'Emeraude était de peu d'importance par rapport à sa quête de Kishidayu.
Elle ne savait presque rien de lui, de cet assassin haï, qui avait tué Mirumoto Isamu parce qu'il avait eu vent du danger représenté par les Scorpions pour le trône d'Emeraude. Né Matsu, Isamu avait rejoint le clan de son épouse, selon la tradition et de ce jour, il avait à peu près perdu ses relations avec le clan du Lion. On ignorait ce Matsu qui rejoignait le clan des méditatifs et étranges Dragons. A sa mort, la famille Matsu avait adressé une lettre de condoléance, polie mais sans plus.

Ryu était ressortie de la bibliothèque : elle tenait peut-être une piste.
Vaincue une fois de plus par la curiosité, Ayame était allée regarder à l'endroit où Ryu avait fouillé : elle vit que la Mirumoto avait mis son nez dans les registres Bayushi.
Et cette après-midi là, en sortant de chez les Teinturiers, Ryu se rendit dans un petit dojo, aux abords du quartier du Temple. Ce n'était pas le renommé dojo de Kitsuki Jotomon, où s'entraînait la délégation du général Daini.
C'était un dojo discret, au coin d'une charmante rue en pente, entre de petits temples austères et propres. Il y avait seulement un yoriki devant, martial. Ryu leva la tête pour lire le cartouche : Dojo des Mensonges Amers.
- Konnichi-wa. Mon nom est Mirumoto Ryu. Je désirerais rencontrer le senseï des lieux.
L'homme s'inclina et ouvrit la porte.
Une petite cour de graviers, des arbres dénudés, un puits puis le bâtiment. Ryu patienta dans l'antichambre, où on lui servit du thé et des fruits.
On entendait des étudiants s'entraîner dans la grande salle: les bokken claquaient et les combattants se déplaçaient sur le tatami.
Puis les bruits cessèrent.
- Non non non ! très mauvais ! très mauvais !
Une voix acariâtre, vraiment déçue et fâchée.
- Vous ne comprenez rien à la philosophie de mon dojo ! Vous n'en avez pas l'esprit ! Comment comptez-vous un jour maîtriser ma technique spéciale ? Allez, ouste ! Sortez, je ne veux plus vous voir !
- Pardon, senseï ! pardon !
Et Ryu vit passer dans la cour quatre jeunes samuraï, dépités.
Puis le maître des lieux entra. Il n'avait pas la trentaine. Fier, presque arrogant, peinant à prendre l'air modeste :
- Konnichi-wa, je suis Bayushi Tangen troisième du nom, senseï du dojo des Mensonges Amers !

Ryu en vint de suite à parler d'un certain Bayushi Kishidayu. Le senseï réfléchit quelques instants. Il n'était pas le petit vieillard barbichu et sadique qu'on se représente habituellement comme senseï. Il devait avoir une trentaine d'année, l'allure d'un guerrier au sommet de sa force.
- Le nom de Kishidayu-san me dit quelque chose, oui... Il a étudié dans mon dojo il y a quelques temps de cela.
- A quelle époque environ ?
- Je crois bien que c'est lorsque mon clan a retrouvé sa place dans l'Ordre Céleste.
Cela remontait donc à l'hiver dernier.
- Connaisse-vous quelqu'un qui pourrait me le faire rencontrer ?
- A vrai dire non, s'excusa le senseï. Je sais juste que Kishidayu-san m'avait été recommandé par Shosuro Gobei-sama.
Ce dernier était le frère de l'ancien magistrat Scorpion, donc le beau-frère de Shosuro Hyobu. Un des hommes les plus puissants de la ville, protecteur de nombreux riches marchands.
- Kishidayu-san était un fin bretteur, mais il n'a hélas pas réussi à maîtriser ma technique spéciale... la Sombre Epée des Mensonges Amers !
Et en prononçant ce nom, Tangen-senseï prenait un air grandiloquent. Qu'il en était fier de cette appellation !
- Personne n'a encore réussi à maîtriser parfaitement la Sombre Epée. Vous qui êtes une brillante duelliste, peut-être pourriez-vous y parvenir...
- Je vous remercie, mais je m'entraîne déjà au dojo de Jotomon-senseï.
Tangen retint une moue de dépit.

- Ah oui, Kitsuki Jotomon... Un grand maître d'armes. Elle a un jour honoré mon dojo de sa présence, mais même elle n'a pas réussi à saisir la finesse, la subtilité de ma technique ! Quel dommage !
- Vous savez, ajouta Ryu, je crois qu'un art du sabre se mesure au final au nombre de morts qu'il cause.
- Ah oui ? Vos conceptions me paraissent très proches de celles de la famille Matsu, est-ce que je me trompe ?
- C'est possible...
Et dans cette réponse était condensé l'art oratoire de Ryu : avait-elle répondu qu'il était possible qu'elle soit proche des Matsu dans sa philosophie, ou qu'il était possible que Tangen se trompe ?
Et elle le disait d'un ton détaché, nonchalant, qui interdisait en douceur toute réplique.
Par politesse, Ryu resta encore un peu à écouter ce vantard de Tangen. Qu'avait-elle donc de si exceptionnel cette technique ?
- Savez-vous, Ryu-san, qu'un insolent Licorne a osé se moquer de mon dojo, voici deux mois ? Et je viens d'obtenir l'autorisation du Gouverneur pour me battre contre lui ! Le duel aura lieu d'ici trois jours.
- Je serai honorée d'y assister.
Ah, elle ne pouvait pas lui faire davantage plaisir ! On sentait que tout ce qui touchait à la Sombre Epée des Mensonges Amers lui tenait beaucoup à coeur et on devinait combien il était impatient de faire démonstration de ses talents, devant le gratin de la ville !

- Merci, Ryu-san !
Il s'inclina, extrêmement flatté de cette proposition spontanée. Il fallait qu'il ait quelque chose de particulier, Bayushi Tangen, pour obtenir cette promesse d'une des femmes les plus belles et les plus muettes du clan du Dragon !

Samurai

Ce même jour s'était tenu au palais de la magistrature d'Emeraude un évènement de grande importance, bien qu'on y ait donné peu de publicité : la réhabilitation du clan du Lièvre.
Seppun Fumihi, magistrate d'Emeraude, femme dans la fleur de l'âge, rigide et responsable, était arrivée à la Cité, directement d'Otosan Uchi. Miya Katsu présidait la cérémonie. Il avait fait asseoir Fumihi-sama à sa droite. Sur les côtés, Yasuki Taka et Bayushi Tomaru, les deux derniers témoins du procès. Face à Katsu, Kakita Hiruya, Isawa Ayame et Shiba Ikky, ainsi que les représentants des Licornes, de la Grue et des familles Scorpions.
Au centre de la salle, front à terre, Ozaki.

On prit le temps qu'il fallut pour rééxaminer point par point les minutes du procès du Lièvre, les chefs d'accusation. Seppun Fumihi était des plus procédurières : elle appliquait la loi aussi strictement que dans la Cité Interdite. Miya Katsu aurait préféré un déroulement plus rapide, mais force était de se plier aux exigences traditionnelles. D'autant que l'affaire était d'importance.
S'étant entretenu avec les témoins auparavant, Katsu-sama avait fait en sorte que Taka et Tomaru n'aient pas à perdre la face : leur rétractation fut brève ; ils récitèrent ce qu'on leur avait dit.
- J'ai ici le témoignage signé du dernier témoin, Daidoji Unoko, qui n'a hélas pu venir, dit Seppun Fumihi.
Et pour cause, la malheureuse avait été rendue folle par son frère ! Mais ceci ne fut nullement mentionné.
On se contenta de rappeler les méfaits perpétrés par Soshi Seiryoku ; on mentionna brièvement Asako Nakiro (qui avait témoigné de la présence de maho-tsukaï chez les Lièvres) et Daidoji Dajan (reconnu coupable d'extorsions de fonds sur la famille Soshi) et tout fut dit.
Les énoncés décisifs étaient noyés dans du jargon juridique opaque, si bien que quelqu'un d'inattentif aurait pu croire que rien de grave ne s'était passé, que la destruction du clan du Lièvre était une regrettable méprise.
- En vertu de la justice de l'Empereur assis sur le Trône d'Emeraude, lui le Fils du Ciel tout-puissant et clairvoyant, je déclare nulle et non-avenue la condamnation du clan du Lièvre !
Seppun Fumihi avait parlé.
Miya Katsu énonça aussitôt :
- Au nom du Champion d'Emeraude, je déclare donc rétabli le clan du Lièvre : qu'il retrouve son honneur, son renom et ses terres ! Ozaki, tu reprends le nom de ton père, Usagi et tu es nommé daimyo de ton clan ! Honore la mémoire de ton ancêtre, Reichin, combats pour l'Empereur et la gloire de ton clan.
A son tour, Ozaki prononça les remerciements rituels, puis Katsu-sama s'avança et lui tendit l'insigne du Lièvre.
Eclatant de joie, rayonnant, ce fut Usagi Ozaki qui sortit de la salle du palais d'Emeraude. On offrit une collation aux témoins des familles, qui félicitèrent le maître des Lièvres et l'assurèrent de leur bienveillance envers lui.
L'ancien rônin alla s'incliner devant Kakita Hiruya, qui avait mené l'enquête décisive ayant abouti à la bataille des Cloches de la Mort.
- Vous serez toujours le bienvenu chez nous, sans avoir à prévenir et nous honorerons votre nom et celui de votre famille.
Notre Magistrat remercia. L'ambiance était à la réconciliation : même l'inimitié entre Bayushi Tomaru et Usagi Ozaki semblait n'avoir pas droit de cité.
Et ce fut aussi une des premières apparitions publiques d'Ayame et Ikky depuis longtemps. La shugenja, pour honorer sa promesse à Hiruya, avait profité de cette occasion pour se montrer.
En fin de journée, ceux qui étaient arrivés rônins repartirent comme des samuraï avec, face à eux, un avenir honorable, mais dangereux : puisque Shiro Usagi était voué à servir de poste avancé pour la Cité des Mensonges, c'est à dire aussi à essuyer le premier une attaque du clan du Crabe !

