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Dossier #15 : La constellation de la veuve
#11
DOSSIER #15<!--sizec--><!--/sizec-->

Le quartier Galippe s'était transformé pendant la guerre en une zone de non-droit. Deux des trois passerelles y menant avaient été déclarées interdites à la circulation. Le quartier avait de plus été amputé de près de la moitié de sa surface, qui avait été raccrochée au quartier voisin. C'était la plupart des industries textiles qui partaient. Ne restaient que quelques vilaines rues pour des petits trafics, des hôtels de passe, des entrepôts clandestin, des ruelles pour naufragés de l'existence.
L'inspecteur Faivre, les détectives Turov et Morand franchissaient la dernière passerelle qui y menaient encore.
- Puis-je vous demander ce que nous venons faire dans cet endroit ? dit Morand.
Le Scientiste essayait de rentrer la tête dans son col montant. Il croyait attraper une conjonctivite rien qu'en regardant ce quartier délabré.

Faivre avait reçu dans la matinée un appel de l'inspecteur Lanvin :
- J'ai repensé à toi... Pas pour ton dossier... J'ai entendu par des collègues de la Crim' que vous cherchiez un type en cavale. On a un gars qui pourrait t'aider : Isidore Trenko. Va voir dans Galippe.
Trenko était un indic régulier de la Brigade des Rues. Diverses petites condamnations pour cambriolages et braquages ratés ne lui avaient laissé d'autre choix que de se faire informateur. Il végétait entre les trois ou quatre débits de boissons de Galippe depuis la guerre.
- La guerre, je voulais la faire, disait-il à qui voulait ou pas l'entendre, mais on m'a réformé... J'y peux quoi ?
Comme tous les jours, il arrivait à cette heure où il ne pourrait plus tenir sur son tabouret et où il tenterait de changer de bistrot. C'est à ce moment que Faivre, Turov et Morand rentrèrent.
- Ces gens n'ont donc pas d'idée de l'hygiène ? murmura le Scientiste.
Trenko reconnut en Faivre un policier.
- Oh merde...
- Calme-toi, mon petit Isidore... On vient discuter.
Faivre s'assit d'une jambe sur le tabouret. Turov resta debout. Morand ne savait pas comment se tenir. Son allure effrayait les rares clients, et lui, cet intérieur crasseux le dégoûtait.
- Vous ne me ferez pas boire, hein...
- Mais non, mais non, dit Faivre.
Il fit signe au patron de servir Trenko. Turov prit l'informateur par le bras et l'aida à s'asseoir correctement. Le patron servit docilement Isidore.
- On venait prendre de tes nouvelles.
- Ben vous direz bonjour à Lanvin de ma part.
- Il va bien, dit Faivre, il te salue.
Trenko tremblait. Il renifla, prit son verre et but.
- Vous voulez quoi ?... Encore trois verres et je tombe, alors grouillez-vous...
Faivre lui laissa le temps d'en prendre un second.
- Plus que deux, je vous préviens.
- On cherche un type nommé Antiphon. Un acteur.
- Vous croyez que je fréquente ce monde-là ?... Mon dernier tour de chant, j'avais 8 ans... Quel désastre, d'ailleurs.
Ses yeux s'embuèrent en repensant à la honte causée à ses parents et professeurs.
Le patron comprit qu'il ferait mieux d'aller vérifier ses réserves dans sa cave. Il descendit par le soupirail.
- Il a fait du raffut dans les Célestes, il y a trois jours.
- Les Célestes, j'y vais jamais... On me chasserait vite fait.
Turov s'assit à côté de Trenko.
- Ah non hein, vous ne me ferez pas ce coup-là...
- De quel coup tu parles ? dit Turov.
- Méchant flic et tout ça...
- Antiphon n'est plus aux Célestes, dit Faivre sinon je ne viendrais pas.
Trenko vida encore un verre. Il tremblait de plus en plus. On aurait cru qu'il était sur le point de se noyer de l'intérieur. Ses yeux jaunis allaient bientôt pleurer de l'alcool.
- Je serais vous, dit-il, prêt à perdre connaissance, j'irais voir du côté de Rotor...
Il grommela sa fin de phrase. Il prit la bouteille. Turov l'obligea à la reposer.
- Rotor combien ?...
Trenko devenait mauvais. Il regardait Faivre avec une haine animale.
- Rotor, quoi !
- Il y en a beaucoup des Rotor !
- ... Rotor 32, voilà !
- Pourquoi là-bas ?
- C'est hors-la-loi, ce quartier... Il y a des anarchistes qui campent...
Turov lâcha la bouteille. Trenko la reprit. Faivre se leva et sortit avec ses deux détectives. Ils entendirent Trenko tomber de son tabouret.
- Vous allez, balbutia Morand, croire ce misérable déchet ?...
- Il a de bonnes informations, dit Faivre, plutôt pour lui-même.
- Je ne pensais pas que la police utilisait ce genre de renseignements.
Faivre leva les yeux au ciel.
- Je suis certain que ces indications ne vaudront rien devant la justice, dit le Scientiste.
- Vous rentrez à Névise taper un rapport, dit-il.
- Raconter qu'un alcoolique au dernier degré nous a aiguillé sur la piste du fugitif ?
- Je vous apprendrai à rédiger un rapport d'enquête, mon petit Morand. Il faut savoir composer, arranger... Je relirai derrière vous. Turov, vous continuez avec moi.
- D'accord.

Les deux policiers montèrent aux Célestes.
- On va visiter les deux maisons où Antiphon nous a échappé.
Ils repassèrent au Clito, où on ne put rien leur apprendre. Ils allèrent ensuite au Huitième Ciel, le premier bordel dont Antiphon s'était enfui. Ils apprirent que c'était un habitué. Il venait souvent après les représentations. Ils parlèrent à la fille qu'il venait voir.
- Tu vas essayer de te souvenir de tout ce que tu sais sur lui, dit Faivre. N'importe quoi...
Turov voyait plusieurs filles lui faire des signes par la porte. Elles appréciaient sa carrure d'homme fort.
- Je ne sais pas... C'était un habitué, c'est tout mais il ne faisait pas trop de confidences...
- Tu connaissais Olga ?
- Olga, elle a travaillé un temps ici. Mais elle est partie...
- Si tu te souviens de n'importe quoi, tu nous le dis, insista Faivre.
Il sentait qu'il faudrait revenir.
- Il est parti, tu sais, dit l'inspecteur, il ne reviendra pas.
Ils remirent leurs chapeaux et partirent.
- Toi, tu dois être un sacré costaud, dit une fille en effleurant les biceps de Turov.
Ils sortirent, Turov était tout émoustillé.
- C'est pas la même ambiance qu'au port, hein, dit Faivre.
- Ah ça non !
Ils étaient à près de trois mille mètres au-dessus du niveau de l'océan.

Ils se quittèrent au tramway.
- A demain, détective. On verra ce que Morand a fait dans son rapport.
- On le corrigera soigneusement.

Faivre avait commencé la journée en décuvant, l'avait continué dans un taudis sinistre et dans les maisons closes. Il la finit à Torvald, dans la chambre d'une prostituée dont il était un peu le protecteur...
- Oh mon Gus, tu es venu...
Jusqu'ici, il ne lui avait jamais pris d'argent alors qu'elle, tout amour, ne demandait qu'à lui en donner.
- Tu me protégerais, Gus... On se ferait notre petite vie. Tu as tout fait pour moi...
Elle lui caressait la poitrine, lui faisait des baisers dans le cou. Faivre regardait droit devant lui. La lampe offrait une lumière malade, mêlée à la poussière et aux émanations faibles des réverbères.
Il reboutonna sa chemise :
- Je dois partir, dit-il froidement.
Elle retint sa colère. Elle ne pouvait pas se permettre de lui en vouloir.

