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08-09-2009, 06:05 PM
(This post was last modified: 08-10-2009, 03:27 PM by Darth Nico.)
CHRONIQUES DE L'EMPIRE D'ÉMERAUDE
<span style="color:orange">Les 5 Rônins : 12ème Episode</span><!--/sizec-->
Singe 402
"Plus jamais ça"<!--/sizec-->

1ère partie : Sang de serpent<!--sizec--><!--/sizec-->
Des feux d'artifices partaient des jardins de la "Carapace". Le massif palais des Crabes était rempli d'invités enjoués qui, après un excellent dîner, buvaient comme s'il n'y avait pas de lendemain. Le chef de ces agapes, l'Inquisiteur Tadao, avait veillé à faire sortir les meilleures bouteilles de la réserve de la famille Kuni. Les officiers Hida chantaient et dansaient, accompagnés par des geishas ; l'ambassadeur Ikoma Noyuki récitait des poèmes à boire, et le conseiller Hanteï Tokan n'arrivait plus à s'arrêter de rire. Dans un face à face terrifiant avec un officier Kaiu, Matsu Mitsurugi était bien parti pour mettre par terre son adversaire : les deux hommes avalèrent un nouveau verre, puis un autre, et le solide Crabe vacilla, se reprit, puis partir en vitesse aux latrines en se tenant la bouche. Sasuke déclarait Mitsurugi vainqueur et tout le monde applaudissait.
Le général Kokatsu en profitait pour porter un toast à l'Inquisiteur, et ce dernier rendit le toast en levant son verre au noble clan du Lion.
Dans les cuisines du palais, les rônins qui étaient revenus vivants n'étaient pas en reste. La plupart des serviteurs avaient fini par se joindre à eux, et il y avait une grosse ambiance de corps de garde. Les concours de boisson s'enchaînaient, des filles arrivaient pour danser sur les tables, et les rônins se joignaient à elle. Il y eut des débordements et certains finirent la nuit, le nez dans la terre de la cour du palais.
Mamoru et Yojiro furent emportés pour de bon dans ce tourbillon, et y coulèrent à pic ! Ils finirent la nuit allongés dans un coin, et quand ils rouvrirent un œil, il faisait grand jour. D'autres serviteurs arrivaient pour nettoyer et les mettre dehors. Yojiro n'avait plus de souvenir précis des dernières heures.
Il rentra doucement au palais d'Ivoire, obligé de s'appuyer aux murs régulièrement. Il vit le palais tanguer et se dédoubler et fut heureusement reconnu à la porte, sans quoi il se serait fait jeter comme un malpropre. Yojiro traversa un palais envahi de ronflements, et s'affala sur sa couche. Mamoru dormait déjà dans sa chambre de la Carapace.
Les fêtards de la veille émergèrent vers le milieu d'après-midi. Par petits groupes, ils se retrouvèrent dans des maisons de thé puis pour le dîner. Ce n'est que le lendemain que l'on retrouva la routine reprit. Ikoma Noyuki, sérieux comme un moine, reçut un émissaire de la famille Hiruma. Hanteï Tokan notait scrupuleusement une lettre dictée par Hanteï Norio. Matsu Sasuke devait retourner prier.
Maya n'avait pas participé aux festivités. Elle avait juste médité, avec un Togashi Ojoshi content de la voir revenir dans le droit chemin.
Yojiro trouva une lettre laissée par Yatsume : celle-ci n'était pas allé fêter la victoire. Elle disait qu'elle était partie directement à la Cité des Mensonges. Yojiro grommela en lisant le mot et le transmit à Sasuke.
Le seul qui ne retombait pas dans le quotidien, c'était Mitsurugi. Depuis deux jours, il se sentait comme au paradis céleste en compagnie de Doji Ikue. Le cœur gonflé d'un mâle orgueil, il l'avait présentée à tout le monde au palais du Lion. Il fallut que le général demande à parler à son samuraï pour ramener ce dernier sur terre.
- Nous nous sommes bien amusés, Mitsurugi-san...
Matsu Kokatsu avait encore un peu mal à la tête. Il y avait eu longtemps qu'il ne s'était plus autant fait plaisir. Il avait fallu qu'il vienne chez les Crabes pour participer à une fête de tous les diables, avec des samuraï dans l'ensemble bien plus jeunes que lui.
- Mais tu vas bientôt devoir répondre de ton acte.
- Oui, Kokatsu-sama.
- Les Grues ne te le pardonneront pas. Bien que tu aies gagné, bien que tu aies prouvé que ce Kakita Yagyu n'était pas à la hauteur de sa réputation, ils n'en resteront pas là. Tu auras à t'expliquer. Non pas devant un juge mais face à un homme juste et droit qui devra déterminer si tu as agi selon l'honneur. En fait, tu devras dire pourquoi tu n'as pas tué Kakita Yagyu. Tu l'as grièvement blessé mais il a survécu -quoiqu'il y ait des chances qu'il passe le reste de sa vie à l'état de légume, m'a-t-on dit. Cependant, les lois du duel prévoyaient que tu ne le laisses pas en vie. Tu as insulté son rang, son école, tu lui as pris sa fiancée... Il ne pouvait être question de l'épargner. Cela te sera reproché en premier lieu.
Mitsurugi allait expliquer pourquoi il avait... Kokatsu l'interrompit.
- Ce n'est pas devant moi que tu dois t'expliquer. Vraisemblablement, c'est Hanteï Norio qui entendra les deux parties.
- Ce sera un honneur de m'expliquer devant Norio-sama !
Mitsurugi voyait décidément l'avenir en rose : après avoir abattu Yagyu, il allait parachever son triomphe en battant à plates coutures ses contradicteurs sur le terrain rhétorique ! Hanteï Norio, homme si honorable, ne s'y tromperait pas et ne pourrait que trancher en faveur de Mitsurugi !
- Tu seras entendu dans quelques jours, dit Kokatsu. D'ici là, afin d'apaiser les tensions en ville, tu te retireras au temple d'Osano-Wo.
C'était parfait ! La Fortune tutélaire du tonnerre et des bushis allait inspirer à notre héros un discours fracassant ! Au temple d'Osano-Wo, les prières se faisaient pendant les joutes au sabre !
- Doji Ikue elle aussi ira dans un temple. Elle a été notre invitée ces derniers jours mais il est naturel qu'elle revienne à sa famille.
- Bien, Kokatsu-sama.
Mitsurugi avait un appétit d'ogre ! Ils allaient sentir, les Grues, ce que c'était que l'alliance de la parole et du sabre en un seul samuraï ! Comme disait Sazen : l'ardeur du Phénix, la rage du Loup, la fureur du Lion ! Ce n'était pas trois poules mouillées de Grues qui se mettrait en travers de son chemin !
Mitsurugi retrouva Ikue dans sa chambre. Elle était avec des dames de compagnies qui l'aidaient à s'habiller et se maquiller. Quand l'ambassadeur entra, elles s'éclipsèrent discrètement. Fanfaron, notre héros expliqua à bien-aimée ce qui allait se passer. Ikue serra les mains, comme pour remercier les dieux. Elle était encore plus belle et plus charmante ! Elle prit Mitsurugi dans ses bras et notre héros joua les cœurs tendres sous une poitrine d'acier !
- N'était-ce pas une folie, Mitsurugi ?... Est-ce que nous ne nous sommes pas condamnés au malheur ?...
- Non, ce n'était pas une folie, et c'est ce que la famille de Yagyu va devoir comprendre.
Il la garda longtemps dans ses bras.
L'Inquisiteur Tadao avait fait convoquer Mamoru au coeur du palais de la "Carapace", dans la grande tour de la famille Kuni. Le robuste donjon était certainement le bâtiment le plus imprenable de la Cité de la Pieuvre. C'était aussi le plus haut : du sixième étage, on avait une vue sur toute l'agitation grouillante de la ville, des artères droites et spacieuses du quartier noble ; des rues tortueuses bourdonnantes de monde et des places de marchés encombrées ; des coupe-gorge du quartier des pécheurs ; du dédale du quartier des artisans ; et enfin des taudis s'étendant en un étalement morne des habitations des etas.
Mamoru, son casque sous le bras, son armure de rônin parfaitement nettoyée, se présenta devant la porte de bronze de la salle du conseil des Inquisiteurs Kuni. Deux soldats aux armures flamboyantes décroisèrent leurs hallebardes et frappèrent ensemble à la porte. Les lourds gonds grincèrent et Mamoru s'avança.
Il s'agenouilla au milieu du grand tapis décoré de glyphes et garda le front à terre. Des dix Grands Inquisiteurs de la famille Kuni, trois s'étaient déplacés et deux avaient envoyés un représentant. A la Cité de la Pieuvre, c'était Kuni Tadao qui était l'Inquisiteur le plus gradé, quoiqu'il ne fit pas partie du grand conseil.
Mamoru fut autorisé à relever la tête.
- Ton nom était Hida Yasashiro, fit solennellement Tadao. Si tu es devenu rônin, c'est pour mieux servir ton clan. Tu avais pour mission de retrouver la trace de la secte du Lotus.
- Oui, seigneur. Après avoir quitté le clan, je me suis rendu à la Cité du Cri Perdu, dans les terres du Lion. C'est là-bas que sévissait un groupe criminel nommé le Lotus Noir. Je les ai combattus et, avec des alliés rencontrés là-bas, nous les avons détruits, de même que leurs alliés d'une redoutable secte de moines, le Lotus Blanc.