Le soir, tous nos Magistrats se retrouvèrent sur l'île de la Larme. En fin de journée, une délégation du clan de la Grue venait d'arriver : une vingtaine de samuraï qui étaient partis en direction de Shiro Iuchi, où aurait dû se tenir la cour d'hiver (et où, du reste, s'était déroulé le procès Kumanosuke) et qui, en chemin, avaient appris que l'Empereur ne sortirait pas de la Cité cet hiver. Si bien qu'ils s'étaient déroutés pour venir à la Cité des Histoires, où ils comptaient sur l'île de la Larme pour servir de compensation !
Parmi eux se trouvaient le brillant et séduisant Doji Itto, l'éternel courtisan, l'homme qui connaissait au moins une geisha de renom par grande cité et avec lui, Asahina Masumi, l'artiste renommée. Les deux Grues saluèrent nos magistrats et ne manquèrent pas de s'incliner devant ceux qui étaient maintenant des magistrats d'Emeraude.
Kakita Hiruya emmena ce beau monde à la Maison de l'Etoile du Matin, où on but à la santé du clan. Hélas, l'humeur de l'artiste et du courtisan n'était pas excellente : ils ne cachèrent pas la situation desespérante dans laquelle se trouvait la Main Gauche de l'Empereur. Au sud, les Crabes avançaient impitoyablement ; au nord-ouest, les Lions continuaient leurs assauts impitoyables ; au centre du pays, la peste décimait la population ; qui plus est, Doji Hoturi avait disparu !
Et même en tant que Champion d'Emeraude, Kakita Toshimoko avait du mal à aider son clan. Il espérait obtenir un décret impérial imposant une trève pour l'hiver au clan du Lion. A mi-mots, les Grue durent avouer qu'ils en étaient à compter sur l'aide de l'armée de Toturi. Ils disaient que le clan engageraient ces rônins dès qu'il le pourrait mais on savait bien ce qu'il en était : c'est le Lion Noir qui, on l'espérait, serait le sauveur du clan face aux Crabes !
Mais pour cela, il fallait que les Licornes acceptent d'ouvrir le col de Beiden. Depuis des mois, Toturi luttait pour échapper aux Matsu au lieu d'affronter la horde de l'Outremonde.

Les tourments qui secouaient l'Empire, loin de prendre fin, s'aggravaient de semaine en semaine et le pire n'était jamais certain...


A suivre...Samurai
Reply
#5
Il s'entendrait bien avec Rosanjin-sensei ce cher Tangen 3ème du nomsmile

M'enfin ses ancêtres étaient plus intéressantsOuimaisnon
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#6
CHRONIQUES DE L'EMPIRE D'EMERAUDE

Les trois jours qui suivirent furent calmes.
Hiruya veilla à l'installation des invités de son clan et passa du temps avec eux à parler des Fortunes, du Tao, des incertitudes du monde, de la richesse et des splendeurs passées de la Grue...
Ayame et Ikky prièrent les Fortunes, tandis que Ryu se renseignait sur Shosuro Gobei : elle ne glana hélas pas de renseignement intéressant.
Quant à Shigeru, il avait perdu, après la destruction des Soshi, la plupart de ses indics : les Scorpions avaient dû passer des consignes strictes, car plus personne n'acceptait un petit verre de liqueur en échange de quelques informations. Le Crabe avait perdu des semaines d'installation dans les milieux populaires : on ne lui faisait plus confiance, il se sentait étranger et sa maison favorite, le Sanglier qui Rit, avait déménagé Shinsei sait où !
Il devait reprendre du début, pour se refaire un petit groupe d'indics fiables. Mais il ne retrouverait certainement jamais son implantation dans le quartier des pêcheurs.

Samurai

Ce matin-là, nos samuraï se levèrent tôt pour être prêt à l'heure : on ne parlait plus que de ça depuis au moins deux jours ! Bayushi Tangen allait se battre en duel contre un insolent Licorne et pas n'importe où : sur le pont de l'Honneur Noyé, l'endroit le plus prestigieux de la ville pour un affrontement au sabre.
Les dignitaires s'étaient tous déplacés pour assister au spectacle. Le navire du Gouverneur avait approché du pont et, bien au chand dans une cabine de palanquin, Shosuro Hyobu et les chefs de famille Scorpions allaient assister au duel, depuis le bateau.
Sur la rive du quartier marchand, les Licornes s'étaient installés, au plus près du pont et de l'autre côté, avec les Grues à leur côté.
Le senseï Kitsuki Jotomon avait été choisie comme arbitre de la rencontre : on connaissait son impartialité et sa clarté de jugement. Elle discutait avec les deux adversaires, rappelant les règles du iaijutsu, les traditions, l'importance de l'honneur et les règles à respecter en toutes occasions.
Bayushi Tangen s'avança sur le pont, le torse bombé, en toisant les membres de son clan qui le regardaient durement : il mettait sur la sellette l'honneur du clan !
Le Licorne discutait avec les membres de son clan, dont Ide Baranato qui lui parlait à voix basse, qui l'encourageait et lui prodiguait quelques conseils.
Un petit navire aux couleurs de la magistrature d'Emeraude s'approcha de celui des Scorpions : Miya Katsu salua les dignitaires de la ville.
Le Gouverneur Hyobu agita son éventail : le senseï Jotomon fit signe qu'elle avait vu ; elle rappela l'insulte lancée à Tangen-senseï :
- "Charlatan de manieur de cure-dents !"
puis elle jeta une écharpe blanche à l'eau :
- Hajime !

Les deux hommes avancèrent de quelques pas, jusqu'à se frôler.
Bayushi Tangen, concentré, approcha la main de son sabre, doucement. Face à lui, le Licorne bouillait de colère et peinait à se retenir. Il détestait tellement ce vaniteux Scorpion qui n'avait jamais su apprendre sa prétendue technique à qui que ce soit !
Et Tangen souriait d'avance de la bonne correction qu'il allait infliger à son ennemi !

Le vent soufflait, froid, sur le pont et ridait l'eau de la baie. Les navires remuaient lentement sur le clapotis de l'eau et le silence s'était fait : même le peuple, devant cet évènement solennel, avait cessé son travail. Deux samuraï s'affrontant, tout ce mélange de férocité, d'art, de dureté, de haine, c'était si rare !
Hiruya observait, prêt à juger du style des combattants et Bayushi Korechika, sur le navire à côté, murmurait ses propres commentaires à Shosuro Jocho, qui souriait d'un air entendu.
Impassible, Kitsuki Jotomon attendait l'issue du combat.