Avant-guerre, Faivre avait tué le souteneur de cette fille. Il avait traîné le corps dans la rue, l'avait jeté dans une benne d'ordures collectives. La Brigade criminelle n'avait jamais mis d'énergie sur l'enquête.
- On se revoit bientôt, mon Gus ?
Il se demandait pourquoi il la voyait encore.
- Il faut que tu te débrouilles sans moi...
- Prends mon argent, Gus... Prends-en plein, mais reste ici.
- J'ai un nouveau poste. Beaucoup de travail...
Elle pleurait. Faivre savait qu'après les supplications et les roucoulades, elle allait passer aux reproches aigris. Il réussit à partir avant qu'elle n'y arrive.
L'inspecteur rentra chez lui et s'endormit aussitôt. Tant mieux, car c'est ce genre de journées qu'on aime oublier vite.


¤


Maréchal avait commencé sa journée dans le quartier des Oublies, au cabinet du docteur Heims.
Le docteur le recevait entre deux consultations :
- J'ai toujours un moment à consacrer à mon patient le plus intéressant, dit-il en finissant de remplir des papiers.
Il posa son stylo. Il faisait tourner légèrement son fauteuil :
- Qu'est-ce qui vous amène ?... Mais pour commencer, comment vous portez-vous ?
- Mieux, dit Maréchal, content de pouvoir le dire. Mieux, même si Forge ne m'a pas fait du bien aux yeux.
- Oui. Vous voyez qui comme opthalmo ?
Maréchal lui dit le nom.
- Oui, c'est quelqu'un de compétent. Et vos troubles ?
- Disparus... Plus rien depuis plus d'un an.
- Bon, parfait...
Le docteur sourit. Il fit une petite moue ironique aussi, pour montrer qu'il était un peu déçu.
- Mais bien sûr, dit Maréchal, complice, si jamais cela me reprenait...
- ... ce que je ne vous souhaite pas, bien sûr...
Ils étaient d'accord.
- Autre chose ?
- Oui, je viens vous voir pour une de mes enquêtes... Un cas qui vous intéressera.
Le docteur ne cacha pas son regain d'intérêt. Il prit une pose bien plus studieuse.
- Il s'agit d'hypnose, disons, commença Maréchal, qui ne savait par quel bout prendre l'histoire. Croyez-vous... Enfin, comment marche l'hypnose ? Est-ce que ça marche, d'abord ?
- Sur un patient volontaire, oui. C'est une bonne méthode de traitement...
- Mais sur quelqu'un qui ne serait pas volontaire ?
Heims réfléchit.
- Y a-t-il des cas, dans les annales de la médecine qui... ?
- Sur quelqu'un de franchement réfractaire, non, l'hypnose ne pourrait pas marcher... Après, il existe des techniques de soumission de l'individu. Des gens fragilisés, abandonnés, qui cherchent une planche de salut... Quelqu'un en détresse qui se laisse avoir par un escroc qui profite de lui...
- Et sur quelqu'un d'équilibré, normal ?
- Franchement, je ne crois pas. Sur quelqu'un qui aurait une bonne situation, une vie réglée, un esprit critique...
Heims était très intéressé. Il plissait les yeux comme pour lire dans l'esprit de l'inspecteur.
- Alors nous devons faire fausse route...
- Vous croyez connaître quelqu'un qui pourrait prendre une emprise profonde sur des gens normaux ?
- Peut-être...

Voilà ! Maréchal avait appâté le docteur et il n'avait pas de "gibier" dans sa gibecière. Le docteur lui serra la main, sans dire explicitement qu'il voulait en savoir plus. Mais l'inspecteur n'avait pas de doute. Heims comptait bien sur lui pour jouer les rabatteurs, pour lui amener un cas si exceptionnel.

Maréchal avait continué en rencontrant un ancien membre de la secte d'Antiphon -secte à laquelle avait appartenu aussi madame Mélian.
L'homme s'appelait Carno Zbarowski. Il travaillait pour PLAN, dans une sous-section de BUDGET, au traitement des dossiers de classifications des dossiers de compte. C'était un immeuble gris, massif et à l'intérieur, grouillant de vie, de dizaines de gens pressés de courir dans tous les sens. Une ruche. Maréchal devait s'écarter en permanence pour laisser passer de véritables trains d'employés poussant des chariots ou marchant les bras chargés de dossier, si vite que c'était comme si leur vie en dépendait.
- Pardon, je cherche le service de traitement des dossiers ?
- Quels dossiers mon pauvre ami ?
- Les dossiers de dossiers !
- Demandez à l'accueil !
Maréchal se retourna, évita à temps un chariot. Il avait le tournis. Il reprit l'ascenseur pour le rez-de-chaussée et parvint à se faire comprendre :
- Bâtiment C, couloir 32...

C'était plus calme. Des secrétaires discutaient de leurs maris et de leurs amants. Certains rangeaient des classeurs, sous les ordres d'un supérieur revêche, qui leur donnait des instructions maniaques.
- Non ! Refaites tout ça ! ! Vous devez classer selon l'étiquetage !
Un grand bureau avec au moins quinze places n'était occupé que par deux personnes qui devaient être des jumeaux, chacun à un bout de la table. Ils tapaient lentement et studieusement à la machine. Il y avait un bureau où on jouait aux fléchettes, un autre où on commentait le journal, les pieds sur la table.
Maréchal voyait les numéros de couloirs, sans saisir leur ordre.
- Le couloir 32, s'il vous plait ? demanda-t-il dans un bureau au hasard.
Ce fut pris comme un affront. La femme qui était en train de refaire son chignon devant son miroir dit qu'elle n'en savait rien. Elle sortit son rose à lèvres et grommela que les gens se permettaient n'importe quoi.

Un sous-directeur se lamentait seul dans son bureau :
- Le couloir 32, s'il vous plait ?
- Oh mais mon pauvre ami... Le couloir 32, mais tout le monde s'en fiche du couloir 32 !...
Ce type allait finir pendu avant le soir.
L'inspecteur vit qu'il était arrivé au couloir 31. Il se dit donc que...
- Mais vous n'y êtes pas, mon pauvre ami, lui dit-on alors... Le couloir 32 est de l'autre côté, il faut traverser la passerelle interne...
C'était un employé plus fringant que les autres, qui paraissait épanoui. Maréchal trouvait enfin quelqu'un de fiable. Ils prirent un couloir, empressés.
- Vous faites quoi ici, vous ? dit Maréchal pour nouer une petite complicité avec son sauveur.
- Pour le dire vite, je m'occupe des fiches de paye des employés de SANITATION.
Au moins, on comprenait.
Ils trouvèrent la passerelle après le couloir 14.
- Voilà, vous continuez tout droit, et c'est la première à gauche.
- Merci beaucoup...
Reply
#12
Pauvre Morand, il va finir par porter plaintebiggrin
Reply
#13
C'est enorme!
tellement que je me les imprime pour les lire dans le RER.
Un régal!