Mamoru reposa le front à terre après avoir parlé.
- Tu es alors revenu à la Cité de la Pieuvre, dit Tadao. As-tu retrouvé des traces de la secte du Lotus chez nous ?
- Oui, seigneur. Sur les terres de Yasuki Kokaï, j'ai découvert l'endroit où se réunissait le Lotus. J'ai failli arrêter le bras droit de Lotus en personne mais il m'a échappé.
Mamoru avait évité de mentionner que ce conspirateur s'était échappé grâce aux Yasuki eux-mêmes ! Et on ne reparla pas de Yasuki Kokaï, tenu pour mort.
Avant la réunion, l'Inquisiteur Tadao avait fait comprendre à Mamoru qu'il ne devrait jamais évoquer, même à demi-mot, l'infiltration du Lotus dans la famille Yasuki, jamais suggérer que cette secte avait plus ou moins noyauté la puissante famille marchande.
C'était pourtant la vérité et ceux qui étaient réunis en demi-cercle devant Mamoru la connaissait.
Lorsqu'un grave conflit commercial avait éclaté dans le clan de la Grue, la famille Yasuki, qui s'estimait lésée par des taxes trop fortes, avait fini par quitter le clan et rejoindre les Crabes. Il s'en était suivi une guerre ouverte entre les deux clans, à laquelle seule l'intervention de l'Empereur avait mis fin. Les Yasuki s'étaient installés à la Cité de la Pieuvre et en avaient fait leur antre. Ils contrôlaient maintenant une des cités les plus prospères de l'Empire.
Grâce à l'enquête de Mamoru et de nos héros, l'Inquisiteur Tadao savait que c'était cette secte du Lotus, née sur les terres de la Grue, qui avait manigancé le départ des Yasuki. Il en avait informé en comité restreint le conseil Kuni.
Tadao demanda :
- As-tu retrouvé la trace de complices du capitaine Yasuki Kuma ?
Mamoru garda la tête par terre et mit du temps à répondre :
- Non, seigneur.
- Bien, tu peux aller. La promesse qui te lie à nous tient toujours, Hida Yasashiro.
Mamoru se releva et partit.
Il retrouva Yojiro dans la cour du palais et les deux amis partirent dans leur taverne préférée. Très raide, Mamoru ne parla pas beaucoup sur le trajet. Ce n'est qu'après une bonne bière que sa langue se délia. Les deux rônins évoquèrent la mémoire du capitaine Kuma.
- Il était le plus grand officier que j'ai vu sur un champ de bataille, dit Yojiro à voix basse. Dans la pire adversité, il tenait face à l'ennemi. Il était comme la Muraille. Il partait toujours le dernier et il fallut certaines fois l'emmener de force pour lui éviter de finir dans la gueule d'un oni. C'était en plus une montagne de muscles, une vraie force de la nature.
"Il était avec nous, le jour où le château Hiruma est tombé... Il ne s'est pas pardonné d'être parti. Il aurait voulu défendre le château tout seul, alors qu'en face, nous avions l'un des plus gros onis qu'on ait vu sortir de l'Outremonde... Les jours d'après, il répétait : "c'était enfin un adversaire à ma mesure"...
- Quand nous sommes partis à la rivière de la peste sous les ordres de Hida Eizan, dit Mamoru, nous pensions retrouver le capitaine Yasuki Kuma en train de se défendre face à une ordre de monstres. Hélas, c'était trop tard. Yasuki Kuma avait en effet fait monter des défenses de fortunes, sur un îlot, mais ils avaient succombé.
L'Outremonde avait même eu raison de l'invincible capitaine Kuma. Et c'est sur le retour que la patrouille de Hida Yasashiro avait été attaquée et que notre héros en avait seul réchappé. Du moins croyait-il ses compagnons perdus à jamais. Et en fait, l'Outremonde les avait ramenés à la vie. Le sergent Hida Eizan était devenu l'immonde être putréfié qui se faisait appeler Pureté.
Quand Yasashiro était revenu, il avait annoncé l'échec de sa mission à secourir le capitaine Kuma. C'est alors qu'il était parti comme rônin.
- Pourquoi le clan a-t-il risqué la vie de cinq samuraï pour aller en secourir autant ? demanda Yojiro. Cela ne se fait pas, et même pour un héros comme Yasuki Kuma...
- Ce n'est pas la famille Hida qui nous a envoyés, dit Mamoru, c'est le conseil Kuni directement. Ils soupçonnaient le capitaine Kuma...
Mamoru baissa la voix :
- Ils le soupçonnaient d'appartenir à la secte du Lotus...
- Ridicule, fit Yojiro. Un héros comme lui ne pouvait pas appartenir à de minables conspirateurs !
- Il a emporté son secret dans la mort, dit Mamoru.
Le capitaine Yasuki Kuma était né chez les Grues, avait été entraîné au dojo de la famille Daidoji. Il était arrivé dans chez les Crabes avec sa famille. Il n'avait rien d'un marchand et il avait eu l'honneur d'entrer au dojo de la famille Hida.
- Non, ridicule, répéta Yojiro. Je ne vois pas un meneur d'hommes comme lui comploter comme ces salopards du Lotus. Ce n'était pas un homme secret. Il était franc et loyal. Il n'aurait jamais pu manigancé dans les coins, non...
C'était en tous les cas du fait de la mort de Kuma que Hida Yasashiro était devenu Mamoru le rônin.
- Ma mission est toujours de mettre au jour la conspiration du Lotus, dit Mamoru. Le conseil Kuni vient de me le rappeler. Ils ne m'oublient pas. C'est bien pour cela que l'Inquisiteur Tadao m'a pris sous sa protection dès que je suis revenu de chez les Lions.
- Nous savons que le Lotus s'est établi dans cette Cité. Leur chef Lotus est même sûrement ici. L'ambassadeur Mitsurugi est décidé à les combattre. Bien sûr, ils ne peuvent agir directement. Nous, par contre, nous pouvons faire quelque chose...
- Maya est toujours en ville ?
- Oui, je crois bien, sourit Yojiro. Pourquoi, tu veux l'engager ?
- Qui se méfierait d'elle ?
- Personne, c'est vrai.
A suivre...
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16-09-2009, 03:52 PM
(This post was last modified: 17-09-2009, 01:19 AM by Darth Nico.)
CHRONIQUES DE L'EMPIRE D'ÉMERAUDE
Mamoru et Yojiro trouvèrent Maya dans la discrète bicoque où elle résidait. En tant que samuraï, elle aurait eu droit de demander une résidence dans un palais, mais elle était trop à l'écart pour être acceptée. Elle menait donc une existence marginale, ni femme du peuple, ni de la noblesse. Elle était peu connue, elle ne rencontrait personne et semblait la plupart du temps indifférente au monde autour d'elle.
Et pourtant, que d'évènements depuis le début de son voyage !
Au juste, que s'était-il passé depuis qu'elle avait quitté les montagnes éternelles ?
La confrontation avec l'Empire l'avait changée. Elle avait connu plusieurs hommes ; elle avait connu la guerre, la faim, les routes, et la misère encore plus que la gloire. Shinseï ne disait-il pas qu'on doit voyager pour découvrir la sagesse ?...
Est-ce qu'un jour elle retournerait dans son temple ?... Allait-elle finir sa vie dans sa chambre grande d'à peine quatre tatamis ?
Les deux rônins entrèrent.
- Nous avons du travail pour toi, dit Mamoru.
- Pourquoi pas, dit placidement Maya.
Les deux rônins s'assirent.
- Nous nous attaquons au Lotus, dit Yojiro.
Maya écoutait.
- Comme tu n'es pas connue, tu pourrais t'infiltrer parmi eux. Ils ont plusieurs boutiques en ville à leur service. J'en ai entendu parler plusieurs fois. Trouvons une taverne où tu pourrais travailler et surprendre des conversations.
- D'accord.
- J'ai quelques pistes...
C'est ainsi que les deux rônins et l'Ize-Zumi se mirent en campagne : ils passèrent l'après-midi et le début de soirée à écumer les établissements de 3e ordre de la Cité, dans les quartiers où jamais un samuraï ne mettait les pieds. Des quartiers tortueux, grouillants de vie et de couleurs, qui semblaient dans un autre monde que les belles rues du centre de la Cité.
A eux trois, ils payèrent une quinzaine de coups pour soutirer des informations. Quand ils se retrouvèrent, à la nuit tombée, autour d'un bol de riz dans un restaurant très quelconque, ils avaient repéré une maison de thé : Le chemin magnifique, qui servait de lieu de réunion aux conspirateurs.
- Tu te sens prête à y aller ? demanda Yojiro.
- Oui, pas de problème.
Elle était décidément désarmante ! Est-ce qu'elle se rendait bien compte des dangers qu'elle encourait ? Elle répondait gentiment "oui" comme si on ne lui demandait que d'aider à confectionner des bouquets de fleurs !
Le lendemain midi, nos trois conspirateurs en herbe se retrouvèrent au même restaurant, Le tatami de papier. Les deux rônins proposèrent à Maya un petit vin du pays pour lui donner du cœur à l'ouvrage, mais celle-ci déclina poliment. Sa "religion" devait lui interdire de boire -mais devait être bien plus tolérante sur d'autres vices !