On entendit Tangen gronder puis lancer, de façon complétement inattendue :
- Par la Sombre Epée des Mensonges Amers !...
Excédé, le Licorne attaqua : son sabre sortit le premier, avec une avance nettement perceptible, mais son coup se perdit dans l'air. Tangen avait attaqué : sa lame sortit et entailla vivement le bras du Licorne.
Ceux qui s'y connaissaient avaient senti que le Scorpion n'avait pas retenu son coup et avait frappé non pas tant pour infliger une blessure à vie, qu'une blessure particulièrement douloureuse sur le moment !
Le Licorne poussa un gémissement pitoyable : il en avait les larmes aux yeux.
C'était une belle humiliation !
Le sourire aux lèvres, Tangen rengaina, conscient que tous étaient impressionnés par sa victoire. Il redescendit du pont au moment où les dignitaires Scorpions mettaient pied à terre.
- Magnifique, Tangen-senseï ! Vous avez tailladé ce Licorne comme il le méritait !
- Quel art du sabre ! Nous savions que vous auriez la victoire sans difficulté !

Nos magistrats avaient mis pied à terre à leur tour. Les Licornes rentraient sans tambour ni trompette vers leurs quartiers, pendant que le vainqueur se pavanait au milieu des siens.
Nos héros regardaient cette scène typique du théâtre du monde Scorpion ; Hiruya vint faire son petit compliment, sans en rajouter. Manière de se rappeler au bon souvenir des Scorpions et à Jocho le premier qui avait vu ses propres talents contre Seiryoku...
Ayame attendait l'heure de rentrer en pensant à ce qu'elle allait faire en bibliothèque. Ikky se sentait piquée à nouveau par l'aiguillon de la jalousie : elle aurait tant voulu devenir une grande duelliste ! Etre entraînée à donner des coups plutôt qu'à les éviter !
Shigeru se demandait si on n'allait pas boire un petit canon, pour fêter l"évènement.
Ryu serrait les poings, en colère contre elle-même, et contre le monde.
On la vit s'avancer brusquement, venue de nulle part, au moment où Hiruya disait au revoir aux Scorpions.
- Konnichi-wa, honorables Scorpions ! Mon nom est Mirumoto Ryu.
Un souffle glacée passa sur la nuque des autres magistrats, qui craignaient le pire ! Ryu, seule face aux Scorpions !
- Je m'excuse de vous déranger mais je souhaiterais savoir si vous connaissez quelqu'un du nom de Bayushi Kishidayu.

Elle serrait les poings très fort, pour réprimer un tremblement. Rarement on l'avait vu aussi déterminée. Elle dont on se moquait si facilement, le jour était venu de la prendre au sérieux !
Le nom de Kishidayu résonna dans l'air frais de la Baie et il semblait que toute la ville avait pu l'entendre.
Ce n'était pas vraiment une question que Ryu avait posé. Elle signifiait plutôt aux Scorpions qu'elle voulait, qu'elle exigeait !, de le retrouver.
Elle s'inclina, les larmes aux yeux et repartit avant de perdre la face pour de bon.
On sentait une grande dignité en elle et la douleur, résultat de l'effort qu'elle avait produit.
C'est peut-être ce qu'on retint de ce jour-là, plus encore que la facile victoire de Tangen. Et celui-ci en eut après Ryu, de lui avoir presque complétement volé la vedette.

Samurai

Le soir, Kakita Hiruya invitait les dignitaires de la Grue à dîner au palais d'Emeraude. Nos magistrats, en souvenir de leur prestation lors de la première réception au Chêne Pâle, firent des cadeaux aux invités : Ryu un petit ikebana, Ayame une belle calligraphie et Hiruya une très fine origami.
Asahina Masumi s'excusa de n'avoir pas invité Ayame au printemps dernier, comme elle l'avait promis à la cour d'hiver. Ayame s'inclina pour la remercier. La soirée se poursuivit et on sentait que la shugenja, ainsi que Ryu, n'étaient pas "avec" les invités.
Ryu peinait à se remettre du souvenir douloureux de son mari assassiné. Elle avait enfoui ce souvenir si longtemps et il rejaillissait d'un coup maintenant. Et la shugenja était plongée comme à l'habitude dans ses recherches de bibliothèque : malgré les promesses répétées à Hiruya, elle ne parvenait pas à se défaire de sa passion pour l'époque du Gozoku, quand ce n'était pas des sujets pires.
Les Grues ne prolongèrent pas leur soirée : ils partirent de bonne heure, sans tellement masquer leur déception. Hiruya, qui se réjouissait de leur venue, ressentit avec amertume l'échec de cette soirée. Mais à quoi bon les inviter si cela ennuyait manifestement Ayame et Ryu !

Le soir, Ikky vint frapper à la porte du Magistrat :
- Hiruya-sama, je m'excuse de vous déranger, mais je voulais vous dire que je suis très inquiète pour Ayame-san.
- Tu as bien fait de venir, Ikky-san, car je t'aurais convoquée avant peu.
"D'abord la faute dans la récitation des sutra, ensuite ce soir une attitude déplorable, inexcusable !... J'ignore quoi faire pour nous éviter de perdre la face une bonne fois pour toute ! Passe encore pour Ryu, qui a toujours eu des manières curieuses en société. Mais c'est une Dragon et les Grues pourraient l'excuser en souriant. Mais pour Ayame ! Une représentante du clan le plus traditionnaliste de l'Empire ! Son attitude est inqualifiable !
La yojimbo et le magistrat se regardèrent longuement, graves et silencieux, en pensant au mauvais coton que filait la shugenja.

Samurai

Le lendemain, Hiruya alla présenter ses excuses auprès d'Asahina Masumi et Doji Itto. Il prétexta toutes sortes de tracas pour expliquer la mauvaise attitude de la shugenja : des paperasseries, des enquêtes en cours, des choses de ce genre, évidemment. Il n'allait pas raconter qu'Ayame pensait plus aux secrets des ténèbres et des ombres qu'aux règles élémentaires de l'étiquette !
Les Grues acceptèrent les excuses. Hiruya comptait bien sur Doji Sukemara et Ashidaka Michitake, chez qui les arrivants logeaient, pour faire l'éloge de la Magistrature d'Emeraude et insister sur l'excellence du dévouement de Hiruya.

A son retour au palais, notre Magistrat fut convoqué par Miya Katsu (qui était tenu autant que possible ignorant des bévues de ses assistants) :
- Hiruya-san, nous allons partir en voyage tous les deux. Le clan de la Licorne va rencontrer des émissaires de Toturi, au château de ma famille et ils ont besoin de diplomates pour assister à la rencontre et les conseiller. Mes supérieurs m'écrivent qu'ils font confiance à la famille Miya et ils requièrent ma présence lors des négociations. Ce n'est rien moins que le passage par Beiden que les envoyés du Lion Noir veulent obtenir. Vous m'accompagnerez.

Ca ne pouvait pas mieux tomber, par Benten !
Hiruya aurait pu sauter de joie : il allait s'éloigner de cette ville malsaine, putride, où ses assistaient s'avilissaient, se tenir loin des deshonorables Ayame et Ryu, du poivrot de Shigeru et entrer dans le monde de la noble politique !
Shigeru tiendrait son rôle pendant ce temps : au moins le Crabe serrerait-il la vis à Ayame !

Dans la journée, la shugenja, accompagnée d'Ikky, se rendit dans le Petit Outremonde. Elle voulait se faire pardonner ses bourdes de la veille. Elle reprenait l'enquête sur Sourcils. Ses recherches furent plus fructueuses que celles de Ryu quelques jours avant.
Elle apprit du voisinage que Sourcils l'herboriste fréquentait l'île de la Larme, à l'époque du conflit de l'opium. Il servait de "guérisseur" pour les samuraï, ce qui signifie qu'il leur vendait toutes sortes de potions, drogues, crèmes de beautés, médecines, philtres d'amour... Et l'intermédiaire entre l'eta et la noblesse était le fils d'Ide Baranato, celui qui (comme nos Magistrats l'avaient appris) avait été tué par Dajan.
Ayame et Ikky rencontrèrent celui qui avait été l'assistant de Sourcils, un vieillard appelé Edenté. Il portait bien son nom, avec ses lèvres rentrées et sa voix éraillée. Il était au service de l'herboriste depuis huit ans.
Il raconta comment Sourcils s'était fait connaître auprès de quelques samuraï, avant de devenir en peu de temps une des curiosités de l'île de la Larme : il était admis parmi la noblesse, non pas comme égal, mais enfin, il était déjà admis et on lui parlait, ce qui était un destin exceptionnel pour un homme du non-peuple. Pour Edenté, c'était la grande époque alors ! Et un tel succès n'avait pas manqué d'attirer des jalousies dans le Petit Outremonde. Mais Sourcils n'oubliait pas les siens : il versait de grosses sommes à la communauté, ainsi qu'au temple de Daikoku. Ainsi il faisait un peu taire les rancoeurs et les ragots sur son compte.

