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Dossier #5 : La vie d'hommes infâmes
#11
déçu... mais déçu...
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#12
Ouimaisnon
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#13
:ouimaisdéçu:

lol
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#14
DOSSIER #5<!--sizec--><!--/sizec-->

Maréchal descendit sur la rive. Le bassin n’était pas complètement enclos. Il y avait un barrage de retenue, qui ne laissait passer aucun courant. Le long de ce barrage, qui mesurait presque dix mètres de haut, descendait un petit sentier de terre sur une pente broussailleuse, qui disparaissait dans un brouillard lumineux.
En face du barrage, un chemin passait entre les deux murailles noires. L’air était bien plus sec que dans son quartier, épargné aussi par les fumées industrielles. Maréchal vit une plaque :

Bassin de Pantion

Maréchal commença le tour du bassin. Sur un chemin en hauteur, encastré sur la muraille, il aperçut trois silhouettes, appuyées à une rambarde, qui l’observaient. Trois hommes pâles, chauves, en costumes noirs, chapeaux gibus et cols montants.
Maréchal continua son chemin, alors que les trois hommes prenaient une cage d’ascenseur qui les amena sur la rive.
Maintenant, ils venaient vers lui.
L’inspecteur ne pouvait éviter de les croiser. Ils ressemblaient à des caricatures d'employés de pompes funèbres.
- Bonsoir, messieurs, dit carrément Maréchal. J’aurais une question à vous poser.
Il n’en avait normalement pas le droit ici, mais il savait aussi que la veine favorise les gens culottés.
- Auriez-vous vu cet homme ?
Les trois personnages n’avaient pas un poil sur le crâne. Pas de sourcils. Des yeux vitreux. Des cannes à pommeaux en selenium.
Maréchal fit semblant d’avoir une quinte de toux, pour déglutir.
- Non, je ne crois pas, dit l’homme du milieu, après avoir jeté un bref mais incisif coup d'oeil au chromato.
Maréchal, en tendant le chromato au second, lui permit de le prendre, et effleura sa main, qui était tiède, voire même froide.

En fait, si l’inspecteur avait bien, comme tout un chacun, une image de ce que devait être le parfait Scientiste, il n’aurait pu en trouver meilleurs exemples que ces trois individus !

Les mains dans les poches, il sifflota tranquillement, pendant que les deux autres acolytes observaient avec attention le chromato.
- Non, pas vu.
- Non plus.
Maréchal soupira, comme si ses interlocuteurs étaient un peu en tort :
- Dommage, messieurs.
- Dites-moi, il se fait déjà tard, monsieur le policier. Désireriez-vous un abri pour la nuit ?...
Maréchal serra les poings dans ses poches. C'était celui du milieu qui avait parlé : il ressemblait fort à ses deux comparses, mais en plus grand,

Un instant, Maréchal eut une vision fulgurante : il se vit emmené, ligoté, hurlant, dans un laboratoire d’expérimentations souterrains. Puis attaché, voire cloué et ensuite vrillé, vissé, scié, éviscéré, noyé et dépecé en bien plus de temps qu’il n’en faut pour atteindre les limites de la douleur !

Il refusa donc l’invitation. Poliment, mais il refusa.
- SÛRETÉ vous remercie quand même de votre collaboration, dit-il, fanfaron. Au revoir, messieurs !
Il repartit d’où il venait. Tant pis ! Au lieu de trouver un transport dans le quartier, il referait tout le chemin à pied en sens inverse ! Mais en ayant préservé son intégrité physique !

Il marcha sans se retourner ; il sentait le regard pesant des trois Scientistes sur lui. Il les entendit rouvrir la cage d’ascenseur.
A ce moment, quelqu’un déboula en courant du passage entre les murailles, et heurta Maréchal.
Un petit chauve, l’air ahuri.
Maréchal recula. C’était Vilnius !
Kaupang Vilnius !
- Pardon, pardon, bredouilla-t-il.
Et il reconnut, effaré, l’inspecteur. Qui allait dire quelques mots.
- Herbert, cria un des Scientistes, tu te dépêches !
- J’arrive, oui, j’arrive !

