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Récit : Au pays des gaijins - Printable Version

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Récit : Au pays des gaijins - CROM - 28-06-2004

il devrait faire conteur le monsieur, il gagnerait bien sa vie 8)


Récit : Au pays des gaijins - Darth Nico - 29-06-2004

VII : Tonnerre à l'Ouest


Kohei, allongé à l'ombre, mordillait un brin d'herbe sèche, pendant que son cheval se reposait au bord du ruisseau. Les suites de son galop faisait encore battre les tempes du jeune homme, de même que la chaleur du sable et de l'air. La fraîcheur de l'ombre était bienvenue. Kohei soupira d'aise, et ferma les yeux, profitant du silence et des soupirs du vent, et des clameurs lointaines, très lointaines ( Clever ) des gaijins qui progressaient dans le désert. Il ne voulait plus penser à Sumiteru. Il voulait s'abandonner à ce pays étrange qui l'attirait déjà. Ils semblaient loin son village et sa femme, Shizuka... Plus loin que quand Kohei étaient parti sur les rives du clan de la Grue.
Il se mit à penser à mille choses bizarres et incohérentes, qui affluaient dans son esprit comme des cailloux qui descendent le torrent en se choquant follement. Il tomba rapidement endormi, emporté dans le monde des rêves.

Caribou

L'instant d'après, il fut réveillé par des coups répétés contre son épaule. Tout le paysage tourna quelques instants avant de s'arrêter et avant qu'il n'aperçoive trois samuraï autour de lui, qui le toisaient sévèrement. Kohei se frotta les yeux et se rassit brusquement.
- Par Shinjo, grondait la voix de son père, mon fils n'est-il donc qu'un écervelé doublé d'un paresseux ? Crois-tu qu'il soit l'heure de galoper comme un kansen à travers cett fournaise et de s'endormir brusquement ?
- Mais père, je me suis assoupi quelques instants...
- Tiens donc ! (et les deux frères rirent ensemble) voilà presque la moitié d'une heure que tu t'es endormi ! (soit en fait une heure pour nous) Tu as bien de la chance de ne pas avoir pris une insolation et de ne pas avoir été attaqué par des pillards !... Et d'abord qu'est-ce qui t'as pris de partir à brides abattues ! Qu'aurais-tu fait si nous avions été attaqués ? Tu aurais continué ta sieste tranquillement ?... (maintenant, les deux frères en riaient plus) Crois-tu que je t'ai emmené avec nous pour que tu chevauches selon tes caprices ? Crois-tu qu'il faille se comporter en pays hostile comme au sortir d'une soirée trop arrosée avec tes amis ?...
- Père, pardonnez-moi, je ne suis qu'un imbécile, un inconscient...
- Oui et un jeune fou qui met en danger, outre ses frères et son père, tout le chargement de kokus dont nous avons la charge !... Par la virginité d'Otaku, tu as de la chance que nous soyons loin de notre cher Empire, sans quoi je te jure que je t'aurais infligé des réprimandes publics et tu serais allé nettoyer les écuries pendant quelques jours !... Une noble tâche qui t'aurait remis les pieds sur terre !... Explique-moi donc ce qui t'a pris de partir le mors aux dents !
Kohei était resté à genoux, devant le demi-cercle de ses frères et de son père.
Il balbutia quelques excuses timides.