Reply
#14
DOSSIER #15
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Maréchal passa au-dessus d'un jardin entre deux bâtiments. Il s'adressa à une secrétaire, assez jeune, sans charme mais pas désagréable.
- Vous avez rendez-vous ?
- Je crains que non, sourit Maréchal.
Il montra sa plaque de SÛRETÉ.
- Ah, je vois... Monsieur Zbarowski est en réunion en ce moment.
- Je crains de devoir le déranger.
- Attendez, je vais voir.
Elle alla frappa à la porte. Elle se fit crier dessus comme une moins que rien mais garda tout son calme. Elle murmura quelques mots à un homme, pas celui qui venait de lui crier dessus, puis referma la porte. Elle ne paraissait pas troublée de s'être fait recevoir si grossièrement.
La porte de la salle de réunion s'ouvrit. Un homme d'une trentaine d'années en sortit, honteux, puis soulagé. Il respira et dit à la secrétaire :
- Dis, heureusement que tu me sors de là ! Je te la revaudrai !
- Monsieur voudrait te parler.
- Bonjour, enchaîna Maréchal, comme on prend la balle au bond, SÛRETÉ. J'ai quelques questions et j'ai besoin d'un endroit au calme pour vous parler.
C'était vite et bien dit. Du coup, l'autre mit du temps à enregistrer ces ordres.
- Ton bureau est libre, dit la secrétaire en comptant des pages.
- Ah oui, bonne idée.
L'employé ouvrit une porte et fit entrer l'inspecteur :
- Voilà, installez-vous, hein...
Maréchal ne fit pas de cérémonie. Il s'appuya sur un bureau :
- Quel est ce service, ici ?
- Les dossiers de traitements de classifications des dossiers.
Maréchal ne fit pas de commentaire. Occuper les gens pour préserver la Concorde Sociale...
- Bien, vous êtes le citoyen Carno Zbarowski ?
- Oui, évidemment, mais que...
- Permettez... Vous avez appartenu, il y a cinq ans de cela, à un groupe, maintenant dissout, dont le chef a été accusé d'atteintes répétées à la pudeur.
L'autre accusa le coup. Il s'assit.
- Si je me doutais...
- Ce sont de mauvais souvenirs pour vous ?
- Pas qu'un peu ! Mais j'ai rompu avec...
- Nul n'en doute. J'enquête sur un autre membre de ce groupe. Un nommé Antiphon, le nom vous dit quelque chose ?
- Lui ? Ce n'était pas le second du gourou ?...
- Vous me l'apprenez.
Il s'épongea le front.
- Vous savez où il se trouve ?
- Bien sûr que non, j'ai rompu entièrement avec...
- Vous avez d'autres noms ?
- Franchement, non, non...
- Que pouvez-vous me dire sur cette secte ?
- J'y suis rentré au sortir de mes études... J'avais alors tout raté. Ils m'ont entraîné, m'ont extorqué le peu d'argent envoyé par mes parents.

Maréchal alluma une cigarette et lui en proposa une. Il refusa, accablé.
- Cette secte, elle "enseignait" quoi ?
Il le savait mais il ne voulait pas s'en souvenir, il avait trop peur.
- Je ne saurais pas vous expliquer... Vous devriez regarder dans le livre...
Il fermait les yeux, ne voulait plus s'en souvenir, de ce livre.
- Le livre des mille étoiles... C'est le nom... Des légendes, des histoires sur la Cité.
- Vous ne savez rien d'Antiphon ? Vous ne l'avais jamais revu ?
- Non, je vous le jure...
Il était à bout.
- Bon, je vais vous laisser retourner à votre réunion.
Zbarowski ne sut pas s'il devait le remercier. Retrouver son supérieur n'était pas plus agréable.


¤


Maréchal faisait le gros dos en ressortant. Il alla s'entasser avec la foule dans le tramway. Il repassa au bureau. Morand était revenu de Galippe. Il tapait son rapport. Il raconta leur discussion avec Trenko.
Maréchal tapota sur la table. Il hésitait.
- Vous pensez que cet indic est fiable ?
- Je crois que l'inspecteur Faivre le tient d'un collègue de la Brigade des Rues.
Ce n'était pas pour rassurer Maréchal.
- C'est une véritable loque, ajouta Morand.
Maréchal sourit. Ça, c'était peut-être bon signe.
Il resta plus tard au bureau. Il appela Nelly pour dire qu'il n'aurait pas le temps de la voir.
Turov et Faivre rentrèrent tard des Célestes :
- Vous dépensez l'argent du contribuable pour faire le tour des claques, félicitations...
- On a trouvé une grosse piste, dit Turov.
- Vous voulez parler de l'information donnée par cette épave de Trenko ?
Maréchal faisait exprès de les cueillir à froid.
- Ça ne coûte rien d'aller y voir à Rotor 32, dit Faivre. Avec un peu d'armement lourd...
- Vous croyez que la Brigade Spéciale dispose d'un mortier, inspecteur ?
- Je suis sûr que je peux emprunter quelques fusils à Lanvin.
- La question est de savoir pourquoi nous y allons.
- Rotor 32 est un quartier désaffecté, dit Faivre. Un repaire de subversifs... Une cachette parfaite pour Antiphon.
- Au moins, si nous ne trouvons rien, dit Maréchal, il n'y aura que des clochards pour rire de nous.
- Exactement.
Il était tard. Maréchal dit qu'on se retrouvait le lendemain dès 5 heures, sur le pied de guerre.

Ils eurent un court sommeil avant de revenir dans le bureau, comme s'ils ne l'avaient pas quitté.
- Bien, dit Maréchal en versant du café à tout le monde, voici les plans de Rotor 32...
Il ouvrit l'atlas général de la Cité. Ils regardèrent les accès et les rues.
- A mon avis, les arpenteurs de CADASTRE n'ont pas dû s'éterniser là-bas, dit Maréchal. On peut s'attendre à quelques changements par rapport au plan.
- Moi j'ai amené des fusils, dit Faivre en posant un gros sac de toile sur le bureau.
Il sortit des armes de fort calibre, utilisées pour les affrontements contre les bandes.
- Très peu pour moi, dit Maréchal, à qui ces armes rappelait l'armée. Je garde mon révolver de service.
Déçu, Faivre se tourna vers Turov, qui prit plaisir à soupeser les beaux produits de la manufacture générale d'armement. Il fit jouer le chien, le magasin, épaula et visa.
Il reposa le fusil sur la table, admiratif :
- Un bel engin.
- N'est-ce pas ? dit Faivre, content de trouver un amateur.
Morand avait l'air lui aussi de mépriser ces gros calibres.

Les quatre hommes de la Brigade mirent leurs manteaux. La secrétaire les regarda, assez admirative. Ils n'étaient plus de simples fonctionnaires de SÛRETÉ : ils étaient des protecteurs de l'ordre et de la justice dans la Cité ! Faivre et Turov bombaient le torse comme des officiers.
Maréchal ne voulait pas voir cela. Il sortit avant eux, suivi par Morand.
La Brigade se mit en route. Ils prirent un ballon-taxi, "parce qu'on ne part pas en guerre en tramway", dixit Faivre. Ils se posèrent devant la passerelle, où un Pandore faisait le planton.
Maréchal montra sa plaque :
- Police judiciaire...
- Très bien. Je tiens à vous signaler qu'il y a dans ce quartier des gens potentiellement dangereux...
- Comment se fait-il alors qu'ils n'aient pas encore été appréhendés ? dit Maréchal.
Faivre et Turov chargeaient leurs armes avec un air d'importance.
- Ecoutez, inspecteur, il n'est pas interdit de posséder une arme et ces gens...
- C'est ça, c'est ça... Nous, nous allons voir de quoi il retourne.
L'inspecteur chargea son revolver. Il passa le premier sur la plateforme. Pas besoin d'un fusil pour être courageux !