Les deux Phénix rencontrèrent aussi le fournisseur de Sourcils, une femme borgne, d'une trentaine d'années, appelée capitaine Kiiro (Jaune). Elle fumait la pipe près du pont du Dragon, pendant qu'on chargeait son navire. Elle prenait un air inquiet quand on lui parlait. On la sentait sur la défensive. Elle fournit quelques renseignements sur l'approvisionnement de Sourcils, mais rien de bien suspect.
Allons, au pire l'herboriste avait trempé dans l'opium, pour en fournir à la noblesse, et encore ce n'était pas certain !
Décidément, rien qui en fasse le meurtrier du Magistrat d'Emeraude.
Il n'y avait d'ailleurs aucun lien entre les deux hommes.
Sinon que Sourcils et Parole d'Honneur, le rônin du Magistrat, était proches voisins. Mais en dehors de cela ? Sourcils avait la clientèle de gens prestigieux, tels les Scorpions, Shiba Shonagon ou encore des Licornes.

Bref, les deux Phénix ne voyaient rien à redire à la conduite de cet eta. Elles signalèrent ce qu'elles avaient trouvé à Shigeru et Ryu.
Le Crabe se renseigna sur le capitaine Jaune : elle avait servi de fournisseur aux Scorpions, à la famille Bayushi comme à la famille Shosuro.
Ryu alla parler aux moines. Elle fut reçue par Jirohei le comptable : il confirma que, pour un eta, Sourcils avait fait des dons somptueux au temple. Et il apprit à Ryu que l'herboriste fournissait également Bayushi Otado, le fils de Korechika.

Ce dernier fut convoqué le lendemain. Il se souvenait encore de Ryu allant exiger du patron de la maison de jeu qu'il "protégeait" qu'il l'assiste dans son enquête !
Et cette fois encore, il ne fit pas le voyage pour rien. Ryu attaqua franc-jeu sur Sourcils. Otado confirma qu'il avait eu recours à ses services. Et puisque Ryu semblait n'avoir rien à ajouter :
- Je suis honoré de m'être déplacé pour parler d'un eta.
Notre enquêtrice avisée sentit qu'Otado en savait plus, mais à voir comment elle s'y était prise, elle ne pouvait guère espérer plus.
Ayame termina la journée par un passage sur l'île de la Larme : le soleil se couchait à peine. Elle se rendit à la Maison de l'Etoile du Matin, l'établissement fréquenté par Hiruya depuis son arrivée, le plus important du monde flottant. La tenancière, ancienne geisha bien trop maquillée vivant dans des pièces surchargées de décorations, confirma que Sourcils passait à l'époque dans chaque établissement de l'île, le soir, pour rencontrer ses clients. Et il reversait une partie de ses gains aux maisons.
- Est-ce que Shiba Shonagon était une cliente de Sourcils ?
- Oh oui, je crois bien, honorable magistrate. Mais il ne la rencontrait pas souvent dans mon établissement.
- Où donc alors ?
- Chez cette, comment dire...
- Magda ?
- Voilà.
Elle aurait préféré cracher que prononcer ce nom.
Ayame se rendit donc à la Maison des Histoires Etrangères.
- Je suis grandement contentée de revoir vous !
La grande femme aux cheveux d'or raconta qu'outre Shonagon, Sourcils rencontrait aussi Jocho ici. En outre, Ayame se souvint que, selon cette pipelette de Iuchi Sadako, Jocho avait réussi à emmener Shonagon dans son lit.
Certes, mais après ? A part découvrir les ragots de la noblesse de la Cité, à quoi arrivait-elle ?
Jocho couche avec Shonagon, qui fréquente le fils Licorne, qui n'est peut-être pas insensible aux charmes de Kimi qui elle-même... Et Sourcils fréquente ce beau linge, connaît les petits secrets et problèmes des uns et des autres.
Mais quel lien avec le magistrat d'Emeraude ?

Alors que la nuit tombait, à l'heure où l'île s'anime, les deux Phénix la quittèrent.
- L'entrevue avec Bayushi Otado s'est bien passée, Ryu-san ?
- Non.
Cette bonne vieille franchise Dragon !
- Vous n'avez obtenu aucun renseignement ?
Ryu était toujours en colère. Après elle-même, après les Scorpions, après Kishidayu.
- Je l'ai interrogé et j'ai réussi à ne pas casser de table.
C'était la manie de Ryu, face aux prisonniers déjà "préparés" par Pitoyable ou sur le point de l'être : faire sa méchante en brisant une table d'un coup de pieds. Elle se défoulait ainsi.
Ayame sentit une grosse fatigue, sur elle et sur Ryu : on n'avançait pas. Qui plus est, Ayame imaginait déjà Otado de retour, pour se plaindre à nouveau.
Dans sa chambre, Hiruya avait tout entendu. Il ricanait presque de la déconfiture de ses assistants. Il s'était déjà occupé de faire faire ses bagages, pour partir loin de cette maudite Cité et laisser ses assistants barboter dans les ennuis !

Samurai

Le lendemain, Miya Katsu et Kakita Hiruya montaient en selle et quittaient la Cité par la porte de la Licorne, sur le chemin menant à Kyuden Miya.
Avant le départ, Hiruya avait réuni ses assistants pour leur laisser quelques consignes :
- Interrogez les Licornes. Ils seront trop heureux de nous voir lutter contre l'opium. Ensuite, insistez sur la mort du Magistrat. Il faut faire le lien entre son assassinat et le trafic. Les deux sont forcément liés ! Donc Ayame, vous irez parler aux Scorpions et Ryu aux Licornes ! Prenez rendez-vous avec eux. Shigeru, tu continues à interroger le peuple. Il sait des choses.
Les assistants s'inclinèrent bien bas. Ils sentaient surtout que, sans Hiruya en ville, ils allaient pouvoir respirer quelques jours !
De fait, ils décidèrent tacitement que cette première journée allait être passée à attendre des signes du destin. :baton:Sans l'énergique magistrat pour les remuer, les cravacher, ils semblaient pouvoir entrer doucement en torpeur. Shigeru passa la journée à boire des petits coups dans sa nouvelle adresse, la Coupe à Moitié Pleine.

Ce n'est que le lendemain qu'ils furent à pied d'oeuvre.
Ryu alla au palais des Licornes, où elle fut reçue par Ide Baranato. Dès qu'elle eut dit qu'elle cherchait des renseignements sur le trafic d'opium, elle eut droit à une belle diatribe contre les Scorpions :
- Bayushi Korechika est le notoire patron du trafic en ville ! Tout le monde le sait bien, mais nul ne peut le toucher, car il est protégé par le Gouverneur. Et pourtant, c'est bien lui qui contrôle la production et le commerce de ce poison !
- Pensez-vous que le Magistrat Naritoki ait été assassiné à cause de cela ?
- C'est plus que probable. Ashidaka Naritoki était un homme droit, qui voulait plus de justice dans cette ville corrompue. Korechika ne pouvait que le considérer comme son ennemi personnel.
C'était bien et bel affirmé, mais Ryu ne recueillait aucune piste concrête. Elle apprit autre chose, qui l'intéressait à titre personnel : au moment du rétablissement de leur clan, les membres du clan du Scorpion étaient venus en masse à la Cité des Histoires pour retrouver leur nom. Ce qui expliquait le passage de Bayushi Kishidayu à cette époque.

Ayame se rendit au palais Shosuro : elle y fut reçue par Jocho. Poliment, la shugenja s'enquit de la santé des uns et des autres, par pure formalité. Elle n'osait reparler directement de la destruction des Soshi mais on sentait l'idée bien présente, bien pesante, à l'arrière-plan.
Elle en vint à parler de Sourcils, dont Jocho avait été l'un des clients.
- Sourcils ? J'ai appris qu'il avait trouvé la mort, quel dommage. Je crois que les écrits anonymes de qui vous savez parlent de lui. Peut-être que vous pourriez y jeter un oeil.
Il n'apprenait rien à Ayame : si ces écrits étaient bien de la main de Shiba Shonagon, ils confirmeraient juste que celle-ci avait eu recours aux potions de l'herboriste. Mais qui sait s'il ne s'y trouvait pas d'autres détails ?
- A propos, vous ne voyez plus Kimi-san ? Elle m'a dit que vous étiez vraiment à l'aise sur l'île de la Larme.
C'était Jocho qui posait les questions maintenant.
- Je n'ai plus l'occasion de la croiser récemment, non, dit Ayame. J'espère qu'elle n'est pas fâchée contre moi.
Jocho avait l'air de changer imperceptiblement d'expression en un instant. Et il venait de passer du sourire ironique à la crispation presque haineuse. Jouait-il un rôle ou bien contenait-il ses émotions ?
Au fond, il avait le visage voulu par le clan du Scorpion : un air menaçant en permanence, mais aussi charmeur, vénéneux ; et dans la situation actuelle, de la haine rentrée contre la Magistrature d'Emeraude pour le deshonneur des Soshi.
Jocho détourna la conversation : il parla de l'artiste Asahina Masumi, de retour à la Cité ; à la grande époque, elle fréquentait le monde flottant.
- Une grande femme déjà, mais qui avait besoin de moins de maquillage à l'époque... Si délicate, si raffinée comme artiste, mais pas dans tous les aspects de sa vie...
Ayame l'écouta parler : était-elle curieuse d'en apprendre pour son enquête, ou bien désireuse de récolter des ragots ?
Jocho parlait des grandes soirées sur l'île, des réceptions costumées, de certaines nuits réservées à un très petit nombre, où il fallait venir travesti... Jocho en parlait avec l'air de se replonger dans des souvenirs délicieux.
Il donnait l'impression d'en connaître beaucoup sur l'époque de la guerre de l'opium. De fait, il avait au centre du monde flottant durant ce temps. Ayame et les Magistrats arrivaient après la bataille. Comment recréer ce qui avait disparu depuis quatre ans ?