- Par les 4 Vents, gronda son père, je ne comprends rien à ce que tu dis ! Tu as plus de souffle pour le galop que pour la parole !
Kohei tenta encore de trouver ses mots, il bredouilla plusieurs idées qui s'entrechoquaient dans son esprit.
- Parle clairement, Shinjo Kohei !... Allons, nous attendons.
Zenzabûro-san, Iwazuni et Kenzan croisèrent les bras. Derrière eux, restés près du chargement, les yorikis secouaient les mains et serraient les dents : ça chauffait dur pour le plus jeune fils !
- Père, dit brusquement ce dernier de tout son coeur, comment avons-nous pu laisser ces barbares couper la tête de Sumiteru !...
Puis il baissa aussitôt le front, attendant la sanction.
Zenzabûro-san soupira.
- Allez au convoi, dit-il à ses deux fils, pour vous assurer que les sangles du coffre sont bien arrimées. Les secousses du voyage ont pu les déteriorer.
Iwazuni et Kenzan s'inclinèrent brièvement et s'éloignèrent.
Kohei restait le front tourné vers la terre.
- Allons, c'est donc bien pour cela... Très généreux de ta part, Kohei, de penser à nos soldats... Zenzaûro-san soupira encore. Mais cela n'excuse pas ton comportement. Tu n'es plus un enfant à présent. Tu dois assumer les mêmes responsabilités que nous tous. A l'issue de ton voyage chez les Grues et les Dragons, Kohei, tu es entré de plein pied dans l'ordre des samuraï. Tu dois servir l'Empereur et ton clan.
- Oui, père.
- Il est deshonorant d'en faire à ta tête comme toi.
- Oui, père.
- Nous autres Licornes portons en nous des instincts libres que n'ont plus nos frères de l'est. Ils sont prisonniers de conventions artificielles, et de codes d'honneurs que nous trouvons superflus. Mais nous devons les respecter tout de même, car comme nous, nous sommes des sujets de l'Empereur. Nos vies lui appartiennent. Et même si les Licornes sont libres, leur solidarité face à l'adversité est incomparable. Le peuple des 4 Vents est uni dans un même souffle, tu comprends ? Tu n'as pas le droit de voler en avant de tes frères.
- Oui, père.
- Nous ne sommes plus chez nous, ici. Rokugan et le lac aux rives blanches, nous les avons quittés depuis longtemps. Nous ne faisons plus la loi dans les Sables Brûlants. Nous devons nous soumettre aux lois en vigueur, même s'il nous en coûte. Massoud Nebeb est maître de l'oasis de Kaffour. Personne d'autre que lui ne rend la justice. Et la justice a voulu la tête de Sumiteru pour réparer le tort qu'il a causé aux hommes noirs.
- Oui, père.
- Tu continues à trouver cela injuste ?
- ...oui, père.
- C'est normal. Tes instincts de samuraï refusent de se soumettre à d'autres qu'au divin Hanteï. Mais le chef Traoundé n'aura pas de seconde chance de l'emporter sur nous. Et il le sait. Donc il nous évitera.
- Oui, père.
- A présent, je ne veux plus que tu te comportes de manière capricieuse. Ici, car tu mets en péril notre caravane. A Rokugan, car on te défiera sur l'honneur pour t'apprendre à obéir au clan avant qu'à tes instincts.
- Oui, père.
- N'abuse pas de la liberté que t'ont offerte les Fortunes du Vent. Tu t"égarerais et tu mettrais en péril ceux que tu dois défendre.
- Bien, père.
- Relève-toi à présent... Nous allons oublier ce qui vient de se passer.
- Merci, père.
- Je peux comprendre que le soleil t'ait tapé sur la tête.

