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26e Episode : Dharmic Blues
#21
CHRONIQUES DE L'EMPIRE D'EMERAUDE

Les couleurs de la Magistrature avaient été aperçues de loin par l'armée des rônins. C'était une bande hétéroclite, composée de samuraï sans couleur de clans. Mais aussi de samuraï de tous les clans, surtout des Dragons ; il y avait aussi des Homme-Rats Nezumi, des Crabes ralliés, des Nagas, des sorciers, des aventuriers, des filles de joie... On avait jamais vu dans Rokugan pareille troupe sortie aussi bien de somptueux palais que de cours des miracles. Et à la tête de cette troupe, le plus grand général de l'Empire, déchu, devenu le plus célèbre de ses rônins.
- Par Akodo le Borgne, lança le grand général, en quoi la Magistrature d'Emeraude s'intéresse-t-elle à une troupe de gueux comme nous ?
Et tous les éclopés, borgnes, manchots, boiteux, pestiférés, goitreux de partir d'un grand éclat de rire.
Il est vrai que la troupe, malgré son nombre et le renfort de Mirumoto Daini, n'avait plus si fière allure. Les samuraï étaient fatigués. On ne faisait plus de différence entre les combattants, parce que tous combattaient sous la même bannière, et parce que tous sentaient la fatigue dans leurs membres, Nagas et Nezumis compris.
- Nous sommes en mission pour l'Empereur ! lança Hiruya.
- Et moi pour l'Empire ! Est-ce encore compatible, puissant Magistrat !
- Je l'espère !
- Pourquoi vous joindre à nous ?... Regardez... Nous sommes affaiblis, à bout de forces.. Plus personne ne veut de nous. Nous sommes juste la plus grande bande de pillards de cet Empire.
- Je veux savoir quelle quête tu poursuis, Toturi. Tout le monde veut le savoir...
- Je veux sauver l'Empire, Magistrat. Même s'il faut le sauver de son Empereur...
- Tes propos sont graves.
- L'état du Fils du Ciel l'est encore plus. Nul ne sait plus ce que veut l'héritier des Hantei. Mais on sait ce que je veux, moi !
- Prie les Dieux que tes paroles ne lui soient pas rapportées !
- Le grand sage Naka Kuro, le prince des magiciens, a prédit un grand malheur.
- Tu crois plus un magicien errant que ton Empereur ?
- Si le Magicien connaît les secrets de la Roue Céleste...
- Il faut réunir les daimyo de chaque clan pour soutenir l'Empereur.
- Erreur, Magistrat. Tant que les Crabes n'auront pas renié leur alliance avec l'Outremonde !
- Quand bien même... Je ne vois pas pourquoi tu devrais entrer dans Otosan Uchi.
- Qui te dit que j'irai là-bas ?
- Tu marches plein est, Toturi ! Ton ambition est légendaire !
- Je n'ai qu'une parole, Magistrat. Mes hommes savent pourquoi ils me suivent. Je ne trahirai rien de ce que j'ai promis.
Hiruya ne répondit pas. La troupe continuait d'avancer doucement, pendant que Toturi et ses généraux observaient les Magistrats, guettant leur décision.
Hiruya regarda ses assistants. Il sentait qu'il avait leur approbation tacite. Bokkaï se contentait de ne rien dire, ce qui valait assentiment.
- Allons, nous te suivons !
- Bien parlé !

C'est ainsi que nos héros se joignirent pour de bon à l'épopée du général Toturi.