Mamoru accompagna l'Ize-Zumi, grimée avec des habits de pauvre bonne femme. Le rônin s'arrêta à quelques rues de la maison de thé et souhaita bon courage à Maya. Celle-ci partit sans hésiter, comme si elle avait fait ça toute sa vie ! (Ou dans une autre vie ?)
Mamoru repartit mais se perdit ; il arriva dans un quartier de prostitution, avec des lanternes rouges partout aux devantures des maisons, des relents d'opium, des clients honteux, des gémissements et des injures, des gueules malsaines...
Le rônin se sentit suivi et, en bifurquant dans une rue, vit deux malfrats armés approcher, et deux derrière lui.
- Alors mon grand ? On ne trouve pas son chemin ?
L'un d'eux jouait avec un couteau. Les autres ricanaient. Celui au couteau s'approcha :
- Alors, tu ne dis rien ?
Il lui tapota sur la joue. Mamoru voulut réagir mais l'autre fut plus rapide et lui envoya son poing sur le nez. Mamoru recula ; ceux de derrière allaient lui sauter dessus mais notre rônin, plus grand qu'eux d'une bonne tête, les envoya par-dessus lui s'aplatir sur leurs camarades. Une brève bagarre s'ensuivit, confuse, brutale, où l'on entendit les cris étouffés, des os craquer, des mentons et des nez se tordre.
Mamoru ressortit de la ruelle en sueur, les quatre yakuzas par terre.
Yojiro l'attendait au Tatami de papier et le vit arriver, épuisé. Mamoru se fit servir un bon verre. Il mouchait rouge !
- Alors, tu l'as accompagnée ?
- Oui, elle y est.
- On la retrouvera demain matin. Espérons que ça se passe bien aujourd'hui.
- Tu travaillais où avant ?
- Oh, je viens de loin...
Le patron du Chemin magnifique regardait avec méfiance cette petite femme. Elle avait l'air sot. Elle était habillée comme une souillon. Il lui dit d'enlever un peu ses vêtements. Elle révéla des formes plus appétissantes. Le patron comprit qu'elle ne tombait pas de la dernière pluie et se dit qu'elle avait dû faire son temps dans une maison de passe, peut-être dans une autre ville. Elle avait dû s'enfuir et maintenant elle se cherchait une situation.
- C'est un établissement respectable ici, hein !
- Oui bien sûr, je suis très vigilante.
Respectable -étant donné qu'on était dans le quartier des gros marchands, mais pas chez les nobles Yasuki - signifiait qu'on ne faisait pas plus que pincer gentiment les fesses des servantes et se rincer l'œil grâce à leurs tenues dénudées.
- Tu sais servir du thé ?
- Je sers plein de choses...
- Mouais, tu n'es pas trop vilaine, et c'est déjà bien. Je vais te prendre à l'essai et on verra bien ensuite. J'ai une chambre au grenier, si tu veux un toit.
- Je vous remercie.
Maya s'inclina.
- Bon, va te changer, hein ! Tu commences dès maintenant ! Allez !...
Nouvelle expérience, nouvelle voie de sagesse !
Le patron bourra une pipe et regarda sa recrue s'agiter. Il lui mettait une petite fessée, à elle et aux autres, de temps en temps, pour maintenir le contact !
- Affolez-vous, les filles ! La table de la fenêtre n'a toujours pas sa commande !
Il passait dans la salle, saluait les bons clients et faisait quelques recommandations. Et il ne perdait pas de vue Maya, qui s'en sortait honorablement. Il la trouvait vraiment désirable et il vit que les clients n'y étaient pas indifférents. La plupart devait déjà fantasmer de se retrouver le nez entre ses deux seins !
- Excellent cela, grommela le patron, satisfait.
C'était un homme qui ne manquait pas d'embonpoint. Robuste, de grosses mains de travailleur. Une barbe mal taillée, les cheveux ramenés en natte en arrière. Une cicatrice sur le menton et la joue où les poils ne poussaient pas. Des habits coûteux qui ne lui allaient pas bien.
- Oui, pas mal du tout...
Elle avait des tatouages sur la peau, ce qui lui donnait un côté exotique pas désagréable. De beaux tatouages. Elle avait dû être une sacrée catin de luxe dans un établissement pour samuraï !
Le patron ferma sa boutique à la tombée de la nuit et fit venir Maya dans son bureau :
- Bon, c'est bien, je te prends !
- Ho, merci, merci beaucoup...
Maya jouait la parfaite greluche. Le patron aimait bien cela, les clients fantasmaient sur les petites servantes niaises et dociles.
- Ne joue pas à te rendre trop bête devant moi, gamine... J'en ai vu d'autres des comme toi. Je ne sais pas d'où tu viens, mais tu as dû enrichir ta patronne, hein ! Alors, garde tes airs de mijaurée pour les clients !
Maya s'inclina et dit qu'elle voulait bien voir la chambre au grenier. Puis, quand elle l'eut visité, elle se ravisa et dit qu'elle dormirait chez elle.
- Sois là demain avant l'aube, hein ! On commence tôt !
Notre héroïne s'en alla pendant que le patron passait à table avec sa famille.
En fait, quand elle eut passé quelques rues, Maya fit demi-tour et revint à la maison de thé par un chemin détourné. Elle avait repéré un accès à la chambre au grenier, par une bicoque abandonnée à côté puis une échelle, qui la menait à la lucarne.
Dans la journée, elle avait surpris le patron murmurer qu'il allait libérer une pièce le soir pour une réunion. Maya se glissa dans le grenier, et se glissa dans une vieille couverture. Il y avait un trou dans le plancher qu'elle agrandit au couteau. En-dessous, une arrière-salle, réservée aux meilleurs clients.
Pendant longtemps, il n'y eut aucun bruit. Maya faillit s'assoupir, mais entendit du bruit en-dessous. Quelqu'un allumait des bougies et installait des tatami rouges. Maya ne décolla plus l'œil du trou. Enroulée dans sa couverture, elle ne remuait presque pas. Les seuls grincements qu'elle faisait, on aurait pu les attribuer au vent, qui sifflait par la lucarne.
Le patron finissait d'installer une table et des verres. On frappa à la porte et un personnage en grande robe, masqué, fit son entrée. Le patron s'inclinait devant lui. L'homme masqué s'assit en bout de tables, et cinq autres conjurés, portant le signe du Lotus sur leur robe, s'installèrent.
Le patron versa à boire à tout le monde et sortit.
Maya n'osait plus déglutir.
- Mes frères, dit celui en bout de table, nous pouvons commencer notre réunion.
Les conjurés récitèrent en chœur une phrase rituelle :
"Observe et interroge-toi. Connais la voie de ton adversaire et prends le sentier étroit qui te mènera à la victoire."
Puis ils s'inclinèrent brièvement devant leur voisin d'en face.
- Bien, dit leur chef, il y a du nouveau, mes frères. Nous savons que nous avons des adversaires résolus dans cette ville. Ils sont au palais d'Ivoire.
- Les Lions ?
- Oui, les Lions. Pour le moment, nous les observons.
- Pourquoi attendre pour frapper ?
- Trop dangereux. Ils sont puissants, et bien vus par la famille Hida... Non, nous avons plus urgent.
- Quoi donc ?
- Le clan du Serpent, dit le chef.
- Oui, c'est à leur propos que je suis venu, dit celui qui était assis à l'autre bout de la table. Maître Nuage est persuadé que les Serpents en ont appris sur lui. Et en ont appris trop.
Maya écoutait attentivement. Le début de la prophétie dictée par la vieille liseuse de runes ne mentait pas :
"Quand le nuage et la cendre couvriront le serpent,
Il pleuvra des regrets"
- Que prévoyons-nous de faire alors ? Faut-il surveiller le temple des Phénix ?
C'était dans ce temple qu'étaient hébergés les Serpents résidant à la Cité.
- Le problème dépasse largement les quelques Chuda qui habitent chez nous. C'est le daimyo lui-même qui est devenu une menace.
Or ce daimyo, Maya était bien placée pour le savoir, résidait à l'autre bout de l'Empire, entre chez les Dragons et les Phénix. Alors que les verres s'entrechoquaient, Maya prit le risque de changer de position. Le parquet grinça, mais personne ne parut s'en apercevoir.
- Ce dont nous pouvons être certains, frères, c'est qu'ils sont corrompus. Leur lignée est empoisonnée à jamais.
- Tout le clan ?
- Suffisamment de membres du clan...
- Bien, dit celui du bout de table, alors j'irai en avertir nos camarades. Si je n'ai plus rien d'urgent à apprendre ici, je vais partir immédiatement, car nous nous réunissons à la maison de la colline.
- Tu peux partir, frère. Ce sera tout sur les Serpents.
Maya savait que c'était une occasion inespérée. Elle attendit le départ du conjuré et se glissa par la lucarne. Elle courut jusqu'au Tatami de papier, où Mamoru et Yojiro passaient le temps en jouant aux dés.
- Buffle - mouton - chevreuil, j'ai gagné.
Maya entra essoufflée et raconta ce qu'elle avait entendu.
Les deux rônins se levèrent et attachèrent leurs daishos à la ceinture.
