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Dossier #4 : L'Inconnu dans le manoir - Gaeriel - 19-10-2007 c bon le résumé ![]() Et la suite de toutes ces aventures c pour demain!!! Dossier #4 : L'Inconnu dans le manoir - sdm - 20-10-2007 Il est parti pour faire un résumé de 30 pages le gronico là ![]() Dossier #4 : L'Inconnu dans le manoir - Darth Nico - 20-10-2007 Sur Word, j'en suis déjà à plus de 40 ! ![]() Dossier #4 : L'Inconnu dans le manoir - Guest - 25-10-2007 DOSSIER #4<!--sizec--><!--/sizec-->
Novembre reçut de Portzamparc dans son bureau. - Il se passe quelque chose de pas clair dans ce manoir. Et ils n’ont pas l’air de réaliser ! - Les enfants Whispermoor sont de braves gamins, mais ils vivent dans un milieu protégé. Que la banque s’en prenne à leur père, cela leur paraît à peine imaginable. Il va falloir qu’ils grandissent, et vite. - La moindre emmerde là-haut, dit Portzamparc, et l’effet s’en fera sentir sur tout le quartier. - Cette affaire te tient à cœur, on dirait. Mais pour le moment, il n’y a rien de précis. - J’ai juste une piste à vérifier. - Fais donc. Le détective se rendit dans le bureau de Rainier, de la Scientifique. - Bonjour. J’aurais un échantillon à faire analyser. - Que cherchez-vous ? - Je ne sais pas bien. C’est de la boue. Rainier prit le sachet et l’examina à la lumière. - A première vue, je dirais que l’assassin est blond, gaucher et qu’il souffre de migraines chroniques. Mais avec des analyses plus poussées… - Tenez-moi au courant dès que vous avez du nouveau. Portzamparc alla à son bureau, prendre quelques notes sur la matinée. Il ne fit même pas attention aux dossiers empilés par Priscilla. Il mangea en vitesse, le midi, toujours à sa table. Ses collègues notèrent combien il était absorbé dans son travail. On n’osa pas le déranger. En début d’après-midi, il sortit enfin la tête de ses papiers. Il avait l’air soucieux. Il entendit Maréchal lui souhaitait une bonne fin de journée. Mais cette voix était lointaine. Ce n’est qu’après le départ de son collègue qu’il réalisa que ce dernier partait plus tôt que d’habitude. - Il a accumulé tellement d’heures supplémentaires, expliqua Rampoix, que Novembre lui a donné son après-midi. Portzamparc regarda l’horloge murale. Il en avait encore jusqu’au soir. Il lui tardait de repartir au manoir. Mais il avait des affaires courantes à expédier ici. * Maréchal se trouva quelque peu désorienté d’avoir sa fin de journée. Il y avait si longtemps ! Mais il avait quand même sa petite idée… Il repassa chez lui se changer. Il regardait régulièrement sa montre, comme on surveille un petit enfant qui dort. Oui, elle était encore bien là. Elle allait bien. Il nota que l’aiguille rouge du cadran SHC était passée sur 4. Et ce, après être restée immobile des heures. Il appela, au parlophone de la concierge, les renseignements téléphoniques, et attendit qu’on le rappelle. Il fallut attendre une heure. - Monsieur Maréchal ? - Lui-même. - Le renseignement que vous avez demandé, répondait la voix de l’hôtesse, est arrivée. - Je note. - 452, avenue Belastre, quartier des Oublies. Parlophone 23-64. - Je vous remercie. Ce n’était pas si loin de chez lui. Il attrapa le tramway E et s’assit dans la rame, déserte à cette heure. Le temps était dégagé. Il y avait un beau clair de Forge, qui nimbait les bâtiments d’acier d’un halo blanc. Il descendit aux Oublies, place du Commandant Respire, et finit à pied. Il passa près des serres appartenant au ministère des Affaires Forgiennes. Puis il trouva, dans la petite avenue Belastre, le jardin d’acclimatation agronomique, et sa galerie du vivant. L’endroit était presque vide. Un groupe d’étudiants en biologie sortaient des laboratoires en riant. Dans l’amphithéâtre, un professeur rangeait ses affaires. A côté, dans la galerie, on voyait, par la vitre opaque, le conservateur achever la visite par la présentation d’un squelette de Mucosaure géant. On se sentait dans un monde un peu à part, dédié uniquement au grand sérieux de la science et de l’étude du passé de la lune. Il régnait une certaine solennité. Maréchal entra dans la galerie. Dans un coin, sur son siège, un guide somnolait. Un balayeur sifflotait en ramassant les mégots des derniers visiteurs. - … et c’est ainsi que s’achève notre visite qui, je l’espère, vous aura permis d’avoir un aperçu de cette fabuleuse histoire qui… On applaudissait le conservateur, un homme dans la force de l’âge, avec une grosse barbe et des favoris broussailleux, pénétré de la dignité de son sujet. Maréchal s’avança : - Monsieur le conservateur ? - Oui, monsieur ? - J’aurais aimé avoir une conversation avec vous. L’inspecteur montra sa plaque. Il n’était pas trop fier d’en user : sa démarche était-elle bien avec sa mission de policier ?... Surpris, mais sans broncher, le conservateur l’amena à son bureau. Au départ, il devait être grand. Mais entre les meubles, les étagères de bibliothèque, les vitrines d’os et de pierres, et les piles de gros volumes, il ne restait presque plus d’espace pour circuler. Le conservateur alluma une grosse pipe et mit en route son poêle. - Que pourrais-je donc faire pour vous ? - Voilà, ma démarche est un peu spéciale… Je suis venu vous demander un avis d’expert. - Je vous écoute. - J’aimerais savoir de quel animal peut venir ceci… Hésitant, Maréchal sortit de la poche de son imper une serviette, l’ouvrit, et en sortit la plume bleue, emballée dans du papier. Il la déposa précautionneusement sur le bureau. Le conservateur déposa sa pipe dans un cendrier sur le rebord de la fenêtre, chaussa ses lunettes et examina la trouvaille du policier. Il observa attentivement, sans rien dire. Maréchal était dans ses petits souliers. - Intéressant, finit-il par dire. Il alla vers sa bibliothèque et, sans hésitation, parmi des dizaines de volumes d’histoire naturelle, aux tranches identiques, sortit le bon et le posa sur son bureau. Cela fit un beau dégagement de poussière. Et autant quand il ouvrit les grosses pages, couvertes de textes et de planches illustrées. - Voyons cela… Il prit sa loupe pour examiner encore la plume, puis comparer avec les illustrations. Maréchal jetait discrètement un œil : il cherchait du côté des grands rapaces. Puis des races disparues. Contrarié, surpris, le conservateur reprit sa pipe, la ralluma, feuilleta encore. Rangea son volume et en sortit un autre. - Il me semblait pourtant avoir vu cela… Les recherches n’aboutirent pas plus. - Très intéressant… Maréchal attendait en fumant. Maintenant que la machine était lancée… - Vraiment intrigant… Il n’y eut, sur de longues minutes, que le bruit des pages qui se tournent, de la pipe qu’on fume, des remarques à mi-voix du conservateur. - Puis-je vous demander où vous avez trouvé cette plume, inspecteur ? - Dans le quartier de la Jointure. - Vous pensez que c’est une vraie ? - J’ai cru voir la créature d’où elle est tombée. - Vraiment ? Les yeux du scientifique s’ouvrirent plus grand. Sa surprise était sincère. - Et à quoi ressemblait-elle ? - Pas tellement à un oiseau. Plus grande… J’ai juste vu une traînée bleue… Le conservateur sourit, d’un air malin, et alla reposer son gros volume. Il n’en avait plus besoin. Il alla dans un autre rayonnage, coincé entre un placard et le mur, et y prit un petit volume noir aux liserés dorés. - Peut-être aurons-nous la réponse dans ceci. Maréchal lut : « Encyclopédie de l’occultisme. Abrégé de mystique et d’étrangetés. » Dubitatif, le policier laissa son interlocuteur chercher. - Nous y voici, sourit le conservateur. Il avait perdu son air de savant plein d’assurance. Il avait pris une mine de conspirateur. - Est-ce que cette créature ressemblait à ceci ? Maréchal observa la double page : au fusin, des croquis, schémas, études anatomiques d’une créature humanoïde pourvue de larges ailes dans le dos. Un individu mâle et une femelle étaient représentés. - Ma foi… Oui, peut-être bien… Je l’ai à peine aperçue, à vrai dire, cette créature… - Mais cela pourrait être elle ! - Oui, pourquoi pas… - Oh, bien sûr, la véracité scientifique de ses dessins n’est pas prouvée… Maréchal l’aurait compris seul… - Cependant, il est parfois bon de recourir à ces ouvrages… marginaux, mais parfois fort instructifs… - Vous pensez que de telles créatures vivent en Exil ? - Ce n’est pas impossible, inspecteur. Pas impossible du tout… Maréchal crut qu’on se moquait un peu de lui… - Ces observations datent d’une vingtaine d’années. Mais on dit que ces hommes ailés ne se montrent qu’aux… marginaux, justement, de notre Lune. Les vagabonds, certaines sectes, les enfants des rues… - Bien… L’inspecteur ne se sentait pas très avancé. - Je vous remercie pour votre temps, monsieur. - Si j’ai pu vous être d’une quelconque utilité… - Je l’espère. - Tenez-moi au courant de vos découvertes. * Maréchal repartit chez lui, par le chemin des écoliers. En rentrant, il reçut un appel du commissariat : - Antonin ? Excuse-moi de te déranger. C’était Novembre. - Juste pour te dire que je voudrais que tu ailles, demain, au manoir Whispermoor, avec de Portzamparc. - Entendu, chef. Maréchal monta chez lui. Il s’assit, songeur, et finit par réaliser qu’il était immobile, sur le bord de son lit, alors qu’il avait entrepris, au départ, de se déchausser. Il jeta un œil à sa montre : SHC était sur 3. Cela l’intriguait trop. Il se mit à son chromatographe. Il passa une partie de la soirée à pianoter et à régler le commutateur, pour trouver quelques informations potables. Les aiguilles de l’écran s’agitèrent fébrilement, de longues heures durant. Mais il ne trouva pas d’information sur les initiales SHC, ni sur les autres. C’était rageant. Et il n’avait pas envie de dormir. Nerveux, il tourna en rond chez lui, s’affaire à du ménage, du rangement. Il lui semblait que la nuit, bleu foncé, vivait et l’appelait. Il y avait quelque chose d’obsédant, de lumineux, dans les ténèbres brumeuses d’Exil. Il faisait clair comme jamais sur la lune. Maréchal enfila son manteau et se mit à marcher. Ses déambulations nocturnes le menèrent, prisonnier d’une extrême solitude, vers le quartier de la Jointure. Il n’y avait plus rien à voir dans l’impasse de Vilnius. Il attendit, sous le réverbère de l’autre soir ; il fuma une cigarette, dont la fumée alla danser dans le halo humide au-dessus de lui. Il attendit, et vit une silhouette se déplacer, sur le toit d’en face. Il vit un rat descendre, crisser, et le gamin apparaître à son tour, au coin de la rue. - Mon chef accepte de te voir, fit le farouche enfant. - Très bien, je te suis. Ils traversèrent les rues marchandes à proximité, puis bifurquèrent vers une terrasse où poussait un arbre qu’on disait millénaire, qui enfonçait ses puissantes racines, qui soulevaient les pavés, et dont les branches tanguaient dans le vent au-dessus du vide. Une passerelle tremblotait fragile. Le gamin prit un escalier en fer, très raide, qui servait de chemin d’accès pour les mitiers. - Tu suis toujours ? dit le gamin, d’un air de défi. Maréchal ne répondit rien : il suivait. L’escalier descendait en zig-zag, de la terrasse vers un énorme tuyau ronronnant, graisseux. L’enfant se reçut souplement et continua son chemin, vers un enchevêtrement d’aussi lourds tuyaux coudés, reliés ici et là par de petites échelles. Commença une longue descente, périlleuse, par des chemins interminables. Quels