Samurai

Miya Katsu et Kakita Hiruya voyagèrent à cheval pendant toute la journée.
Que c'était bon de respirer le grand air, de sortir des miasmes de Ryoko Owari. Les deux magistrats ne se l'étaient jamais dit, mais maintenant ils sentaient combien cette Cité était corrompue, décadente, combien elle pouvait pervertir les âmes des plus forts samuraï : même les plus robustes moralement ne pouvaient résister bien longtemps. Ils ne dirent que quelques mots à propos de la Cité, mais ils se comprenaient. Ils savaient que ce n'était vraiment pas une Cité comme les autres : seule Otosan Uchi pouvait prétendre être plus célèbre, mais peut-être pas plus captivante.

Ils arrivèrent le lendemain à Kyuden Miya, en fin de mâtinée.
Une troupe de Shiotome de la famille Otaku maneouvrait aux abords du château : déjà ils avaient dressé un camp au pied du château. Et une troupe portant la bannière du Lion Noir descendait l'abrupte sentier de la colline.
- Nous arrivons à temps, dit Katsu-sama.
L'intérieur du château était bien chauffé, ce qui était appréciable en cette saison : l'hiver était tout proche et c'était toute la campagne qui tombait en hibernation.
Katsu-sama passa le début de journée avec les dignitaires de sa famille, assisté de Hiruya qui eut l'occasion de découvrir la famille des porte-paroles de l'Empereur, famille connue pour sa bonté d'âme envers le peuple.
Et en milieu d'après-midi, Katsu fut amené dans une petite salle de réception, où lui et d'autres diplomates assisteraient à la rencontre entre Licornes et envoyés de Toturi. Hiruya s'assit à côté de son supérieur. Comme l'atmosphère ici était différente de la Cité ! On y respirait la paix et le calme, dans cette région reculée mais pas non plus oubliée de tous. On se sentait entouré de samuraï nobles et justes, soucieux de défendre la parole de l'Empereur et pas leurs vils petits intérêts.

Entrèrent d'abord de gaillardes Vierges de Batailles, en armure, casque à la main : leur chef était Otaku Tetsuko, la tante du daimyo de la famille, Otaku Kamoko. Elle était accompagnée de trois de ses guerrières. C'était la première fois que Hiruya voyait de près les célèbres Shiotome et il sentit aussitôt qu'elles formaient une race à part. Fières, le regard d'airain, une finesse étonnante de mouvements allié à un sentiment d'énergie contenue, on les sentait prêtes à défier le tonnerre d'Osano-Wo !
Tetsuko-sama s'assit et salua les honorables diplomates. Entrèrent ensuite les envoyés de Toturi : il étaient trois et parmi eux, Hiruya reconnut Otawara l'éclaireur, croisé dans la Vallée d'Inchu, ainsi que Sasuke, avec qui Riobe avait eu des mots durs.
Les rônins s'assirent et saluèrent à leur tour, puis les diplomates présentèrent la situation :
- Depuis deux mois, les samuraï du Maître des Quatre Vents, Shinjo Yokatsu, défendent le col de Beiden contre l'invasion des séides de l'Outremonde. Au sud, les Scorpions défendent avec honneur leur terre et au nord, les puissants Lion sont en guerre. Or, sur les terres de ceux-ci se trouvent l'armée du général rônin Toturi, qui souhaite obtenir un accord avec le clan de la Licorne pour passer le col.
- Mais il se trouve, continua un autre diplomate, que le Maître des Quatre Vents a passé un accord avec le daimyo Matsu Tsuko, qui prévoit en particulier que les Licornes protègent le col et empêchent tout passage. En échange, les Licornes ont été autorisés à protéger les terres occidentales du clan du Lion, pendant que ceux-ci mènent la guerre à l'est. A vous de parler à présent, honorables émissaires.

Voyant qu'Otaku Tetsuko ne disait rien, Sasuke prit la parole, et on le sentait impatient de s'exprimer :
- La situation a été très clairement exposé par Miya-sama. Or, nous ne comprenons pas la volonté de Yokatsu-sama de nous interdire le passage par le col de Beiden. Mon maître Toturi a combattu au col de Beiden face aux hordes de l'Outremonde. Et maintenant, nous ne pouvons plus passer le col que nous avons tenu !
- Vous avez tenu ce col, dit Tetsuko sur le ton du constat, mais c'est la cavalerie de mon clan qui a permis de remporter la victoire. Dès lors, c'est à nous de dicter nos conditions.
- Mais vous ne pouvez pas insinuer que mon maître aurait perdu sans vous !
- Je dis simplement que nous avons hâté la victoire et que ton maître peut nous être reconnaissant de lui avoir évité de perdre beaucoup de mondes. Nul ne peut rivaliser avec la puissance de notre cavalerie.
- Personne ne pourra le nier, Otaku-sama. Mais il n'en demeure pas moins que nous avons combattu à vos côtés. Et maintenant, au lieu de nous battre contre les ennemis de l'Empire, nous sommes harcelés par la famille Matsu. A quoi bon ces combats contre des samuraï quand les monstres de Celui-Qui-Ne-Doit-Pas-Être-Nommé marchent sur Rokugan ? Pouvez-vous nous expliquer cela ?
- Un rônin, si valeureux fût-il, et vous l'êtes sans doute, n'a pas à demander d'explication au Maître des Quatre Vents. Un accord passé avec le daimyo des Lions surpassera toujours une alliance avec des rônins.
- Nous ne demandons que le droit de passer. Une fois sur les terres du Scorpion, nous nous battrons les premiers !
- C'est bien là que gît le problème, rônin. Les Scorpions considèrent les rônins comme indésirables sur leurs terres.
- Par Osano-Wo, il n'y a pas si longtemps qu'ils l'étaient encore !
Un des Miya intervint :
- Cette remarque ne peut être acceptée, rônin. Le Divin Empereur a dit que les Scorpions faisaient partie de l'Ordre Céleste. Désormais, ils n'ont jamais déchu.
Sasuke baissa les yeux :
- Bien.

Les discussions reprirent, mais aucune entente ne semblait pouvoir se dégager. Les deux parties campaient sur leur position. Hiruya intervint pour dire que les Dragons avaient fait alliance avec Toturi : et puisque les Dragons combattaient chez les Scorpions, il n'y avait pas de raison d'empêcher Toturi d'arriver chez les Scorpions. Ceux-ci seraient trop malins pour refuser l'aide d'une armée de rônins pour défendre leurs terres. Si les Dragons pouvaient appuyer la requête de Toturi, les Licornes pourraient infléchir leur décision et permettre le passage de cette armée.
- Mais il s'agit, ajouta Miya Katsu, rien moins que d'une affaire qui concerne les trois daimyo de la Licorne, du Lion et du Scorpion ! Pourrons-nous les aider à tomber d'accord ?
- Je crois que plus les armées de l'Outremonde approcheront et plus l'accord devra se faire vite.
- Par Akodo, tu dis vrai, Kakita-sama !
Sasuke était encore à la limite de la convenance, mais il le savait parfaitement, en jurant par Akodo.