Samurai

- Que comptes faire Toturi ? demandait Hiruya à l'un des fidèles du Lion Noir.
- Nous marchons vers la capitale, pour lever le siège qu'elle subit des forces de l'Outremonde. Aux dernières nouvelles, le Grand Ours aurait fui la capitale, refusant désormais de s'allier aux Dieu Déchu. Mais rien ne dit que son armée l'ait suivi entièrement. Une fois aux pieds des murs de la capitale, nous aviserons. Nous comptons réunir le plus de clans possibles.
- Quels ennemis se dresseront sur notre chemin ? Comment le clan du Lion est-il disposé envers vous ?
- Il est divisé. Entre ceux qui demeurent fidèles au daimyo, le général Tsuko, et ceux qui ont compris que c'est Toturi qui était du côté de la justice. Donc nous pouvons nous heurter à la famille Matsu. Ou bien à des troupes de l'Outremonde. Mais en réalité, nous risquons de rencontrer surtout des Matsu. Et il n'est pas impossible que Tsuko vienne, sous peu, se confronter à Toturi.
- Voilà qui promet.
- Il est inévitable que les deux en décousent pour savoir qui est le véritable champion des Lions. Mais déjà nous marchons sur les routes impériales, preuve que nous sommes davantage qu'une troupe de bandits de grands chemins.

Le soir venu, après une rude marche, au cours de laquelle on avait traversé les provinces centrales du Lion, à l'écart des principales villes, la troupe s'arrêta presque comme un seul homme. Il y eut comme un soupir de soulagement général.
Dès que sa tente fut montée, Toturi s'y retira en compagnie de ses généraux.

On avait préparé une autre tente pour la Magistrature d'Emeraude. Kohei avait retrouvé sa femme, Iuchi Shizuka, qui parla des jours précédents :
- Les vivres vont venir à manquer. Toturi doit faire accélérer le pas, sans quoi les hommes se changeront vraiment en pillards !
- Nous n'avons plus le choix maintenant, disait Hiruya. Nous nous sommes engagés aux côtés de Toturi. Nous irons au bout. Car ce sera la voie de l'Honneur.
- Qu'en penserait Miya Katsu ? demanda Shigeru, inquiet.
- Si j'ai pris cette décision, c'est aussi parce que l'avoir servi m'a influencé.
- Maintenant, ricana Bokkaï, c'est à la vie à la mort avec Toturi !
Il le disait sur le ton du sarcasme, mais il n'avait pas tort.
Les samuraï se firent servir un repas dans leurs quartiers.

A la nuit tombée, Bokkaï alla faire un tour dans le campement. Certains murmuraient qu'il cherchait une femme pour la nuit. Il y avait des roulottes pour cela, à l'arrière de l'armée. D'autres disaient qu'il allait poignarder quelqu'un (dans le dos) ou assassiner un Dragon...
Le fait est, mais personne ne l'aurait cru, que le Scorpion avait besoin de marcher pour faire le point sur sa vie. Mais il valait mieux avoir l'air menaçant, pour que personne ne se rende compte qu'il se sentait perdu !
Il fut tiré de sa rêverie lorsqu'il aperçut, dans un groupe de soldats autour d'un feu, un personnage qu'il connaissait bien : le Ninja !
Le Ninja de la Cité des Mensonges !
Bokkaï le fixa directement, stupéfait de le trouver ici, à visage découvert. Son visage, il le connaissait depuis que le Gouverneur Bayushi Goshiu l'avait démasqué. Le jeune homme au visage buriné portait maintenant un insigne de caporal. Etait-il vraiment soldat, ou infiltré ici ?
Bokkaï partit en rendre compte aussitôt.
- Je l'ai reconnu, et il a vu que je le dévisageais. Il m'a reconnu aussi.
- Tout le monde qui nous sommes, dit Hiruya.
- Laissons-le venir à nous, proposa Ayame. Il saura trouver notre tente.
Bokkaï faillit ajouter qu'il saurait aussi s'y glisser sans être vu...
Mais le Ninja ne vint pas. On dut seulement constater que lui aussi avait rejoint le Lion Noir.
- Il n'a pas eu l'air affolé que je le reconnaisse, dit Bokkaï. Il doit vraiment être caporal, maintenant...
- Comme quoi, songea Ikky, ninja ça mène à tout, à condition d'en sortir.Mwe
Mais elle s'en voulut vite d'avoir pensé cela, et se dit qu'Ayame avait mauvaise influence sur elle.Mwe

Le lendemain matin, nos samuraï croisèrent encore le caporal. Il ne se cachait pas. Il mangeait avec ses hommes. Il regardait les Magistrats, puis baissait les yeux, comme n'importe quel homme de son rang.
- Ou alors c'est un sosie, suggéra Shigeru.
- Non, dit Bokkaï, je connais trop ce regard, cette attitude. Pas de doute, c'est lui.