Un maigre vent soufflait sur des immeubles aux portes et fenêtres condamnées. Rien ne remuait.
Maréchal sortit une copie du plan de sa poche. Ils avaient mis leur cache-nez à cause du froid.
- Bien, séparons-nous. Morand avec moi, nous passons par les ruelles ici... Vous deux, vous passez par les rues entre ces bâtiments. Nous nous arrêtons avant cette palissade, qui délimite un terrain vague. Rendez-vous à ce coin, au bout de la rue principale.

Morand maniait nerveusement sa canne.
- Vous n'avez pris aucune arme ? dit soudain Maréchal.
- J'ai un pistolet traditionnel...
Il sortit de sa poche intérieure une élégante arme, fine et allongée.
- Nous ne sommes pas à l'académie, détective.
- C'est celle dont je me sers le mieux. Savez-vous que j'ai eu le troisième prix de tir de l'année 208 ?
- Aujourd'hui, Morand, il va falloir être à la hauteur du premier prix...

Ils avancèrent au milieu de gravats. Les restes d'un immeuble abattu par VOIRIE. Les travaux de destruction du quartier n'avaient pas été terminés. Ils marchèrent entre les pans de murs et les restes d'escaliers. Maréchal tendit l'oreille et fit silencieusement signe au Scientiste de se rapprocher de lui. Il lui désigna un amas de briques, puis cria :
- Allez, sors de là !
Morand ne voyait personne. Il sortit son arme et pointa vers l'amas.
- Tirez pas, tirez pas !...
Un enfant en guenilles sortit. Il serrait contre sa poitrine un sac élimé.
- Baissez votre arme, dit Maréchal, souriant. Je n'ai pas dit que nous avions affaire à un tueur sanguinaire.
Le gamin allait s'enfuir.
- Viens voir par là...
La silhouette spectrale de Morand lui fichait une trouille bleue.
- Ne t'inquiète pas, il n'est pas si méchant qu'il en a l'air.
Morand eut une grimace indignée : il n'étais pas d'accord !
Le gamin approcha, hésitant. Maréchal répéta son invitation, cette fois en parlant avec l'argot des rues. Cela mit le gamin en confiance. Pas Morand, qui eut un sursaut, les épaules jusqu'aux oreilles, révulsé d'entendre un inspecteur de police parler ce langage.
- Vous parlez, enfin, le...
Maréchal lui dit de se taire. Il offrit une cigarette au gamin, qui lui baragouina quelques informations. Morand devait se concentrer pour comprendre.
- Il faut l'emmener dans une institution spécialisée, nous ne pouvons pas...
- Allez, tire-toi, dit Maréchal sans écouter le détective. Et tu vas dire à ta bande de déguerpir...
Le gamin disparut dans les décombres.
Maréchal avança vers la grande rue entre les quelques immeubles encore debout.
- Suis-je en droit de savoir ce qu'il vous a dit ?
- Vous êtes, oui, en droit, dit Maréchal. Il y a des gens armés qui campent dans le terrain vague... Nous allons voir ce que les deux autres ont trouvé.
Ils arrivèrent sur la grande rue. Elle était déserte, poussiéreuse. Les fenêtres étaient bouchées. A deux pâtés du bout, se dressait un immeuble plus haut que les autres.
- Allons voir là-haut, dit l'inspecteur. Cinq étages, nous aurons une meilleure vue.
- Si les escaliers tiennent le coup, dit Morand.

De leur coté, Faivre et Turov avaient rencontré une autre bande de gamins. Comme ils ne parlaient pas leur argot, ils mirent plus de temps à comprendre.
- Et puis surtout, dit le plus grand des petits vagabonds, faut pas aller en haut de l'immeuble qui fait cinq étages ! C'est malsain là-haut !
Faivre et Turov les laissèrent partir et coururent dans la rue. Ils virent Morand et Maréchal entrer dans ledit immeuble !


¤


Maréchal soufflait dès le deuxième étage. "Voilà bien l'effet nocif de la cigarette sur le système respiratoire", songea Morand. Par politesse, il ne passa pas devant. Il vit quelque chose bouger au dernier étage. Il scruta plus attentivement : plus rien.
L'immeuble était décrépit. Il y avait certainement toutes sortes de bestioles, peut-être d'autres enfants, qui y avaient élu domicile.
- J'ai encore vu...
- Qu'est-ce que vous dites ? demanda Maréchal, qui reprenait son souffle sur le troisième palier.
- Par deux fois, j'ai vu quelque chose bouger là-haut...
- Tant mieux, nous y allons.
Ils entendirent du monde entrer : Turov et Faivre.
- Nous sommes là-haut, lança Morand.
- Attendons-les, décida Maréchal.
Ils étaient hauts ces étages !
- Vous n'avez rien vu de suspect ? demanda Turov.
- J'ai cru voir quelqu'un là-haut, dit le Scientiste.
Ils montèrent groupés. Le dernier palier était aussi poussiéreux que les autres. Du vilain papier se décollait des murs, le plafond était troué. Six portes battaient dans les courants d'air. Maréchal sortit son arme. Il rentra le premier dans la pièce la plus proche. Un ronronnement.

La pièce est nue. Au fond, se trouve une grosse armoire en fer. Il s'en dégage des vapeurs froides. Maréchal la braque. Turov ouvre : la lumière s'allume à l'intérieur.
- Un frigo, dit l'ancien marin. Un frigo industriel...
L'intérieur est vide. Divers branchements à ventouses pendent dedans.
- Vous connaissez ce matériel ? demande Faivre.
- Oui, dit Turov, c'est un frigo de bateau de pêche. Du tonnage moyen.

Morand se tourna brusquement vers la porte. Il prit son arme en mains :
- Quoi donc ? souffla Maréchal en ressortant son arme.
Le Scientiste dit qu'il y avait du monde dans le couloir.
Faivre ressortit en premier. Les cinq autres portes battaient toujours, certaines grinçaient. Ils ouvrirent chacun une porte. Turov et Maréchal trouvèrent un frigo chacun. Ils l'ouvrirent : ils étaient tout aussi vides.
- Là par là ! cria Morand.
Il braquait la fenêtre de sa pièce.
- Un homme vient de s'enfuir par là !
- Vous êtes certain ?
- Ah oui... Il avait une espèce de combinaison de mitier !
C'était la première fois qu'on voyait Morand sous le coup d'une émotion. Cela rassurait Faivre. Maréchal se pencha par la fenêtre.
- Personne... Mais ça vaut la peine d'aller voir. Faivre, vous m'accompagnez... Il faut trouver un accès. Il doit bien y en avoir un.
- Au bout du couloir, dit Turov, il y a une échelle de plafond.
La planche basculait en effet. Maréchal grimpa, l'arme au poing. Faivre le suivit.
Turov et Morand redescendirent par l'escalier.
Maréchal alluma son briquet pour avancer, accroupi, dans le grenier. Une brise soufflait par un carreau cassé.
- On y passe ? murmura Faivre.
- Tout juste...
Maréchal s'y engagea. Les épaules passèrent. Il s'adossa à la petite cheminée en-dessous de lui, pour aider Faivre à sortir. Ce dernier fit discrètement signe à Maréchal que la créature avançait sur le toit derrière eux.
Les deux policiers jaillirent de derrière la cheminée, descendirent sur le toit glissant et sautèrent sur l'immeuble d'à côté.
- Halte là ! SÛRETÉ ! La créature s'enfuit. Au bruit de ses pas, on devinait qu'elle portait de grosses bottes.
- Arrêtez-vous ! Dernière sommation !