liquides pouvaient bien passer sous les pieds de Maréchal ? Régulièrement, on voyait des insignes des services de VOIRIE, avec des repères à trois coordonnées. A mesure qu’on descendait, les bornes se faisaient de plus en plus rares. On croisa alors des panneaux interdisant d’aller plus loin, annonçant un chemin glissant, ou des voies sans issue. En regardant au-dessus de lui, Maréchal ne voyait qu’un dédale écrasant, et en dessous de lui, un dédale semblable. On marcha ensuite le long d’un tuyau horizontal, pendant longtemps, dans une noirceur de plus en plus complète. Le gamin trouva alors un sas d’accès, qu’on actionnait avec une lourde manivelle. Il la fit tourner, et elle grinça affreusement. Il souleva la coque et descendit à l’échelle, au cœur de l’imposant boyau. L’endroit exhalait une odeur d’égout. Les eaux usées qui circulaient provoquaient un écho continuel. La rigole était heureusement encadrée par deux passages à sec. Malgré un sens de l’orientation inné, Maréchal se sentait perdu. Le tunnel déboucha sur une sorte de clairière, où poussaient quelques maigres arbres. Une lumière lointaine pénétrait en ces lieux. Il y avait un large pan de falaise, où étaient creusés des abris troglodytes. Maréchal avait repéré d’autres gamins, qui épiaient depuis leurs niches. Peu à peu, ils descendaient, dans le dos du policier, et se mettaient à la queue leu leu, sifflotant ou marmottant. On était arrivé au cœur du repaire de cette bande. Leur chef était là, sur la grande place de cette étrange colonie, coincée au cœur de la cité d’Acier. C’était un adolescent, plus robuste que les autres, portant des breloques et pendentifs nombreux. Il avait devant lui une marmite sur le feu, dégageant des vapeurs âcres. Le guide de Maréchal s’agenouilla devant son maître, et lui glissa quelques mots à l’oreille, tandis que le chef ne perdait pas cet adulte des yeux. Les autres gamins, dont certains étaient armés de lances ou de révolvers, fixaient aussi leur invité. Il y avait là une vraie petite armée. Et pour peu que ces gamins sussent se battre, ils étaient, potentiellement, un vrai danger. - Montre ce que tu es venu montrer, dit l’enfant guide. Le policier sortit la plume bleue de sa poche. Il sentit un frémissement dans l’assistance. - C’est un signe, dit le chef, avec un accent des rues très prononcé. Un signe que nos alliés les Anges t’ont choisi… ou au contraire… Maréchal ne répondit rien. - Bien sûr, toi, Adulte, tu ne crois pas ce que je te dis. Parce que tu vis dans la Cité des Hommes, au royaume de la foudre domestiquée… Tu sais que tu es le premier depuis longtemps à être admis dans notre communauté. Le prédécesseur avait-il fini à la marmite ? A voir la tête sauvage et rustre de certains, on était tenté de le croire. - Tes chefs, Adulte, ne t’ont pas dit de croire à nos récits. D’ailleurs, vous ne voyez, d’entre nous, que les plus « civilisés », comme celui qui t’a conduit ici. Ceux qui peuvent presque se fondre dans le paysage. C’était étrange. Il parlait avec un accent rude, qui passe pour grossier dans Exil. Mais il parlait avec tant de convictions, avec un vocabulaire si inattendu pour cette langue, que son discours devenait intrigant. Et qu’il était impossible de ne pas le prendre au sérieux. - J’aurais besoin de savoir, dit Maréchal, si un humain recherche les Anges… Pouvez-vous me tenir au courant ? Il avait parlé leur langue. Les gamins y furent sensibles. Ils furent étonnés. Cet Adulte avait-il été des leurs ?... - Nous verrons, fit le Chef, qui n’attendait pas cette question. Maréchal n’avait pu s’empêcher de faire le rapprochement entre ces « Anges » et la menace évoquée à propos du manoir Whispermoor. - Connaissez-vous le sens du sigle SHC ? - Peut-être bien, fit le Chef. - Merci de votre aide. - Tu vas repartir par où tu es venu. Peut-être t’inviterons-nous à revenir. * Le chef se retira, et sa troupe avec lui. Seul resta le guide, qui fit signe au policier de le suivre. Le chemin de retour fut pénible. Il fallait tout remonter maintenant ! Le gamin n’accompagna pas Maréchal tout du long. Après avoir parcouru une bonne partie du labyrinthe de tuyauterie, il donna des indications à « l’Adulte », qui dit qu’il s’en sortirait. Le gamin disparut lestement, en se laissant descendre le long d’une échelle. Maréchal se retrouvait seul, absolument seul, dans le paysage gigantesque des égouts aériens. Un instinct sûr lui indiquait la route, comme une boussole. Mais ce n’était pas le tour de savoir par où aller… Il commençait à fatiguer. Il s’égara une ou deux fois, et sentit un affreux sentiment de panique le guetter. - Tant que je monte, se dit-il… Et il monta. Arrivé en haut, au pied du grand arbre, il était épuisé. Il s’était accroché le pantalon et la veste plusieurs fois. Il était tâché de graisse des pieds à la tête. Il tremblait de froid. Il avait faim. Il avalait l’air tant qu’il pouvait. Son apparence valait bien celle des gamins des rues ! Il ne comprit pas comment il trouva la force de rentrer chez lui. S’il avait croisé un Pandore, il se serait fait embarquer pour vagabondage ! Le chemin lui parut interminable. L’enseigne du Charivari clignotait encore, à cette heure avancée. Des filles entraient et sortaient ; on échangeait de la marchandise. Maréchal passa aux frontières de ce monde interlope, comme un fantôme. Il entra dans son immeuble, et se jeta sur son lit, après avoir enlevé en vitesse ses habits dégoûtants et puants ! Il attrapa à tâtons sa solide amie, la bouteille de « douze ans d’âge ». Il en avala une copieuse rasade, respira, et en rebut. Il s’alluma une cigarette, halluciné, et s’écouta respirer. Il regarda la fumée monter au plafond, dansait et s’évanouir. Sa tête lui tournait, il se sentait tomber en arrière. Ses muscles, en se refroidissant après l’effort, lui tiraient douloureusement. Il eut plusieurs soubresauts nerveux, et finit par tomber dans le sommeil. Il se réveilla le lendemain, avec la gueule de bois et des crampes partout. Il toussait, avait besoin de cracher. Il se traîna au lavabo, se racla la gorge, cracha, et passa sous une douche brûlante. Le monde, de vapeur, d’eau, de carrelage, était gris. Il se sentait misérable, sous le jet d’eau lui rougissait la peau. Il entendit la concierge, qui commençait l’escalier. Il lui cria qu’il ne se sentait pas bien, qu’elle appelle Jouvet ! - Entendu, monsieur Maréchal ! Elle redescendit en bougonnant, comme à son habitude. Maréchal s’allongea et se hâta de boire à sa bouteille, avant que le médecin ne lui interdise l’alcool ! On frappa plus tard. Sûr qu’il n’irait pas au travail aujourd’hui ! Jouvet entra, sa mallette à la main. Il commençait sa tournée. Il alla tout de suite ouvrir la fenêtre, pendant que la concierge arrivait avec de l’eau chaude. Il l’avait recrutée ! Maréchal avait horreur de la voir entrer chez lui. Elle n’attendait qu’une occasion pour ça. Comme bien des locataires ne restaient pas longtemps, et qu’elle passait souvent après eux faire le ménage en attendant les prochains, elle se sentait chez elle presque partout dans l’immeuble. Le docteur remercia la concierge, qui repartit, en bougonnant, nettoyer le palier au-dessus. - Alors, inspecteur, vous avez fait des folies de votre corps ? - Ne m’en parlez pas… - Voyons cela… Jouvet mit son stéthoscope, prit la tension de son patient en comptant à sa grosse montre de poignet. Maréchal avait la nausée. Il aurait bien voulu pouvoir dire à quelqu’un : « Ces gamins m’ont épuisé cette nuit ! Leur repaire est vraiment difficile à atteindre !... » Mais il aurait préféré que ce soit un délire alcoolique. Hélas… - Vous me faites de la tension, inspecteur. Et, sauf votre respect, vous sentez la boisson… Il le palpa ensuite, sur les bras, la poitrine, le ventre… Maréchal toussa, s’agita. - Arrêtez, docteur, ordonna-t-il, ou moi, je vous arrête ! - Non, c’est moi qui vous arrête, fit calmement Jouvet en rangeant son stéthoscope. Oui, je vous arrête pour deux jours au moins. Dans votre état, vous seriez la risée des truands de Mägott Platz. Maréchal soupira. Tant pis pour son aide à Portzamparc : le détective irait seul au manoir ! Dossier #4 : L'Inconnu dans le manoir - Guest - 28-10-2007 DOSSIER #4<!--sizec--><!--/sizec-->
- Bon, dit Novembre en raccrochant, voilà que Maréchal est arrêté pour deux jours ! Il savait que l’inspecteur n’était pas un tire-au-flanc. Derrière ses airs las et paresseux, il remplissait largement ses obligations, et ne comptait pas ses heures quand une enquête le requérait. Ses airs d’indifférence étaient comme un masque pour son engagement sincère dans son travail. Portzamparc, du coup, attendait les instructions : - Ecoute, Rainier a justement un stagiaire en ce moment. Excellente occasion de l’envoyer sur le terrain. Il va venir avec toi. Oui, il était content de cette idée. - Surtout, soyez transparents, hein… Pas de remous, que de la politesse et des bonnes manières. Il est vrai que les gens de la Scientifique étaient reconnus pour cette qualité : la discrétion. Novembre ne se faisait pas trop de souci car Portzamparc, de son côté, savait évoluer dans les milieux aisés. Le stagiaire de la Scientifique se nommait Marcial Feuillantin. Il avait un air d’étudiant, mais tâchait de se donner un visage d’adulte responsable et soucieux. Rainier, en blouse blanche, fumait une cigarette. Il avait l’air content de son « élève ». - Vous n’avez pas le mal de mer, au moins, rit le chef de la Scientifique. Parce que le détective de Portzamparc ne se déplace qu’en ballon-taxi ! Sérieux et professionnel, Feuillantin dit qu’il n’y avait aucun problème. - Bonne journée, les enfants, dit Novembre. C’est vrai que l’inspecteur-chef envoyait sa jeune garde au Manoir ! Corben finissait de faire le plein de son engin. - Bonjour, messieurs, dit-il, content de bien commencer sa journée. Décollage. - Imbécile ! Tiens ton bas ! Je vais te remonter le gyroscope, moi, tu vas voir ! Atterrissage. - Pas d’inquiétude, dit Portzamparc à Feuillantin (qui était blanc), on arrive toujours à destination. Les deux policiers descendirent de la plateforme. Norbert vint ouvrir : - Messieurs… Le détective fit les présentations. - Le détective Feuillantin va se contenter de visiter le grenier et parc. Il ne vous dérangera en aucune façon. - Très bien. Le jeune policier savait ce qu’il avait à faire : découvrir si la boue du grenier venait du parc. Savoir ce qu’elle contenait. C’était une piste infime, insignifiante presque, mais c’était la seule. Portzamparc passa au petit salon, où l’on finissait de déjeuner. Lucie était déjà partie au palais de Justice. Maximilien était descendu en vitesse, puis y était remonté, pour continuer ses lectures. On l’entendait déclamer : - Ah, tant de matelots ! Tant d’officiers !... Ou encore : - Toi, Eternité, retiens ton cours !... La cuisinière notait : - Monsieur Maximilien est en voix ce matin… Le vieux Whispermoor n’était pas là. - Comment a dormi le comte ? demanda le policier. - Mieux. - Le docteur Jouvet n’est pas repassé ce matin ? - Non, monsieur. Forcément, du reste, puisqu’il était chez Maréchal ! Portzamparc se demandait s’il avait bien raison d’être ici. S’il s’inquiétait pour rien, il aurait l’air ridicule. Surtout, il pourrait en venir à indisposer la famille Whispermoor, et ce ne serait pas bon du tout, ni pour lui, ni pour SÛRETÉ en