Dans la journée, alors que la marche, de plus en plus pénible, continuait, Hiruya chevaucha aux côtés de Toturi.
- Le malheur s'acharne sur nous. Les hommes sont fatigués. La capitale est encore loin. Il est encore temps de vous dédire, Magistrat. Vous n'y perdrez pas l'honneur, car vous ne devez rien à un bandit comme moi.
- Ce qui est juré est juré, Toturi. Nous ne reculerons pas.
- Matsu Tsuko peut être là dès demain... Je parlerai aux hommes ce soir.
- Je pense qu'ils en ont besoin.

Le soir, comme promis, Toturi parla à son armée, alors que celle-ci mettait pied à terre.
- Les Fortunes testent notre résolution ! Saurons-nous faire face aux dangers à venir si nous nous laissons accabler par la fatigue ? Si nous plions aujourd'hui, nous serons écrasés demain. Alors, priez Akodo le Borgne, ou vos Ancêtres, ou les Esprits, tous ceux qui veillent sur votre karma, et ensemble, nous arracherons la victoire !
On applaudit, puis on se mit au travail pour le campement.
- Hé bien, quel discours, dit le général Mirumoto Daini.
- Les hommes n'y croient qu'à moitié, maugréa le Lion Noir, fatigué.

Après le frugal repas de l'heure de Shinjo, Ayame, Ikky et Hiruya sortirent dans le camp des rônins. Ils se dirigèrent droit vers le caporal. Leur arrivée fut vivement remarquée. On crut qu'ils venaient se saisir d'un coupable.
Pour les hommes, c'était l'heure de la soupe, l'un des seuls moments agréables de la journée. Et la Magistrature venait gâcher ce moment.
- Engagez-vous, qu'ils disaient, ricanait le caporal en mangeant sa soupe, rengagez-vous... Vous verrez du pays.
Ses hommes se forcèrent à rire, mal à l'aise à l'approche des samuraï d'Emeraude.
- Alors, caporal, lança Hiruya, nous sommes contents de te retrouver ici.
- Cela me change, de servir un autre que moi, et me sort de cette solitude, à laquelle j'avais fini par m'habituer.
Le caporal se leva, faisant signe à ses hommes que tout allait bien. Il suivit les Magistrats dans leur tente. Mal à l'aise, il les regardait d'un air moqueur, de biais, pour se donner contenance.
- Nous avons retrouvé Isawa Ujina, dit Ayame. Le senseï nous a tout expliqué.
- Tout, vraiment ?
- Oui. Nous l'avons retrouvé dans la Forêt des Ombres. Et ensemble, nous avons détruit la menace logée dans le dojo.
- Détruite, complétement ?
- Oui.
Le Ninja parut peut-être déçu que c'eût été accompli sans lui. Mais où était-il à ce moment-là, lui qui savait si bien, généralement, se trouver au bon endroit.
- As-tu des informations sur ce qui s'est passé dans Otosan Uchi, demanda Hiruya. Sur le retournement du Grand Ours.
- Comment le saurais-je ? Je n'ai pas d'oreilles dans la Cité Interdite. Je me suis engagée auprès du Lion Noir. Voilà tout. Paraît-il qu'un samuraï doit sans arrêt être prêt à mourir. Alors m'y voilà. Je suis devenu soldat.
- Qu'as-tu pensé de la mort de Tsuyoshi ?
- Ignoble, bien sûr, samuraï. Les Scorpions ont encore montré, si c'était nécessaire, qui ils sont. Des lâches. Mais ce n'est pas le pire de ce que j'ai vu à la Cité des Mensonges. C'est Tsuyoshi, au fond, qui a eu tort d'y venir. Devoir ou pas devoir...
- Il servait le senseï Akodo Kage, qui est mort, rappela Hiruya.
Le Ninja ricana encore.
- S'il est mort, alors l'Empire est en deuil... Que voulez-vous que je vous dise d'autre ?
Dans cette phrase, une sourde colère avait remplacé le sarcasme.
- Tes hommes savent-ils qui tu es ?
- Non. Peu importe le passé lorsqu'on sert Toturi.
- Comment t'appellerons-nous, maintenant que tu as perdu ton masque ? demanda Ikky.
- Etrange, hein... Comme si en retirant mon masque, le Gouverneur Goshiu m'avait enlevé mon visage... J'ai eu cette sensation. Sans ma tenue blanche, je ne suis plus rien.
- Ne te dérobe pas. Nous t'avons posé une question.
- Vous n'aurez qu'à m'appeler caporal Hiroru.
- C'est comme cela qu'on t'appelle.
- Bien sûr.

