AU PAYS DES GAIJINS
Quand son sabot frappe le sol
C’est l’airain qui s’abat soudain.
Et jaillissent le feu et la foudre.
Son hennissement retentit.
Enivrée des nuages
Elle galope à la vitesse des grands vents.
Poème de voyage Licorne.
PROLOGUE
Retour de voyage
Shinjo Kohei était encore tout couvert de la poussière des grandes plaines. Il venait de descendre de sa monture, elle aussi fatiguée ; tous deux étaient enfiévrés par le dernier galop qu’ils venaient de s’offrir. Le tonnerre avait retenti plusieurs fois dans le ciel, mais la pluie n’était pas venue, quoique le ciel fut très lourd. Tout le monde au village attendait maintenant une lourde averse, qui allégerait l’atmosphère.
Shinjo-san frappa contre le panneau de sa demeure. Il héla le palefrenier, Yoshii, qui accourut : ce dernier poussa un cri de joie en voyant son maître et sa monture. Le malheureux garçon était muet, mais savait lire sur les lèvres... et il savait crier ! On attribuait son mutisme à un excès de sang gaijin dans ses veines. Il était dur à la tâche, et ça suffisait.
Yoshii trépignait de joie, lançait des exclamations vocales, caressait le cheval, se courbait dehors Kohei, enlevait déjà la selle du cheval, poussait encore d’autres cris pour alerter les deux autres domestiques. Kohei suivit Yohsii jusqu’aux écuries, derrière la maison, à côté du petit jardin. Puis il s’assit sur les marches en pierre, et enleva avec difficulté ses bottes trempées et boueuses. Il passa une paire de sandale ; le panneau de bois s’ouvrit derrière lui : les deux servantes, Asami et Narumi étaient là : elles saluèrent bien bas leur maître. Elles le débarrassèrent de ses fourrures crottées, puis l’aidèrent à enlever le reste de ses harnachements guerriers.
Kohei passa un kimono, puis demanda à ce qu’on lui serve une collation.
- J’ai besoin d’un bol de saké pour me réchauffer ! Où est donc mon épouse ?
- Elle est partie recevoir les leçons de calligraphie du senseï Iuchi Masamori. Elle reviendra d’ici peu, répondit humblement Narumi.
- Bon, très bien. Je vais prendre un bain en l’attendant. Je le veux très chaud et très parfumé. Pendant que tu me frotteras le dos, Narumi, Asami me racontera ce qui s’est passé pendant mon absence.
Les deux servantes s’inclinèrent, avant de disparaître derrière un panneau de bois. Kohei s’assit sur une natte, s’étira et bailla. La fatigue lui pesait sur tout le corps et son estomac appelait à l'aide.
Etre enfin délivré des obligations de bienséance et de retenue, n ‘accomplir ni les politesses subtiles des Grues ni les salutations alambiquées des Dragons (de chez qui il revenait), quel plaisir !
Retrouver l’odeur de la terre et du village natals, des bords du lac, des maisons et des artisans de son quartier, cela le remplissait d’aise. Il mangea rapidement le riz, but le saké, préparé comme il l’aimait (rude et vivifiant) et non à la manière des Dragons, qui y mélangeaient Shinjo sait quelles herbes bizarres, qui dénaturaient parfaitement la boisson.
Puis il alla s’immerger dans la baignoire, poussa un soupir de soulagement, et profita des massages prodigués par Narumi.
- Hé bien, Asami, quoi de nouveau au village ? J’ai été absent si longtemps…
Il bailla, rempli d'aise.
- La vie a été paisible, honorable maître. Nous avons pensé à vous chaque jour et votre épouse…
A ce moment, le panneau de la salle d’eau s’ouvrit.
- Quand on parle de la Licorne !… s’exclama gaiement Kohei.
Iuchi Shizuka se tenait sur le seuil de la salle d'eau.