La créature accéléra. Elle descendit de l'autre côté du toit et sauta dans une fenêtre. Maréchal visa et l'atteignit dans l'épaule. Elle roula dans le couloir. Maréchal et Faivre traversèrent le toit et sautèrent à leur. Ils se reçurent sans mal et arrivèrent en la braquant. Elle se tordait de douleur à terre.
Elle portait une combinaison caoutchouteuse. Par le trou de la balle se dégageait de la vapeur sous pression très froide. Les deux policiers se bouchèrent le nez car c'était un gaz pénible à respirer.
Faivre retourna la créature. Elle avait un masque sur le visage. La combinaison était intégrale. Elle était faite pour être parfaitement étanche.
La créature gémissait. Faivre ne savait que faire pour la sauver. Il enleva les protections sous pression de la combinaison, la déboutonna, enleva le masque de la créature. Soudain, de la vapeur glacée jaillit de partout. Faivre dut reculer, les yeux en larmes. La combinaison se dépressurisait par tous les membres.
Quand le gaz fut un peu dispersé, Faivre se plaqua un mouchoir sur le nez. Il approcha, finit d'enlever le masque. Il recula, inquiet. Il attendit que le gaz soit dissipé. Maréchal pleurait et toussait à la fenêtre.

Faivre put approcher. Le visage était humain, très atrophié, de la taille de celui d'un enfant, mais avec des traités âgés.
Le reste du corps était tout aussi rabougri.
Faivre resta interdit devant sa découverte.
- Venez, il ne va plus s'enfuir maintenant, dit Maréchal.


¤


Turov arrivait au quatrième étage, quand il vit quelqu'un s'enfuir à l'étage en-dessous.
- Halte !
Il lui courut après, Morand prit sa suite. Turov descendait les marches quatre par quatre. Il allait l'avoir : il agrippa la rambarde, sauta et gagna un demi-étage. Mais sous lui, il n'y avait plus l'escalier, il y avait le marécage étouffant d'Autrelles. Une explosion secoua l'immeuble, il fut jeté contre le mur, et tomba dans la vase à moitié gelée. Il se débattit, crut étouffer. Son char d'assaut s'enfonçait, l'eau boueuse lui coulait dessus.

Morand le prit par les épaules. Il l'aida à se relever.
Turov rouvrit les yeux. La créature arrivait au rez-de-chaussée.
- Vous allez bien ?
- Oui, ça va...
Turov ramassa son arme.
- J'ai eu les foies...
Les deux policiers sortirent dans la rue. La créature courait vers le terrain vague. Un avertissement retentit.
Turov et Morand écoutèrent : c'était les hommes qui occupaient le terrain vague. Trois coups de feu claquèrent. La créature s'effondra en pleine course.
Deux autres tirs. Morand et Turov coururent et se mirent à couvert.
- SÛRETÉ ! cria Turov.
- Allez vous faire mettre les cognes !
Maréchal et Faivre arrivaient. Ils se mirent derrière un mur de l'autre côté de la rue.
- Morand, dit l'inspecteur-chef, vous allez chercher des renforts ! Allez réveiller le planton et dites qu'ils lancent l'assaut avec ses camarades.
Le Scientiste partit en courant.
Maréchal sortit et avança vers la prochaine ruelle. Une balle siffla. Il se jeta derrière un mur. Il avait gagné trois mètres.
- SÛRETÉ !
- N'approchez pas ! On vous tire à vue !
Maréchal s'accroupit. Il y avait deux hommes sur le haut de la palissade ; l'un armé d'un fusil, l'autre avec un pistolet et une lampe.
Il y avait du remue-ménage dans le terrain derrière. Les autres décampaient dans l'urgence.
Un piétinement sourd arrivait de la passerelle. Les Pandores.
- Rendez-vous, dit Maréchal, le quartier est cerné !
Morand courait en tête de la troupe.
- Ils sont très mécontents qu'on les dérange, dit le Scientiste.
- Tant mieux, dit Turov. Ils vont passer ça sur ces bandits !

- Compagnie ! cria le sergent des Pandores.
L'homme à la lampe tira. Il toucha à l'épaule le sous-officier ! Maréchal, de sa ruelle, répliqua : il tira sur la lampe. Le choc déséquilibra son porteur. Il l'entendit tomber. Un Pandore ouvrit le feu et toucha l'homme au fusil.
Les Pandores lancèrent la charge. Les deux bandits s'enfuirent, juste avant que la porte ne soit enfoncée. Le sergent sifflait de toutes ses forces. La Brigade Spéciale s'engouffra dans la brèche à la suite des quinze Pandores en colère.
Deux des occupants du terrain furent ceinturés. Dix Pandores restèrent pour fouiller le terrain. Cinq continuèrent, accompagnés par Turov. Ce dernier, encore sous le choc de son hallucination, entra dans une rue tortueuse. Il vit au dernier moment qu'on le braquait depuis un balcon. Il recula, trop tard, le coup partit. Il tomba. La balle lui avait juste éraflé le bras. Les Pandores continuaient leur charge.
Devant l'entrée du terrain, Faivre trouva la créature dans sa combinaison, criblée de trois balles.
Au milieu du terrain, un cabanon où se logeaient la bande armée.
Maréchal vit Turov revenir :
- Ça va aller, sourit Turov d'un air contrit.
Maréchal rangeait son arme. La Brigade Spéciale venait de passer le balai dans Rotor 32.


¤


Les policiers de Névise accompagna les Pandores à leur poste. Faivre appela des hommes de la Morgue pour faire transporter les corps des deux créatures. Maréchal appela VOIRIE pour organiser le déménagement d'un des frigos dans les bureaux de Névise. Il avait fouillé la cabane qui servait de repaire aux occupants du terrain vague. Dedans, une caisse avec quelques grenades, des munitions, trois fusils et des tracts révolutionnaires.
La politique, ce n'était pas l'affaire de sa brigade.

Il passa en fin de journée à l'Urbaine déposer ce matériel :
- Des cadeaux pour vous, Lanvin.
L'inspecteur, comme tout policier, n'aimait pas qu'un collègue d'une autre brigade fasse le travail à sa place.
- On les surveille depuis un moment, ces agitateurs, dit Lanvin en regardant la caisse.
Un détective l'ouvrit, sortit une grenade, une liasse de tracts.
- Bon merci, Maréchal. Maintenant file avant que je te coffre pour distribution de papiers subversifs.
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#15
[Image: gerard_lanvin-fbf97.jpg]

Lanvin trouvait que ce Maréchal faisait trop son malin.
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#16
J'suis pas de la brigade des voleurs de pommes et des bagarres d'ivrogne moi:P
La Brigade Spéciale, Serious BusinessLa_classe
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#17
DOSSIER #15
<!--sizec-->
<!--/sizec-->

Turov avait passé plusieurs heures à l'hôpital. Il avait passé une nuit reposante. Au matin, la blessure le fit souffrir mais il se mit quand même au travail.