Caribou

Zenzabûro-san revint à la caravane accompagné de son fils.
- Avez-vous vérifié la solidité du convoi ?
- Oui, père, répondirent les deux fils.
Les deux chevaux entre lesquels était attachée la précieuse caisse de kokus avaient pu se reposer. Maintenant, on leur remettait leur attelage. Un des yorikis avait mis son oreille contre terre.
- Qui y a t-il, demanda Kenzan ?
- Samuraï, dit le soldat, je perçois une importante troupe de cavaliers non loin d'ici. Une troupe très importante.
- Importante comment, demanda Iwazuni ?
- Une petite armée au moins, et lourdement équipée.
- Qu'est-ce que ça peut bien être ? demande Kohei.
- Impossible de le savoir, dit Zenzaûro-san, nous ignorons quelles armées se trouvent dans cette région. Ce peut être n'importe quel groupe de gaijins, et nous ne pouvons connaître l'attitude qu'ils auront envers nous. Mettons-nous sur nos gardes.

Caribou

Aussitôt, tous les hommes remontèrent à cheval et ressérèrent toutes leurs pièces d'armures. Accablés par la chaleur, ils s'étaient permis du relâchement dans leur tenue. Ils nettoyèrent poussière et morceaux de boue pour laisser apparaître toutes leurs couleurs, éclatantes en plein jour.
- A présent, montrons à ceux que nous rencontrerons qui sont les samuraï de la Ki-Rin ! cria Shinjo Zenzabûro de derrière son masque. La pièce de métal qui figurait la corne de l'animal du clan brillait sous le soleil. Les chevaux sentaient l'énervement qui gagnait tout le petit groupe. Ils avaient appris à respirer l'odeur des hommes sur le point de rencontrer l'inconnu et le danger.
La petite caravane s'ébranla. Iwazuni l'aîné tenait bien haut un drapeau aux couleurs de la Licorne. Ses deux frères gardaient les flancs des chevaux, et Zenzabûro-san avançait en tête, martial.
Le convoi descendait en pente douce vers la grande plaine où avançaient, sur des pistes sineuses, les nombreuses caravanes, éparpillées dans cette immensité de sable blanchi.

Caribou

Par le sud, un important soulèvement de poussière annonçait l'arrivée du groupe entendu par le yoriki. Le tremblement à la surface du sol laissait effectivement présager une puissante force armée. On entendait un vacarme fracassant, qui approchait à grands pas, comme les nuages les plus noirs, chargés de foudre, prêts à exploser comme des tonneaux de poivre gaijin.
- Inutile de nous aventurer trop en avant, ordonna le daïmyo. Ne nous mettons pas à couvert, sans quoi nous pourrions suir de plein fouet une attaque et être balayés. Cette pente rocheuse, au chemin étroit, est notre meilleur abri contre une troupe compacte et nombreuse. Yorikis, restez à mi-pente, Kenzan et Kohei en surveillance sur les flancs : arcs longs en bandoulière, carquois à portée de main ; Iwazuni, avec moi en avant, la boucle du fourreau de no-daichi ouverte. Nous allons à la rencontre de cette troupe. La Licorne ne recule pas devant un inconnu !
Tout le monde s'exécuta aussitôt. Le convoi s'installa dans un endroit surplombant, prêt à se défendre contre des assaillants venus du haut ou du bas. Drapeau claquant au vent chaud, Zenzabûro-san et son fils aîné avancèrent au trot dans la plaine.
Le nuage de poussière serait bientôt sur eux. Il y retentissait les bruits amplifiés, comme repris en écho les uns par les autres et par les parois des montagnes, d'une chevauchée impitoyable, que rien n'arrêterait sinon un large ravin, ainsi que des trompes de guerre et autres instruments à vent aux beuglements effrayants. S'ajoutait à cela les cris des cavaliers à leurs montures, des rires triomphants qui partaient ça et là du nuage de poussière, le roulement de gros chariots pleins à craquer, les claquements violents de lourds étendards frappant le vent, l'entrechoquement des pièces d'armure dans le galop, l'ardeur commune des guerriers en campagne.

Zenzabûro et Iwazuni, pourtant fins cavaliers, peinaient à garder le contrôle de leurs montures. Effrayées, elles menaçaient de ruer brusquement et de s'enfuir au galop. Les deux Licornes avaient entendu parler de ces tsunami qui ravagent les côtes du grand océan de l'Est. Ce qui s'approchait maintenant était la vague implacable du tsunami de l'Ouest brûlant.
- Aperçois-tu leur couleurs ? cria Zenzabûro-san à Iwazuni.
- Pas bien, père, mais je jurerais que ce sont des samuraï !
- Des samuraï ? Sortis de cette fournaise ? Plutôt des kansen !
Iwazuni parvint à calmer quelques instants son cheval. Il sortit d'une poche de sa selle un objet gaijin que les Licornes appellent une "longue-vue". Il posa son oeil sur une extrêmité en verre, et par ce tube qui s'allongeait, il pouvait voir en plus grand la scène qu'il visait.
Le père jeta un oeil au convoi : il était en sécurité dans la pente. Le tremblement de l'armée en approche faisait rouler des cailloux. Kenzan et Kohei restaient droits et attentifs, mais les yorikis dissimulaient mal leur peur.