On donna au soldat l'autorisation de se retirer. Il avait au passage refusé de manger à la table de la Magistrature. Il ne voulait que de la purée de pois des sous-officiers.

Samurai

Le lendemain, très tôt, le cor d'alarme résonna. Le soleil n'était pas encore levé dans le ciel. Une attaque ?
Un officier vint donner des nouvelles à la Magistrature.
- Les guetteurs ont aperçu les couleurs de Matsu Tsuko ! Elle sera là avant l'heure d'Akodo !
- Par Kakita !
Hiruya s'habilla en hâte. Cependant qu'au-dehors, c'était l'effervescence. On repliait le camp en vitesse, pour se remettre en route.
- En avant, criait les officiers.
Il fallait gagner le maximum de terrain avant d'arriver face à l'armée Matsu. Et surtout, arriver en ordre de bataille !
- Qu'on apporte la grande armure de Toturi, criait-on !
Tous les officiers supérieurs revêtaient leurs tenues des grands jours. Les sous-officiers firent nettoyer les armes, les armures, les soldats. On plongeait dans une rivière, cependant que chacun se préparait au pire. On se mit en marche une heure plus tôt que la veille. La masse indistincte de l'armée Matsu avait grossi. C'était maintenant un fort soulèvement de poussière. Et on devinait l'ordre parfait des rangs des Lions, par opposition à la troupe confuse que menait à bout de bras Toturi.
Les poètes rokugani tirent généralement de grands poèmes épiques de ce genre de moments, et celui-ci était des plus grands qui soient, mais sur le moment, les acteurs de cet immense théâtre guerrier ne pensaient qu'à leur apparence, qu'à ce qui allait se passer. C'est ensuite seulement, la poussière de l'évènement retombé, que les grandes phrases sur le destin des hommes, ont leur place.

Toturi désigna cinq de ses fidèles pour le suivre. La Magistrature vint avec lui. En face, Matsu Tsuko devait faire de même.
Les deux groupes de diplomates s'avancèrent dans une cuvette entre les deux collines où étaient stationnées les armées. La distance entre les deux était bien petite. Au moindre signe d'un des deux généraux, l'hallali se produirait et le choc surviendrait presque aussitôt.
- Ils sont bien plus nombreux que nous, dit Shigeru.
- Allons, dit Toturi. Soyons à la hauteur de ce qui se prépare !

C'est la troupe du Lion Noir qui s'approcha la première. Façon de rendre hommage, en dépit des circonstances, à Matsu Tsuko.
- Là où nous sommes, dit le rônin Sasuke, la moindre boule de feu d'un shugenja nous rôtirait.
C'était effrayant de penser que tout pourrait être se terminer en un instant. Mais au fond, ces officiers qui tenaient une partie du destin de Rokugan entre leurs mains, n'étaient pas plus nerveux que cela. Peut-être, s'ils survivaient, auraient-ils le temps, après coup, de s'apercevoir de l'immense hasard de la situation. Mais sur le moment, ils avaient seulement le trac, et pensaient à leurs douleurs.
- Tsuko tarde à venir, murmura Sasuke.
Ce qui n'augurait rien de bon.