Les négociations prirent fin pour aujourd'hui, mais Miya Katsu avait réussi à obtenir une nouvelle rencontre, à Shiro Shosuro cette fois, en présence du général Mirumoto Daini.
Dans la cour du palais, Otaku Tetsuko vint s'enquérir de la situation dans la Cité des Mensonges.
- Hélas, Tetsuko-sama, il est difficile de manier les contraires et Ryoko Owari est la Cité de toutes les contradictions !
- Comment se porte l'honorable Ide Baranato ?
- Ma foi, plutôt bien.
Kakita Hiruya raconta en deux mots le sort de Soshi Seiryoku et de sa famille.
- Des maho-tsukaï ? Par Otaku, c'est à peine si je suis surprise de l'apprendre !
Elle salua et rejoignit ses troupes. Les fières Shiotome repartaient vers leur château ancestral, en attendant d'envoyer des émissaires au château des Shosuro.

A suivre...Samurai

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#7
Bah faut pas s'enerver ccomme ça, tu le retrouvera ton amant secret (car oui en effet telle est la véritable raison de cette recherche passionnéeAloy)
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#8
Jedi

lol

EDIT
Suite.wink
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#9
Hmmm le Gronico écrit, quel bonheur à chaque foisbiggrin
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#10
CHRONIQUES DE L'EMPIRE D'EMERAUDE

Samurai

Le soir venu, Ayame se rendit sur l'île de la Larme, à la Maison de l'Etoile du Matin.
Ikky préfera retourner à la Maison des Histoires. Elle savait bien ce que la shugenja venait faire. Elle ignorait qui elle allait rencontrer.
- Vous appartenez tellement à ce monde, Ayame. Et vous me faites tellement penser à Shonagon...
Se montrait-il sincère, ce soir-là, ou bien n'était-ce qu'un autre masque, plus pervers encore que les autres ? Jocho accueillit Ayame en lui versant à boire. La shugenja s'assit poliment. Elle avait accepté de retrouver le dangereux fils du Gouverneur, seuls à seuls.
A sa demande, elle lui parla de son passé, de ses nombreux voyages dans l'Empire, des autres Cités où elle avait séjourné : le Repos Confiant, le Chêne Pale, la Grenouille Riche, la Forêt des Ombres... Jocho se montrait très intéressé, passionné même par ce récit. Il la regardait de son regard de beau ténébreux dangereux. Il ignorait qu'Ayame n'en était pas à sa première rencontre avec de dangereux personnages.
Ils parlèrent de Bayushi Bokkai, noble guerrier, dévoué à son clan, puis de ce Kishidayu, évoqué par Ryu.
- Qui est-ce donc ?
- Je ne sais pas bien, dit Ayame, elle en a déjà parlé. Je pense qu'elle tient beaucoup à le rencontrer.
Jocho n'insistait pas.
- J'ai entendu parler de vous, récemment, au château de ma famille. L'honorable Shosuro Nampo m'a dit vous avoir rencontré. Il dit avoir traité une affaire concernant Ryu et des bandits...
- En effet, répondit Ayame. Il a simplement permis à Ryu de loger dans un village, car elle connaissait mal la région. On disait que des bandits y rôdaient, mais il me semble inconcevable que des brigands puissent circuler impunément sur les terres de votre clan, n'est-ce pas ?
Jocho n'insista pas.
Il continua à lui parler, plus bas.
- J'aimerais apprendre à mieux vous connaître, Ayame...
Il approchait doucement sa main de celle de la shugenja.
Depuis son arrivée dans la Cité, Ayame sentait que Shiba Shonagon, l'opiomane, était comme sa soeur jumelle, son avatar dans cette ville. Et Jocho voulait la voir suivre le même chemin qu'elle. Mais au bout du destin de la Shiba, il y avait eu la mort : la mort par excès de prise d'opium.
- Nous pourrions aller ensemble dans votre salon habituel, là où vous rencontriez Kimi avant...
Rarement Ayame s'était sentie tenter à ce point. Elle avait déjà vécu des moments ambigus, où sa vie aurait pu basculer, avec le sinistre Emmon, avec le tendre Suzume Yugoki ; aucun des deux n'avait le charme, les manières affinées, affûtées comme une lame, de Jocho.
Le Scorpion allait saisir sa main, et il aurait gagné : il l'immobiliserait, lui inoculerait son venin et la prendrait sous sa domination.
Il ne restait presque plus d'espace entre les deux mains, il allait la caresser ; elle sentait une langueur l'envahir : l'envie de céder pour de bon, de se laisser séduire, de se donner à Jocho.
Un sursaut, à l'instant ultime, la retint. Elle retira sa main.
- Bonsoir Jocho. Je préfère que nous en restions là.
Elle se retirait, là où Shonagon avait cédé.

Elle n'avait peut-être jamais produit un effort si violent sur elle-même. Confuse, elle renonça même à fumer et se fit raccompagner au palais. Elle n'avait pu éviter de voir le regard de Jocho, mélange d'humiliation et de cette ambition de se battre des vainqueurs qui trouvent pour la première fois quelqu'un qui leur résiste et qui, par là même, aiguise leur appétit encore davantage.

Samurai

Le lendemain matin, le réveil fut rude pour la shugenja. Elle se sentait vide : elle avait froid et tremblé.
- Pourquoi être rentrée si tôt, hier soir ?
Ikky, elle, était rentrée comme chaque fois au petit matin. Elle ne prenait pas un ton de reproche, même si Ayame était revenue sans elle.
- Je ne me sentais pas bien. J'ai préféré ne pas m'attarder.
- Dois-je comprendre que...
- Je n'ai pas passé beaucoup de temps dans la Maison, si c'est ça que tu veux savoir.
Elle se sentait patraque, pour tout dire. C'était la première fois depuis des années qu'elle se privait de sa dose, alors qu'elle était littéralement à portée de main. Elle n'arrivait pas à s'en réjouir : elle en ressentait surtout le manque et se promettait d'y retourner le soir même, Jocho ou pas, et d'en consommer une dose importante.
Mais ce matin-là, Ryu s'était levée du bon pied. Energique comme Osano-Wo, prête à bouffer un lion au petit-dejeuner, combattante comme jamais, elle demande à parler aux autres Magistrats.
Ayame, prudente, baîlla quand elle reçut la demande par un serviteur. Qu'est-ce que la Mirumoto allait encore nous inventer ?Hehe

- J'ai bien réfléchi, dit-elle (et l'assistance se mit à craindre vraiment le pire), et je pense que nos enquêtes piétinent. Nous allons finir ridiculisés car nous sommes incapables de trouver l'assassin de l'ancien Magistrat. Nous savons que sa mort est liée au trafic d'opium. Les Scorpions se moquent de nous. Ils se croient invulnérables. Ils sont certains que nous ne pouvons rien contre eux. Nous n'allons pas nous laisser faire !... Je propose donc de fouiller aujourd'hui tous les bateaux qui entrent dans la baie, jusqu'au fond de leurs cales. Nous allons forcément y trouver de l'opium. Et alors les Scorpions comprendront qui nous sommes !

Elle avait plus parlé sur cette tirade que pendant ces derniers mois !
- Mais nous n'allons quand même pas dire aux Scorpions que nous cherchons de l'opium dans leurs navires !
C'était Shigeru qui avait parlé : les deux Phénix approuvaient.
- Il faut fouiller tous les navires !
Ryu n'en démordrait pas.
- Très bien, très bien, fit Ayame, diplomate. Mais Shigeru a raison : nous ne pouvons pas leur déclarer de but en blanc notre objectif. Nous allons invoquer un prétexte officiel, et parfaitement légal.
- J'y ai pensé, reprit Ryu, d'un air farouche. Nous allons leur dire que pour la sécurité de la ville, face à la menace de l'Outremonde, nous devons vérifier tous les bateaux qui entrent et sortent ! Nous devons savoir quelle est le volume de leur cargaison et si nous pouvons les réquisitionner en cas de besoin !
- Très bien, dit la shugenja. Mais n'attendez pas monts et merveilles d'un tel coup de force...
- Il s'agit de les intimider, de leur dire que nous sommes là pour faire respecter la loi et l'ordre dans cette Cité !
C'était branle-bas de combat ! Pour un peu, la sainte colère de Ryu aurait rappelé la voix de tonnerre de Mirumoto Akuma !
- Et nous fouillerons même la nuit s'il le faut ! Nous devons leur faire peur une bonne fois pour toutes. Alors ils sauront qu'ils doivent nous craindre.
- En somme, vous voulez les obliger à réorganiser brusquement leur trafic, donc les pousser à la faute ?
- Exactement.
Shigeru et Ikky approuvaient Ryu.
- Entendu, dit Ayame, cependant il y a des limites : en particulier, j'interdis qu'on importune des samuraï. Des marchands, passe encore, mais pas des membres de notre caste, c'est bien compris ?
- Oui, bien compris.
Ryu tiendrait cette promesse, on le sentait.
- Et l'opération ne durera pas plus d'une heure, le temps que les Scorpions comprennent ce qui se passe et viennent demander des explications.
- Ce sera suffisant, dit Ryu, si nous sommes bien organisés, nous aurons le temps.
- Très bien, soupira Ayame en se levant. Ikky, tu rédigeras la lettre sous ma dictée, et que les Fortunes nous protègent !