Le petit chauve regarda l’inspecteur, comme pour s’excuser de devoir partir. L’inspecteur qui n’en revenait pas. Et qui reprit sa marche, d’un pas alerte.
Vilnius entra dans la cage d’ascenseur, qu'on referma d'un coup sec et qui remonta le long de la muraille. Maréchal, tournant dos au bassin lumineux et à son étrange machine, fit face au long tunnel noir qui ramenait aux entrailles des égouts…

Des heures plus tard, il était de retour dans son quartier. Sans savoir comment, il était monté trop haut, après avoir repris la cheminée et il sortait sur les toits des logements ouvriers.
Le jour allait se lever. Les cheminées commençaient à fumer. On apercevait, dans la gaze épaisse du matin, le vieux soleil d'Exil.
Le clair de Forge se levait, projetant son halo blanc sur la cité industrielle.
Maréchal, épuisé, les larmes aux yeux, s’assit sur le toit. Des chats qui rodaient alentour, en apercevant cet intrus sur leur territoire, se mirent à cracher et s'en allèrent par les toits incertains, haineux.

L’inspecteur imaginait la tête de ses collègues s’ils apprenaient ses escapades nocturnes. Il préférait en rire. Même quand il était adolescent, il n’en aurait pas fait autant ! Qu'arriverait-il si on apprenait où il se promenait la nuit ?... Les gens seraient-ils effrayés ? Le prendrait-on pour un fou ?...
Non, décidément, si on apprenait ce qu’il faisait de ses nuits, les gens seraient déçus, mais déçus…
Déçus d'apprendre qu'il descendait plus bas que terre.

Maréchal imaginait Novembre et Portzamparc, dans le bureau de l'inspecteur, consternés en apprenant la nouvelle. Déçus...
- Oui, on est déçus... Un collègue qu'on appréciait tellement...
Et Portzamparc allant le rapporter à sa femme :
- Tu sais, Maréchal... c'est terrible... dans les égoûts, il se promène...
Madame de Portzamparc éclatant en sanglots dans son tablier de cuisine. Pareil chez les Novembre.
- Oh mon Dieu ! Antonin !...

- Déçus, mais déçus !... diraient aussi Rampoix et Sampieri...
Ses commerçants, son propriétaire, la concierge...
- On comprend pas... C'est la consternation... Un homme si poli... Vous savez, bonjour bonsoir... Non, je ne pourrai plus aller nettoyer son palier.

Son percepteur, le Juge Tolin, le commissaire Ménard :
- Un policier si scrupuleux... Un citoyen irréprochable... Et là, on apprend la nouvelle... Quelle déchéance...
Et les truands de chez Gino, Fufu Carambouille et les autres :
- Déçus, mais déçus... Voilà notre sentiment...
Gino lui-même :
- Non, avant, je le respectais... Il venait boire un verre... Mais à présent, impossible... impossible, hélas...

Les clients de chez Emma, alcooliques :
- On est vraiment... mais vraiment... ah !... On est... on est déçus, voilà !... Maréchal...

Sobotka, depuis sa tombe, pleurant dans les bras de Horo et Radik :
- Ah, un flic comme lui... un coriace !... Si on est là, c'est à cause de lui... Et là... le drame... On ne sait pas quoi vous dire... On est déçus, c'est tout...
Sur Forge, aussi, dans les dîners en ville...
- On a lu la nouvelle dans les journaux... Quelle tristesse, quelle déception...
Même les barbares de Kargarl, occupés à se trancher la chair et la tête à coups de cimeterres, s'arrêtant, dépités, au beau milieu de la bataille :
- Doçovski, moltö doçovski...
Et la police d'Etat ! Les Scientistes !... Les Stalytes, les Anciens !... depuis leurs repaires secrets... soudain dégoûtés de leurs petites conspirations...
- A quoi bon, maintenant... On est tellement déçus par l'inspecteur Maréchal...
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#15
Ce texte est une escroquerieOuimaisnon
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#16
C'est très bon au contraire:jmekiffe:
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#17
DOSSIER #5<!--sizec--><!--/sizec-->