- La maison sur la colline, je crois savoir de laquelle il s'agit, dit Yojiro. Va te reposer Maya. On va prendre la suite !
Les deux rônins partirent en courant. Ils sortirent de la Cité par le quartier des etas et prirent un sentier boueux puis un champ de hautes herbes. Il faisait déjà nuit noire et ils ne pouvaient pas porter de lanterne. Le ciel était heureusement dégagé. Ils firent la course d'obstacles dans la nature, dans la boue bien grasse, sous l'immense voûte constellée.
Les bêtes de nuits crissaient et le vent soufflait dans les arbres noires.
Ils approchèrent d'une bicoque isolée, bâtie sur un aplomb rocheux. L'intérieur était éclairé.
Yojiro continua tout droit en s'approchant comme le font les éclaireurs Hiruma, pendant que Mamoru prenait un chemin détourné.
Yojiro se mit sous la fenêtre, pendant que Mamoru restait dans les herbes et surveillait.
Yojiro entendait des bruits de verre, des rires, des couverts qui s'entrechoquent. Il prit le risque de creuser près du mur : il fit un trou qui lui permit d'entendre plus nettement. Il se colla l'oreille au sol, pendant que Mamoru surveillait ses arrières.
- Allons, mes frères, nous pouvons commencer !
Le silence se fit et le rônin entendit la formule rituelle : "Observe et interroge-toi. Connais la voie de ton adversaire et prends le sentier étroit qui te mènera à la victoire."
- Notre frère revient de la Cité, et il a des choses à nous apprendre.
- Oui, il y a du nouveau. Maître Nuage est maintenant certain que le clan du Serpent en sait trop sur lui. Et lui sait que le clan du Serpent est corrompu.
- Frère, dit le chef de l'assemblée, ce que tu dis va nous obliger à agir vite. Je comprends maintenant pourquoi Maître Cristal nous a fait prévenu qu'il envoyait son homme.
Yojiro sentit son cœur battre la chamade. De qui parlaient-ils ? Qui était ce Cristal maintenant ?... Et son homme ?
- "Il" est en ville ? dit le conjuré qui revenait de la Cité.
- Depuis peu, oui. Quant à nous, nous avons surveillé les Serpents depuis plusieurs jours. Hélas, ce n'est guère facile à cause du voisinage des Phénix.
- Si j'avais su, je n'aurais pas fait ce détour pour vous voir. Je serais allé directement allé voir la Grue Noire.
- C'est ce que tu devrais faire, dit le conjuré. Il vaut mieux coordonner nos efforts avec lui. Quant à nous, nous allons prévenir nos autres frères de ce qui se passe.
"Par l'Enfer, mais combien sont-ils, dans cette conjuration ?" se demanda Yojiro.
Le conjuré qui venait de la maison de thé sortit de la bicoque, toujours masqué. Yojiro fit signe à Mamoru qu'ils allaient le suivre.
- Pas moyen de le perdre pour le moment, il va en ville et il n'y a qu'un seul chemin...
L'homme rentra dans le quartier des etas, sans savoir qu'il avait deux rônins sur les talons. Il entra dans une petite maison, où l'attendait quelqu'un. A pas de loups, Yojiro s'approcha et tendit l'oreille. Il tressaillit en entendant la voix de l'autre homme : c'était la Grue Noire !
Il en était sur !
L'assassin légendaire dans la ville ! Le tueur qui avait failli l'expédier chez les Ancêtres, le soir de l'enlèvement !
Yojiro rejoignit Mamoru qui l'attendait au coin de la rue.
- La Grue Noire ? Tu es sûr !
- Oui, j'ai reconnu sa voix ! On n'a pas le choix, il faut y aller !
En disant ça, Yojiro était conscient du danger qu'ils couraient face à un tueur de cette envergure ! Le danger de finir en brochettes pour le prochain repas du Lotus !
- Il faut le surprendre tout de suite ! C'est l'endroit idéal !
Ils étaient chez les etas, en pleine nuit.
- Allons-y, dit Mamoru.
Les deux rônins firent une prière aux Ancêtres et firent craquer leurs articulations. Ils se tinrent aux aguets. Ils attendirent de longues minutes avant de voir ressortir le conjuré. Ils le laissèrent s'éloigner et tirèrent leurs sabres.
Ils coururent sur la maison, défoncèrent la porte et se jetèrent à bras raccourcis sur la Grue Noire, qui était assis et qui eut juste le temps de dégainer son sabre !
Et c'est là, comme le voulait le dicton de la Muraille, que les gobelins se gobèrent, que les onis se honnirent et que les bushis s'embouchèrent !
Mamoru frappa le premier mais rata son ennemi, la Grue Noire le frappa en pleine poitrine, Yojiro entailla ce dernier au bras mais subit une contre-attaque fulgurante dans le torse !
Les deux rônins tombèrent, du sang giclant de leurs plaies. La Grue Noire levait son sabre pour les achever mais on entendit alors des pas précipités, des cris, des ordres ! Une patrouille de nuit !
La Grue Noire regarda dehors et se jeta par la fenêtre.
Yojiro se releva et souleva Mamoru :
- Debout, vite, debout...
Les deux rônins serrèrent les dents et partirent en courant avant que la douleur ne devienne insupportable et que les Yasuki n'arrivent !
Ils trébuchèrent plusieurs fois, s'arrêtèrent, à bout de souffle, haletants, alors que la lune abattait ses traits blafards sur la Cité.
- Il faut aller prévenir Matsu Sasuke, gémit Yojiro. On en a beaucoup appris ! Heureusement pour nous, parce que dans l'état où on va arriver, il va se moquer de nous !
Clopin-clopant, nos deux héros se traînèrent dans la ville et arrivèrent au palais d'Ivoire. Le garde les reconnut et les fit entrer. Ils allèrent aux cuisines et s'assirent en poussant un soupir de soulagement. Ils défirent leurs hauts.
Leurs blessures n'étaient pas belles à voir. Des serviteurs apportèrent de l'eau et des serviettes. Ils nettoyèrent la plaie, et manquèrent de défaillir. Le chirurgien du palais fut tiré du lit pour venir les recoudre.
C'était la deuxième fois qu'il soignait Yojiro !
- Vous avez le cuir dur mes gaillards !
Sasuke fut tiré du lit à son tour. C'était heureusement un soir où il n'était pas de sortie !
- J'espère que vous me réveillez pour une bonne raison !... Mamoru et Yojiro ?... Que me veulent-ils ?
Il s'habilla et se fit servir du thé dans son bureau.
Il vit entrer les deux rônins, blancs comme des linges, qui pouvaient à peine faire un pas devant l'autre.
- Vous voilà bien arrangés, vous deux ! Asseyez-vous et dites-moi ce qui vous arrive !
A suivre...
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17-09-2009, 05:18 PM
(This post was last modified: 19-09-2009, 02:53 PM by Darth Nico.)
CHRONIQUES DE L'EMPIRE D'ÉMERAUDE
Les deux rônins racontèrent ce qu'ils avaient appris : que le clan du Serpent savait des choses sur Nuage et que le Lotus allait s'en prendre au Serpent ; et le retour de la Grue Noire, au service de ce "Maître Cristal".
Sasuke fit aussitôt le lien, mais n'en laissa rien voir : Cristal était le nom de celui qui avait capturé le pennagolan et qui l'avait emmené sur l'île... Il devenait également clair que la secte du Lotus avait un "Lotus" à sa tête, et que ce n'était pas, comme l'avait parfois cru nos héros, ce "Nuage" qui la dirigeait.
Et maintenant, il y avait un nommé "Cristal" qui s'ajoutait à ces noms cryptés de conspirateurs.
- Ils pensent que le Serpent est corrompu ? dit Sasuke.
- C'est ce qu'ils ont dit...
- Corrompu... par la Souillure ?
- C'est bien possible, mais ils ne l'ont pas affirmé.
Sasuke restait dubitatif. Il savait que la menace sur le clan du Serpent devait être prise au sérieux mais c'était encore imprécis.
- Bon, vous vous reposerez aujourd'hui, dit Sasuke. J'enverrai un shugenja guérir vos plaies. Vous allez avoir besoin de toutes vos forces ! Maya va continuer à surveiller le Lotus, et vous, dès demain, vous surveillerez les Serpents !
Les deux rônins s'inclinèrent.
- A propos, Mamoru, où en est l'interrogatoire du Shuten-Doji ? L'Inquisiteur obtient-il des réponses ?
- L'Inquisiteur Tadao travaille sans relâche à obtenir la vérité de la part de ce monstre.
- Bon, bien... Allez dormir maintenant.
A la "Carapace", l'Inquisiteur Tadao avait ses quartiers réservés. Et il y avait les sous-sols de ces quartiers... D'anciennes cavernes aménagées où étaient amenés les sujets considérés les plus dangereux, pour y être confiés aux etas les plus experts en interrogatoires.
Cette vaste chambre de torture avait plusieurs tables, et des armoires débordant d'instruments affûtés et effrayants. Il y avait plusieurs cuves, des marmites d'eau bouillante, des brûloirs avec des charbons rouges en permanence.
Tadao y descendait, ce matin-là, par un grand escalier tortueux. Il fit craquer ses doigts.