Caribou

- Père, j'aperçois leurs couleurs !...
- Qui sont-ils ?
- Voyez-vous même !
Le fils aîné tendit la "longue-vue" à son père.
- Voyez ce grand étendard au deuxième rang des cavaliers.
Le père dirigea son regard vers cet endroit. La troupe continuait à progresser. Elle passerait avant peu à moins de deux lis devant les Licornes.
- Lisez-vous comme moi ce qui est marqué sur cet étendard, père ? demande Iwazuni.
- Par Otaku, et comment !...
Zenzabûro prononça lut à voix haute la courte sentence, écrite dans un langage inconnu de Rokugan.
- "Tsinin Ang Jan Inin Gen"... Autrement dit : "Tous ceux qui s'opposent à moi meurent !" La devise de Moto Kagatai en personne !...
Le père et le fils se regardèrent, surpris.
Comme une montagne qui s'écroule, et se répand soudain de toute sa force devant elle, l'armée dudit Kagatai passait maintenant devant nos héros. On distinguait plus nettement les couleurs de leurs lourdes armures. Quelques cavaliers tournèrent la tête, prêtant rapidement attention à leurs frères Shinjo. Mais la plupart continuait à viser l'horizon devant eux. Dans le groupe de tête, sur un destrier plus grand que les autres, son armure ornée de nombreux symboles exotiques, un masque de singe grimaçant sur le visage, le général de cette armée conduisait un contingent d'une centaine de samuraï, aussi endurants cavaliers que puissants guerriers. Moto Kagataï, le puissant bushi qui s'était surnommé "le daïmyo des Sables Brûlants" et dont le nom ressemblait plutôt à un personnage de légende dans les terres de la Licorne. Tout le monde n'était pas convaincu de son existence réelle. C'était pourtant bien lui, en tête de tous ces guerriers qui piétinaient le désert impitoyablement.
Iwazuni leva bien haut son drapeau, et Zenzabûro brandit son no-daichi pour saluer leurs frères Moto. L'un des samuraï se détacha de l'armée et vint au devant des Shinjo.
- Salutations à vous, frères de la Ki-Rin. Recevez les salutations du puissant Kagatai Khan, daïmyo des Sables Brûlants. Je suis Moto Kubilai, fidèle lieutenant du Khan.
- Nous saluons ton puissant maître, répondit Zenzabûro-san. Nous sommes surpris et heureux de croiser sa route dans cette région que nous connaissons mal.
- Où allez-vous donc, nobles frères ?
- Nous sommes envoyés auprès du sultan Al-Qasim pour lui acheter du matériel de guerre !
Toute cette conversation était criée plutôt que parlée, à cause du vacarme de la troupe qui passait derrière.
- Par le Tonnerre de Shinjo, nous nous rendons précisément à Medinat Al'Salaam, capitale du sultanat du puissant Al-Qasim. Réglez votre galop sur notre galop, et vous ferez route en sécurité jusqu'au but de votre voyage.
- C'est trop d'honneur pour nous, Kubilai-sama, répondit Zenzabûro-san.
- Prenez votre décision rapidement, dit en riant le Moto, car dans les Sables Brûlants, nul ne propose trois fois d'être généreux.
- Nous ne pourrons jamais suivre le train effrené que vous suivez, Kubilai-sama.
- Personne ne dépasse le galop du grand Khan, hormis les Fortunes du Vent elles-mêmes. Vous suivrez l'allure de notre troupe d'approvisionnement. Ainsi votre coffre sera en sécurité parmi le trésor de Kagatai Khan !
- C'est un grand honneur pour nous, Moto Kubilai. Ce sont les Fortunes du Vent qui ont voulu notre rencontre !
- Sans doute, dit le Moto en s'éloignant déjà
Zenzabûro-san fit signe à ses deux fils de faire descendre le convoi. Ils se hâtèrent de rejoindre la troupe nombreuse. Ils y trouvèrent leur place, à côté d'autres samuraï qui gardaient les vivres et les trésors, au milieu du vacarme de cahin-caha des chariots, branlants et tremblants. A bonne allure, Zenzabûro-san et ses fils furent emportés avec l'armée du grand Khan, loin dans les Sables Brûlants.