Dès qu'il arriva, Portzamparc constata :
Maréchal n’est pas là, ce matin
- Il a appelé, dit Sampieri. Il arrivera cet après-midi seulement. Il dit qu’il n’a pas dormi de la nuit.
Rampoix était au parlophone, très agité. Il raccrocha et se précipita dans le bureau des inspecteurs :
- J’étais en communication avec l’inspecteur Tircelan, de la Rue Verte. Vous savez que là-bas aussi, ils sont sur l’affaire Boncousin. Hé bien, ils ont identifié l’amant…
- Alors ?
- Il s’agit d’un certain Gaëlien de Saint-Preux. Il est responsable du personnel chez les Donasserne.
Rampoix n’était pas mécontent de lui.
- Le salaud… Si c’est lui qui a fait buter Patrick… Je vais aller en parler au commissaire, puisque c’est lui qui dirige les opérations, maintenant…
- J’ai voulu appeler Novembre, dit Sampieri. Il avait laissé le numéro de son hôtel, au cap Blanc-Nez, mais on m’a dit qu’il n’était pas là. Il est peut-être descendu à une autre adresse.

En début d’après-midi, Maréchal entra, sans se faire remarquer, pendant que ses collègues mangeaient la soupe à l’oignon au restaurant d’en face. Souple comme une scolieuvre, il traversa le commissariat et se glissa dans son bureau, où l’attendait son hamac. Il avait installé son chromatographe de manière à pouvoir s’en servir presque facilement en étant allongé.
- Allô mademoiselle, passez-moi le commissariat de Rainure – Saint-Polska.
Il raccrocha et s’endormit. Il fut réveillé par la sonnerie.
- Monsieur, ne quittez pas. Le correspondant demandé va vous répondre.
- Allô ?
- Allô, oui…
Il se présenta et demanda si on avait aperçu dans le quartier un type avec une Gueule de Rat.
- Je suis en train de vous transmettre le portrait robot, dit Maréchal. Il a déjà pas mal circulé ces derniers temps. Vous savez qu’un de nos collègues a été tué…
- Nous sommes au courant, inspecteur. Nous avons le visage de cet homme. Mais il n’a jamais été vu chez nous.
- Tant pis.
- Désolé.
- Je vous remercie.
Paresseux, grognon, Maréchal ferma les yeux. Dans son demi-sommeil, il repensa à ce qu’on venait de lui dire. Pas un mot d’encouragement ni de soutien pour Boncousin, contrairement aux autres commissariats, ce qui était bien le moins quand un collègue se faisait tuer !
Juste une excuse, formulée mécaniquement.

Maréchal eut alors un frisson dans le dos. Est-ce que la voix qui lui avait répondu n’était pas celle du Scientiste qui lui avait proposé l’abri pour la nuit ?...

Maréchal regarda bizarrement son chromatographe, comme si le Scientiste s’y était introduit...

Pour se rassurer, il appela le poste de la Jointure. Là, il reconnut la voix de son interlocuteur : un vrai policier en chair et en os, qui l’assura qu’on faisait tout pour retrouver le tueur de Boncousin !
- L’inspecteur Boncousin nous avait appelé, dit-on à Maréchal, au sujet des casseurs de la Pham’Velker. Apparemment, l’affaire lui tenait à cœur.
C’était l’inspecteur Velmer, qu’on disait promis à un brillant avenir, dans la police judiciaire, et qui faisait ses armes à la Jointure.
- Merci pour votre aide.