général. Feuillantin devait être au travail. Le jardinier avait reçu des instructions pour le laisser faire des prélèvements comme il l’entendait. Norbert débarrassait la table. Les domestiques faisaient la poussière sur les meubles. Une femme de chambre s’occupait de l’argenterie. Portzamparc arrivait au milieu des occupations quotidiennes de la maison. Il n’avait pas sa place dans ses petits actes ritualisés. On ne l’empêchait pas de regarder, mais il avait objectivement l’air de se tourner les pouces quand tout le monde s’affaire. Au mieux assistait-il à la vie du manoir comme à une pièce de théâtre. - Allons, mesdemoiselles, disait Norbert, qui dirigeait le nettoyage des chandeliers, pressons, car le travail nous attend dans la chambre de mademoiselle… Il dut s’interrompre pour aller ouvrir. Portzamparc le suivit, désoeuvré. Entra Gédéon Ferenbuikk, brasseur d’affaires, spécialisé dans l’immobilier. - Tiens, le détective de Portzamparc. Comment allez-vous ? - Et vous-même ? Les deux hommes se connaissaient déjà, et pour cause : le policier avait battu Ferenbuikk en quart de finale du tournoi de Manigance ! Son adversaire ne lui en tenait pas rigueur. D’autant que Le vigilant, journal proche des milieux industriels, avait encore rapporté ses belles réussites immobilières sur les boulevards Hofmannsthal. Et qu’à l’approche des élections, ses ambitions se précisaient. Néanmoins, Ferenbuikk n’avait pas l’allure attendue du notable, sanguin, enrobé, placide et avide à la fois. Il n’avait pas encore la quarantaine. Il ne manquait pas d’humour et ne s’affichait pas publiquement avec les gros industriels qui fument leur cigare en tenant leurs bretelles. - Ma foi, dit-il, il faut bien que je vienne soutenir ce cher comte. Sa démarche n’était sans doute pas désintéressée, mais il semblait sincèrement ami des Whispermoor. Au ton qu’employait Norbert, Portzamparc comprit que Ferenbuikk était un habitué des lieux. - Tiens, saviez-vous, détective, que le comte, dans le temps, aimait la Manigance ? Avec l’âge, il a peu à peu perdu son envie de jouer. Mais qui sait ? Si un champion voulait lui redonner l’envie de déplacer les pions ? Le détective sourit poliment. Il attendait que Feuillantin en ait fini. Il était vraisemblable de penser que cette boue avait été déposée au grenier par un membre du personnel. Mais elle se trouvait juste au-dessus de la chambre du comte. Et sous une tuile défaite. Ferenbuikk donnait son manteau à Norbert : - Allons, je vais voir si ce cher Venceslas veut bien me parler. Il commença à monter l’escalier : - J’espère qu’aucune menace ne pèse sur lui, lança-t-il. Mais je suis sûr que si le détective est aussi habile policier que joueur de Manigance, le comte n’a pas à s’en faire ! Feuillantin revenait à ce moment. - J’en ai terminé pour aujourd’hui. - Parfait, rentrons, dit Portzamparc. L’après-midi, Rainier aida son stagiaire à tirer partie de ses recherches du matin. Le lendemain, de bonne heure, alors que Portzamparc dépouillait son courrier, il reçut un appel du Manoir. C’était Maximilien : - Monsieur le détective… - J’écoute. - Je voulais vous prévenir que la banque a appelé Papa… Leur négociateur, monsieur Radik va venir. - Radik ?... Quand ? - En début d’après-midi. Papa est encore fatigué. Ce matin, Lucie lui a parlé, longuement. C’est bien elle qui va le recevoir. L’heure du baptême du feu était arrivée ! - Je m’excuse de vous déranger, poursuivit Maximilien, mais : pourrais-je vous voir ce matin ? - Oui, bien sûr. - Je connais un restaurant près de chez nous… Portzamparc fixa un rendez-vous et raccrocha. Le ton employé par le fils rappelait au policier le ton de la lettre anonyme. Il aurait parié que Maximilien en était bien l’auteur. - Radik se rend aujourd’hui au Manoir, expliqua Portzamparc. - Il en a le droit, que je sache, fit Novembre. - Je sens que quelque chose de pas clair se trame. Le fils Whispermoor avait l’air dans tous ses états. C’est juste une intuition… - Une intuition ? Tu te mets à parler comme Maréchal ! Novembre accepta quand même d’envoyer son détective. Avec les mêmes conseils de prudence à la clef : discrétion, discrétion… La Fourche d’or était le restaurant le plus chic de Mägott Platz. Il était rattaché à un petit hôtel de luxe, cour Lauvaguédand, qui accueillait les locaux de deux clubs pour gentlemen. A cette heure-ci, la grande salle était vide. Deux garçons pliaient les serviettes et disposaient précautionneusement les couverts. Au bar, le serveur essuyait son miroir. Maximilien était assis, seul à une petite table. Il avait plusieurs livres autour de lui, et un étui de cigarettes, ainsi qu’un briquet en or. Mais on sentait qu’il ne faisait que se donner une contenance. - Ah, détective, comment allez-vous ? Portzamparc s’assit, dans cette grande salle propre et silencieuse. - Je suis inquiet pour ma sœur… Peut-elle faire face à la situation ? Nous ne connaissons même pas l’état réel des finances de mon père ! - Peut-être, suggéra le policier, que votre papa l’a mise au courant, s’il a accepté qu’elle prenne sa place… - D’accord… Et pour cette insomnie de l’autre jour !... Le cri de papa était vraiment effrayant… Cette fois, Portzamparc prit un air plus sérieux. - Il y a très bien pu y avoir une bête au grenier. Pas une petite bête, d’ailleurs… Sinon votre père ne l’aurait pas entendue. Mais pour le moment, mon enquête n’a rien pu montrer. A mon avis, votre père est inquiet à cause des négociations avec la banque. - Vous croyez ? Portzamparc n’y croyait qu’à moitié. - Monsieur le comte, dit alors le barman, votre papa a demandé que vous le rappeliez ! Inquiet, Maximilien se précipita au vestiaire des serveurs. Il attendit que CONTRÔLE fasse revenir l’appel et décrocha, palpitant. Portzamparc attendait dans la salle. Il vit revenir le jeune homme, très agité. - Mon père aimerait vous voir ! - Qu’a-t-il dit ? - J’ai dû lui avouer que j’étais avec vous. Il s’en veut que vous vous soyez dérangé. Alors, maintenant, que vous êtes là… Le comte ne manquait pas de flair. - Allons-y. Le Manoir était à deux pas. Une voiture à cheval attendait quand même Maximilien. Le comte reçut le policier dans son bureau, l’air très avenant, bien plus que la dernière fois. - Je regrette vraiment que vous vous soyez inquiété, détective. Toutes ces allées et venues entre votre commissariat et ici, cela vous a pris un temps fou, ces derniers jours. Je vais ordonner à Norbert d’aller payer votre pilote de ballon. Si, j’insiste, il n’y a pas de raison qu’ADMINISTRATION paye pour qu’on s’occupe de moi… D’ailleurs, je vais mieux… Ma famille s’est inquiété pour rien… A mon âge, on peut bien avoir une insomnie… Maximilien a trop d’imagination. Quant à Lucie, elle est encore trop jeune pour négocier seule. Donc, je verrai moi-même ce monsieur Radik. Tudieu, je reprends les choses en main ! Ce n’est pas un banquier qui me fera mettre le genou à terre, non ! - Je crois, glissa le policier, que votre famille s’inquiétait de votre santé, monsieur le comte. - Allons ! Ils écoutent trop ce qu’a dit Jouvet ! Mais les médecins sont des charlatans, non ? - Et les banquiers, souvent des gens zélés… - Justement, je vais me reposer avant qu’il n’arrive, ce monsieur Radik… Je vais parler un peu à mon fils. Nous passons de bons moments ensemble, quand il me fait la lecture. Il n’y a pas que du mauvais, dans ses fichues poésies !... Tenez, nous prenons aussi l’air, sur ma terrasse. Je lui apprends à tirer à la carabine. Nous nous entraînons sur les pigeons qui viennent salir mon parc ! N’est-ce pas amusant ! Les pigeons sortis des brumes des rues industrieuses du quartier. Les pigeons de prolos, quoi ! L’enthousiasme du comte avait quelque chose de factice. Il exagérait pour donner le change, mais ce n’était pas dans son caractère. Portzamparc pressentait un drame, mais il n’avait rien de matériel pour le prouver. Pour l’heure, il devait se retirer de la partie. Retourner à sa routine, battre le pavé autour de Mägott Platz. Il lui faudrait oublier un peu les dorures du manoir Whispermoor. * La bouteille tomba de la table de nuit sur le tapis. Maréchal ouvrit les yeux, grognon. Il se sentait lourd, plein comme une outre. Il avait plein de petites douleurs sans rapport les unes aux autres : mal à la tête, mal aux jambes, mal au dos… Il ne se sentait bon à rien. Il ramassa la bouteille, qui s’était fêlée. Il se retourna et tâcha de se rendormir. Il avait des tas de voix dans la tête, qui bruissaient et s’acharnaient. C’était Novembre qui donnait ses instructions ; la concierge qui parlait à un voisin, son épicière qui bavardait. C’était trop, ce brouhaha, semblable à une foule empressée qui passerait dans son crâne. Il avait un tramway bondé entre les oreilles ! Portzamparc l’attendait toujours… Maréchal se réveilla en sursaut. On avait marché dans son séjour. Ce n’était pas une hallucination. D’ailleurs, ce bruit de pas avait fait cesser les sons dans sa tête. Non, c’était certain : il y avait quelqu’un dans sa pièce ! Il sortit de son lit et ouvrit la porte de sa chambre. Personne. Juste une fenêtre entrouverte. Maréchal but à la bouteille, et sa tête recommença à cogner. Les portes du tramway s’ouvrait ; en sortaient Novembre, le patron du Novö-Art, un souteneur résidant au Charivari… Il ouvrit soudain le tiroir de sa table de nuit. Il attrapa sa montre. Il la toucha, rassuré. Il ne se sentait pas obsédé par son tic-tac. L’indicateur SHC était monté à 5, son plus haut niveau. Et l’aiguille « IEI » avait bougé pour la première fois : elle était passée à 3. L’inspecteur mit du temps à se rendormir. Il ne savait même pas quelle heure il était. Quelle importance, quand on ne travaille pas, et qu’à Exil il fait à peine plus clair aux heures de la journée ! * Portzamparc passa de longues heures sur le chromatographe, à constituer un dossier sur la maison Whispermoor. Des domestiques avaient-ils contracté des dettes de jeux ? Seraient-ils susceptibles d’agir contre le comte ? En fin de journée, les deux hommes de la Scientifique arrivèrent, Feuillantin en tête. Celui-ci avait l’air fier, comme l’écolier qui présente une belle composition. Derrière, Rainier attendait, souriant. - Nous avons analysé l’échantillon de terre trouvé au grenier, déclara t-il. - Alors ? - Etes-vous allé au jardin botanique, récemment ? - Ma foi non, fit Portzamparc. - Je vais vous expliquer. La terre du grenier ne provient vraisemblablement pas du jardin ! - Voilà qui est intéressant. On l’a donc apportée d’ailleurs. - Tout à fait. Et, détail intéressant, cette terre contient des restes d’une plante particulière, appelée la stupa. Cette plante, expliqua Feuillantin, possède une variété commune, la stupa vulgaris. Le jardinier des Whispermoor, Bruneron, en cultive. « Seulement, il existe une variété plus rare de la stupa, qui est carnivore, la stupa tue-mouche. Sa possession et sa culture est soumise à une réglementation très stricte. Dans notre quartier, seul le jardin botanique peut la faire pousser, dans une serre réservée. Or, la terre dans le grenier a servi à faire pousser de la stupa tue-mouche. - Il n’y en a pas dans le jardin Whispermoor ? - Non, je ne crois pas. A moins que ce monsieur Bruneron n’en cultive en cachette… Il n’était pas difficile de suivre le raisonnement : il pouvait en cultiver, dans un coin ; en avoir fait