Sur la grande table au milieu de la pièce, un grand humain aux traits marqués par la fatigue et la rage était attachés aux poignets et aux chevilles. C'était l'incarnation du Shuten-Doji de la Honte. Il saignait en plusieurs endroits et portait des traces de brûlures sur tout le corps. Mais sa vigueur démoniaque lui avait permis de résister à plus de quatre jours d'interrogatoires incessants. Des runes dessinées sur la table et sur le sol autour de lui l'affaiblissaient considérablement.
- Aujourd'hui, démon, tu finiras par parler, fit l'Inquisiteur, très las. Ou bien je te réserverai un tel traitement que tu me supplieras de t'expédier dans les griffes de ton maître...
- Je ne te crains pas, Inquisiteur ! Rien ne peut venir à bout de la force d'un être comme moi !... Plus tu me tortureras et plus ma rage augmentera. A la fin, je briserai mes chaînes et ce sera à mon tour de jouer avec vous !
L'Inquisiteur avait pris un tison chauffé à blanc et le promena tout près du visage du Shuten-Doji :
- Je vais avoir besoin de t'extraire des réponses, monstre. Je préfèrerais les voir sortir toutes seules, volontairement, mais j'ai des moyens pour les extraire.
- Tu ne peux rien faire, rugit le monstre. Rien ! Tu ne connais pas...
L'Inquisiteur lui enfonça d'un coup le tison dans la bouche et lui transperça la joue, le clouant littéralement à la table.
Le monstre hurla mais un serviteur arriva pour lui déverser une jarre d'eau bouillante dans la bouche, noyant ses cris.
- Je t'ai assez entendu parler pour ne rien dire, soupira Tadao. Maintenant, je ne veux plus que des réponses claires à mes questions.
Un autre serviteur arrivait, portant une coupe pleine d'aiguilles au bout chauffées à rouge. L'Inquisiteur en prit une, l'examina et dit :
- Nous autres Kuni utilisons notre propre art de l'acupuncture. Il a guéri bien des créatures dans ton genre, de toute velléité de résistance.
"Je te le demande une dernière fois : Où est le Shuten-Doji du Regret ?... Qu'est-il arrivé au clan du Serpent ?
Le monstre, qui recrachait l'eau, ne voulait toujours rien dire. Tadao retira le tison d'un coup.
- Alors, parle !
- Rien ! Tu ne sauras rien !
Des serviteurs prirent les aiguilles brûlantes et commencèrent à les enfoncer. Le monstre se mit à hurler de plus belle. L'Inquisiteur prit un poignard et ouvrit grand la bouche du Shuten-Doji :
- Tu m'excuseras de te couper la langue pendant ce "traitement"... Je sais qu'elle aura repoussé dès demain.
Il fit un effort pour bien enfoncer sa lame pendant qu'un assistant maintenant la gueule ouverte, et il trancha d'un coup sec.
- Il faudra environ une journée pour cette acupuncture, Shuten-Doji... Je reviendrai quand ce sera fini.
Les serviteurs continuèrent à planter les aiguilles et Tadao remonta au palais, où il alla prendre un bain parfumé.
Il déjeuna en compagnie d'ingénieurs de la Muraille, qui le tinrent au courant des dernières attaques et des travaux de reconstruction de la partie ouest. Dans l'après-midi, il vaqua à ses occupations : il reçut plusieurs nobles de la Cité et remplit des papiers. Au coucher du soleil, il reprit un bain puis redescendit dans la salle d'interrogatoire. La chaleur qui y régnait était presque intenable. Sans parler de la puanteur épaisse. Cinq etas presque nus tapaient ensemble à coups de battes sur le corps du monstre. Ils s'inclinèrent devant leur maître et lui annoncèrent qu'ils avaient fini de lui briser les os.
- Il a failli s'échapper de ses liens, maître...
- Oui, il va falloir que je redessine les runes. Elles doivent commencer à perdre de leur puissance.
- Ce ne sera pas utile, maître. Il a fini par parler. Nous avons consigné ses réponses par écrit.
L'Inquisiteur prit le parchemin et le lut.
- Excellent travail, grommela-t-il. C'est tout ce qu'il avait à nous dire ?
- Oui, maître.
- Bien, alors éloignez-vous, je vais terminer la besogne.
L'Inquisiteur tendit les mains devant lui et invoqua un tetsubo qui luisait d'une aura de jade. Il le soupesa et s'approcha du Shuten-Doji, plus mort que vif.
- Nos épreuves touchent à leur fin. Tu vas pouvoir repartir d'où tu viens.
Tadao leva bien haut son arme et fracassa le crâne du monstre. Il y eut un jaillissement d'éclats de jade brûlants, qui giclèrent dans la pièce et s'écrasèrent à terre.
Puis l'Inquisiteur étendit les mains au-dessus du corps du supplicié et invoqua un rituel de bannissement. Des flammes vertes embrasèrent le corps et le consumèrent rapidement. La dépouille partit en une fumée âcre et poisseuse, qui partit par le conduit de la cheminée.
L'épaisse crasse s'envola au-dessus de la Cité. Ceux qui vivaient à la Carapace et autour surent que l'Inquisiteur Tadao en avait terminé avec un de ses interrogatoires.
- Vous avez bien travaillé, dit l'Inquisiteur. Vous aurez une bonne prime pour que vos familles n'aient pas à s'inquiéter de l'hiver.
Les assistants se retirèrent, tandis que d'autres etas arrivaient pour nettoyer cette espèce d'antichambre de l'enfer. L'Inquisiteur ne se priva pas d'aller prendre un autre bain !
Yatsume arrivait en vue de la Cité des Mensonges. Elle avait voyagé seule en évitant les grandes routes. Elle était passée inaperçue au milieu des terres de son ancien clan. Elle avait vécu presque comme une sauvage, à la lisière des bois. Elle avait su écarter quelques bandits de grands chemins qui la prenaient pour une proie facile. Ce matin-là, elle voyait enfin les murailles grises de la capitale des Scorpions. La brume se déchirait lentement, percée par le soleil. Yatsume s'assit en haut d'une colline, car elle attendrait l'agitation de la matinée pour se faufiler en ville. La Cité était encore froide de la nuit, et seuls quelques samuraï matinaux et les boulangers étaient déjà debout. L'herbe était humide, et du bois d'où sortait Yatsume, on entendait le crissement des animaux qui s'éveillaient. Le soleil se hissait dans le ciel, silencieux, derrière la Cité et réchauffait déjà la grande plaine.
Yatsume surveilla les chemins, assise le naginata planté à côté d'elle. A l'intérieur de cette Cité se trouvait l'asile où elle avait été confinée par son clan. Les Bayushi qui avaient profité de sa terreur devant la mort de son mari pour l'en accuser. Elle n'avait eu aucun mal à croire qu'elle l'avait tué, car elle le voulait depuis des mois.
Elle avait vu son mari s'enfoncer peu à peu dans la folie, dévoré par le mal de l'Outremonde à cause de ses recherches dans les arcanes de la maho. C'était l'ignoble pennagolan maho-tsukaï, Yumi Iro, qui avait répondu aux appels de son mari... Et l'horrible créature avait encore eu le culot d'affirmer que ce n'était pas lui l'assassin... Ni lui, ni Yatsume... Avant de mourir, il avait dit que c'était quelqu'un d'autre, qui l'avait fait "par amour"... Quelqu'un qui aimait Yatsume et qui avait frappé à sa place ?
Si ce troisième homme n'avait pas agi, c'est Yatsume qui l'aurait fait, de toute façon. Qu'est-ce cela changeait, tant son intention de le faire était forte ?... C'est pour cela qu'elle avait sombré dans la folie. Parce qu'elle avait tellement prévu de tuer son mari qu'elle en était presque aussi coupable que l'assassin réel.
Seulement, il y avait plus, et cela, même Yumi Iro l'ignorait. Pour l'apprendre, Yatsume avait dû plonger dans le donjon de la nécropole... Et ce n'est que récemment qu'elle avait retrouvé ses souvenirs sur ce voyage... Le chat qui l'avait guidée dans l'Outremonde jusqu'au pied de la Muraille, après un passage parmi le monde des morts... Et avant cela, Yatsume s'était rappelée être passée dans un vaste monde, une plaine infinie, vert-de-gris, sous un ciel éclatant de cent tonnerres... Partout des grondements et des roulements, dans le ciel et sur terre.
Yatsume s'était vue, ressortant du donjon, courir jusqu'à une hauteur, pour éviter le fracas de deux immenses armées spectrales, semblables à un typhon de fantômes et de carcasses de zombies, qui allaient se rentrer dedans. Elle avait pu s'écarter au dernier moment, juste avant que les deux armées, qui semblaient plus nombreuses à elle deux que tout un clan, commencent à engager une bataille gigantesque, où il y eut des soulèvements, des vagues et des reflux de soldats enragés. Au bout de longues heures, épuisés, les guerriers encore debout se retiraient et se dispersaient... En quelques pas, ils avaient disparu comme des esprits. Il en restait des milliers à terre, à perte de vue, et Yatsume avait marché parmi cette plaine jonchée de corps.
Et un mourant l'avait appelée. Elle avait approchée sur ses gardes et avait tressailli : c'était son mari qui l'appelait !
Il avait enlevé son masque de bataille et tendait faiblement le doigt vers elle.