Maréchal raccrocha.
Ses collègues qui rentraient du déjeuner, le trouvèrent en train de ronfler comme un bienheureux, une jambe pendant hors du filet.

*

- Que fait-on pour ce Saint-Preux ? demanda Sampieri.
- Je peux aller le voir, proposa Portzamparc.
- Entendu, dit Rampoix. Tu es le mieux désigné pour ce genre de démarches.
- J’ai l’habitude maintenant.

Portzamparc repassa donc chez lui se changer.
- Ce soir, je sors. Mais c’est pour le travail.
- Il va falloir t’habiller un peu proprement, lui dit sa femme.
Elle lui repassa son costume pendant qu’il se faisait beau.
- Ne serre pas tant, dit-il pendant qu’elle lui redressait sa cravate.
- Si je n’étais pas là, tu aurais l’air d’un clochard…
- Tu exagères toujours…
- Plains-toi que je m’occupe de toi…

Frais et parfumé, le détective se rendit à la station de ballon-taxi, où Théodule Corben rit de bon cœur en le voyant :
- Où on va ce soir, patron ? Au bal des débutantes ? Au gala de la comtesse Tropschild ?
- Pas si loin. Rue Verte !
- C’est parti !

L’engin décolla.
De grosses gouttes se mirent à tomber. Portzamparc avait prévu sur surcot de protection.
- Sale temps, hein... Et comme d'habitude, on n'annonçait pas un nuage...
Le tonnerre gronda au loin, et de l'électricité parcourut les nuages noirs, dans le ciel bleu acier ; d'énormes cumulus se déformaient à une vitesse fantastique. Puis le ballon-taxi redescendit, au-dessus des beaux quartiers.
- A tout à l’heure, dit Corben.
Il était content d’aller, en attendant, se rincer la gorge à la brasserie de la rue des grands ormes.

Portzamparc lui dit qu'il ferait vite.
Les fiacres passaient sur le pavé luisant. Les belles dames descendaient de voiture pour entrer dans les restaurants. Des officiers en permission avançaient, torse bombé, cigarette aux lèvres et les restaurants étaient bondées, remplies de gens aux beaux habits pimpants sous les lumières.

L’immeuble où se rendait Portzamparc était dans une grande artère plantée d’arbre, l’avenue Marthuis, bien éclairée, sans une feuille morte par terre.
Le détective se présenta à la loge, qui était grande comme un petit pavillon.
- Vous désirez ?
On n’aurait à peine pu qualifier la femme qui gardait les lieux de concierge. Elle était plutôt jeune, encore séduisante, habillée comme la secrétaire d’un grand cabinet médical.
- Je voudrais voir monsieur de Saint-Preux…
Dans ce décor, Portzamparc avait plutôt l’allure d’un jeune avocat aux dents longues que d’un fonctionnaire de SÛRETÉ. Il inspirait confiance.
- Je l’appelle…
L’immeuble disposait en effet pour lui seul d’un réseau chromatographique privé ! Une telle installation coûtait une fortune.
- Monsieur de Saint-Preux vous attend.
Portzamparc eut le réflexe de chercher l’escalier. Mais il y avait une belle cage d’ascenseur, avec une grille en fer forgé, de la moquette et des boutons dorés. Il se laissa monter. L'installation était si bien huilée qu'il eut à peine l'impression d'être soulevé.
A l'étage, après avoir marché sur de l'épaisse moquette rouge, le détective sonna. Il entendit des pas de l’autre côté de la porte vernis. On ouvrit :
- Entrez, inspecteur.
C’était un bel homme.
Cheveux châtains, pose à la fois assurée et détendue, d’une quarantaine d’années, en robe de chambre et pantoufles, un fume-cigarettes à la main. Il fit passer le détective dans un grand salon. Il y avait une terrasse qui donnait sur le parc bordant l’hippodrome.
- Asseyez-vous, je vous en prie.
Dans la journée, le détective l’avait appelé pour solliciter ce rendez-vous. Il avait aussi prévenu l’inspecteur Tircelan de sa démarche.
- Je pense que vous savez pourquoi je viens, monsieur de Saint-Preux.
- Oui, hélas… Je veux dire que la mort de cette fille m’a énormément affecté…
- Sans doute autant que nous avons été affectés par la mort de notre collègue, la même nuit…
- J’ai lu la nouvelle dans les journaux… C’est affreux.
- Nous pensons que les deux affaires sont liées.
Portzamparc s'assit et regarda un moment par la fenêtre