pousser au grenier, au-dessus de la chambre du comte, en comptant l’empoisonner. - Quel est le danger de cette plante, demanda Portzamparc. - Normalement, pour l’homme, aucun. Elle se nourrit de moucherons. Cependant, elle est douée d’une certaine mobilité. Et surtout, son pollen peut être dangereux pour les voies respiratoires… - Il y avait de ce pollen au grenier ? - Oui, déclara fièrement Feuillantin. Il n’est pas impossible que ce pollen se soit introduit dans la chambre du comte, car il y a du « jeu » entre certaines lattes du grenier. - Il aurait pu aussi bien s’envoler par le toit, puisqu’il y a une tuile défaite. - En effet. Mais il y a des courants d’air descendants. Ils pouvaient très bien transporter le pollen toxique vers la chambre. - Il faut quand même une ingéniosité raffinée pour imaginer une telle méthode d’empoisonnement ! Portzamparc n’y croyait pas trop. Mais il devait reconnaître qu’une telle façon de tuer avait pour soi la discrétion parfaite. - Donc le jardinier est suspect, conclut Feuillantin. Qui aurait pu cultiver, puis amener de la stupa tue-mouche au grenier ?... Pourquoi est-il allé en premier au grenier, ensuite, la nuit de l’insomnie du comte ? Pardi, pour retirer la plante ! - Le comte n’est pas mort quand même ! - Non, mais s’il a inhalé du pollen, il a pu ressentir un début d’asphyxie. Et maintenant que j’y pense, ce Bruneron a bien pu défaire une tuile pour faire circuler l’air dans le grenier et évacuer ainsi le pollen. Quelque chose comme cela… - Donc vous suggérez d’aller interroger le jardinier ? - Tout à fait. Restait à convaincre Novembre. C’était quand même un début de piste. * Maréchal toussota, toussa, ronfla et se réveilla. Il alla au lavabo pour cracher, et respira. Il sentit l’air racler sa gorge de l’intérieur. Quelques heures plus tôt, il avait bu un solide grog puis s’était endormi comme une masse. Maintenant, il était sur pied. Il était justement l’heure d’aller au travail ! Oui, fini de paresser ! L’inspecteur se plaqua de l’eau glacée sur le visage et respira. Au commissariat, on le vit arriver, l’air vif après une bonne marche dans les rues matinales. Un livreur se faisait signer un reçu par la secrétaire, Priscilla. Il portait une livrée ornée d’un blason de la maison Whispermoor. Il venait de livrer le champagne ! Oui, c’était au tour du comte d’arroser le commissariat, pour se faire pardonner du dérangement. - Tu as bien travaillé, disait Rampoix à Portzamparc. Voilà déjà la deuxième livraison que tu nous amènes ! - Et Maréchal qui arrive juste au bon moment, continua Boncousin ! Novembre arrivait à son tour, plus sceptique. Il n’avait pas le cœur à boire. Une fois d’accord, on avait pu s’amuser, mais : - Nous n’allons pas accepter tous les cadeaux des gens que nous aidons ! On ne fait que notre boulot, je vous rappelle ! Il refroidit la bonne ambiance générale. - Priscilla, vous ferez renvoyer cet alcool au Manoir Whispermoor. S’il le faut, j’écrirai une lettre au comte, pour dissiper le malentendu. Et il entra dans son bureau, en claquant la porte grinçante derrière lui. Ce qui voulait : « au travail tout le monde ! » - J’ai parlé moi-même à Novembre hier soir, dit Rainier qui restait souvent tard. Il accepte que vous retourniez là-bas, pour vérifier cette histoire de stupa. - J’en suis, dit Maréchal. Depuis deux jours qu’il se faisait attendre ! Novembre avait un peu ricané, quand Rainier était venu lui parler : - Une plante carnivore prête à bouffer le comte ? Mais ce n’est pas de notre ressort ! Il faut appeler la police judiciaire ! Non, même pas… La Mondaine non plus… Non, il nous faut la Brigade Botanique ! Théodule Corben sentait que c’était du sérieux : d’abord un, puis deux, puis trois policiers ! - On va bientôt refuser du monde, lança-t-il, sur le ton de la plaisanterie. Mais les fonctionnaires de SÛRETÉ étaient trop à leur affaire, et s’assirent poliment, impatients de décoller. Nullement impressionnés par le voyage, ils conversèrent entre eux. Corben, pour la forme, insulta quelques confrères pilotes, mais sa représentation ne prit pas. - Va donc, hé papa, hein… C’est Maréchal qui dirigeait l’équipe aujourd’hui. Il n’était encore jamais venu. Portzamparc était presque un habitué des lieux. Il faisait un peu partie des meubles. Au contraire, l’arrivée de l’inspecteur redonnait à cette venue le caractère solennel requis. - Je désirerais parler à votre jardinier, Tribun Bruneron. Norbert, qui prenait ses aises avec le détective, se raidit devant l’inspecteur, pas fâché de son arrivée. - Très bien, je vais le chercher. - Je vous remercie. Portzamparc avait fini par être reçu au « petit salon », où étaient accueillis les invités bienveillants du Manoir. Maréchal eut droit au salon marmoréen, pour les visiteurs officiels. L’inspecteur s’installa à la table. Il humait les lieux, comme pour se les approprier, pour faire de cette table son bureau, pour s’asseoir sur la chaise comme si c’était bien la sienne. Quand le majordome et le jardinier revinrent, Maréchal, entouré de Portzamparc et Feuillantin, était prêt. - Asseyez-vous, monsieur Bruneron. Le jardinier, farouche, était sur la défensive, comme une bête inquiète. - J’aimerais que nous parlions de vos cultures jardinières… Maréchal cita au hasard quelques noms de plantes : Bruneron les cultivait-elles ? Oui, non… - Et la stupa tue-mouche, monsieur Bruneron, la stupa toxique, la cultivez-vous ? Encore un peu, et il allait passer au tutoiement. (« Où tu te le procures, ton poison, hein ? ») - Jamais de la vie ! Le jardinier était rouge, prêt à exploser. - Je vous remercie, monsieur Bruneron, conclut Maréchal, d’un air faussement mystérieux. Il leva la séance. Il entraîna ensuite les deux détectives et le majordome au grenier. Il examina les lieux, empressé, flairant quelque chose. On allait voir ce qu’on allait voir ! - Là ! Entre la charpente et les tuiles, il y avait un espace aménagé : une petite cage en bois. Dedans, de la terre. Et des brindilles. - Regardez, dit Maréchal. Une petite cache aménagée spécialement pour un oiseau. Un oiseau qui a fait son nid ici. Et qui a amené de la terre ! Cette terre où de la stupa toxique a poussé ! Il regarda l’assistance, d’un air définitif. Il était prêt à conclure l’enquête. La Brigade Botanique, c’était lui ! Maréchal redescendit les escaliers en vitesse, comme s’il courait après le temps. Il donna quelques vagues consignes aux deux détectives. Il avait terminé son travail. A eux de s’occuper des détails ! Désemparés, Portzamparc et Feuillantin décidèrent de faire le tour du propriétaire. Feuillantin monta voir le comte. Ce n’était pas vraiment son rôle, mais c’est Maréchal qui lui donnait, implicitement l’autorisation. Le vieux Whispermoor était sur sa terrasse : il apprenait à son fils à tenir correctement une carabine. - Venez donc, monsieur le policier ! Assister à l’entraînement d’un futur champion de tir ! Portzamparc alla parler à Lucie de Whispermoor. Il n’avait pas encore eu le temps de s’entretenir avec elle. Elle prenait une infusion. - Je m’excuse de vous recevoir dans cet état, dit-elle. Elle était bien pâle, dans son négligé. - Mon père a reculé le rendez-vous avec la banque, expliqua-t-elle, en reniflant. Je devais le recevoir. Mais avec ce vilain rhume, c’est finalement mon père qui va s’en occuper. Elle sourit pour s’excuser. Portzamparc frémit. Abruptement, il demanda : - Mademoiselle, vous nourrissez-vous dans les mêmes plats que votre famille ? Surprise, elle releva la tête, et pâlit encore plus. - Que voulez-vous dire ? Vous insinuez que… Le détective n’osait rien ajouter. - Serait-il possible, disait-il, qu’on cherche à vous affaiblir, au moment de ces négociations ?... Il avait parlé à voix haute, et aurait préféré garder cette idée pour lui. La banque serait-elle capable d’en venir à de telles méthodes ?... Portzamparc devinait la réponse : tout dépend des sommes en jeu… Le soir, les policiers dressaient à Novembre le bilan de la journée. - Je suis allé voir dans la chambre du comte, expliquait Maréchal. J’ai trouvé un peu de terre dans un coin, sous le trou du grenier. Pas ailleurs. Dans le jardin, le détective Feuillantin n’a trouvé que de la stupa vulgaris. - Mais ce Bruneron a pu se débarrasser de ses plants toxiques, ajouta le « scientifique ». Novembre n’était pas trop convaincu. Feuillantin expliqua les effets de la stupa toxique : - Elle est fortement allergène. Elle peut donc provoquer de fortes toux, des rougeurs. On rapporte qu’elle peut provoquer l’asphyxie chez certaines personnes. Elle s’en prend en particulier au système musculaire… - Charmante fleur, fit Novembre. - Vous comprenez que les autorisations de la cultiver soient rares. Portzamparc se demandait si la banque serait allée jusque là : introduire la stupa chez les Whispermoor, pour les affaiblir physiquement avant des négociations très dures, pour le remboursement de leurs dettes. Il expliqua le fond de sa pensée à ses collègues, qui ne savaient qu’en penser. On ne pouvait exclure cette idée. Novembre se leva et mit son manteau, d’un air qu’on connaissait bien au commissariat. Il signifiait : « Allons au restaurant, j’ai faim. » Les policiers traversèrent donc la rue pour aller dans leur adresse favorite. On leur offrit l’apéritif et le menu du soir. Songeur, Novembre imprimait son humeur aux autres policiers. - Il y a bel et bien eu un oiseau, qui a niché au grenier. C’est lui qui a pu apporter de la terre, dit Maréchal. Mais ce ne peut être le hasard qu’il y ait eu une plante toxique dans cette terre. Et il fallait se procurer la plante. Reste donc à voir qui a pu en procurer. Et qui l’a introduite dans le manoir. - - Le jardinier, dit Feuillantin, peut avoir des relations pour s’en procurer. - Une minute, dit Novembre. Nous ne pouvons pas aller, ainsi, interroger le jardinier du comte. - Il est possible qu’au parc botanique, ils aient une autorisation. - J’ai l’impression, dit Portzamparc, que la solution est toute proche. Seul le comte a encore des choses à cacher. - Il n’est pas coopératif, dit Maréchal. - Il accepte quand même votre présence chez lui, corrigea Novembre. Donc nous ne lui sommes pas inutiles… - Il faut mettre le manoir sous surveillance, dit Maréchal, sinon nous n’y arriverons pas. Les soupes à l’oignon arrivaient, brûlantes. Les policiers la mangèrent religieusement. On entendit pendant quelques minutes que leur souffle pour refroidir leur plat, Novembre mâcher des croûtons et les cuillères dans le fond de l’assiette. Novembre racla minutieusement son plat, et dit : - Oui, c’est ce qu’il faut faire. Surveiller le manoir. Dès cette nuit. Maréchal, tu organises cela. - Entendu. Cette décision était inattendue, de la part de Novembre, qui n’allait même pas consulter les Whispermoor. - Je vois un endroit idéal pour une planque, dit Maréchal. C’est l’étage de la gare désaffectée. Là-haut, on donne en plein sur le parc Whispermoor. - Oui, seulement, c’est le royaume des courants d’air, nota l’inspecteur-chef. Il faudra prévoir les couvertures et du café. Depuis deux phrases, Portzamparc comprenait qu’on parlait pour lui. - Et une paire de jumelles, ajouta Feuillantin, naïvement. - Et une paire de jumelles, oui, sourit Novembre en regardant Maréchal. - Il faut que j’appelle ma femme, dit Portzamparc. Le chef apportait l’addition. - Laissez… dit Novembre. Dossier #4 : L'Inconnu dans le manoir - sdm - 29-10-2007 Eh eh eh refiler les boulots de merde au p'tit nouveau c'est trop bon ![]() Bravo pour le resumaÿ, à lire avec une bonne musique d'ambiance ![]() Dossier #4 : L'Inconnu dans le manoir - Guest - 03-11-2007 DOSSIER #4<!--sizec--><!--/sizec-->