Il passa des heures sur chromatographe. Il sortit enfin du bureau des détectives et appela Faivre, qui se trouvait au quai des Oiseleurs :
- J'ai trouvé, inspecteur... Les frigos quo'n a trouvés viennent d'un navire de tonnage moyen, pour la pêche en eaux peu profondes... Ces navires font habituellement des circuits de deux nuits.
- Contrairement aux Léviathan, c'est ça ?
- Oui.
Les Léviathan étaient ces monstres mécaniques, de véritables usines flottantes capable de rester des semaines en mer. Ils avaient servi au transport des troupes vers Forge pendant la guerre.
- Ces frigos, ajouta Turov, étaient corrodés. Ils ont passé plusieurs semaines, ou plusieurs mois dans l'océan.
- On cherche donc une épave.
- Oui. J'ai appelé la capitainerie, ils m'ont renseigné. Deux navires comme celui que nous cherchons ont coulé il y a quelques années. Le Tempêtueux, il y a six ans et le Chevauche-Cyclone, il y a cinq ans. Ils ont un point commun, ajouta Turov, ils appartenaient à une compagnie maritime rattachée à la corpole des Obre-Ignisses.

Les Obre-Ignisses : les plus traditionnalistes des corpolitains de la Cité, fermement opposés à toute ouverture de la Cité aux étrangers. Les plus proches des milieux militaires, défendant soit l'autarcie complète de la Lune, soit une conquête en bonne et due forme des Etats les plus développées de Forge, pour la grandeur de la Cité.
- Bon travail, dit Faivre. Je continue de mon côté.

L'inspecteur était à la Morgue avec Morand. Ils examinaient les deux corps trouvés dans les combinaisons étanches. Faivre dictait au Scientiste :
- Organisme rachitique... Dégénérescence de tissus épidermiques, poumons atrophiés, ossature fragilisée, coeur anémié... Le développement semble s'être arrêté à un état foetal...

Il était déjà très tard. Faivre avais mis plusieurs échantillons de sang dans la centrifugeuse, pour les comparer à des prélèvements de Morand et lui.
- Rentrez donc dormir, mon petit Morand. Nous continuerons demain...
Le Scientiste enleva sa blouse, remit sa veste et son chapeau haut de forme. Faivre s'assit sur une chaise, las, et alluma une cigarette.
Morand l'inquiétait, avec son teint pâle, sa maigreur. Il devait manquer gravement de vitamine et de fer ce garçon... Il s'assoupit sur sa chaise. Il se réveilla une heure plus tard, ensuqué, la nuque douloureuse ; un interne lui indiqua un lit de camp pour finir sa nuit.

Il se releva tôt, passa sous la douche. Le légiste le salua :
- On va vous faire payer un loyer si ça continue...
- J'aime dormir près de mes cadavres, dit Faivre, qui avait besoin de plusieurs cafés.
Il se versait son troisième quand Morand arriva.
- J'ai du nouveau, dit le détective en enfilant sa blouse.
Il sortit de son cartable une liasse de papiers :
- Je suis passé au laboratoire de ma Fondation... Nous avons examiné des tissus intestinaux et des prélèvements de sang.
Faivre s'étira :
- Et alors ?
- Alors nous avons trouvé la cause de cette anémie organique généralisée. Il s'agit d'une infection. D'un parasitisme plus exactement, dû à des organismes unicellulaires présents dans le sang.
- Comment ça ?
- Tenez...
Morand lui tendit la liasse. Faivre alluma une cigarette, parcourut les relevés d'analyses, les tableaux, les graphiques. Il avait la berlue. Il relut plusieurs fois les papiers.
Comment avaient-ils détecté ces unicellulaires ? De quel matériel inconnu du commun des médecins les Scientistes disposaient-ils ?
- Bien sûr, dit Morand, qui cachait mal sa fierté, j'ai dû faire appel à des camarades de la branche biologique, car moi, j'appartiens aux psychologues, donc évidemment...
- Bien joué, détective, bien joué...
Faivre et sa médecine devaient s'avouer vaincus. Il était assez jaloux de Morand, et en même temps assez admiratif.
- Mes amis pensent que ces unicellulaires sont responsables de cette dégénérescence... Nous avons affaire à des êtres humains ordinaires, qui ont été placés dans ces combinaisons pour des raisons de survie.
- Vous pensez que le système de refroidissement empêchait le développement des unicellulaires ?
- Quelque chose comme cela...
- Et que savez-vous de ces unicellulaires ?
- Peu de chose pour le moment...
"Pour le moment"...

Faivre sentait qu'il devait reprendre l'initiative. Ne pas se laisser doubler par Morand, ne pas le féliciter outre mesure.
- Bien, mon petit Morand, vous allez m'appeler le département d'épidémiologie à Mechkine...
Augustus Mechkine était le nom du grand hôpital administratif de la Cité.
- Je veux un rendez-vous avec le chef du service.

Faivre se fit un dernier café. Il appela Névise pour que Maréchal soit informé de la suite de l'enquête.
- Votre café du matin me manque terriblement, ma chère Clarine.
- Moi qui vous en avais préparé un avec amour, répondit, pince-sans-rire, la secrétaire.
- Mon coeur se réchauffe rien qu'à entendre cela.
- Quand serez-vous de retour ici ?
- Vous êtes donc si impatiente de me voir ?
- Je dis ça pour que l'inspecteur Maréchal ne vous retienne pas une journée de salaire.
- Dites-lui qu'il ne pourra jamais s'interposer entre vous et moi, ma chère Clarine.

Morand levait les yeux au ciel. Il devait écouter son supérieur jouer les jolis-coeurs de boulevard. Faivre raccrocha et ordonna à Morand de se dépêcher. Ils prirent le funiculaire qui montait du quartier du quai au grand hôpital. C'était un nid d'aigle que ce centre de soins mis en place il y a plus de trois siècles par ADMINISTRATION. Faivre connaissait les lieux depuis qu'il y avait suivi des stages pour sa médecine de guerre.

Ils entrèrent dans le hall d'accueil bruyant, dans une salle remplie de vieillards, grabataires, éclopés. Les gens moroses, prenaient leur mal en patience. Ils traversèrent de longs couloirs, interminablement blancs. Ils poussèrent la porte du département d'épidémiologie et de parasitologie, silencieux, presque solennel. Il y avait au mur plusieurs reproductions d'insectes, avec le détail de leurs maladies. Un médecin, qui avait de larges épaules, de l'embonpoint, donnait à voix basse des instructions à sa secrétaire. Il disparut derrière une grosse porte matelassée.
Faivre, qui prétendait s'y entendre en matière de secrétaires, s'appuya sur le comptoir :
- Bonjour, nous venons voir le docteur Gulianov.
- Vous avez rendez-vous ?
Faivre sortit sa plaque en souriant :
- Maintenant oui.
- Très bien, je vais voir ce que je peux faire.
Elle appela le docteur dans son bureau :
- Envoyez-les moi, dit le gros docteur.

Quand il vit entrer un Scientiste dans son bureau, il eut un coup au coeur et avala un cachet. Faivre fit les présentations et s'assit. Il expliqua la découverte des corps atrophiés.
- Nous nous demandions si vous aviez déjà entendu parler de ce genre de cas... Si vous aviez une idée de quelle infection il peut s'agir.
Gulianov examina les feuilles de Morand.
- C'est très étrange, c'est certain... Je ne crois pourtant pas avoir jamais eu à traiter un cas pareil... Combien y a-t-il de victimes ?
- Deux pour le moment. Mais il y en a une troisième, encore en vie. Sans doute davantage.
Le docteur repoussa les feuilles.
- Vraiment désolé de ne pouvoir vous aider. Je serais en revanche heureux que vous me communiquiez ce que vous savez sur cette dégénérescence...
- Bien, tant pis, dit l'inspecteur. Merci de nous avoir consacré du temps.
- De rien, messieurs...