- Mais revenons à cette danseuse, Juliana… Que pouvez-vous me dire sur elle ?
- J’ai eu le béguin, je ne peux pas le nier. Seulement, ces derniers temps, je me suis dit que ce n’était pas une relation saine.
- Connaissez-vous cet homme, monsieur de Saint-Preux ?
Portzamparc tendit la photo de Gueule de Rat. Son hôte blémit.
- Il a vraiment…
- Une sale tête ? Oui… Vous n’avez rien d’autre à m’en dire ?... D’après les concierges de Juliana, cet homme a rencontré Juliana et il lui a fermement conseillé de ne plus vous fréquenter…
- Mais, pourquoi ?... Je n’ai jamais vu cet homme…
Il y avait quelque chose d’héroïque chez lui, pour arriver à mentir avec autant d’aplomb. On le sentait rongé.
- Revenons à mon collègue qui a été tué. Nous pensons que l’auteur du meurtre n’est autre que cet homme qui a une si vilaine tête. Nous l’avons surnommé Gueule de Rat…
- Ma foi, dit Saint-Preux en s’efforçant de sourire, il n’a pas volé ce surnom.
- Vous avez dû croiser mon collègue à la Dentelle Rose, non ? Regardez…
Portzamparc tendit une photo de Boncousin.
- C’est bien possible, oui… Vous savez, ce n’est pas lui que je regardais quand j’y allais…
- Quelles que soient les personnes qui avaient « préparé » Saint-Preux à cet entretien, elles avaient bien écrit son rôle. Elles avaient dû lui conseiller de ne pas mentir sur sa liaison avec Juliana. Mais ne rien lâcher concernant la Gueule de Rat ou Boncousin.
- Mon collègue aussi, à vrai dire, avait repéré Juliana. Alias Noémie Ranaud, d’ailleurs. Vous saviez ?
- Oh non, vous savez, son vrai nom… Quant à votre collègue, je le comprends… Qui, au cabaret, n’était pas plus ou moins amoureux de cette danseuse, n’est-ce pas ?
Bien sûr.
- Voilà, détective. J’aimerais vous aider davantage, mais…
Portzamparc sourit largement, pour montrer qu’il n’était pas dupe. Il se leva et devina le soulagement de Saint-Preux. Il eut ce soupir qu’on pousse quand le dentiste annonce :
- C’est fini pour aujourd’hui…
Oui, c’était fini pour aujourd’hui, mais pas pour les autres jours. Portzamparc n’en avait pas terminé avec lui. Seulement, il n’était pas dans son quartier et ce Saint-Preux avait une place enviable chez les Donasserne. En insistant, Portzamparc aurait créé des ennuis à l’inspecteur Tircelan.
- Au revoir, monsieur de Saint-Preux.
- Détective de Portzamparc, au plaisir.

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#18
DOSSIER #5<!--sizec--><!--/sizec-->

Le policier redescendit l’ascenseur, salua la concierge et repartit dans l’avenue Marthuis.
Il n’y avait pas un chat dehors. Mais Portzamparc se sentait observé. Il continua son chemin, marchant l’air dégagé. Par ces grandes fenêtres, on devait le scruter. Il passa devant les grilles du parc. Il s’arrêta pour faire son lacet, se retourna, et eut juste le temps de voir un gamin disparaître derrière un gros arbre. Ce n’était pas un gamin de rue comme à Mägott Platz. Certes, il ne devait pas avoir de chez lui, mais il était bien coiffé, ses godillots en bon état, ses dents blanches… Avec ce qu’il trouvait dans les poubelles du quartier, il devait mieux manger que les ouvriers des usines Vanstrupp !