Une heure et demie plus tard, Portzamparc montait l’escalier grinçant du bâtiment abandonné. Plusieurs fenêtres étaient condamnées. Le sol était recouvert de poussière, de détritus, de vieux papiers. Il faisait humide. L’endroit était desespérant au possible, et assez inquiétant. Murs nus, guichets déserts, carrelage défoncé… Le détective soupira, s’assit, s’enveloppa dans sa couverture. Sa femme était venue d’urgence, au commissariat, lui apporter un panier-repas pour passer la nuit, avec une goutte d’alcool. Sans oublier le café préparé par Novembre lui-même. Le détective se sentait à la fois soutenu, et bien seul. Il avait interdiction de faire de la lumière. Savait-il exactement ce qu’il cherchait ? Le lendemain, Radik devait venir. Les négociations seraient cruciales. C’est ce qu’à demi-mot, Lucie avait dit à Portzamparc. La Banque ne voulait plus attendre Tenterait-on, dans la nuit, d’empoisonner les Whispermoor ? Pendant deux heures, Portzamparc fut attentif. Puis il sentit venir le coup de fatigue. Son corps s’engourdissait et se refroidissait. Pour lui, il était l’heure de dormir. Mais le détective devait lutter. Il but du café, avec une goutte d’alcool. Le parc était noir. Le jardinier, Bruneron, avait fini de ranger son matériel. Il ne restait plus que de la lumière au pavillon des domestiques. Les nobles s’étaient mis au lit. Ah non, la chambre de Maximilien était encore éclairée. Il devait se réciter des vers, ou bien en écrire, en profitant de l’inspiration donnée par les Muses de la nuit… Parfois, Portzamparc entendait des bruits dans la gare : peut-être des rats, un coup de vent poussiéreux… Le devoir professionnel le tenait, autant éveillé que la crainte de se trouver seul face à des vagabonds. Il en rôdait, dans le coin. Des bandes venues d’ailleurs, qui logeaient où elles pouvaient. * Maréchal s’apprêtait à passer une bonne nuit de sommeil. Penser à son collègue qui n’allait pas fermer l’œil jusqu’au jour, le mettait à ses aises. Il était content de sa journée. Il avait remis l’enquête sur les bons rails. Il n’avait même pas envie de boire. Il avait jeté un œil à sa montre, mais rapidement, sans s’inquiéter. L’aiguille SHC était redescendue de 5 à 2. Il prenait cela pour un signe favorable. Il mangea copieusement. Il se sentait remis, maintenant. D’attaque pour repartir le lendemain, et boucler cette affaire qui traînait. Il était encore tôt quand il se coucha. Il vérifia à sa montre. Mais c’était juste pour regarder l’heure. Dans son premier sommeil, Maréchal vit des flots d’images affluer d’un coup. Il se repassait sa journée, dans le désordre. Il voyait son départ du manoir, puis l’arrivée ; l’interrogatoire de Bruneron, une discussion avec Feuillantin, la soupe à l’oignon et l’au revoir à Norbert le majordome… Après avoir parlé au jardinier, il était monté au grenier. Ensuite, il avait laissé ses deux collègues interroger les occupants des lieux. C’est Feuillantin qui était monté parler au comte, alors qu'il apprenait à son fils à tirer à la carabine. Maréchal les avait rejoints, plus par désoeuvrement que pour les besoins de l'enquête. Maximilien était si fier de lui. Avec son engin à plomb, il décapitait des fleurs ou touchait des gros cailloux. C’était un beau moment de complicité entre le père et le fils. Le comte rayonnait en voyant sa progéniture se comporter comme un vrai noble, avec de l’attention dans le geste et la volonté de réussir. Le passage en revue de cette journée aurait pu s’arrêter là, s’il ne s’était agi que de souvenirs. Mais Maréchal était dans les niveaux inférieurs de l'esprit, ceux du rêve. Il revit plusieurs fois Maximilien tirer. Tirer, et tirer encore. La même scène qui se répétait. Sur un caillou, une fleur, raté, un caillou, un caillou, une fleur. Et le comte, le comte qui riait, riait… Maréchal ne quittait plus la terrasse. Encore un tir. - Ajuste, vise bien… Une fleur, bien !... Le comte riait, disait à son fils d’ajuster. Maximilien réussissait alors son meilleur tir. Une silhouette bleutée passait soudain devant lui. La balle partait, frappait la créature, et du sang giclait. Un cri inhumain sortait de sa bouche, et elle tombait. Maréchal se sentit tomber, tomber, prisonnier d’un abîme. Il voulait se réveiller. Il n’y arrivait pas. Il tombait encore. Le gouffre était tâché de sang. Il tombait. Il se réveillait enfin, en sueur, les larmes aux yeux ; comme s’il avait réussi, in extremis, son évasion. Maximilien avait tiré sur « l’Ange ». Il avait blessé cette créature de pure beauté... Des plumes s’étaient envolées. Une boucherie ! Le comte avait applaudi. Tout de suite, Maréchal sut qu’il n’était pas bien, pas bien du tout. Il sortit en caleçon de son lit, comme s’il y avait quelque chose d’inconnu dans son lit. Il alla se passer la tête sous l’eau. Le parquet tanguait. La tête lui tournait affreusement. Il ne se détachait pas de la vision cauchemardesque, et de la peur qui en émanait. Une peur bleue, qui suintait comme un tuyau pas étanche. C’était affreux. C’est comme si le sommeil s’était échappé d’un coup. Maréchal avait l’impression qu’il ne pourrait plus jamais dormir. Sa montre ! Il la sentait perdue ! Il ouvrit le tiroir. Non, elle était là. Il l’ouvrit, et frémit. Etait-il bien éveillé ? Oui… L’indicateur SHC était monté à 6, son plus haut niveau. IEI 0 mais RUS 4 ! C’était la première fois que RUS montait ! Qu’est-ce que cela signifiait ? En vitesse, Maréchal s’habilla. Il fallait qu’il parte de chez lui. Il ne tenait plus. Ce n’était plus possible. De l’air, de l’air, où il allait étouffer ! Il partit la tête basse, son manteau serré contre lui, passa devant les hôtels meublés où la population nocturne vaquait à ses occupations. Bouges, maisons closes, repaires de truands… c’était la lie de Mägott Platz, à deux pas de chez lui. Des endroits où il effectuait régulièrement des descentes. * Il y avait une palpitation, lente, régulière, assourdissante, qui cognait dans ses oreilles. Comme s’il était plongé sous l’eau. Un battement intense, inconnu, comme un appel. Il avait l’impression de s’enfuir. De partir, à l’aventure, dans son propre quartier qu’il avait du mal à reconnaître. Il arriva place des Loges, au pied d’un petit théâtre aux spectacles plus ou moins osés. A quatre mètres du sol passait un gros tuyau de canalisation, prolongement du labyrinthe menant au repaire des enfants. Il faisait froid, bleu, vert. Il y avait des échelles et une passerelle pour les mitiers. C’était un lieu incertain, à l’écart. Maréchal sentait qu’il devait venir ici. Sur la façade du théâtre, des masques grotesques, qui grimaçant, qui pleurant, qui maudissant ou jurant… Il y avait une grille d’aération sous ses pieds. De l’air chaud remontait, venu d’une petite chaudière implantée dans Rainure – Saint-Polska, le quartier en-dessous Mägott Platz. Il avisa alors, sur le coin du théâtre, une impasse qu’il n’avait jamais remarquée. Pourtant, il connaissait chaque petite voie, chaque recoin, presque chaque dalle de son quartier, et plus encore. Il pouvait jurer n’avoir jamais vu cette impasse. Jamais, jamais… Il s’approcha, prudemment, car l’endroit n’était pas éclairé. Il lut la plaque, qui n’était pas récente : impasse Montmort. Montmort... Il pourrait toujours aller au cadastre… Depuis quand une impasse Montmort partait-elle de la place des Loges ? Il jeta un œil dans l’impasse : on n’en voyait pas la fin. Elle commençait entre le théâtre et le mur d’une petite fabrique textile. Maréchal jeta un dernier regard à la place, et entra dans l’impasse. * Il marcha, à l’étroit, dans le noir à peu près complet pendant une trentaine de mètres. A mesure qu’il avançait, lui parvenaient du bruit, de la musique… Il déboucha sur une petite place éclairée, envahie de vapeurs multicolores. On entendait des gens rire, un piano, un orchestre… Une enseigne clignotait en grésillant : Chez Emma, club privé. Impossible ! Il avait écumé tous, il disait bien : tous !, les débits de boisson de son quartier ! Celui-ci n’avait pu lui échapper. Il y avait deux solides videurs à l’entrée, qui le regardèrent, lui dépité. - Vous avez votre invitation ? lui demanda-t-on, quand il s’approcha. - Non… Il avait répondu bêtement, alors qu’il était policier ! Il n’aurait eu qu’à brandir sa plaque ! Mais il ne savait pas bien si, dans cette impasse, il était encore policier… Les deux gorilles se consultèrent, et lui ouvrirent la porte. - Je vous en prie, monsieur… Maréchal entra. Il se frotta les pieds sur le paillasson. Il faisait bon à l’intérieur, et lumineux, rose... Dans le vestibule, un vestiaire. - Monsieur, si vous voulez me laisser votre manteau. Comme un somnambule, Maréchal obéit, et laissa même un pourboire ! - Merci. Voici votre reçu. Un groom ouvrit alors le rideau, et Maréchal entra dans la grande salle. Il y avait une trentaine de personnes, dans une petite pièce. Un bar et des gens serrés sur leurs tabourets. Une scène avec un orchestre. Deux tables de jeux. Un plateau de Manigance. Une musique bien rythmé, entraînante. L’odeur de cigarettes qui font rire et rêver… C’est le pianiste qui menait la musique. Il était accompagné d’un saxophoniste, un batteur et un bassiste. Le pianiste était encore jeune. Il n’avait pas la trentaine. Une casquette de cheminot sur la tête, une veste noire d’ouvrier, des gros godillots tous terrains. Il avait un visage juvénile, mais déjà incroyablement expressif : quand il chantait, il se le tordait tant qu’il ressemblait à un revenant sarcastique, avec sa grosse mâchoire et ses grandes dents. Il avait une voix rauque, comme celle d’un zombie ressorti de sa tombe récemment. Il jouait courbé en deux sur son clavier. Il grommelait et grognait une ballade nocturne, mélancolique, presque macabre, sur les habitués de chez Emma. « Je parle d’un nuage de nicotine, et d’une froide caféine, pour tous les maniaques, tous les insomniaques… Et la serveuse qui sert, des œufs et des saucisses…» Bref, rien d’extraordinaire ici, sinon que Maréchal ne connaissait pas cet endroit ! Il n’y avait jamais effectué de descente !... Pas même entendu parler ! Il retrouvait quand même ses réflexes de base. - Un demi... Il s’était fait une place au bar. - Emma, tu me remets ça, disait un gros homme aux cheveux rares, avec sa guitare sous le bras, la cigarette coincée à la bouche. Emma, c’était donc cette serveuse, dodue, rousse, avec ses cheveux bouffants. - J’arrive, chéri. Je ne suis pas qu’à toi, tu sais !... Maréchal observait les gens. Le policier se réveillait en lui. Il reconnaissait des visages. Des gens aperçus ailleurs, des oiseaux de nuit, qui connaissaient, contrairement à lui, ce refuge ! Un couple de petits commerçants, un serrurier en délicatesse avec SÛRETÉ, un conseiller du bourgmestre, un respectable proxénète… Il avait envie d’en serrer un au col et de lui crier : mais comment connaissez-vous cet endroit, et pas moi ! Il sentait qu’on se fichait de lui ! - Une bière maison… Machinalement, il paya, en respirant le parfum bon marché d’Emma. Il porta la mousseuse