- Oh, Shinjo-san, quelle surprise, dit-elle timidement, le rouge aux joues. Je ne m’attendais pas à vous trouver déjà rentré...
- Comment allez-vous donc, honorable Shizuka ? Ma tendre Licorne est-elle devenue la meilleure calligraphe de notre région ?
- Les conseils prodigués par le senseï Masamori sont inestimables, mais je crains d'en être très indigne…
- Allons, vous me montrerez vos nouvelles compositions, déclara Kohei. Je suis sûr que vous avez fait de grands progrès !
Kohei contemplait son épouse avec une délectation à peine dissimulée.
Narumi continuait à lui frotter le dos et à le masser, tandis qu’Asami se tenait disposée à raconter la vie au village.
- Euh bien, je crois que vous pouvez nous laisser, déclara Kohei aux deux servantes. Tu m’as très bien lavé, Narumi, et toi Asami, tu me feras ton récit ce soir, entendu ?…
Les deux servantes s’inclinèrent et disparurent derrière le panneau de bois. Elles durent étouffer leurs rires. Le panneau qui les séparait de la salle d’eau était très fin. L’oreille collée dessus, elles entendirent Iuchi Shizuka s’immerger à son tour dans la baignoire, et les soupirs de plaisir des deux époux mêlés.
Prises de fou rire, et un peu honteuses, elles disparurent rapidement.
Le soir même, Kohei recevait à dîner plusieurs de ses amis. Ils revenaient tous de l’auberge du village, où les agapes avaient commencé. Le groupe d’amis avait déjà le teint rosi par le saké, quand ils entrèrent dans la maison. Shizuka et les deux servantes avaient préparé un copieux dîner pour les invités.
Les amis de Kohei s’assirent autour de la table, rendirent hommage à la maîtresse de maison et attaquèrent vigoureusement les plats. Kohei retrouvait enfin la nourriture Licorne : Yoshii le palefrenier apportait de belles pièces de cerf, qu’il avait découpé la journée avant que Narumi et Asami ne le préparent.
- Je m’incline bien bas, dit le maître de maison, devant mon ami Hisato, qui a chassé ce magnifique gibier, et je lui souhaite que les Fortunes du lac le protège lui et tous les siens !
Les invités levèrent leurs coupes et lancèrent des félicitations à Hisato, qui répondait par des remerciements chaleureux. Les samouraï mangèrent de bon appétit la viande et ne se privèrent pas de saké, pendant que l'épouse de Kohei, Shizuka, prenait soin de manger et de boire avec retenue.
- Raconte-nous donc ton voyage, Kohei ! lança un des convives. Tu nous a manqué pendant des mois, tu as eu la chance de voyager dans tout Rokugan, pendant que nous, nous étions en manœuvre à cheval, pendant des jours et des jours, sous la pluie ou dans la boue !
- Très bien, annonça Kohei, je vais vous raconter en quelques mots mon périple. Ce ne fut pas de tout repos, malgré ce qu’il paraît… Et je ne parle pas de combats acharnés contres des hordes de démons ! Que la Ki-Rin en soit remerciée, je n’ai pas eu à affronter ça !
- Alors quoi donc ? disait un des convives, bon buveur fanfaron, des rônins enragés comme des renards ? une troupe de Lion furieux, venue venger l’honneur de leur daimyo cocufié par un Scorpion ? !
Eclat de rire général. Même Shizuka peinait à se contenir.
- Non plus… dit Kohei, qui essayait lui aussi de se contenir. Ni typhon, ni morceau de ciel tombé sur ma tête, ni attaque de moustiques suceurs de sang, non…
- Alors quoi ? tu nous fais languir ! à croire que les belles manières Doji ont déteint sur toi !
Nouvel éclat de rire de l’assemblée.
- Mais non, pas du tout, dit Kohei en simulant l’agacement. J’ai seulement eu le malheur de vouloir comprendre un peu la philosophie de ces têtes de mule de Dragons !… malheur à moi si je recommence ! Que la Licorne me foudroie sur place !