Il se leva pour leur serrer la main. Faivre repartait songeur, les mains dans les poches. Ils sortirent du département, reprirent le long couloir blanc.
Morand s'arrêta, troublé.
- Quoi donc ?
- Ecoutez, inspecteur... J'ai la conviction -presque la conviction... qu'il nous a menti.
- Comment ça ?
- J'ai bien étudié les traits de son visage, ses mimiques. J'ai appris, au département de psychologie, à détecter les signes du mensonge chez...
- Vous m'étonnez, mon petit Morand. Et en même temps, vous m'effrayez... Vous êtes positif dans votre jugement ?
Morand prit encore un instant de réflexion :
- Oui.
- Bon, alors allons-y.

Les deux policiers revinrent au pas de charge en épidémiologie. La porte s'ouvrit en grand sous la poussée de Faivre. La secrétaire sursauta :
- Que voulez-vous ?
Faivre se frotta les mains :
- Parler au docteur Gulianov, dit-il en allant vers la porte.
La secrétaire sortit de derrière son bureau :
- Vous ne pouvez pas.
Morand lui fit un signe ferme de s'arrêter.
Faivre entra, victorieux, terrible.
Gulianov aurait voulu disparaître derrière son bureau.
- Docteur, vous nous avez menti sur toute la ligne... Vous ne pensiez pas nous voir revenir...
- Vous espériez vous en sortir à bon compte, ajouta Morand.
- Arrêtez, je n'ai fait qu'obéir...
- Asseyons-nous, pour commencer.
Faivre alluma une cigarette.
- Vous avez connaissance de ces cas, docteur...
- On m'a ordonné de me taire !
Le cri du coeur.
- Qui ?
- Qui ? Qui !...
Gulianov avait peur et il jouait l'indignation.
Il souffla :
- J'ai reçu des ordres... d'en haut ! Vous comprenez...
- On vous a dit d'enterrer ce dossier... Je vous demande de le réouvrir...
- Vous n'avez pas le droit...
- Ah non ? Et ça ?
Il lui brandit sa plaque bien sous le nez...
- ADMINISTRATION vous a demandé de vous taire, très bien. Mais moi aussi je suis ADMINISTRATION...
- Vous en prenez la responsabilité ?
- Oui.

Le médecin devint bien plus mou. Il prit un flacon et s'en versa un petit verre.
Puis il ouvrit un tiroir, et ouvrit un double-fond. Il sortit des dossiers et les jeta sur le bureau, soulagé.
- Gardez-les...
Faivre les parcourut.
- Une dizaine de cas depuis douze ans...
- Vous avez l'endroit où elles ont été trouvées... Les dates, tout...
Faivre se fit expliquer le contenu par Gulianov.
- Bien, dit l'inspecteur.
Il se leva :
- SÛRETÉ vous remercie de votre coopération.

Les deux policiers s'en allèrent pour de bon.
- Nous avons du travail devant nous pour examiner tous ces dossiers... Au fait, Morand, il faudra que je vous prescrive un traitement... Vous allez défaillir un de ces jours, si vous ne prenez pas quelques vitamines. Vous êtes blanc comme un lavabo.
- Mais je vais très bien, protesta le Scientiste.
- T-t-t-, rien du tout. Je vais vous faire une ordonnance...

Les deux hommes descendirent à Névise pour faire leur rapport.


¤

Maréchal commençait sa journée chez un ancien de la secte. Féodor Ruppo, retraité. C'était déjà un petit vieux aigri.
- Ce gourou, inspecteur, n'était qu'un sale pauvre type, qui tripatouillait les gamines... Ça je l'ignorais. Je n'ai pas d'enfants, mais il faisait venir les enfants des autres dans sa chambre, vous imaginez... Et les parents complices, heureux que leur enfant soit initié... Quelles sales dégueulasseries. Moi il se contentait de me prendre mon argent, tout mon salaire, ma pension ! Aujourd'hui, je vis dans ce taudis, alors que j'ai travaillé toute ma vie !
- Vous vous souvenez d'un autre membre, un Antiphon ?
- Ah oui, lui est arrivé sur la fin... Il est vite devenu le chouchou. Il se tapait des minettes aussi. Lui descendait pas en-dessous de la jeune fille disons... Il était pas encore devenu obscène comme l'autre...
- Quel était le discours du gourou ? Je veux dire, de quoi parlait-il ?
- Le livre des mille étoiles... C'était le livre de référence. Il fallait l'apprendre par coeur.
Maréchal connaissait déjà ce livre par le fonctionnaire Zbarowski. Il n'avait pas encore eu le temps de le consulter.
- Quoi en particulier dans ce livre ?
- Le chapitre 31, dit le petit vieux, de plus en plus méchant.
Il sentait mauvais en plus. Maréchal écourta :
- Bon, je vous remercie... Voici ma carte. Si jamais...
- Oui, oui c'est cela... Je vais finir une vie d'honneur comme indicateur de police.
- Nous ne demandons qu'à empêcher ce genre de gens de nuire, monsieur.
- Voilà, c'est ça...

Maréchal retrouva l'air frais avec plaisir. Il alla dans la bibliothèque du quartier, où il trouva Le livre des mille étoiles. Il baillait d'avance de ce genre de lecture. Il le feuilleta rapidement, trouva le chapitre 31 : La constellation de la veuve.
Cela parlait d'êtres d'un autre monde, qui descendrait un jour en Exil depuis la constellation de la Veuve.Ils modifieraient la structure de la Cité pour l'adapter à eux.
Maréchal prit quelques notes puis alla boire un verre. Il réfléchit au comptoir, réfléchit en chemin. Il retrouva les bureaux de la Brigade avec ses trois collaborateurs au travail. Les oreilles fumaient presque. Maréchal n'osa pas déranger cette belle concentration. Il alla sur la pointe des pieds à son bureau, s'étendit dans son hamac et tapota une demande sur son chromatographe : depuis combien de temps la consommation d'électricité avait-elle atteint un niveau anormal dans Rotor 32, quartier désaffecté ? Les frigos devaient provoquer une hausse significative. Maréchal connaissait peu le fonctionnement de VOIRIE. Il sut que la réponse à sa requête serait longue.

Morand étudiait avec soin les dossiers donnés par le docterur Gulianov, pendant que Faivre et Turov se fatiguaient les yeux sur un chromatographe.
Ils avaient fini par reconstituer l'équipage des deux navires coulés, entre recherches dans les fichiers de DOUANE, appels à la capitainerie et à d'anciens camarades de Turov.
Chaque navire avait un équipage de cinq hommes.
Le Tempêtueux : Rigram Vellovitch, Pirr Kaltah, Rigevel Alokav, deux androïdes.
Le Chevauche-Cyclone : Piotr Derevitch, Kasper Lokodan, Antisthène Phonos, Kiev Makievit, Luter Vils-Bor.

- Deux androïdes, c'est normal ça ? demanda Faivre.
- Oui, dit Turov. Ils peuvent les utiliser pour des tâches simples, comme du chargement.
Faivre avait cherché ceux de ces marins qui s'étaient fait embaucher sur ces navires avant qu'ils coulent.
Il y en avait deux : Rigram Vellovitch pour le Tempêtueux, Antisthène Phonos pour le Chevauche-Cyclone.