à sa bouche, et la savoura. Elle avait un goût savoureux. Donc une adresse à retenir. L’orchestre finissait son morceau, sous les applaudissements. Le pianiste saluait avec son chapeau percé et allait au zinc. - Emma, sers-moi un « double croquemort ». Avec un zeste de citron. Et des glaçons. - J’arrive, mon chéri. Un serveur déposait des verres pleins sur son plateau, et partait faire le tour de la salle. Maréchal le suivit du regard, naviguer avec adresse entre les tables. Il servit le couple de commerçants, déposa des bières à la table des musiciens et termina par un client niché sous une alcôve. Un client avec une belle tête de déterré hébété : Radik. C’était bien l’employé de la Pham’Velker. Il était seul, ricanant pour lui-même ou à la face du monde entier. Il avait l’air hors de lui, comme si son âme tenait à grande peine dans son corps, et qu’il menaçait de s’écrouler, d’un moment à l’autre, comme un pantin. Maréchal se roula une cigarette, commanda une seconde bière, alluma sa cigarette et partit, son bock à la main, à travers la salle. - Je peux m’asseoir ici ? Radik releva ses yeux rougis, son visage éprouvé, sur le policier. Le reconnut-il ? Trop tard, Maréchal était déjà assis. Le pianiste reprenait sa place et la musique repartait : - Taille ta route, Jacques… * - Vous me remettez, monsieur Radik ? Maréchal laissa voir sa plaque. L’autre esquissa un sourire blasé, montrant qu’il avait compris. - Le champagne était bon, inspecteur ? - Très bien. - Alors, vous aussi, vous en êtes, de ce petit monde ? - Je viens juste de le découvrir… - Alors vous venez juste de comprendre, ce que ça fait, d’attraper le SHC… - Le quoi ? Maréchal avait bien entendu. - Vous n’êtes pas très au courant, vous… SHC, vous ne savez pas ? Hé bien, c’est ce que vous venez d’attraper… - Comment le savez-vous ? - Tous ceux qui sont là l’ont. Sinon, vous ne pourriez pas être ici, chez Emma, vous comprenez. - Qu’est-ce que c’est, le SHC ? Maréchal se demanda si tous les gens réunis ici possédaient une montre comme la sienne. - Je vais vous l’apprendre, ricana Radik en finissant son verre. C’est, fit-il en s’essuyant salement la bouche, le Syndrome d’Hypersensibilité Chronique. Autrement dit, le mal d’Exil. - Je ne comprends pas. - C’est simple. Cette foutue lune nous détraque le système, vous comprenez ? Ce sont les vibrations de la Cité d’Acier, qui finissent par se communiquer à votre organisme, vous voyez… Vous entrez en résonance avec la Cité. Vous ne dormez plus. Vous devenez trop sensible, trop exposé à Exil. C’est la Cité qui vous parle, directement. Pas besoin de réseau CONTRÔLE... La Cité vibre, c'est un orgue gigantesque... Certains finissent par percevoir son appel... Radik n’était pas dans son état ordinaire, mais ses propos semblaient cohérents. Du moins n’étaient-ils pas surprenants dans ce contexte. - Comment vous savez cela ? - C’est le professeur Julius Heims qui me l’a dit, fit Radik, de plus en plus éméché. Ce nom fit tilt dans la tête de Maréchal. C’est le docteur Jouvet qui avait prononcé ce nom. Heims était un spécialiste des maladies du cerveau. C’est lui qui avait ausculté Kaupang Vilnius. - Vous l’avez eu comment, votre SHC ? dit Radik, en regardant ailleurs. Bizarre, non… Un honnête flic comme vous… Moi, remarquez, c’est un peu normal que je chope une saloperie comme celle-là. Je suis une ordure, vous le savez. Je fais le sale boulot de la Banque. Recouvrements de dettes… Le pognon, la violence, l’exploitation des petites gens, le harcèlement, je connais… J’en ai pourri, des existences ! Je la connais, la méthode, pour faire parler les gens… - Y compris le comte Whispermoor ? - Et ouais, hé hé hé !... - Vous êtes résolu à aller jusqu’au bout avec eux ? - Pas moi. La Banque. C’est eux qui paient. Et je ne suis pas mauvais, dans ma branche. - Vous ne faites pas de fleur aux gens, quoi… - Non, comme vous dites. - Mais vous en avez peut-être offert au comte, des fleurs… - Pas que je sache, inspecteur. Quoique, hein… quoique !... hé hé hé… Le reste du bar ne comptait plus. Maintenant, c’est comme si Maréchal était dans son bureau. L’interrogatoire avait commencé. Et Radik était déjà cuit à point. - Vous vous rendez au Manoir, demain ? - Dites plutôt : tout à l’heure. - Je risque de vous y retrouver. - Ce sera avec plaisir, inspecteur. - Je vous empêcherai d’aller trop loin avec le comte, Radik. - Pourquoi pas, nous verrons. On fera chacun notre boulot, pas vrai ? Pour le moment, on peut se parler librement. Chez Emma, c’est permis. On se confie tout. - Oui, c’est notre petit coin de rêve… Maréchal en avait suffisamment dit. Il se leva et laissa le misérable ivrogne à sa boisson. Il retourna au comptoir et profita de la musique : - Un scotch, un bourbon et une bière… La nuit était bien avancée, quand un dernier drôle de personnage fit son apparition, dans ce repaire qui en contenait déjà plein. Un homme sérieux, attentif. Maréchal eut une intuition : c’était le professeur Heims. Ce dernier salua du regard l’assistance. Manifestement, il connaissait tout le monde. C’est comme s’il entrait dans sa salle d’attente. Un physique mince, raide ; un visage étiré, soucieux, un regard scrutateur. Un gros sac à la main, d’où dépassait un stéthoscope. Il jeta un coup œil à Maréchal : l’inspecteur vit que le médecin découvrait en lui un nouveau malade du SHC Heims alla s’accouder au bar et commanda une bière. Puis il s’approcha du policier. Il le toisa, des pieds à la tête. Il n’avait pas besoin de dire : « vous avez l’air fatigué. La première nuit de SHC est souvent éprouvante. » Il dit juste : - Si vous voulez, vous pourrez passer me voir à mon cabinet, inspecteur. Il le connaissait donc ? Il lui laissa sa carte. L’heure suivante fut trouble. Maréchal commença à trop boire. Il pensa par intermittence à Portzamparc, seul dans sa bâtisse glaciale et poussiéreuse. Il émergea de sa torpeur au bout d’un temps indéfini. Il n’y avait plus beaucoup de monde. L’orchestre était parti. Le tabac refroidissait. Heims serrait la main à un patient. - Docteur, juste une question, dit Maréchal, en s’approchant. - Je vous écoute. - Est-ce que c’est grave, docteur ? Heims sourit. Ce qui ne devait pas lui arriver souvent. - La maladie a plusieurs stades. Il faudrait un examen plus poussé pour savoir où vous en êtes... Il souriait presque, l’air de dire que, pour le moment, mieux valait profiter de ce qui restait de nuit à s’amuser. Il offrait à boire à une entraîneuse. En praticien fatigué, il avait besoin d’une détente. Il ne finirait pas seul chez lui. - Une dernière chose, docteur, dit Maréchal, en se levant. J’avais déjà entendu parler des lettres SHC avant ce soir. Quelqu’un a pu m’envoyer un message. - C’est bien possible. - Je connais deux autres groupes de lettres. RUS et IEI, est-ce que ça vous dit quelque chose ? - Non, je ne crois pas. D’autres maladies ? - Merci, une me suffit. Il partit, sûr que Heims le croyait fin fou ! A ce moment, Radik se levait, dans un sale état. C’était une éponge alcoolisée, et une éponge sale. - J’ai juste le temps de repasser à la Banque, pour prendre mes instructions jour, lança-t-il, sarcastique. Ensuite, je file au Manoir ! A la première heure, j’y serai ! Maréchal sortit en même temps que lui. Il le regarda partir dans la direction opposée, dans l’interminable impasse Montmort. A la lueur naissante de l’aube, Maréchal vit qu’elle filait loin, cette impasse, qu’elle montait ensuite directement vers le manoir Whispermoor… Maréchal repartit vers la place des Loges, en saluant quelques clients. Heims repartait avec sa poule. Emma fermait boutique. L’endroit allait disparaître en même temps que les dernières fumées de cendriers. Maréchal avait juste le temps de repasser chez lui. Avec qui se préparait, il n’avait pas de temps à perdre. Radik avait presque avoué. Le policier se hâta de rentrer, dans l’air vif du petit matin. Il traversa une passerelle humide, qui rouillait. En passant sous la douche, l’atmosphère de chez Emma lui revint. Les bruits, les odeurs, les rires. Et la ballade du pianiste : « tous les maniaques, les insomniaques… et la serveuse qui demande… » Dossier #4 : L'Inconnu dans le manoir - sdm - 03-11-2007 Y a de la bonne musique dans ce club ![]() Dossier #4 : L'Inconnu dans le manoir - Darth Nico - 03-11-2007 http://fr.youtube.com/watch?v=ETc80QfODkQ : ![]() Dossier #4 : L'Inconnu dans le manoir - Guest - 14-11-2007 DOSSIER #4<!--sizec--><!--/sizec-->
C’était une question que Maréchal avait posé la veille, incidemment, à Whispermoor. Lorsque ce dernier aidait son fiston à épauler sa carabine. - Vous chassez les volatiles, monsieur le comte ? - Comme vous voyez, inspecteur… - Là, vous tirez les pigeons. Mais peut-être que vous pratiquez aussi le tir au gros… au bien plus gros… - C’est bien possible, ricanait le comte, en dirigeant les bras de Maximilien, c’est bien possible… Maréchal n’en avait pas dit plus. De retour chez lui, cette petite scène de la veille lui revenait. C’est à cause de cet échange qu’il avait eu des cauchemars. Le comte tuant les Anges… Ces créatures pouvaient-elles s’organiser pour tuer lentement les Whispermoor ? Maréchal dormit peu, de son retour des tuyaux. Il y avait des éclats de pluie sur sa fenêtre. La nuit était crayeuse. Ces derniers temps, la vie de l’inspecteur tournait presque exclusivement autour des cigarettes, de l’alcool et des insomnies. Pas un régime conseillé par le bon docteur Jouvet ! Il passa la journée suivante comme un somnambule. Le soir venu, des moments de la journée lui revenaient en mémoire. Portzamparc, le matin, qui disait que le rendez-vous avec Radik était repoussé d’une journée. Qu’avait bien pu faire ce vilain petit homme, en revenant de chez Emma ? Lui-même était-il trop fatigué pour aller travailler ? Novembre, qui lisait un rapport de Boncousin, signalant la présence importante de gamin des rues dans le quartier. - Il faudra les trouver et les faire parler, ceux-là, disait l’inspecteur-chef. Le commissaire, enfermé dans son bureau, qui râlait. Il venait peut-être de se casser la figure, après avoir vu le fond d’une nouvelle bouteille. C’était Novembre qui allait le voir : il était le seul à fréquenter son supérieur. Puis Maréchal était rentré chez lui. - Oui, il faudra les trouver ces gamins, avait dit Novembre. * Trois heures après son retour, Maréchal passait sous la douche et ressortait. Il ne pouvait plus quitter le pavé d’Exil. Il avait trop besoin de la présence de la rue, même si elles étaient froides et humides, et presque désertes. Il était trempé pour plusieurs jours. Il lui semblait que, même en sortant de la douche, il ne s’était pas défait de la pluie des rues. Il entendait les passerelles grincer ; il voyait les bâtiments, laissant paraître quelques morceaux de ciel, trempés, défier la nuit silencieusement. Poussé par une force inconnue, Maréchal se retrouva au pied du grand arbre, contemplant encore une fois le labyrinthe tuyautique. Il descendit à l’échelle et reprit le trajet qu’il connaissait. * Il arriva devant le conseil des gamins de rue, à bout de fatigue. Pourquoi était-il revenu les voir ? Pourquoi avaient-ils l’air de l’attendre ? Il n’avait pourtant pas fixé de nouveau rendez-vous avec eux. - Tu vas nous suivre, dit le chef. Ce soir, nous allons visiter le Nid… Les gamins se mirent en marche, comme