- Mais pourquoi donc ? C’était trop compliqué pour ton crâne de barbare ?
- Pas du tout ! pas du tout !... ou plutôt c’est que cette shugenja Agasha a voulu me faire croire, que Shinjo la protège ! Vous savez que je suis curieux de découvrir la culture de nos frères de l’est. Je savais la pensée Dragon différente, mystérieuse. Je voulais en savoir un peu plus, pour ramener de mon voyage autre chose que de la fatigue à cheval et dans les montagnes. Malheur à moi, à cause de ma curiosité, j’en ai aussi ramené des maux de tête à n’en plus dormir !…
- Tu es sûr que ce n’est pas le saké et l’air des montagnes qui t’ont cogné sur la carafe ! lança un des samurai. Et tous de rire encore.
- Pas du tout ! la plupart de ces sages des sommets sont des buveurs d’eau. Ils vivent comme des moines. Même les bushi ! –sans parler de ces hommes tatoués. Certains sont si maigres qu’ils ressemblent à des roseaux peints. Ils ne vivent que de l’air des montagnes… Un bol de riz, c’est pour eux une repas de seigneur. Les paysans en revanche sont agréables : ils parlent volontiers du Tao de Shinsei, ils ont l’esprit simple et sont très accueillants. Ils n’ont pas la tête perdue dans l’azur…
- Tu as donc demandé à ces sages Dragons leur pensée ?
- Oui, je voulais savoir ce qu’ils pensent de Rokugan, affirma Kohei. J’ai pris exprès une question facile et pratique. Je n’aurais pas cru qu’ils puissent m’offrir un tel baratin en réponse… Je voulais juste savoir s'il pensait que les Fortunes veillent sur tous les hommes. Il m’a alors
répondu par des formules tellement compliquées, tellement indéchiffrables, que j’étais perdu au bout de quelques phrases. Il répondait par une nouvelle question, ou par une allégorie, ou par je ne sais quelle comparaison invraisemblable ! Je ne comprenais rien de tout ce charabia ! J’ai même sincèrement cru que ce Ize-Zumi à qui je parlais avait bu une coupe de trop… pas du tout : il n’avait jamais goûté d’alcool de sa vie !
Les Licorne présents ne purent s’empêcher de rire pour marquer leur stupéfaction.
- Et alors, tu leur as parlé de nous, Kohei ?
- Oh là ! mes pauvres amis, c’était encore pire ! Par les menstrues d’Otaku, il m’aurait fait douter de tout !… J’étais persuadé que nos principes de vie sont simples et pratiques, enfin je veux dire qu'ils sont fondé souvent sur le bon sens, comme celui de nos paysans. Et il se trouve qu’il n’y comprenait rien ! rien du tout. Pour lui, elle était tout à fait obscure notre philosophie pratique, il me regardait comme si j’étais un homme plein de connaissances secrètes ! C’était à peine croyable.
L’assemblée partit de nouveau d’un grand rire. Puis on trinqua à nouveau.
- Bah, ne parlons plus de ces mystérieux Togashi, proposa Kohei. Je crois que Shinsei a dit que ceux dont l’esprit vagabonde dans les nuages sont des saints.
- Alors, qu’as-tu fait d’autres pendant ton voyage ?
- Je voyageais avec mon ami Kakita Hiruya, que Benten lui sourisse. Nous nous sommes quittés sur les hauts plateaux du clan du Dragon. Lui était chargé de continuer son voyage vers les terres Phénix. Moi je devais rentrer, car mon père m’a appelé : il va avoir besoin de moi d’ici peu.
- Tu ne connaîtra donc pas comme Kakita-sama les mystères de la magie Isawa ?
- Bah, je ne comprends rien à ces tours de sorciers ! Qu’ils nous protègent le moment venu des créatures maléfiques, c’est tout ce que je leur demande…
- Tu as bien raison !