- Écoute, lui dit-il, d'une voix qui ne semblait pas venir de sa bouche, c'est bien moi, Yatsume... J'ai été précipité dans ce monde pour mes fautes... Pour expier mon comportement. Je me suis déshonoré, Yatsume, et je t'ai précipité dans la folie... Ici, je ne peux presque ressentir aucun sentiment. Je ne suis qu'un pantin qui doit se battre, encore et encore...
Yatsume vit alors qu'il s'enfonçait peu à peu dans la terre. Elle lui prit la main, voulut tirer, mais sentit que c'était inutile. Elle pleurait, agitée par les sanglots et voulait empêcher l'inéluctable :
- Reviens, reviens...
Elle entendait à peine ses propres cris.
- Tu n'appartiens pas à ce monde, Yatsume... Tu ne peux rien changer à son cours... Quelle folie tu as eu de vouloir entrer dans le Toshigoku (Royaume du Massacre) !
- Je voulais te revoir ! J'ai entendu ta voix !
- Qui ne gémit pas, dans ce monde ?... Toi, tu ne peux rester là ! Tu vas repartir, regarde...
Sa poitrine avait disparu dans le sol, ainsi que ses jambes. Il désignait un chat blanc, assis à quelques pas, qui se léchait les pattes.
- C'est un ami à moi... Je n'aurai pas le temps de t'expliquer... Suis-le, il te ramènera chez toi... chez nous...
Yatsume tirait de toutes ses forces mais elle sentait qu'elle allait arracher le bras de son mari ! Celui-ci l'agrippa au poignet :
- Écoute...
Son bras avait presque disparu sous terre. La tête et le cou dépassaient encore.
- Quand tu étais à l'asile... "Ils" ne t'ont pas dit, Yatsume... Mais avant que tu ne t'évades, tu as mis au monde... un enfant, une fille...
Terrifiée, Yatsume recula. Elle toucha son ventre, et vit son mari finir de disparaître. Les corps autour s'enfonçaient dans la terre. Yatsume fut bientôt seule avec le chat au milieu de la plaine, tandis que des grondements au loin annonçaient qu'une autre bataille se préparait.
Yatsume tomba à genoux, à bout de forces. Le chat s'approcha d'elle et miaula. Celle-ci le caressa et il regarda Yatsume ;il fit mine de s'en aller. Notre héroïne se releva et le suivit. Ils coururent pour éviter le prochain déluge d'esprits guerriers voués à des combats éternels. Ils entrèrent dans une grotte, au pied d'une grande montagne rouge et trouvèrent un chemin étroit qui descendait en pente raide.
- Tu mettras un bandeau sur tes yeux, dit le chat à Yatsume en lui parlant dans sa tête, car si tu vois le monde des morts où nous allons, tu en resteras prisonnière à jamais...
Des marchands arrivaient à la porte du dragon. Yatsume apercevait l'étang de l'honneur noyé, autour duquel était bâtie la Cité. Le soleil se mirait déjà dedans et les habitants sortaient peu à peu de leurs maisons. La ville prenait des couleurs dans la lumière et grâce à ses habitants. Les principaux ponts de la Cité seraient complétement encombrés dans moins d'une heure. Yatsume but à sa gourde, finit quelques fruits qu'elle transportait dans sa besace, puis descendit de la colline et se mêla à la foule qui avançait sur la route pavée.
Elle ne fut pas étonné de mettre plus de la moitié de la journée à traverser la ville. Elle ne fit pas d'esclandre et attendit son tour pour passer, anonymement. Elle s'arrêta dans une auberge du quartier des marchands puis reprit son trajet pendant les heures chaudes. Elle connaissait bien la Cité et savait que la sieste y était un rituel presque sacré !
Le soleil frappait impitoyablement quand elle arriva à l'entrée du quartier des temples. Yatsume retrouva la petite au fond de laquelle était entrée de l'asile. Une vieille grille, mal fermée. Derrière, un petit parc mal entretenu, avec des herbes folles et quelques "habitants" des bâtiments qui déambulaient dans les allées.
Yatsume poussa doucement la grille et l'écouta grincer, puis racler les cailloux de l'allée.
Elle fit quelques pas prudents. Des grillons crissaient dans l'herbe. Un petit serpent disparaissait dans son trou. Les pierres brillaient à la lumière.
Notre héroïne s'avança en se protégeant le visage de sa main. Elle entendit alors ricaner. Elle vit près d'elle, assise sous un gros cerisier, une vieille femme à la peau épaisse, cuivrée et plissée. Ses tout petits yeux moqueurs disparaissaient dans les rides de son gros sourire, qui partait de son énorme bouche édentée.
- Toi, je te connais... Toi, je te connais.
Yatsume avait sursauté. Elle planta fermement son naginata à côté d'elle :
- Qui es-tu ?
- Toi, je te connais... Tu étais ici, hein !
La petite vieille avait un gros tas de cerises à ses pieds. Elle les dénoyautait patiemment et les jetait dans un panier. Parfois, elle en croquait une, gourmande.
- Qui es-tu, vieille femme ?
- Tu étais ici... Tu avais une poupée dans le ventre, toi !...
Elle ricana et croqua une autre cerise. Puis elle en fit tomber trois dans son panier.
- Qu'es devenue ma fille ? Réponds !
- Je ne sais pas moi... Non, je ne sais pas...
La petite vieille, qui avait un sourire presque figé, devint soudain très timide et baissa la tête. Notre héroïne voulut trouver quelqu'un de sensé pour lui répondre.
Elle traversa le jardin et reconnut le pavillon où elle avait été enfermée. Elle frissonna. Elle revoyait surtout cette nuit hiver d'il y a six ans, quand elle s'était enfuie. Elle entra dans le pavillon, celui des femmes, et reconnut la porte au fond du couloir, sa cellule. C'était là que sa fille était née.
Le parquet grinça ; Yatsume se retourna : elle vit la patronne de l'asile ! Elle se souvenait de l'affreuse mégère !
Elle revit aussi les Scorpions qui venaient lui rendre visite. Qui profitaient des faiblesses de la patronne pour se payer une descente crapuleuse chez les folles ! Tout lui revenait d'un coup.
La femme effrayée, venait de reconnaître Yatsume : elle voulut s'enfuir mais notre héroïne, rapide comme un courant d'air, l'empêcha de ressortir en se plantant devant elle :
- J'ai à te parler ! Tu sais qui je suis, alors ne perdons pas de temps !... Je veux savoir où est ma fille !... Vous me l'avez enlevée quand elle est née ici !
- Pitié, dit la vieille femme.
Yatsume l'avait attrapée par le col et la mit à genoux :
- Réponds-moi ! Ma fille !
- Nous l'avons envoyée, sanglota la vieille femme.
- Où ça ?... où ?
- Au temple de la fortune de la Charité. Ils recueillent... les enfants abandonnés...
- Où est ce temple ?
- A l'ouest d'ici, sur la route de la province Soshi...
- J'irai là-bas, vieille femme, et j'espère que tu ne m'as pas menti !
- Vous devez partir... Vite, car ils vont arriver...
On entendit la grille grincer et racler le sol. Yatsume lâcha la patronne et sortit, le naginata en mains. Quatre samuraï entrèrent, qui portaient les couleurs de la famille Bayushi ou Shosuro. L'un d'eux avait un bandeau qui lui barrait le visage au niveau du nez ! Yatsume se souvint de son coup de mâchoire ! Elle eut à nouveau le goût du sang dans la bouche.
D'une voix nasillarde, mais fou de rage, ce Shosuro "Néanmoins" s'avança : il l'avait reconnue ! Il tira son sabre et ses amis l'imitèrent.
- Tu es vraiment complétement folle ! Tu as osé revenir ici !
Yatsume ne dit rien et se mit en garde.
Ils étaient quatre, deux Bayushi, deux Shosuro. Même si elle se débarrassait d'eux, ce qui était improbable, le bruit de leur combat alerterait une patrouille, puis bientôt la ville entière !... Ils étaient certes dans un endroit isolé, dans une heure creuse de la journée, mais cela ne suffirait pas.
Les quatre Scorpions avançaient lentement. La patronne s'enfuit, pendant que la vieille, au pied de son arbre, ricanait gentiment.
Et la patronne allait donner l'alarme !
Yatsume s'enfuit. Elle savait qu'il y avait une autre sortie à l'autre bout du parc !
Les quatre Scorpions lui coururent après... Deux la rattrapèrent, elle dut faire face : elle en lacéra un, évita le coup de sabre de l'autre ; plusieurs branches tombèrent, et des oiseaux s'envolèrent. Yatsume répliqua et empala le second. Les deux Scorpions tombèrent et notre héroïne reprit sa course. "Néanmoins" était presque sur elle ; il enjamba plusieurs grosses branches, bondit par dessus un fourré et lui sauta dessus en hurlant. Yatsume se jeta de côté et dévia deux coups meurtriers, de justesse. La lame du Shosuro se planta dans un arbre et Yatsume repoussa son ennemi d'un coup de pied. Le Shosuro repartit à l'attaque ; Yatsume fut la plus rapide, et lui transperça la gorge. Elle voyait arriver le quatrième ; elle retira sa lame de "Néanmoins", puis courut vers un pavillon pour les vieillards. Elle traversa le couloir, paniquée et passa par une fenêtre, roula dans une ruelle, et courut encore... Elle sortit du quartier des temples, arriva dans les rues des menuisiers, essoufflée. Elle n'eut pas le temps de reprendre haleine : elle entendait son dernier poursuivant. Elle reprit sa course, haletante ; elle allait être rattrapée, quand elle entendit une flèche siffler, sortie d'une fenêtre, qui alla se planter dans le crâne du Bayushi !