une petite armée de miséreux qu’ils étaient. Ils évoluaient dans leur univers à part, coincé entre deux blocs citadins, là où personne ne viendrait les chercher, maître de leur territoire sauvage. Au bout d’un temps indéfini, la colonie s’arrêta. On était sur une plateforme abandonnée, qui avait l’air de dériver dans l’espace, librement. On y accédait par un pont en grosses cordes, qui tanguait dangereusement. Les gamins s’assirent, fatigués. Ils sortirent leurs provisions et certains se mirent à préparer du feu. Ils attendaient. Maréchal ne comprenait pas. Il se raccrochait à son instinct de flic : - Pourquoi m’emmener ici ? - Tu dois rencontrer quelqu’un, lui dit son guide de la première fois, le seul qui lui adressait régulièrement la parole. L’un des nôtres. Ou non : il n’est plus des nôtres. - Pourquoi ? - Il nous a trahis. Il a rejoint ton monde. - Il est proscrit ? - Oui. Nous l’avons envoyé au Nid, pour qu’il réfléchisse sur ce qu’il a fait. - C’est grave, ce qu’il a fait ? - Sans doute, oui. Etait-on bien au nid ? Cette plateforme abandonnée, avec une grande construction au centre, en forme de pyramide tronquée, bâtie de bric et de broc. Le repas continuait en silence. D’habitude, ces gamins étaient braillards, ripailleurs. Mais ce soir, pas un bruit dans ce recoin inconnu. - Ecoutez-moi, dit Maréchal au chef. Ce dernier n’avait pas l’air de l’écouter. - Je dois vous parler d’une chose importante. - Adresse-toi à moi, dit son guide. Le Chef ne parle que lorsqu’il le veut. - Ecoutez, continuait l’inspecteur, c’est grave… très grave pour vous. Il en coûtait à Maréchal de prononcer ses mots. Il savait bien quelle faute il commettait. Néanmoins, il devait y arriver. - Les Adultes, enfin les gens comme moi, les policiers, bref… - Quoi ? - Ils vont venir vous chercher… - Attends, fit son guide, d’un geste de la main. Voilà celui que nous attendions. On vit un grand filin de mitier descendre sur le sommet du monument. Un gamin descendit en rappel, souple et rapide. Il avait les cheveux roux, la peau foncée, plusieurs dents en moins. Il portait des vêtements en bon état : un pantalon à peine recousu, une veste neuve et des chaussures encore cirées. - Je ne vous rejoindrai pas, lança-t-il. Les Anges m’ont dit qu’ils veillaient sur moi. - Tu étais déjà un paria, lança le Chef, tu le resteras donc ! - Mais qu’a-t-il fait ? murmura Maréchal. - Il a trahi, je te l’ai dit. Il a rejoint les humains. - Pourquoi ? - Il arrive, dit le guide en prenant le policier à part, que des gens de notre peuple quittent les égouts. Qu’ils se mettent au service des Adultes. Mais ce n’est pas un sujet dont nous aimons parler. - Il a rencontré un humain qui l’a décidé à partir ? - Oui, un humain avec une sale tête, comme si qu’il avait sa méchanceté sur le visage, tu vois… Un sale mec… Pendant ce temps, la conversation continuait entre le proscrit et le chef, dans un sabir que Maréchal comprenait à peine. - Où travaille-t-il, cet homme ? - Dans une grande maison où ils emmènent les enfants comme nous. Une grande maison tenue par des gens très riches. - Des banquiers ? - Peut-être. - La Banque Pham’Velker ? Le gamin réfléchit. - Oui je crois que c’est ce nom-là… - Et ce gamin, que doit-il lui arriver ? Il va être jugé parce qu’il est parti ? - Non, ce n’est pas le problème… Moi-même, je fréquente de près les tiens. J’ai même accepté un repas… Mais on ne m’a pas renvoyé de la tribu pour autant… Le gamin était agacé que Maréchal ne comprenne pas. - Il a commis une faute grave chez les Adultes. - Je croyais que vous étiez contre les lois des Adultes ! - Pas si simple… Il a commis une faute, et cela s’est su. Après, seuls les Anges peuvent décider de son châtiment… Un gamin employé par la Pham’Velker… qui vient de commettre une faute… les Anges… - Toi tu es un humain particulier, murmurait le gamin, alors nous t’en parlons. - Les Anges veillent sur moi, répétait le proscrit. - Je ne plaisante pas en disant que la police vous cherche, répéta Maréchal. - Toi, tu fais partie de la police, non ? - C’est comme ça… Vous n’êtes pas obligés de suivre mon conseil, mais tu ferais mieux de parler à ton chef. - Il t’a entendu. Si c’était vrai, le chef n’en laissait rien paraître. Il avait l’air uniquement concentré sur le gamin en haut de sa pyramide de verre, acier, bois et papier. Les autres gamins écoutaient attentivement, étrangement calmes. - Merci de nous avoir prévenus quand même, dit le gamin. - De rien, mais… Ces mômes n’avaient pas l’air de s’affoler. Alors que SÛRETÉ pouvait leur tomber dessus, avec une avant-garde de Pandores, d’un moment à l’autre ! Et si parmi eux on trouvait Maréchal… Le rouquin restait sur la pyramide, en défiant le chef du regard. - Nous allons te remonter, dit le guide. Ce soir, nous avons l’équipement. - Ce n’est pas très prudent de vous montrer là-haut… Ils avaient entendu, ou pas, ce qu’on leur disait ! Le guide siffla un camarade, qui finissait de déchirer des côtelettes de rat. Les deux enfants s’étaient compris. Ils sortirent leur équipement, harnachèrent Maréchal et lancèrent leurs filins. Le chef lui jeta alors son unique coup d’œil, et fit signe aux autres qu’il était l’heure de repartir. Le proscrit restait sur sa grande pile. L’enrouleur se déclencha et Maréchal décolla rapidement. Il regarda la tribu disparaître dans une grande conduite graisseuse. On fit une première étape, et on reprit la montée. - Qui sont-ils ces Anges ? demanda Maréchal. - Les Anges ? Si tu étais attentif, tu les aurais déjà aperçus, dit le gamin, pendant qu’on grimpait, emmené par le filin. Surpris, le policier arrêta son enrouleur et s’appuya sur une poutrelle métallique. Dans le fond de l’acier et de la nuit, il lui sembla qu’il discernait une silhouette… Plutôt une traînée lumineuse, bleutée, comme de la poussière d’étoiles… Une figure humanoïde, qui voletait entre des toiles d’acier et des blocs de béton, et qui disparaissait… * Maréchal finit le chemin seul, jusqu’à son immeuble, sa chambre. La pluie tapotait à la vitre. Les tuyaux d’eau chaude ronflaient. Son lit tanguait comme une coquille de noix sur une grande mer noire. L’inspecteur avait de la fièvre. Le lendemain, au bureau, il prenait connaissance des avancées de la veille. Rampoix avait enquête sur les cultivateurs de stupa tue-mouche. Cette variété toxique se trouvait au jardin botanique. Récemment, l’un des jardiniers avait été malade. Or, c’est lui qui, régulièrement, livrait Bruneron, le jardinier des Whispermoor, en matériel de jardinage. Mais il avait été remplacé par un ami à lui. Les recherches sur ce second jardinier avaient révélé que c’était un orphelin, sorti de la Fondation pour l’Enfance. Une Fondation appartenant à la Pham’Velker. Le jardinier habituel livrait souvent de la stupa vulgaris, plante décorative, qui poussait bien mieux dans les serres du jardin, et que Bruneron avait du mal à garder en bonne santé dans le jardin Whispermoor. Mais le comte aimait bien la stupa, alors le jardinier ne les laissaient jamais faner… Et Bruneron nourrissait souvent les oiseaux du quartier, avec des graines de cette plante. Dans la terre du grenier, Rainier et Feuillantin avaient découvert des excréments d’oiseau. Excréments inoffensifs, tant qu’ils ne contenaient que des restes de stupa vulgaris. Mais une visite de SÛRETÉ au jardin botanique avait permis d’établir que de la stupa tue-mouche avait disparu. Le directeur était effondré. C’était une faute dont la responsabilité lui incombait entièrement. La plante avait disparu le jour où le jardinier de remplacement était venu. Bruneron n’avait pas tiqué quand il avait nourri les oiseaux. Dont celui qui perchait dans le grenier des Whispermoor. Sauf que ce jour-là, le livreur du jardin botanique avait apporté la version toxique de la plante avec lui, et c’est de celle-ci que le volatile avait mangé. Il en avait apporté juste avant la nuit où le comte s’était réveillé en hurlant. - On en aura bientôt fini avec eux, prédisait Rampoix. Maréchal prenait une double dose de café pour rester éveillé. La veille, Radik était venu, comme annoncé. Il avait été reçu par le comte et sa fille. La réunion avait été houleuse. A la fin, avait raconté Norbert, le vieux Venceslas était au bord de la crise d’apoplexie. Sa fille avait dû s’interposer. Il hurlait qu’il était prêt à défenestrer Radik. - Attention à ce que vous dites, monsieur le comte. Vous avez des témoins… Le comte l’aurait abattu là, comme un chien. Lucie avait passé la soirée à pleurer dans sa chambre. Portzamparc l’avait appris, et avait gardé le silence. Un silence lourd, ressenti par tous ses collègues. Face à ce drame qui se nouait, Maréchal se sentait étranger, impuissant. - Reprenez un café les enfants, annonça Novembre, on part en expédition ! Rampoix attendait ce signal. - On a trouvé la cachette des gamins, dit Boncousin à Maréchal, d’un air complice. On va réaliser un beau coup de filet. Les policiers se rendirent passerelle Lenteur. - Nous cherchons des gamins des rues, dit Novembre pendant que les mitiers aidaient policiers et pandores à s’équiper. Et nous cherchons surtout un dénommé Jonas, qui a travaillé au jardin botanique. Les policiers descendirent dans le labyrinthe de tuyaux, guidés par les égoutiers. Il fallut l’après-midi pour trouver son chemin. On progressait lentement, méthodiquement, en fouillant chaque recoin. Maréchal faisait semblant de chercher comme tout le monde. - Alors, tes fameuses intuitions, où sont-elles ? lui lançait Boncousin, plutôt pour rire. - C’est pas comme si j’avais l’habitude d’enquêter dans ce genre d’endroit ! Les égoutiers regardaient les plans avec Novembre. L’un d’eux avait-il aperçu Maréchal la veille ? Non, et, d’ailleurs, passée une certaine profondeur, ils semblaient, eux-mêmes, mal connaître les lieux… - Qu’en penses-tu ? avait demandé Novembre. - Sale endroit, chef. Je n’y passerais pas mes nuits… - C’est pourtant ce que font les gamins… Le jardinier remplaçant a fait partie de leur bande… - Oui, ajouta Rampoix, on a eu confirmation que c’était un chasseur d’enfants de la Pham’ qui avait fait entrer le gamin, Jonas, à la Fondation. Depuis, il s’en était échappé, mais il n’avait pas rompu ses attaches avec son orphelinat. - Il n’a pas pu refuser un service à la Banque, c’est clair, dit Novembre. La descente continuait. On était maintenant au-delà du réseau où travaillaient les égoûtiers de Magött Platz. Donc seuls ceux qui avaient le goût de l’exploration, en-dehors des heures de service, avaient déjà mis les pieds sur ces tuyaux dont on ne connaissait ni l’origine ni la destination. On ne savait même plus ce qui coulait dedans. - C’est pour alimenter le tombeau d’un Ancien, murmurait un des mitiers, sûr de lui. Maréchal prenait d’infinies précautions pour sembler perdu. Il tremblait pour les gamins. Il aurait voulu leur crier de s’enfuir. - Voilà, on y est ! dit un des égoutiers, sombre brute qui avait une carrure et une attitude à élever ses enfants à coups de triques et torgnoles… - Très bien, dit Novembre, satisfait. C’était bien la « clairière » où Maréchal avait rencontré la bande le premier soir. - Personne, dirent les égoutiers. Les Pandores explorèrent les lieux, soigneusement. - Pas de chance, dit Maréchal, ils ne sont pas là ce soir… - Je dirais plutôt qu’ils se sont enfuis, nota