Portzamparc, souriant, poursuivit son chemin. Pas trop à craindre de ce genre de filatures. Le gamin devait être mort de peur derrière son arbre. Le policier se remit en route en pensant : « Allez, sors de derrière ce tronc, je me suis assez éloigné. Promis, je ne me retournerai pas… »
Il repensait à Saint-Preux : il devait savoir des choses, sans être le chef de toute cette bande de crapules qui avait engagé la Gueule de Rat. Ce qui supposait donc que les ordres venaient de chez les Donnasserne, et de très haut…
Après avoir tourné au coin de la rue, Portzamparc allait prendre le risque de se retourner, quand il entendit un cri derrière lui : le gamin avait bondi de côté et courait vers lui. Portzamparc mit la main à son révolver. Le gamin n’était pas armé. Affolé, il heurta le policier.
Portzamparc l’écarta gentiment, mais fermement, et jeta un œil dans l’avenue : un couteau s’était planté sur le trottoir. Portzamparc se plaça devant le gamin ; estima à la louche d’où le couteau avait pu être lancé.
Du parc. Du haut d’une branche. Mais sous les branchages, on n’y voyait goutte,.
- Viens, ordonna-t-il au gamin.
Ils étaient à deux pas du funiculaire qui descendait vers le quartier des Passantes. Ils montèrent dans la rame, vide, dont le signal de départ retentissait.
- Qu’as-tu vu ?
- Presque rien, fit le gamin affolé… Quelqu’un sur la branche… Le couteau… J’ai juste eu le temps…
- Qui t’a demandé de me suivre ?
- Personne !
- Réponds, dépêche-toi !
- D’accord… C’est le monsieur de l’immeuble là, que vous êtes allé voir…
- Et encore ?
Il avait presque une tête de premier de classe, avec ses cheveux blonds et ses grands yeux, sa belle voix de chef de chorale...
- Il voulait que je vous donne un papier…
- Alors donne.
Le funiculaire finit sa descente. Portzamparc prit le papier et laissa le gamin filer. Puis, pendant que le transport remontait, il s’assit et lut.
« Ils l’ont tuée pour m’avertir. Moi je ne peux rien dire. Mais le conseiller Jaransand, lui, sait des choses. »