Samurai

Ayame consulta soigneusement son code de lois, pour expliquer dans les règles au Gouverneur que la Magistrature d'Emeraude était en droit de réquisitionner la flotte de la Cité, dans le cas d'une guerre ouverte entre le clan du Scorpion et un autre.
Pendant ce temps, Shigeru organisait les troupes d'Emeraude et Ryu enfilait son armure. On allait voir ce qu'on allait voir ! Officieusement, Ryu avait baptisé ce déploiement "Opération coup de poing".
On était loin de la sagesse de Shinsei.HeheSarko

Et deux heures plus tard, les soldats du palais de la Magistrature, menés tambours battants par Hida Shigeru, traversaient au pas de course le quartier noble, se disposaient le long du fleuve sur les deux rives, arrêtaient les navires, grimpaient à bord et retournaient leurs cales !
Stupéfaits, les Gardes du Tonnerre n'osaient rien faire.
Shigeru donnait des instructions pour les fouilles, Ryu dirigeait le mouvement de troupes, tandis qu'Ayame et Ikky observaient la scène.
Une trentaine de navires furent fouillés : on entendit des protestations indignées de braves marchands ; certains, trop colériques, partirent faire un tour dans l'eau pour se refroidir les idées, avec une partie de leur cargaison. Les gardes d'Emeraude procédaient comme des soudards : ils n'étaient pas venus là pour rouler les maki ! Ils avaient la puissance d'armes d'une légion et les yari de concours !
Les marins et les ballots valdinguaient, sautaient, plongeaient, c'était festif ! De vraies joutes nautiques, arbitrées par Ayame !
- Ya quoi dans ton ballot là ! montre-moi ça !
Et que faire face à un gros Crabe pas content ?
- Tu vas m'ouvrir ce sac, marchand...
Et Ryu tapotait la garde de son sabre d'un air menaçant.

Un officier de la Garde du Tonnerre s'était précipité au palais Shosuro, ventre à terre. Ayame continuait de contempler la razzia dans l'entrée de la Baie.
- On en tient trois, honorable magistrate, lança un des gardes d'Emeraude : de l'opium plein les cales !
Les hommes malmenèrent les trafiquants, les ligotèrent et les firent accompagner au palais.
- Nous n'avons pas perdu la journée, ça non ! Des kilos de drogue sous un faux-plancher.
Belle prise en effet. Mais Shosuro Jocho, furieux, arrivait, à la tête de ses troupes.
- Honorable magistrate, siffla t-il, prêt à mordre, je proteste. J'ai été prévenu au dernier moment de votre opération.
- Vraiment, sourit Ayame. Le coursier qui portait notre courrier a dû être légèrement retardé en chemin...
- C'est scandaleux...
Jocho se contenait comme il pouvait mais il aurait bien égorgé les deux Phénix sur place.
- Nous avons constaté, par le passé, qu'une attaque contre la Cité était vite arrivée et qu'elle pouvait s'approcher tout près de nous. Donc nous avons choisi d'agir avec célérité. Il est indispensable de savoir ce que valent ces bateaux marchands. Ils pourraient servir pour une flotte de guerre.
- C'est pour le moins surprenant, honorable magistrate : imaginez-vous les Crabes nous défier à la bataille navale ?!... Qui plus est, si vous aviez attendu un peu, vous auriez pu agir de concert avec mes hommes et vous auriez gagné en efficacité.
- Nous sommes désolés de vous avoir fait déplacer pour rien. Nous vous remercions pour votre collaboration.
Ayame avait pris son ton le plus doucereux, le plus insupportable. La veille au soir, un rateau en règle et maintenant un affront !
Jocho repartit, la tête haute, les poings serrés, blême à l'idée de rapporter à la sa mère le Gouverneur ce qui venait de se passer.
- Nous avons agi dans la légalité, soupira Ikky, mais nous n'avons pas été diplomates.
Et on voyait Shigeru arriver, tenant par le col les trois marchands coupables.

Samurai

Le lendemain, Kakita Hiruya était de retour en ville : il avait accompagné Miya Katsu à la rivière, car le Magistrat descendait rencontrer Mirumoto Daini. Après quoi, las de chevaucher, il était revenu par bateau. Et à l'entrée de la ville, au moment où l'on voit s'ouvrir tout grand la gueule horrifiante du pont du Dragon, prête à engloutir le bateau, la Garde du Tonnerre était montée à bord, pour une fouille en règle.
Etonné, Hiruya les avait laissé faire.
- Sur ordre de Shosuro Jocho-sama, nous avons ordre de fouiller toute embarcation !
Dans la rue, les rumeurs allaient bon train. Hiruya se demandait bien ce qui se passait : pourquoi le dévisageait-on ainsi ? Il pressa le pas et réunit ses assistants dès son arrivée.
Ce fut Ayame qui expliqua la situation.
Notre Magistrat hocha la tête, et sourit en pensant à Jocho. Il ne désapprouvait pas l'initiative de Ryu. Lui-même n'était pas l'adversaire de ce genre de raids éclairs. Il attendait juste d'en voir les résultats.
- Nous en avons arrêté trois, honorable magistrat, clamait Shigeru. Et cette nuit, ils ont eu droit à un entretien serré avec Pitoyable. Les pauvres types ont fini par avouer !
- Avouer quoi ?
- L'opium !
- Au service de qui sont ces marchands ?
- Ils n'ont pas de patron en ville.
- Ha, donc les Scorpions sont assez prudents pour ne pas confier à leurs subordonnés le trafic ? Ils le laissent à d'autres...
- Les marchands ont donné les villages où ils se fournissaient et les entrepôts où ils livraient.
- Alors ?
- Les entrepôts ont été vidés récemment. "Ils" n'ont pas perdu leur temps.
- Et les villages ?
- Nous attendons le retour de nos soldats.

Hiruya se gratta la nuque, dubitatif. En la voyant, il comprit que c'était Ryu qui était à l'origine de cette opération.
Le soir, les soldats revinrent des deux villages désignés, où ils n'avaient rien trouvé.
Le lendemain, les crieurs publics partirent annoncer l'exécution aux quatre coins de la ville. Et à l'heure de Shinjo, alors que le soleil était bas dans le ciel, les trois marchands coupables eurent la tête tranchée.
Les Scorpions regardèrent sans sourciller cette exécution, mais nombreux étaient les gens du peuple à murmurer des noms et à regarder en coin vers Bayushi Korechika et sa famille.

Ce n'est que le lendemain soir qu'Ayame retourna sur l'île de la Larme. Elle n'y trouva pas Jocho et se rendit donc dans sa maison habituelle, là où Kimi l'avait introduite. Les autres magistrats s'étaient couchés tôt. Hiruya lisait le Tao et attendait une répons de Katsu : ses négociations avec les Dragons au sujet du col de Beiden allaient-elles porter ses fruits ?
Il s'endormit en jetant un oeil vers le monde flottant, qui lui paraissait bien agité ce soir-là : la délégation des Dragons logeant chez Jotomon-senseï était de sortie. Les tenancières, les geishas accueilleraient dans leur monde enchanteur et coloré ces samuraï étranges venues de leurs immenses et mystiques montagnes.