A suivre... Kopikol

Moto Chagatai, dit le Khan


Récit : Au pays des gaijins - Riobe - 29-06-2004

:? eh bien, ça a chauffé pour le pauvre kohei! :spank: On peut dire que le père de famille ne plaisante pas chez les Shinjo. Décidément j'aime bien ce récit!
Non, non pas parce que le pauvre kohei se fait bannir. Je le trouve bien car il est bien construit. Qu'il alterne les moments épiques et les discussions de famille.

encore une fois bravo


Récit : Au pays des gaijins - Darth Nico - 29-06-2004

gros édit, qui donne tout son sens au titre "Tonnerre dans l'Ouest". wink


Récit : Au pays des gaijins - CROM - 29-06-2004

Moi je connaissais Tonerre de Brest lol


Récit : Au pays des gaijins - Riobe - 30-06-2004

biggrin coup de téatre au milieu du désert, et un allier bien précieux arrive à la rescousse de nos héros... les esclavagistes ont intéret à se tenir à carreau maintenant wink


Récit : Au pays des gaijins - CROM - 30-06-2004

quelle 8) ce zorro!!!! ptdr


Récit : Au pays des gaijins - Darth Nico - 07-07-2004

VIII : La gazelle mystérieuse

Le soir était tombé, et sous la voûte étoilé, la grande armée de Kagataï Khan avait dressé son campement sur un plateau rocheux, dont les herbes sèches frissonnaient sous le vent. Les feux brûlaient entre les tentes et les chariots.
La chevauchée avait été éprouvante : la grosse chaleur n’épargnait personne, et en fin de journée, les pièces d’armure bouillaient, et leurs samouraï avec. Une odeur particulièrement forte de chevaux et d’hommes en sueur montait de tout le campement, comme une grosse fumée épaisse qui se répandait sur tout le plateau.
On pouvait suivre l’armée du Khan autant à la vue qu’au bruit ou à l’odeur… Et on lavait les chevaux avant de laver les hommes.
Le vent soufflait comme une rumeur lointaine murmurée dans une langue inconnue.
Zenzaûro-san et ses fils passaient au-dessus du feu des brochettes de viande, transportés salées dans les chariots de nourriture. Le jus de la viande crépitait en goûtant sur les cendres, et l’odeur piquante de la chair d’animal ouvrait l’appétit des Licornes. Des serviteurs faisaient cuire le riz dans de grandes jarres en terre cuite, puis passaient auprès des samouraï pour leur servir.
- Père, demanda Kenzan, pourquoi sommes-nous assis à cet endroit, près de la troupe d’intendance, et pas aux côtés du Khan lui-même, ou au moins avec ses hommes ?
- Du calme, mon fils, dit Zenzabûro-san. Je comprends ton étonnement, mais tu dois savoir que dans son armée, c’est le Khan qui est le maître absolu. Ce soir, il nous fait l’honneur de nous accueillir. Mais nous restons auprès des serviteurs. Demain, nous mangerons aux côtés des guerriers. Et la nuit suivante, il nous accueillera auprès de lui et nous considérera comme des frères.
Le daïmyo avala quelques bouchées de riz.
- Ainsi en a décidé Moto Kagataï. Nous devons nous plier à ses coutumes.
- Est-ce vrai qu’il s’est donné le titre de daïmyo des Sables Brûlants ?
- Oui, c’est exact. On ignore si c’est par dérision ou s’il est fier de ce titre. J’imagine que l’un a été vrai après l’autre. Toujours est-il qu’il considère les Sables Brûlants comme son royaume…
- C’est grotesque, dit Iwazuni. Il n’est que le roi d’un amas de pierres et de sables. Qui voudrait d’un pareil endroit pour le gouverner ? Et qui sont ses sujets ? Des barbares sans honneur, sans patrie, sans destin ? La belle affaire… Il n’y a pas d’orgueil à se pavaner dans ce pays hostile et oublié des kami.
- Peut-être, dit Zenzabûro en pointant ses baguettes vers son fils, mais le Khan est notre hôte ce soir. Nous mangeons son riz et sa viande et buvons son eau. Et dans ce pays, la nourriture vaut plus que l’or.
- Je suis tout de même surpris, dit Kenzan, que notre puissant daïmyo, Shinjo Yokatsu, laisse agir le Khan à sa guise.
- Le Khan est un ami de Yokatsu-sama. Déjà enfants, ils étaient amis. Et avant son gempukku, vous savez que notre daïmyo a visité les Sables Brûlants. Je pense qu’il a galopé longuement aux côtés de Kagatai-sama. Et puis qui pourrait reprocher au Khan de vouloir conquérir ces terres, si hostiles qu’elles soient ? Que ce voyage nous apprenne à concevoir les choses différemment de ce que nous pensions.
- Père, dit Kohei, je crois que vous parlez comme Tonbo Toryu, le daïmyo du clan de la Libellule.
- Que dit donc Toryu-sama pour que j’ai l’honneur d’être du même avis que lui ?
- Que toutes choses changent, et qu’il faut sentir le changement de l’intérieur… Ou quelque chose approchant. Ne m’en demandez pas plus, je ne comprends presque rien à toute cette mystique des Dragons.
Les Licornes finirent de manger leur viande grillée.
- Décidément, dit Kenzan, je ne comprendrai jamais comment nos frères des autres clans peuvent refuser la viande rouge. Ils ignorent ce qu’ils manquent !
- Et encore, ils ne connaissent pas la viande à la manière Kagatai, dit Zenzabûro-san en souriant.
- Quelle est cette recette ? demanda Kenzan.
- Parfois, ils mangent leur viande crue. Parfois aussi, ils la font cuire en la plaçant sous leur selle le matin. Ainsi, après une journée de cheval, ils retrouvent bien tannée et cuite à point.
- Par Moto, dit Kohei, tous les samuraï de la Grue vomiraient rien qu’à imaginer cela.
- Parfois, ajouta le père des samouraï, ils mangent leur viande crue en gobant un œuf.
- Un œuf cru ? dit Iwazuni, avec une expression visible de dégoût. C’est répugnant !
- Je trouve aussi, dit Kohei, mais nos frères Rokugani disent la même chose rien qu’en sachant que nous mangeons de la viande cuite.