*
Le lendemain soir, Maréchal et Portzamparc, habillés de noir, se présentaient à la porte du manoir Whispermoor. Norbert, habillé en grand deuil, vint leur ouvrir.
- Si ces messieurs veulent bien me suivre.
Il les introduisit au grand salon. Lucie était là, au milieu des invités. On sentait que c’était elle, désormais, qui tenait les rênes de la maison. En un mois, elle avait pris complètement possession des lieux. Elle avait engagé du personnel pour la soirée et les invités ne se privaient pas de petits fours et de coupes de vins. Maximilien, chemise débraillé, mal peigné juste comme il faut, jouait au piano une sonate enlevée.
Gédéon Ferenbuikk était là, et quelques autres habitués de la salle de jeu de l’hôtel Novö-Art.
- Je vous remercie d’être venu, messieurs, dit Lucie.
- C’est tout naturel.
Maréchal admirait les dorures et les caissons du plafond, et les portraits aux murs. Portzamparc s’était déjà fondu dans les conversations.
- La Banque ne pensait pas que le comte irait jusque là, disaient certains. C’était héroïque en un sens, mais maintenant, on sait à quoi s’en tenir… Je me demande qui va « succéder » à Radik.
- Notre petit quartier a été bien agité ces derniers temps, dit-on à Portzamparc.
- Bien plus que nous ne le voudrions, dit le détective, mais maintenant, plusieurs commissariats collaborent pour arrêter l’assassin de notre collègue.
- Il est vrai que les malfrats, dit Lucie, choisissent parfois les lieux excentrés, comme Mägott Platz, pour y régler leurs comptes, au lieu de le faire dans les beaux quartiers. Mais à crimes extrêmes, châtiments extrêmes.
- Je suis d’accord avec vous, fit Portzamparc. Le tueur de l’inspecteur Boncousin ira se balancer au bout d’une corde.
- Oui, intervint Ferenbuikk, je suis d’accord pour dire que cette situation doit cesser dans les plus brefs délais. Et pour cela, il conviendrait de donner bien plus de moyens à SÛRETE. Sinon, comment exiger de nos policiers un travail efficace ?
Certains approuvèrent, d’autres firent la grimace. C’était le candidat en campagne Ferenbuikk qui parlait !
- Nous devons, disait-il, remettre de la moralité dans la vie publique. Faire en sorte que les valeurs soient au centre de la vie des gens !
Il observait son effet sur l’auditoire, assez largement acquis à ses idées.
Un peu plus tard, en aparté, Ferenbuikk vint demander à Portzamparc, plus sérieusement, des nouvelles sur l'enquête.
- Les informations courent vite, détective, comme vous savez, et nous sommes déjà au courant de votre visite à Gaëlien de Saint-Preux.
Il le disait d’un ton qui signifiait : « Ne vous vexez pas que nous le sachions, c’est normal, avec le temps, vous apprendrez… »
- Ce Saint-Preux est un mondain, dit Ferenbuikk. Mais ici, il ne serait pas bien reçu. Question de rivalité, vous comprenez ?
- Je sais que la Pham’Velker n’aime pas trop les Donasserne, et réciproquement.
Ferenbuikk eut un sourire diplomatique. Portzamparc avait dit vrai, en mettant les pieds dans le plat. Au fond, c’était bien cela : toute la noblesse de Mägott Platz, et la plupart des propriétaires bourgeois, était liée à la Corpole.
- A ce propos, demanda le détective, connaissez-vous un certain Jaransand ?
- Jaransand ? Oui, bien sûr. Il est conseiller municipal à la rue Verte. Là aussi, quelqu’un de très influent. Franchement, je ne partage pas toutes ses opinions, mais je l’apprécie. Comme on dit, il a du chien, de l’ambition. Lui a fait son temps chez les Donasserne. Depuis, il a pris ses distances par rapport à eux. D’esprit il est indépendant. Franchement, c’est un type admirable. Savez-vous que, dès que l’envie lui en prend, il part séjourner dans un palace, comme ça, ou dans un ilot privé réservé à quelques grands de ce monde ? N’est-ce pas formidable ?
- Si, sans doute.
- Je suis sûr qu’il pourra vous aider.
- Il est proche des Donasserne, vous m’avez dit ?
- Oui. Moins maintenant, mais quand même… Il sait d’où il vient…

Au buffet, Maréchal se faisait resservir un verre, en picorant dans le plat de petits fours.
- Vous irez parler à Jaransand ? demandait Ferenbuikk.
- Oui, dit Portzamparc, certainement.






FIN



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#19


La ville s’endormait, j’en oublie le nom…
Sur le fleuve en amont, un coin de ciel brulait.

La ville s’endormait, j’en oublie le nom…
Et la nuit peu à peu, et le temps arrêté, et mon cheval boueux, et mon corps fatigué…

Il est vrai que parfois, près du soir les oiseaux ressemblent à des vagues et les vagues aux oiseaux et les hommes aux rires, et les rires aux sanglots...

Il est vrai que souvent, la mer se désenchante. Je veux dire en cela qu’elle chante d’autres chants que ceux que la mer chante, dans les livres d’enfants…

La ville s’endormait, j’en oublie le nom…
Sur le fleuve en amont, un coin de ciel brulait…

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#20
J'espère que j'ai piqué une bouteille à ces gros bourgeois tout laids en partantredaface2
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