Tout le monde approuva et vida à nouveau sa coupe. Les discussions allèrent bon train pendant la soirée. Puis vint l’heure pour les invités de rentrer dans leur demeure. Chacun avait mangé et bu plus que son content ; plusieurs titubaient et durent compter sur un ami pour retrouver leur chemin dans l’obscurité paisible du village.
Une mission de confiance
Le lendemain matin, Kohei se réveilla en grognant comme un ours des montagnes. Le galop de dame Shinjo lui tapait à l’intérieur du crâne ; il n’aurait pas eu plus mal si un groupe de vierges Otaku l’avait piétiné. Il se mit sur son séant, prit ses mains dans sa tête. Il devait produire un effort pour garder les yeux ouverts. Il se gratta les cheveux en repensant aux agapes de la veille.
L’ayant entendu remuer, la servante Narumi entra silencieusement.
- As-tu mangé du riz aujourd’hui, Narumi ?
- Je vous salue, Kohei-sama, répondit la jeune fille.
- Que m’apportes-tu dans cette coupe ? Encore du saké ?
Il rit de bon cœur, mais, secoué dans tous ses muscles, il eut mal dans tout le corps : les fatigues du voyage de la veille se faisaient sentir.
- Votre épouse m’a demandée de vous porter ce breuvage qu’elle a préparée : il vous aidera à faire passer les effets de la boisson. Elle m’a bien demandé de vous dire ceci…
- Quoi donc ? demanda le samurai, en se frottant le menton. Il avait la langue pâteuse, les poils broussailleux.
- Elle dit que vous devriez avoir honte de votre intempérance d’hier soir. La servante avait rougi, elle se retenait visiblement de rire.
- Comment ça ? s’indigna Kohei. Quelle mouche la pique ?
- Elle demande… Narumi pouffa de rire.
- Quoi donc !
Kohei eut un mauvais pressentiment.
- Elle demande que vous alliez avec elle aujourd’hui faire des ablutions au temple de la divinité du lac.
- Ah non, par Shinjo !… Elle sait très bien que je ne supporte pas de passer la journée avec ces vieillards marmottants qui m’obligent à manger leur soupe qui fait aller à la selle !
- Elle dit qu’une journée de traitement vous fera le plus grand bien et éliminera les fatigues du voyage.
- Mais je ne suis plus fatigué ! tiens la preuve, je peux me lever…
Le samurai voulut se dresser d’un bond sur ses jambes : des crampes dans les jambes l’en empêchèrent, accompagnées de douleurs dans le dos. Il se rassit en geignant.
- Par Otaku !… si je ne peux pas bouger, je ne pourrai échapper au temple des divinités !
Kohei but rapidement le bouillon matinal. Le soleil était déjà haut dans le ciel. Le samurai enfila rapidement un kimono, s’étira.
- D’abord, impossible d’aller au temple, dit-il avec un contentement manifeste. Mon père m’a fait porter un message hier : il veut me voir aujourd’hui avant Doji. Pas question de le faire attendre.
- Très bien, dit Narumi en s’inclinant. Mais Shizuka-sama va se trouver très contrariée…
- Bah ! tu lui expliqueras que mon père veut me voir, elle comprendra. Passez donc une bonne journée au temple des divinités.
Kohei sortit dans la cour intérieur de sa maison, en riant, satisfait d’échapper à une journée de soins thermaux. Il inspira profondément l’air frais, l’air frais de son pays, des grandes plaines où chevauchent les troupeaux de licornes.
Il fit craquer plusieurs muscles de ses vertèbres, bailla, s’étira encore. Akodo approchait déjà, il devait se préparer sans tarder.
Après sa collation du matin, durant laquelle il expliqua à sa femme pourquoi il devait décliner son invitation au temple, Kohei partit avec son palefrenier, Yoshii le muet, et son destrier, Foudre Matinale, chez le forgeron du village. Le jeune garçon flattait la bête, la caressait, pendant qu’ils avançaient dans les rues : il savait lui parler à sa manière, autant qu’il l’admirait son maître.