Iwazuni baîlla longuement et s’étira.
- Par Shinjo, je tombe de sommeil. Je vais m’endormir dans peu de temps.
- Nous avons bien avancé aujourd’hui, jugea Zenzabûro-san. Je ne pensais pas que nous rencontrerions l’armée du Khan. Nous allons pouvoir voyager jusqu’à Medinat Al’Salaam sans craindre d’être attaqués par des indigènes du désert.
Le père traça avec la pointe d’un bâton quelques dessins au sol.
- Voici une carte approximative de la région. D’après ce que j’avais prévu, nous aurions dû dormir près de ce tertre que nous avons croisé à l’heure de Shiba (16-18h). Or, nous sommes maintenant beaucoup plus au sud-ouest. Ici sur ce plateau. Nous avons gagné presque deux heures de voyage. Et je gage que demain nous en gagnerons au moins le double. Nous pouvons espérer avoir gagné plus d’une journée à notre arrivée à la cour du sultan Al-Qasim.

En écoutant parler leur père, les trois fils s’étaient allongés. Leurs paupières se fermaient d’elles-mêmes. Ils retirèrent leurs habits de voyage, s’enroulèrent dans leurs peaux de bête et se souhaitèrent bonne nuit. Des ashigaru veillaient sur tout le campement.
Les quatre Licornes tombèrent dans un sommeil amplement mérité, et aussi bien savouré.

Caribou

Le lendemain, aux premiers rayons du soleil, tout les lourds ronflements cessèrent presque ensemble, laissant place à l'agitation du matin. Les rudes bushi Moto couraient sur le plateau à la recherche de leurs montures, gueulant et lançant des jurons à faire rougir une bande de Crabes avinés. C'était un spectacle rare de voir les Moto agripper les chevaux avec rudesse, leur donner une tape sur le cuir, grogner après eux, puis grimper sur eux et leur rappeler qui est le maître. Pendant ce temps, les heimin commençaient à plier le camp. Les chariots grinçaient de leurs premiers tours de roue, les tentes disparaissaient sous les bâches, on étouffait les feux de camp, les cavaliers s'alignaient dans un soulèvement de poussière et dans un concert de salutations matinales viriles et franches. Le cliquetis de toutes les armures retentissait, tandis que l'astre doré montait lentement sur son royaume.
Kohei se réveilla le dernier, encore agité par l'excitation de ses rêves. Il avait la bouche pâteuse, des picotements dans les membres et il peinait à ouvrir les yeux.
- Par Shinjo, dirent ses deux frères visiblement amusés, tu as découvert les indigènes du pays, Kohei ?
Le benjamin se frotta le visage.
- Je vous demande pardon ?
Zenzabûro-san tendit à ses fils leurs bols de riz en disant :
- Par Otaku, nous ne pensions pas que ta femme te manquait à ce point ?
Kohei commençait, à son corps défendant, à se souvenir de ce qui s'était passé pendant la nuit. Même son père ne retenait pas un sourire complice avec ses deux autres fils.
- Je me souviens assez mal de cette nuit, balbutia Kohei...
- Allons, allons, dit Kenzan, le nez dans son bol, les Licornes ne sont pas en bois. Et en pays gaijin, on peut se permettre des petits écarts, n'est-ce pas, père ?
- Par Shinjo, sourit Zenzabûro-san, je ne gronderai pas mon fils d'être tiraillé par de vigoureux besoins... Lui seul n'était pas assez fatigué pour remarquer la caravane à l'arrière du convoi... Il faut d'ailleurs croire, Kohei, que la Fortune de la Fécondité a particulièrement voulu te tenir éveillé, car tes frères et moi nous sommes endormis comme des souches.
- Oui, sourit Iwazuni, tu nous surprends... Enfin, je suppose qu'avec une gaijin, cela n'atteint en rien à l'honneur de ta femme, la belle et aimable Shizuka.