Ils allèrent dans le bureau de Maréchal.
- Il y a du louche derrière cette corpole Obre-Ignisse, patron.
- C'est un peu tôt pour les accuser, non ? Ils ont perdu deux navires, c'est tout...
- Je vais continuer, dit Faivre, et je vais trouver.

Il resta une partie de la nuit pour étudier les dossiers de Gulianov. Il eut encore une nuit courte, enfermé dans son bureau. Maréchal arriva de bonne heure.
- J'ai trouvé, patron, j'ai trouvé !
L'inspecteur-chef le reçut dans son bureau. Turov et Morand entrèrent. Faivre ressortit les dossiers de Gulianov :
- Dix personnes mortes de cette même infection, patron. J'ai fait des recherches sur les quartiers où elles ont été trouvées. J'ai mis du temps, mais j'ai fini par trouver le point commun. Regardez, j'ai les relevés de CADASTRE : ces dix victimes ont été trouvées dans cinq quartiers différents. Ils appartiennent tous à la corpole Obre-Ignisses !
- Pas mal, admit Maréchal.
- Je n'ai pas fini. J'ai repris les équipages des deux navires. Peu d'information sur eux. A part que...
Les autres tendirent l'oreille.
Faivre sortit une feuille imprimée au nom d'un des marins :
- Lui : Antisthène Phonos... Son nom a fini par me faire tiquer... Ça ne vous dit rien ?
- Expliquez-nous, dit Maréchal.
- Antisthène Phonos... Antiphon !
"Vous n'allez pas me dire que c'est une coïncidence ? Parce que je vous ai gardé le meilleur pour la fin !
Il pointa du doigt la page sur Phonos :
- Regardez, c'est écrit noir sur blanc par les services d'état-civil. La famille Phonos est rattachée à la corpole Obre-Ignisses !
Maréchal regarda, étonné. Il sourit et laissa Faivre continuer :
- Cette corpole est derrière cette affaire ! C'est eux qui ont fabriqué ces frigos, c'est eux qui soutiennent Antiphon ! Antiphon qui ne pourrait pas avoir ces moyens matériels sans le soutien de sa corpole.
- Faisons quelques recherches sur cet Antisthène Phonos, proposa Maréchal.
- C'est tout vu.
Faivre se précipita dans son bureau et demanda des informations complémentaires à l'état-civil. Maréchal alla boire son café avec les autres dans la cuisine.
- Vous avez fait un sacré travail, dit Maréchal à Morand.
- C'est l'inspecteur qui a tout fait.
Maréchal avait sous les yeux le dossier Scientiste sur l'infection dont étaient mortes les victimes. Ces sacrés salopards de Scientistes qui disposaient de moyens technologiques uniques...
Faivre arriva dans la cuisine, des papiers en main :
- Quand je vous le disais ! Quand je vous le disais !... Mais regardez ça ! Antisthène Phonos est un fils de famille rebelle ! Envoyé à l'école militaire ! C'est marqué ici !... Il a été envoyé là-bas par mesure de redressement.
- Vous aimez les militaires, Faivre ? dit Maréchal.
- Pourquoi ?
- Parce que vous irez leur poser des questions. Moi je suis dispensé, j'ai une allergie. Vous comprenez, ils me donnent des boutons.
- Il faut une ordonnance, lança Clarine, qui était une ancienne secrétaire militaire.
- Et comment que je vais y aller les voir ! répliqua Faivre. Ils vont tout me dire !... D'ailleurs, je pourrais y aller avec mademoiselle Clarine, puisqu'elle connaît bien ce milieu.
- Impossible, sourit Maréchal. Elle et moi avons des tas de choses à nous dire...
- Comme quoi ? dit Faivre, pris à froid.
- Comme nous occupez des dossiers d'assurance de santé et de nos fiches de paye.
- Quel malheur, dit Faivre en s'approchant de la secrétaire, que vous perdiez vos plus belles années dans de la paperasse.
- J'aime encore mieux cela qu'aller traîner avec vous dans des quartiers mal famés, avec des ivrognes, des gens contagieux et des filles de rues.
- Un jour, Clarine, je vous montrerai le monde comme je le vois...
- Bon, fin de la récréation, dit Maréchal. Au travail !

Maréchal se dit qu'il allait faire une petite sieste pour être plus en forme, tout à l'heure, pour les dossiers administratifs. Faivre le rattrapa avant qu'il ne ferme la porte de son bureau :
- Chef, je suis sûr que nous tenons une piste. Antisthène Phonos a été renvoyé de l'école militaire en 203. Et en 205, on le retrouve comme marin à bord du Chevauche-Cyclone. Juste après, ce navire coule...
- S'il a quitté sa famille, s'il a perdu son travail comme marin, s'il est bien Antiphon, il m'a l'air plutôt à plaindre qu'autre chose. Il a tout raté.
- Moi je vous dis qu'au contraire il est soutenu en secret par quelqu'un de sa famille... Sa mère peut-être, un cousin, un oncle... Quelqu'un qui lui a trouvé une place comme marin, comme par hasard à bord d'un navire de la corpole.
- Vous spéculez, Faivre.
- Antiphon n'a pas pu avoir ces frigos sans soutien logistique. Il est soutenu par les Obre-Ignisses. Et eux, ils trafiquent je ne sais pas quoi avec un virus mortel ! Ils préparent un sale coup.
- Peut-être, dit l'inspecteur-chef. Ce que je pense, c'est qu'il faudra plonger dans ces navires...
Maréchal lança à Turov :
- Détective, vous aimez la plongée sous-marine ?
- Il y a longtemps. Mais ça me plairait de recommencer.
Clarine amenait des cafés :
- Je suis sûr que le détective Turov doit être très élégant en scaphandre.
- Plus que moi ? demanda Faivre.
- Si je vous ordonnais de plonger dans le canal en sous-vêtements, inspecteur, le feriez-vous ?
- Clarine, pour vous, je traverserais la Cité en scaphandre, et à genoux.
- J'aimerais bien voir ça !

Maréchal dit du balai à Faivre :
- Trouvez ce que vous pouvez sur les Obre-Ignisses. Et vous, Turov, appelez vos amis de DOUANES. Nous devons -plus exactement : vous devez - retrouver les deux épaves et obtenir d'y plonger.
- C'est comme si c'était fait, dit Turov.

Faivre mit son manteau :
- Au fait, Morand, je vous prépare une ordonnance pour bientôt... Vous avez besoin de calcium, mon garçon...
- Mais je vais très bien, dit Morand. Je n'ai plus l'âge de boire du lait.
- Vous êtes pâlot comme un coton-tige... Déficit en magnésium ,ça...

Turov sortit de son bureau et s'habilla :
- Nous montons à l'école militaire, dit Faivre.
- N'oubliez pas de demander s'ils ont enfin trouvé l'assassin du maréchal de Villers-Leclos.
Maréchal ricana.
Enfin un peu de calme dans cette maison de fous. Il s'allongea confortablement dans son filet et dormit bientôt à poings fermés. Morand commençait son rapport de stage avec sa belle plume et son encrier en cristal, pendant que Clarine ouvrait la masse de courrier urgent de la journée.



FIN DU DOSSIER

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#18
Les orients et les midis tanguent vers elle
Et les nords blancs et la folie universelle
Et tous nombres dont le désir prévoit la somme.

Toute la mer va vers la ville !

Ô les babels enfin réalisées !
Et les peuples fondus et la cité commune ;
Et les langues se dissolvant en une ;
Et la ville comme une main, les doigts ouverts,
Se refermant sur l' univers.

(Emile Verhaeren, Les villes tentaculaires)
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