Elle ne vit personne et courut encore. Elle s'arrêta quand elle fut sur les quais. Elle entra dans une auberge et commanda à boire.
La chaleur était encore plus pesante. Quelques pêcheurs dormaient dans leurs barques. De rares chats bravaient le soleil. Des clients ronflaient au fond de la pièce.
- Une bière...
Yatsume s'assit et respira enfin. Elle ferma et écouta son cÅ“ur battre. Elle était à bout de forces et ne comprenait pas encore comment elle était ressortie vivante. Elle n'était pas encore tirée d'affaire, car elle n'avait pu rattraper la patronne. Elle avait reçu un mauvais coup dans l'aine. Elle se fit un bandage de fortune...
Yatsume ne se connaissait aucun allié dans la Cité ; et il y avait quelqu'un qui avait abattu le dernier Scorpion ! L'esprit de mari ?... L'esprit du chat ?... Elle ne comprenait pas. Elle ne pouvait s'attarder. Elle paya, sortit de l'auberge et alla se perdre dans le dédale des rues des marchands. Elle trouva un apothicaire, qu'elle effraya, et qui lui vendit des onguents. Elle en enduisit sa plaie et repartit. Elle entendit une patrouille de la Garde du Tonnerre qui arrivait dans le quartier. Le palais du Gouverneur était déjà prévenu !
Elle passa la fin d'après-midi à entrer dans des chambres d'auberges miteuses, pendant une heure à chaque fois, ou chez des habitants, puis elle repartait. Elle ne pouvait aller dans les quartiers etas, qui étaient hors des remparts. La nuit vint enfin. Les recherches ne s'arrêtaient pas. Elle passa une nuit très longue, à courir sur les toits, à se cacher, à changer d'auberge.
Au petit matin, fatiguée, elle sut qu'elle devait partir... Elle tenta l'impossible, de se faufiler parmi les premiers marchands à la porte du nord-ouest. Sa blessure la tiraillait encore. Elle réussit à se glisser entre deux charrettes chargées de tonneau. Celles-ci rejoignirent un convoi qui attendait dehors. Yatsume s'allongea sur la route et se faufila vers l'arrière, entre les roues et les pattes des bÅ“ufs, puis descendit dans un fossé.
Elle était libre !
Elle était ressortie vivante de la Cité des Mensonges ! Si elle avait été encore du clan, on l'aurait félicitée pour cet exploit !
A suivre...
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07-10-2009, 06:48 PM
(This post was last modified: 08-10-2009, 11:29 AM by Darth Nico.)
CHRONIQUES DE L'EMPIRE D'ÉMERAUDE
Après leur douloureuse rencontre avec la Grue Noire, la BEC était arrivée chez Sasuke.
- Vous voilà bien arrangés, vous deux ! Asseyez-vous et dites-moi ce qui vous arrive !
Mamoru et Yojiro s'assirent, éclopés.
- Nous sommes tombés sur la Grue Noire...
- On dirait bien que c'est elle qui vous est tombée dessus !
- Ha misère... Nous étions sur une piste excellente, qui nous a menés des repaires des conspirateurs à ce tueur... C'est Maya qui a réussi à s'infiltrer chez eux.
- J'espère que vous êtes fiers de constater qu'elle s'en sort mieux que vous, fit Sasuke, moqueur pour la forme mais quand même intéressé.
Les rônins racontèrent ce qu'ils avaient appris sur la conspiration.
- Le Lotus, ce Cristal... Les choses se précisent... Maya ne s'est pas fait repérer ?
- Non, pas ce soir... Nous-mêmes, nous n'avons pas vraiment été vus...
- Je vous le souhaite, sans quoi la Grue Noire vous retrouvera et vous découpera en sashimis... Allez vous faire soigner et vous reposer.
Il était content d'eux.
Le lendemain soir, Maya terminait sa journée au Chemin magnifique. Le patron s'était promis de s'offrir très bientôt une petite détente à l'horizontale avec sa pulpeuse jeune recrue, mais il était débordé par les affaires et la vie de famille. Si ce n'était pas malheureux !
Les clients avaient afflué et Maya avaient été au centre de l'attention. C'était très bon : la rumeur allait se répandre en ville et bientôt, les gens viendraient en masse pour la petite serveuse.
Maya fit mine de partir, mangea un morceau pas loin et revint à la maison de thé, en s'introduisant au grenier. Les conspirateurs avaient encore une réunion ce soir. Selon le même rituel, ils arrivèrent dans l'arrière-salle, pendant que Maya était allongée, l'œil dans un trou entre les planches. Les conjurés récitèrent :
- Observe et interroge-toi. Connais la voie de ton adversaire et prends le sentier étroit qui te mènera à la victoire...
Notre Ize-Zumi écouta sans perdre un mot des échanges, puis sortit par la lucarne, et fila retrouver les deux rônins au Tatami de papier. Ceux-ci avaient passé la journée à se reposer et ce soir encore avaient une petite mine.
- J'ai du nouveau, dit Maya.
- Ah bon ? décidément, nous avons trouvé un filon !
- Une des samuraï du Serpent est corrompue ! Ils l'ont dit ce soir...
- Tu es certaine ?
- Ha oui, certaine. Ils vont l'utiliser pour s'attaquer à ce clan !
- Elle est corrompue...
Yojiro s'arrêta et baissa la voix :
- Tu es sure qu'elle est souillée ?
- Ils l'ont dit...
Les deux rônins se levèrent, déjà d'accord sur ce qu'ils allaient faire.
- Avertir Sasuke et ensuite, se mettre en planque près de leur temple.
La BEC courut au Palais d'Ivoire, où ils mirent le bras droit de Mitsurugi au courant.
- Bien, vous savez ce qu'il vous reste à faire...
Cette histoire prenait une tournure sinistre. Ainsi, à en croire ces conspirateurs, il y avait bien quelqu'un parmi le petit groupe des Serpents qui avait vendu son âme aux démons... Mais étaient-ce les Lotus qui l'avaient poussée à ça ? Il ne le semblait pas. C'était plus retors... Il était clair qu'ils voulaient s'attaquer aux Lotus. C'est ce Nuage qui avait intérêt à leur destruction. Or, ce Nuage ne partait pas de rien : il devait vraiment y avoir des membres corrompus parmi les Serpents...
La BEC se mit en planque près du palais des Phénix, du côté du mur derrière lequel se trouvait le temple des Serpents. Cela tombait bien, c'était une rue animée jusque tard le soir, où nos héros n'eurent pas de mal à trouver une terrasse animée.
- Une bière, dit Mamoru.
- Deux.
Les deux rônins se relayèrent pour tourner près du palais, pendant que l'autre guettait depuis la terrasse. Il y avait encore une fête ce soir-là, les Yasuki poussant à célébrer n'importe quelle petite divinité pour capter tous ces sous qui traînent dans les poches des consommateurs. Les gros marchands auraient aimé, à la limite, des festivités perpétuelles, où les samuraï dépenseraient sans compter tous ces kokus qui n'avaient, pour beaucoup d'entre eux, presque pas de valeur, mais qui valaient plus que tous les biens du monde pour les marchands.
C'était d'ailleurs un daimyo Yasuki qui avait créé cette monnaie d'échange, quelques décennies plus tôt. Aujourd'hui, les Yasuki en avaient compris tout l'intérêt.
Alors que Yojiro allait commander une troisième bière, la terrasse de sa taverne étant envahie par une processions de danseurs déguisés et masqués, Mamoru revint en courant :
- Elle sort...
Il n'y avait que trois femmes chez les Serpents, et il était curieux d'en voir sortir une à cette heure-ci. Yojiro lança quelques pièces sur la table et suivit son ami. Les talents de pisteurs de nos héros leur permirent de passer inaperçus. Par le passé, ils étaient déjà ressortis vivants d'une nuit dans l'Outremonde !
La shugenja Chuda sortait des quartiers festifs et allait vers les rues des temples ancestraux. Malgré la débauche et le luxe de la Cité de la Pieuvre, il restait encore des lieux de prières, certains rénovés grâce aux généreuses aides des Yasuki, d'autres qui tombaient en ruine. C'est vers l'un de ceux-là que la shugenja se rendait. Elle ne devait pas se douter qu'elle était suivie... Non, vraiment, le seul risque, c'était de tomber sur la Grue Noire...
La Chuda n'entra pas dans un des temples, mais dans une bâtisse à côté, qui avait dû servir de maison pour un prêtre. Nos deux héros se postèrent au coin de la rue, puis approchèrent accroupis. Ils s'assirent juste sous le rebord de la fenêtre.
- Elle dit quoi ?
Mamoru haussa les épaules.
Elle avait allumé des bougies. Un coup d'œil de Yojiro : elle avait disposé les bougies en cercle et elle se déshabillait lentement en dansant entre les flammes. Mamoru surveillait la rue :
- Il se passe quoi ?
- Rien, rien, dit Yojiro. Elle, euh...
- Laisse-moi voir...