Portzamparc. - Exact, dit Novembre. Il y a plein de restes de nourritures, des foyers, des abris pas démontés… - M’est avis, dit le chef des Pandores, qu’ils ont senti venir notre arrivée… - Pas impossible, dit Novembre. Ces gamins ont du flair. Et s’ils ont appris que l’un des leurs avait fricoté avec la Banque… Tu en penses quoi, Maréchal ? - Je suis bien de votre avis chef. Les fouilles se poursuivirent, pour la forme. - Allez, on rentre, décida Novembre, au soulagement de tous. Car on y avait passé toute l’après-midi. Et on était transis de froid, las à mourir de chercher dans ces profondeurs misérables. - On ne retrouvera pas ce maudit jardinier, dit Rampoix. - J’en ai bien peur, dit Maréchal. Alors qu’on remontait, l’inspecteur aperçut, niché dans un tuyau, l’observant avec son œil de chat à l’affût, un des gamins : il hocha la tête et disparut. - Allez, terminé pour aujourd’hui, dit Novembre. On se quittait devant le commissariat. Portzamparc rentrait dans son nid douillet. - Quelle journée ! s’exclama-t-il. Vivement le repas que ma femme m’a préparé ! - Novembre est déçu, dit Rampoix à Boncousin. Mais déçu… Il aurait vraiment voulu trouver ces gamins. - C’était ambitieux de sa part, mais avec le vacarme qu’on a fait en descendant, ils avaient tout le temps de s’enfuir. - Bonsoir tout le monde ! - Bonsoir, Maréchal. * L’inspecteur était épuisé. Mais au lieu de rentrer chez lui, il alla place des Loges, et s’engagea dans l’impasse Montmort. Il entra chez Emma. Peu de monde ce soir. Le pianiste ne jouait pas. Emma discutait à une table, et se leva pour servir l’inspecteur. - Merci. Maréchal traversa la salle, et alla s’asseoir à la petite table dans l’alcôve, devant Radik. - A votre santé, ricana celui-ci. Il n’était pas trop éméché. - Quelle journée, n’est-ce pas ! - Notre enquête se termine. - Alors ? Vous allez nous aider à recouvrer nos dettes auprès du comte… - Tout n’est pas honnête dans cette histoire, Radik… - T-t-t, n’inversons pas les rôles, inspecteur. C’est la famille Whispermoor qui nous doit une somme faramineuse. Je ne fais que mon métier. Nous aussi, nous avons le droit de vivre. Si nous commençons à laisser nos débiteurs en paix… - Vous savez bien de quoi je parle. Le jardinier a disparu… - Quel jardinier ? - D’accord, vous voulez jouer à ça… Je parle de Jonas, l’orphelin, qui a été élevé dans cette « Fondation pour l’Enfance » qui appartient à votre banque. - Ah lui… Vous savez, ces gamins ne sont pas fiables. Ils ne rompent jamais complètement leurs liens avec la rue… - Je crois que le quartier n’apprécierait pas d’apprendre que vous utilisez des enfants pour vos sales besognes ! - Prouvez-le ! Il aurait voulu être répugnant, faire peur, impressionner par sa méchanceté. Il était seulement minable. Minable, et bientôt saoul. - Demain, dit Radik, je retourne au Manoir, et j’en termine pour de bon avec cette affaire. Le comte va cracher au bassinet, enfin ! - Sauf si nous prouvons que vous avez essayé de l’empoisonner ! - Qu’allez-vous chercher ! - Si le comte n’avait pas fait une crise, le petit truc de la stupa aurait continué. Vous auriez fait étouffer toute la famille s’il le faut !... - Je n’aimerais pas négocier avec des domestiques, allons ! Maréchal lui aurait bien envoyé son poing dans la figure. Il y a des moments où cela devient le seul contact possible avec un homme, un homme comme lui… Peut-être Radik s’en aperçut-il. - Vous savez, inspecteur, il ne faut pas me juger mal. Nous ne sommes que des maillons de la chaîne… Nous ne décidons pas tout, loin de là… - Ce n’est pas une raison. - Impossible d’arrêter la machine quand elle est lancée… La Machine bancaire, inspecteur ! Les corpoles sont puissantes, bien plus puissantes que vous ne pouvez le concevoir. « La Pham’Velker tient les gens par le porte-monnaie. Elle tient les commerçants, certains services de VOIRIE dont elle a subventionné l’équipement. Les petites gens et leurs crédits. Les Fondations pour orphelins, pour vagabonds… Bientôt, la Banque pourra mettre Mägott Platz en liquidation, si cela lui chante ! Si le quartier n’est plus assez rentable ! Elle le vendra au prix de l’acier et passera au suivant ! Radik s’échauffait, son agressivité montait. Il était vraiment laid. - Sordides, ces révélations, hein… - Dites à vos supérieurs d’arrêter, Radik…. Vous ne vous rendez pas compte du scandale que vous encourez… - Idéaliste, hein !... Mais qui parlerait, inspecteur ? Les journaux ? Allons donc ! Le conseil municipal ? Sérieusement… Non, le vrai problème, c’est que si le comte avait encore le sens des réalités, il ne se serait pas endetté pour des millions. - Je garderai un œil sur cette Fondation. - Si cela vous chante !... Maintenant, excusez-moi, mais je vais partir. J’ai encore une longue journée demain. Ici, ce n’est qu’une petite parenthèse, comme nous disions l’autre fois, à peu près. - Oui, notre rêve éveillé. Rien que pour nous deux. - Alors à demain, inspecteur. Cette fois, ce sera la bonne. Maréchal sortit avec lui, et le regarda partir, dans l’impasse Montmort. Le lendemain, c’est Portzamparc que Novembre envoyait au manoir. Officiellement, pour tenir le comte au courant de l’enquête. Norbert le reçut poliment. Mais on le sentait nerveux. Comme toute la maison. - Si on trouve d’ici la une preuve de l’implication de la banque, avait dit Novembre, on t’appellera, et tu arrêteras les négociations. - Entendu, chef. Maréchal restait dans son bureau. Il avait sauvé les gamins. Mais du même coup, il avait laissé partir Jonas, la seule preuve de la culpabilité de la Banque dans l’utilisation de stupa tue-mouche. * Portzamparc attendait au petit salon. Maximilien était dans sa chambre, Lucie également. Le comte avait tenu à rester seul. Il n’avait pas voulu voir Portzamparc. Il avait pris un copieux repas le matin, calmement, avait raconté ensuite la cuisinière. Il avait dit à son fils : - Va lire, mon petit. Tu sais, c’est important. Et à sa fille : - Repose-toi avant tes concours. Va voir tes amis. Amusez-vous ! On n’est jeune qu’une seule fois… Il avait adressé des petits compliments à tous ses domestiques, qui n’avaient jamais rien entendu de tel, même ceux qui étaient dans la maison depuis près de quarante ans. Il n’était même pas paternaliste. Alors que le déjeuner se préparait, le comte était seul dans son bureau, à fumer et à étudier ses dossiers. Interdiction à quiconque de le déranger. - Cela va être terrible, avait murmuré Norbert. - Comme vous dites, avait soufflé Bruneron, très inquiet. A l’heure prévue, d’une ponctualité remarquable, inquiétante, Loki Radik sonnait à la porte. Il entrait, en territoire conquis. - Bonjour à tous, fit-il aux domestiques, comme à de vieux camarades. Il était d’attaque, comme un prédateur, prêt pour la curée. Le personnel de maison l’accueillit avec une froideur haineuse. - Détective, quel plaisir de vous voir… Portzamparc ne répondit rien. Radik souriait, carnassier, à son aise, prêt à fondre sur sa proie. - Si vous voulez me suivre, monsieur le comte va vous recevoir… Radik se fit ouvrir la porte du bureau. On aperçut brièvement le comte Whispermoor, assit sur sa chaise, dans sa robe de chambre. - Asseyez-vous, monsieur le représentant. Quel est l’objet de votre visite ? On entendit l’autre répondre : - En tant que représentant de la corpole Pham’Velker, j’ai l’honneur, monsieur le comte… On n’entendit pas la suite, car Norbert, selon le vœu du comte, avait refermé la porte. Les domestiques et Portzamparc se retirèrent donc au petit salon, comme pour y constituer une position de repli. On attendait. A l’autre bout de l’étage, le ton montait. C’était prévisible. Cette fois, Radik ne repartirait pas sans son argent. - S’il cède, c’est la ruine, dit la cuisinière. - Monsieur ne cédera pas, affirma Norbert, choqué qu’on puisse envisager le contraire. Une heure après, alors qu’on servait du café à tout le monde, Lucie arriva. Elle n’y tenait plus. Elle venait, sous le vague prétexte d’avoir un petit creux. Bientôt, elle se joignit à cette atmosphère de conspiration. Puis Maximilien quitta aussi son repaire. Désormais, la maisonnée était au complète. Nul ne s’étonnait que Portzamparc reste là. Bien sûr, ils mouraient tous d’envie d’aller coller l’oreille à la porte. Mais ils se le refusaient. Ils ne pouvaient. Pas au comte. Pas à lui. - Laissons-leur le temps, dit Norbert. Monsieur ne cédera rien. Radik se fatiguera avant lui, et accordera d’autres facilités de remboursement… - C’est ça, où nous commençons à démonter cette baraque pièce par pièce, fit Maximilien. - Tu veux bien te taire, dit Lucie. Tu n’y connais rien ! Et ce n’est pas dans tes livres que… ! Une dispute, faisant suite à d’innombrables autres, allait reprendre, entre l’aînée, juriste, les pieds sur terre, et son frère, la tête dans les étoiles… Un coup de feu claqua. L’assemblée se pétrifia. Portzamparc réagit le premier, et se précipita en courant vers le bureau. On entendit un cri, un autre encore… Non ! Ce n’était pas possible ! Radik n’avait pas pu !... Portzamparc se jeta contre la porte, s’y cogna. Le comte n’avait pas cédé !... Et alors Radik ! Le policier se lança sur la porte, de toute la force de ses épaules. Un second coup de feu partit. Portzamparc s’acharna sur la poignée, la secoua furieusement ! A l’intérieur, le drame était déjà joué ! Norbert arrivait, les autres avec lui. Portzamparc envoya encore un coup et défonça la porte. Il entra, l’arme à la main. Radik était allongé à terre, à côté de son siège, une balle en pleine tête. Le comte était assis dans son siège, la tempe sanglante. Son pistolet fumant venait de tomber de sa main. Radik n’avait pas d’arme à la main. * Sur le bureau, les dossiers soigneusement rangés, dans un dossier « Banque ». Juste une lettre, avec la plume du comte posée dessus proprement. Portzamparc s’approcha des deux hommes. Aucun des deux n’avait survécu. - Monsieur, murmurait Norbert. - C’est fini, dit Portzamparc. Le personnel entrait dans la pièce, horrifié. Portzamparc prit la lettre. Elle ne disait que ceci : « Depuis plusieurs jours, il m’apparaît qu’il n’y pas d’issue possible, moi vivant, aux négociations avec la Banque. Par ailleurs, je ne supporte pas l’idée que cet ignoble recouvreur de dettes puisse un jour traiter seul à seul avec ma fille. Je ne veux pas qu’il l’approche. Dès lors, il faut en finir. Mais les hommes d’argent sont trop lâches pour mourir. Ce sera donc à un vieux noble comme moi d’y pourvoir. » En bas, d’une écriture nerveuse, qui contrastait avec les lignes du dessus : « C’est fait. Et dire que ce misérable n’a su me dire qu’une chose, les larmes aux yeux : "Moi aussi, monsieur le comte, j’ai une famille à nourrir !" » C’est Portzamparc qui appela le commissariat. Les tractations entre la Banque et le Manoir furent suspendues. Quelques jours plus tard, Lucie de Whispermoor était admise à une place tout à fait honorable au concours du Barreau d’Exil. Le comte avait écrit à ses enfants, des lettres qui restèrent privées. Les négociations avec la Pham’Velker allaient reprendre, à l’état où elles en étaient avant l’arrivée de Radik. Au commissariat de SÛRETÉ, on n’avait pas encore renvoyé la seconde caisse de champagne, celle offerte par le comte. Novembre la fit réexpédier, à l’exception d’une bouteille, que l’on but à la mémoire du vieil aristocrate. FIN |