Les habitants saluaient respectueusement le retour de Kohei : plusieurs se réjouissaient ouvertement du retour du jeune samurai.
Le forgeron vint au-devant du licorne et s’inclina bien bas.
- Je suis très honoré de vous revoir, seigneur Kohei.
- Comment vas-tu, Ippei ? As-tu mangé du riz ce matin ?…
- Et vous-mêmes ?… Vous avez besoin de mes indignes services ?
- Oui, je voudrais que tu t’occupes des fers de mon destrier et que tu répares mon armure. Elle a subi quelques mauvais coups.
- Je serai heureux de mettre mon art bien imparfait à votre service, comme chaque fois que vous me le demandez.
- Oui, très bien. Fais vite, car je pense repartir d’ici peu de temps. J’enverrai Yoshii ce soir pour qu’il reprenne armure et destrier.
- Je passerai la journée à travailler pour vos inestimables valeurs.
- Très bien, je te fais confiance.
Sur ce, Kohei prit au forgeron un poney et partit au trot au château de son père. Il n’était habillé que de son kimono et de son daicho. Sur la route, les yorikis en patrouille le saluèrent.
Les grands vents soufflaient sur la campagne et sur le lac aux rives blanches, et jusqu’aux montagnes au sud.
Arrivé au village, Kohei se présenta à la poterne du château. Son père, Shinjo Zenzabûro, était le vassal du seigneur des lieux, Shinjo Kanjiro.
En entrant dans le château, Kohei vit accourir vers lui des palefreniers qui, dès que le samurai mit pied à terre, s’empressèrent de s’occuper de sa monture.
Le château était construit avec de rudes pierres venues des montagnes et avec du bois d’arbres qui ne poussent que dans les plaines Licornes. Il était orné de décorations inspirées à la fois de motifs des gaijins et dyu style impérial de la côte est : il se mêlait ainsi dans les étendards un mélange de raffinement et de sauvage qui heurterait le goût raffiné d’un artiste du clan de la Grue. Le familier et le bizarre aux dimensions des vastes plaines s’unissaient rudement. Le clan du Lion parlerait de goût impur et barbare
De la porte du bâtiment principal, Kohei vit ensuite sortir son père. Il alla vers lui et s’inclina :
- Père, c’est un grand honneur pour moi de vous revoir aujourd’hui. Je remercie Shinjo de me donner cette chance.
- Comment vas-tu, mon fils ? As-tu fait bon voyage ? dit Shinjo Zenzabûro, content et fier. Il donna à Kohei l’accolade et lui tira l’oreille, vieille coutume familiale. Tu me raconteras plus tard tes aventures. Pour le moment, Kanjiro-sama nous demande sur l’heure. Tes frères vont bientôt arriver.
Zenzabûro était un samourai dans la fleur de l’âge, qui avait toutes raisons de remercier les Fortunes pour ses trois beaux fils, grands et bien portants. Kohei était le benjamin : il entrait dans sa vingtième année. Le cadet se nommait Kenzan (il avait vingt-cinq ans), l’aîné Iwazuni (vingt-huit ans).
Iwazuni, Kenzan, Kohei.
Les trois frères et leur père se retrouvèrent dans la grande salle de réception de Shinjo Kanjiro, le daimyo de leur père. Kenzan et Iwazuni saluèrent leur petit frère.
- Comment vas-tu, petit Kohei ? Tu as vu du pays, dis-moi ! riait l’aîné
- Regarde-moi ça s’il a grandi ! C’est un jeune coq maintenant et non un petit poussin ! reprit le cadet.
- Euh oui, fit fièrement Kohei, en montant sur ses ergots, maintenant je suis moi aussi un samurai, comme vous Croyez-moi j'en ai vu des choses chez nos amis de l’est ! Plus de choses que vous ne pouvez imaginer !
- Tu l’entends se vanter ! Mais c’est qu’il est orgueilleux avec ça !