La Chuda était presque nue. Grognon, Yojiro se rassit et Mamoru put se rincer l'œil à son tour :
- Je connaissais pas ce genre de rituels magiques, nota le rônin. On peut y participer tu crois ?
Soudain, Mamoru frémit : ce qui était moins excitant, c'est que la shugenja commençait à se tailler les veines, à répandre le sang sur des glyphes tracées à terre, et que de la bave noirâtre sortait de ses lèvres.
Elle se mettait à trembler et la fumée des bougies devenait verdâtre. Du sang commençait à suinter des murs. Les rônins se précipitèrent vers l'entrée !
- Remboursez le spectacle ! murmura Yojiro.
Les deux rônins entrèrent avec fracas dans la maison, en défonçant le panneau et ils se jetèrent sur la shugenja, sabres en avant : celle-ci n'eut pas le temps de se battre, qu'elle fut proprement ligotée. La fumée était épaisse et puante. Yojiro prit une vieille tenture au mur et en flanqua un gros sur les bougies, les recouvrant et les étouffant, pendant que Mamoru liait solidement la shugenja et lui mettait un sac sur la tête, et les deux gros bras l'emportèrent en courant.
- Par ici ma jolie !
Haletants, ils durent faire plusieurs détours pour arriver au palais d'Ivoire. La shugenja gémissait, se débattait. Il fallut l'assommer et la transporter comme un sac à patates !
Nos deux délicats livreurs arrivèrent à la porte du palais des Lions. C'est Mamoru qui se présenta, sifflotant l'air de rien, pour voir Sasuke, pendant que Yojiro se cachait dans une ruelle en surveillant le colis. Quand le shugenja arriva à la porte de derrière, les deux rônins entrèrent et emmenèrent la Chuda au sous-sol des interrogatoires.
On l'attacha au mur et on lui jeta un seau d'eau pour la réveiller.
La Chuda, tenue aux chevilles et aux poignets, avait les traits difformes ; son visage prenait peu à peu un aspect démoniaque. Ses muscles se raidissaient et sa peau saignait en plusieurs endroits. Elle rugit, se débattit, et une bave rouge coulait de sa bouche.
- Laissez-moi !
Sa voix sortait d'outre-tombe.
- A quel démon as-tu versé ton sang ? demanda Sasuke.
- A mon seigneur, le Shuten-Doji !
- Celui du Regret ?
- Oui ! Lui qui vous détruira tous !
- Tout ton clan vénère ce monstre ?
- Nous serons son avant-garde pour marcher sur votre Empire ! Nous serons les premiers à déclencher un bain de sang ! Les moissons d'automne seront des moissons d'âmes !
L'Inquisiteur Kuni Tadao arrivait. Il eut à peine un tremblement de lèvres en découvrant la shugenja attachée, et qui rugit de plus belle. Sasuke avait tracé des glyphes dans la pièce.
- L'interrogatoire du Shuten-Doji de la Honte est fini, annonça-t-il.
- Et celle-ci nous mènera à celui du Regret, dit Sasuke.
- Où est ton maître ? dit Tadao.
- N'allez pas le chercher ! Il viendra à vous !
- Qui d'autre dans ton clan est corrompu ?
- Tout le monde sera bientôt un serviteur de mon seigneur !
- Qui vous a corrompus ?
- Personne ! C'est vous qui êtes aveugles...
- C'est faux, dit Sasuke. Quelqu'un a réveillé le Shuten-Doji et a poussé ton clan à le vénérer !
Elle saignait de plus en plus. Ses yeux devenaient des braises, sa peau se couvrait de cloques.
Tadao fit signe que ce n'était pas la peine d'insister. La rage du démon consumait la shugenja, dont il n'y aurait rien à tirer.
Sasuke fit signe aux rônins de briser ses chaînes : ils donnèrent un coup de sabre, et la Chuda voulut sauter sur Sasuke, mais elle mit le pied sur une glyphe de destruction, et des flammes la happèrent, et la consumèrent rapidement : elle partit dans un dernier cri qui se perdit en gémissements, et de la cendre vola dans toute la pièce.
Nos héros ressortirent en toussant, tandis que des etas se précipitaient avec des seaux d'eau dans la pièce.
Le ssamuraï remontèrent dans les appartements de Sasuke.
- A présent, les conspirateurs du Lotus vont savoir que nous les espionnons, dit Tadao. Maya est peut-être en danger.
- Si elle est prête à continuer, il faut courir le risque, dit Sasuke. C'est une source d'informations trop précieuses. Et dans l'absolu, nous sommes capables de trouver un maho-tsukaï sans l'aide du Lotus, n'est-ce pas ? Nous avons pu la découvrir de nous-mêmes...
- C'est juste, dit Tadao. Et Maya n'est pas sous mes ordres... Mais par les Ancêtres, quels risques elle prend ! Et quels risques ont pris vos rônins pour arrêter cette maho-tsukaï.
Sasuke regarda l'Inquisiteur de son petit air fier : c'était comme ça que ça se passait avec les Lions ! On n'en attendait pas moins de ceux qui servaient le clan !
Sasuke fit servir une collation pour ses invités. On but un verre en silence.
- Comme je vous l'ai dit, j'en ai terminé avec le Shuten-Doji de la Honte... J'ai obtenu ses confessions.
L'Inquisiteur sortait un rouleau de parchemin de son kimono.
- En deux mots, il m'a donné l'endroit où son "supérieur", le Shuten-Doji du Regret se terre... Même chez les démons, il existe une hiérarchie, et ce démon a trahi son général...
- Où est-il alors ?
- Le Shuten-Doji du Regret n'est pas dans notre Empire. Il est pourtant bien dans le ningen-do [le monde des vivants], mais au-delà de nos frontières.
Pour les samuraï, qu'il y ait un monde au-delà de Rokugan ne présentait pas la moindre espèce d'intérêt. Ce ne pouvaient être que des étendues immenses et vides, peuplées de bêtes sauvages et de sous-hommes sans honneur.
- Il se trouve dans un lieu appelé les Royaumes d'Ivoire par les quelques marchands qui se sont aventurés là-bas.
Sasuke écoutait, assez indifférent.
- Et comment va-t-on là-bas ?
- Il y a deux routes, dit Tadao. Une longue et une courte. La plus longue est aussi la plus sûre : c'est par la mer, plein sud puis vers l'ouest, en longeant les côtes. Mais préparer une telle traversée et l'accomplir demanderait des mois.
- Et la route plus courte ?
- Par la terre. Et la plupart du trajet nous est connu, ou presque... Ce sera moins long à mettre sur pied : l'affaire de quelques jours. Mais il faudra passer par l'Outremonde...
- Je vois...
Tadao déroulait une carte du sud de l'Empire.
- Les Royaumes d'Ivoire se trouvent au sud-ouest de nos terres. D'après les quelques notes de voyageurs dont nous disposons, ce sont des forêts épaisses, très humides, peuplées d'hommes à la peau sombre, dont certains sont forts riches et vivent dans des palais. Des seigneurs très puissants, qui ont des bêtes sauvages près d'eux et entretiennent des armées nombreuses. Mais ces différents seigneurs sont séparés les uns des autres par cette jungle dont je vous parlais. Le repaire du Shuten-Doji du Regret se trouverait en pleine forêt, là où presque aucun ne va...
- Et comment arrive-t-on là-bas ?
- Nous devrons franchir la Muraille vers son extrémité ouest, ensuite partir plein sud dans l'Outremonde. Nous devrons trouver une rivière qui suit un axe est-ouest, et bifurquer vers l'ouest. Là, de l'Outremonde, nous devrions passer dans leurs forêts humides.
- Il y a au moins une différence ?
- Vraisemblablement, oui. Les Royaumes d'Ivoire appartiennent à des barbares mais pas à des démons.
- C'est déjà ça.
- Je ne veux pas attendre que le démon du Regret viennent nous rendre visite. Je veux aller le chercher et le détruire là-bas.
- Et s'il avait déjà soumis ces barbares des Royaumes d'Ivoire ?
- On ne sait rien à ce sujet.
- Vous monterez une expédition nombreuse ?
- Une cinquantaine d'hommes d'élites, qui ont déjà pénétré dans l'Outremonde et ne craignent pas l'inconnu.
- J'en serai, dit Sasuke.
- C'est dans l'ordre des choses, dit Tadao. Votre ambassade a été nommée palais d'Ivoire car elle abritait jadis une statue taillée dans la défense en ivoire d'un animal énorme de là-bas, un "éléphant". Mais c'est une autre histoire...
- Quand il sera revenu, je demanderai à l'ambassadeur Mitsurugi s'il veut se joindre à nous. Je suis assez sûr de sa réponse.
- Je ne peux exiger d'un ambassadeur qu'il risque sa vie hors des frontières de Rokugan.
- Un ambassadeur ne doit pas craindre de voyager en pays étrangers.
Les deux hommes trinquèrent. Tadao se tourna vers les deux rônins :
- Vous en serez, vous deux ?
Ils haussèrent les épaules :
- Hé, pardi !
Ils n'avaient rien de prévu pour les prochains jours !
A suivre...
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07-10-2009, 09:34 PM
(This post was last modified: 07-10-2009, 09:34 PM by baronpiero.)
La BEC se rince l'oeuil
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Ha ha juste récompense après la rencontre avec la Grue Noire
 Gronico
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