Caribou

Le pauvre Kohei ne savait plus où donner de la tête. L'affolement le gagnait. Il se souvenait brusquement de ses frasques de la nuit. Il n'avait pu trouver le sommeil. Il s'était relevé, avait marché dans le camp, et il avait fini par approcher d'une tente d'où sortait l'odeur délicieuse. A l'intérieur, une belle gaijin et son vieux grand-père buvait un thé aux arômes charmantes. Kohei avait discuté avec eux, il avait bu du thé, puis le grand-père avait laissé les deux jeunes gens seuls.
Kohei secoua la tête. Son sang ne fit qu'un tour. Il retrouvait nettement tout ce qui s'était passé !
Avant peu, la jeune femme se retrouvait nue contre Kohei, et entreprenait de défaire tous les habits du Licorne qui, nigaud au possible, avait fini par se laisser faire... La tente avait menacé de s'écrouler sous leurs assauts vigoureux...
- C'est le thé qu'elle m'a fait boire ! Elle m'a droguée pour profiter de moi !
Et sa famille d'éclater aussitôt de rire.
- Mon pauvre Kohei, dit Kenzan en riant aux éclats, tu devrais voir la tête que tu fais !... Tu t'es laissé séduire comme le premier adolescent venu ! A croire que tu avais brusquement oublié tout ce que tu savais sur les femmes !
- Oui, heureusement que le vieil homme a vite compris de quoi il retournait ! ajouta Iwazuni. Lui ne s'y est pas trompé !
- Quoi ? vous voulez dire que ?
- Allons, Kohei, tu nous as raconté ton aventure avant de t'endormir, rit Kenzan. Nous ne te demanderons pas tous les détails de tes chevauchées nocturnes !
- Par Shinjo, s'exclama Kohei, c'était comme dans un rêve ! Elle m'a dit s'appeler la gazelle du désert, et avoir succombé à un charme puissant qui depuis toujours m'unissait à moi !
- Allons, dit Zenzabûro-san en tapant sur l'épaule de Kohei, je vois qu'elle avait pris soin de préparer un texte... toutes ne le font pas !
Les deux frères éclatèrent de rire, puis se levèrent et commencèrent à enfiler leurs armures.

Moins d'une heure après, alors que l'armée du grand Khan se remettait en route, Kohei-san n'en revenait toujours pas de son aventure nocturne. Il ne parvenait pas à croire que c'était réellement arrivé. Ce genre de souvenir ne prêtait pourtant guère à confusion. Dans les jours qui suivirent, il rechercha cette jeune fille ensorcelante, cette gazelle du soir : inutile de préciser qu'elle avait disparu, comme par enchantement.

A suivre... [Image: fatale2.gif]


Récit : Au pays des gaijins - Gaeriel - 07-07-2004

kohei-->boulet


Récit : Au pays des gaijins - Darth Nico - 07-07-2004

Nul doute que les Grues ont des geishas bien plus raffinées. Boidleau

La musique qui m'a inspiré pour ce passage (up/l sur le ftp de Seb) :

Bill Laswell - Hashish (2,8 Mo) Bob2