Iwazuni attrapa son frère et lui frictionna vigoureusement le crâne en rigolant, pendant que Kenzan mimait des coups. Leur père rit de voir ses trois enfants se battre comme des petits brigands excités.
On toqua alors à la porte : un serviteur s’inclina pour annoncer l’entrée de Shinjo Kanjiro.
En entendant cela, Zenzabûro et ses trois fils s’assirent sur leur natte et cessèrent de faire le moindre bruit. Shinjo Kanjiro, daymio du village aux rives blanches, entra alors, en se faisant de l’air avec un grand éventail. Les quatre samurai s’agenouillèrent et s’inclinèrent jusqu’au sol.
- Relevez la tête, samurai, ordonna Kanjiro-san. Je suis heureux de vous voir tous réunis, dit-il, souriant en contemplant les quatre hommes réunies.
- C’est nous qui sommes profondément honorés que tu nous convoques dans ton château, Kanjiro-sama, dit Zenzabûro.
- Les Fortunes nous laissent rarement en repos, dit le daymio, car nous sommes comme le vent qui semble se reposer ici quand il souffle en réalité plus loin...
- Je crois deviner à tes paroles, dit Zenzabûro, que le vent ne tardera pas à venir souffler ici.
- Tu devines bien… répondit le daymio. Il marqua une pause puis annonça :
- Samurai, notre clan bien-aimé a besoin de vous.
A ces mots solennels, les samurai s’inclinèrent légèrement.
- Nous avons besoin de vous pour assurer notre honneur.
- Nous accomplirons la tâche que tu nous confieras, Kanjiro-sama, dirent les trois frères ensemble.
- Tes fils parlent bien, nota le daimyo à l’intention de Zenzabûro. Que leur courage soit aussi prompt que leurs paroles !
- Il le sera, assura le père.
- Très bien, alors écoutez.. Sachez que les magistrats Ide ont passé plusieurs accords commerciaux avec des sociétés marchandes de l’ouest… Vous voyez ce que je veux dire.
Le daimyo avait prononcé ces derniers mots avec hésitation.
- Oui, tout à fait, dit Zenzabûro, soucieux d’éviter une gêne à son daimyo : tu veux sans doute parler de ces marchands qui viennent de plus loin que Rokugan même et qui portent des noms d’ailleurs…
- C’est bien cela. Nous avons commandé de belles et rapides montures à ces « gaijins » ainsi que des instruments qu’ils fabriquent, telles ces tubes qui permettent, quand on le met contre son œil de voir au loin, comme les aigles.
- J’ai entendu dire que les marchands appellent cela une « longue-vue », intervint Iwazuni, le fils aîné.
- C’est bien cela. Des « longue-vues » ainsi que de grands arcs et d’autres objets fantastiques qui donneront une force inconnue à nos troupes.
- Nous sommes certains, dit Zenzabûro que si les honorables magistrats ont voulu acquérir ces objets, ils nous seront très utiles.
- Parfaitement. Aussi le moment est-il venu de payer ces marchands. Nous avons préparé les plaques de métal. Je vous demande de transporter cet argent chez les marchands.
- Ce sera pour nous un grand honneur, puissant daimyo.
- Zenzabûro-san, tu prendras le commandement du convoi et tu emméneras tes trois fils avec toi. Menez à bien cette expédition et je te promets, Zenzabûro d’agrandir ton domaine. J’ai entendu dire que ton voisin allait bientôt partir préparer sa prochaine vie avec nos moines. Il serait juste que tu reçoives une partie de son territoire, car tu es aussi son ami.
- Ce serait un grand honneur pour moi, Kanjiro-sama.
- Très bien. Donc c’est dit : vous mènerez le paiement pour les gaijins, puis au retour, vous reviendrez avec les objets qu’ils ont fabriqués pour nous. Vous partirez après demain. Que les Fortunes soufflent sous les sabots de vos montures !
A suivre...