Samurai

Le lendemain matin, Hiruya fut réveillé de bonne heure par un serviteur qui frappait nerveusement à sa porte.
- Par Benten, qui ya t-il ?
- Hiruya-sama ! Hiruya-sama !... une catastrophe ! c'est horrible !... affreux !...
- Quoi ! Explique-toi !
Hiruya s'apprêtait à entendre le pire.
- Sur l'île ! cette nuit...
Le serviteur craignait pour sa vie, de devoir annoncer pareille nouvelle !
- Quoi ? une attaque ?...
- Non, pire... pire...
Hiruya s'habilla en vitesse. Bouillant de colère, il suivit le serviteur dans la grande salle du palais. Lui qui en avait vu bien d'autres, il recula d'un pas en entrant dans la pièce :
Ayame et Ikky, étendues par terre, blanches comme des linges. La yojimbo s'était vomie dessus, ça se sentait même si on l'avait nettoyée ; Ayame avait saigné du nez et était maigre comme un jonc : elle n'était déjà pas bien épaisse avant, mais maintenant, elle faisait peur à voir !
Un émissaire Dragon se tenait, agenouillé, incliné.
- Parle, parle !
Hiruya ne se contenait plus.
- C'était en fin de nuit, honorable magistrat...
L'émissaire releva les yeux : on sentait que ce n'était pas à lui de s'incliner, ni d'avoir honte, au contraire !
- Nous sortions de l'établissement où nous avons passé la nuit, la Maison de l'Etoile du-
- Oui je la connais et ensuite ?
- ... alors nous étions tous ensemble, et nous remerciions nos hôtes Scorpions ; et nous avons vu sortir les deux femmes d'un autre établissement ; la yojimbo chantait à tue-tête des chansons paillardes et tenait dans ses bras la shugenja, une pipe à la main, et ce n'était pas du tabac, Mirumoto nous pardonne !
Il y avait un émissaire du Scorpion à côté, entré peu après.
- Une véritable débauche, honorable magistrat. La yojimbo était fin saoul, injuriait les passants et surtout ! surtout !... la shugenja ! elle avait fumé de l'opium !...
Le Scorpion prenait un air scandalisé, effaré.
- Stupéfaits, reprit le Dragon, nous les avons regardé passer : elles ont déambulé dans les rues et la shugenja a fini par s'écrouler dans une grande flaque d'eau !
- La tête la première !...
- Oui, la tête en avant, et c'est alors qu'elle s'est mise à... rendre ses derniers repas. Nous avons cru qu'elle allait y rester. Quand nos médecins ont vu la quantité d'opium qu'elle avait dans sa pipe...

Hiruya s'approcha du médecin du palais, qui était auprès des deux shugenja :
- Dans quel état sont-elles ?
- La yojimbo a fait la beuverie de sa vie. Quand elle se réveillera, elle aura l'enclume d'Osano-Wo dans le crâne.
- Et la shugenja ?
- Par la Fortune de la Santé, avec ce qu'elle a fumé et vomi, j'ignore ce qu'il va advenir d'elle !
Hiruya remercia les deux émissaires. Il se serait bien arraché ses cheveux jusqu'au dernier et avalé le poing en dessert !
Nul n'osa s'approcher de lui de la journée entière. Shigeru et Ryu vaquèrent à leurs occupations : mais dans la Cité, la rumeur avait fait le tour des quartiers.
Oui, le lendemain du jour où la Magistrature d'Emeraude exécute trois trafiquants d'opium, un de leurs membres est surprise par une trentaine de samuraï à consommer de cette substance !

Pour Hiruya, c'était littéralement la fin du monde ! Un tel scandale dans les archives de la ville, il n'en avait jamais vu !
L'après-midi, on vint lui dire qu'Ikky avait repris conscience. Il la convoqua.
Elle entra, s'inclina front à terre. Pendant de longues, longues minutes, Hiruya garda le silence, le visage fermé comme pour éviter à sa colère d'exploser. Les instants passaient pour la yojimbo, lourds comme des gouttes d'orages.
On entendait une mouche voler dans la pièce, puis des sanglots et enfin des pleurs à chaudes larmes de la yojimbo. Hiruya la laissa pleurer et pleurer encore, faire sa fontaine tant qu'elle voulait et plus encore.
Ikky chialait littéralement, comme une petite enfant. Impassible, Hiruya assistait à son effondrement. Il se leva et dit seulement :
- Réfléchis toi-même à ta punition.
Et Ikky était prête à saisir son wakizashi pour se le passer dans le ventre.
- Laisse ça et va t-en maintenant, Shiba Ikky.
La yojimbo partit, toujours en larmes et courut dans sa chambre. Elle était dégoûtante, oui dégoûtante !

Ce n'est que le lendemain, quinze jours après les célébrations de Daikoku, qu'Ayame reprit conscience. Elle avait encore vomi plusieurs fois et il avait fallu la nourrir de force, car elle n'avait plus que la peau sur les os. Elle pleura à son tour, après une demi-heure passée devant Hiruya, qui recommençait pour elle la même cérémonie. Il ne le disait pas, mais il pardonnerait sans trop de mal à la yojimbo. Qui n'a pas droit, de temps à autre, à une débauche un peu imprévue, un peu exagérée ? Soit, soit !
Il n'est pas correct de faire remarquer à un ivrogne qu'il l'est et, après coup, on peut bien en rire !... S'il fallait punir tous les samuraï trouvés à boire comme des tonneaux percés, on n'en finirait plus. Sans même parler de Shigeru, ils étaient nombreux à avoir une petite faiblesse pour l'alcool.
Mais Ikky était coupable de s'être montrée en compagnie d'une opiomane : et pas une consommatrice occasionnelle, une véritable intoxiquée ! Si à présent l'image de Shiba Shonagon ne se superposait pas à celle d'Isawa Ayame !...

- Jamais ça ne m'était arrivé, pleurait Ayame, depuis tout ce temps...
- Tout ce temps ?... combien de temps ?!
- Cinq ans.
- Parce que vous avez perdu votre bras ?
- Oui... j'ai commencé à "en" prendre pour calmer la douleur.
- Et ce bras, comment l'avez-vous perdu ?
Mais la shugenja ne répondit pas, la voix étranglée par les sanglots.
- Si j'avais su que tu tomberais si bas, Isawa Ayame... Que penserait Akitoki-sama d'une pareille affaire ? Il finira bien par l'apprendre...
- Si vous le prévenez, j'assumerai mes actes. Jamais je n'ai voulu ce genre de choses. Je sers l'Ordre Céleste, je crois en l'honneur, je suis une samuraï. Je suis prête à mourir pour le prouver. Ikky n'est pas coupable : elle n'a toujours fait preuve que de dévouement, d'attention et de bonté envers moi, et je n'ai su que mettre en danger son honneur et sa vie, la fâcher et lui cacher l'objet de mes recherches ! Peine perdue : elle se trouve aujourd'hui aussi coupable que moi et n'ignore rien de ma déchéance !
- Comme tu dis, oui... Puisqu'Ikky ne semble pas penser à d'autre châtiment que le seppuku, et parce que je le refuse, je me suis renseigné sur les... opiomanes.
Ce mot le dégoûtait. Penser qu'Ayame en était une, d'opiomane, c'était juste moins pire que de l'imaginer maho-tsukaï.
- Les moines du temple soignent les gens comme vous. Il les isole du monde, et de leur tentation, le temps qu'ils apprennent à vivre sans. Donc vous irez toutes les deux prier Daikoku. Peu importe le temps que cela prendra. Des jours, des semaines, des mois, des années ! peu importe ! Vous vivrez recluses, et vous ne sortirez que lorsque les moines vous en jugeront dignes.

Ayame sortit, en remerciant bien bas Hiruya. Maintenant, elle ne se moquait plus, elle n'avait plus d'arrières-pensées malicieuses.

- Et si on avait mis quelque chose dans l'alcool ?
Ryu ne perdait pas l'Est !
- Peu importe, Ryu-san. Ce qui compte, c'est le caractère public de ce deshonneur.

Le lendemain, face aux dignitaires de la ville, eut lieu une cérémonie d'excuses publiques des deux femmes, devant Kakita Hiruya, qui à son tour s'excusa publiquement d'être un si minable Magistrat d'Emeraude.
Les Scorpions buvaient du petit lait. Un nectar des dieux ! A ce niveau d'humiliation de Hiruya, c'en était même presque trop !
L'homme qui trois jours avant exécute leurs marchands et qui maintenant voudrait s'aplatir plus bas que terre, on offrirait des cadeaux somptueux à toutes les Fortunes pour un présent si magnifique ! Jocho se sentait vengé des offenses diverses qu'il avait subi : il y en avait plus bas que lui maintenant. Bayushi Korechika se savait à l'abri : les Magistrats ne pourraient pas continuer à enquêter sur le trafic d'opium. Et les anciens Soshi, passés dans d'autres familles, remerciaient les Ancêtres de rétablir l'équilibre : après une trop grande victoire de Hiruya, une défaite cuisante était nécessaire pour le remettre à sa place.

Samurai

Le lendemain, Ikky et Ayame entrèrent, vêtus de robes de moines, au temple de Daikoku. Non seulement on ne pouvait plus rien espérer concernant le trafic de drogue, mais la Magistrature avait perdu son prestige et ne pouvait pas espérer de nouveaux renseignements sur la mort de l'herboriste Sourcils.
Et c'est ainsi qu'on ne put établir, au grand dam de son assassin, s'il avait ou non tué l'ancien Magistrat d'Emeraude !



SamuraiFORCE ET HONNEUR, SAMURAI !<!--sizec--><!--/sizec-->Samurai
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