L'armée Matsu était effrayante d'ordre. Les soldats étaient alignés, comme un seul grand monstre bardé de métal.
- Penser que tout pourrait finir ici, songeait Sasuke, après cinq années de misère et de courage...

Le silence qui régnait dans la plaine était effrayant, compte tenu de l'ampleur des deux armées face à face. Enfin, il se produisit un mouvement. Comme le premier déclic d'une immense clépsydre, qui allait entraîner, coup après coup, le plus grand bouleversement que l'Empire ait connu.
C'est Matsu Tsuko qui arrivait, avec seulement deux hommes. Elle ne portait qu'une légère armure, comme au camp d'entraînement.
- Cherche-t-elle à nous insulter, demanda Sasuke.
- Je ne sais, dit Toturi.
Un cri retentit alors dans la plaine :
- Toturi !!
C'était Tsuko, qui poussait un cri desespéré, un cri sorti du fond de sa poitrine, et d'une immense solitude, une solitude qui toucha les deux armées, si nombreuses, mais qui se sentirent d'un coup perdues dans un monde étrange.
- TOTURI !!!!
Le cri résonnait. L'armée Matsu s'agitait. Celle du Lion Noir aussi. On croyait que la charge allait être sonnée.
- Toturi ! lança Tsuko, à bout de souffle, alors qu'elle se trouvait à quelques mètres seulement de son rival.

Elle arrêta sa monture, et descendit, à la hâte.
- Tsuko-sama ! rugit Toturi. Qu'est-ce que cela signifie !
- Ah, Toturi ! Toturi !
Elle avait perdu haleine. Elle avait la voix blanche, elle tremblait. Personne ne l'avait jamais vue dans cet état ! Elle, la superbe lionne, invincible, la femme la plus redoutée de Rokugan avec Bayushi Kachiko, elle courait, hagarde, comme une folle échappée de l'asile !
C'était un spectacle misérable.
- Tsuko !
- Toturi... Ecoute-moi... Je suis allée à Otosan Uchi !
Elle parlait assez fort pour que tous l'entende ! Là encore, elle enfreignait les règles les plus élémentaires du protocole ! Elle ne venait pas pour parlementer !
- Je suis rentrée dans le palais, et je me suis jetée aux pieds de l'Empereur. Il m'a alors parlé d'une voix que je n'ai pas reconnues. J'ai osé levé les yeux sur lui... Et alors, je n'ai pas vu en lui le divin Fils du Ciel, le descendant des Hanteï... mais un démon ! UN DEMON !
Elle hurla à la mort !
Un démon !
- La prophétie s'est réalisée, Toturi ! Le Roi des Démons est monté sur le trône d'Emeraude ! Le dernier cycle est accompli ! La fin des temps est là !... C'est le Démon !
Elle hurlait, s'affaissait, tombait à genoux. C'était terrifiant.
- Or, j'ai juré de servir cet Empereur jusqu'à la mort... C'est mon devoir de servir l'Empereur. Mais je ne peux plus m'acquitter de ce devoir. Je ne peux plus servir la chose qui se trouve sur le trône. J'ai failli à ma famille et à mon clan.
Elle enleva son armura, déchira sa chemise.

Elle s'était reprise. Elle était redevenue la lionne implacable. Elle inspirait à nouveau la peur.
- Je fais cela pour sauver l'honneur de ma famille, pas le mien.
- Je sais, murmura Toturi.
Ses deux officiers s'approchaient d'elle. L'un d'eux tira son sabre et le leva.
- Inutile, dit-elle, je n'aurai pas besoin de vous... Avec ma mort, il n'y aura plus personne pour mener les Lions. Ils seront perdus dans les ténèbres.
Elle marqua une pause, et Toturi craignit pour elle de la voir défaillir.
On déroula devant elle un parchemin. Elle y inscrivit à la hâte quelques mots, puis tira son wakisashi.
- Tsuko...
- C'en est fini, Toturi, fini...
Elle s'enfonça la lame dans le ventre, remonta, trancha sur le côté, cracha du sang, les yeux exorbités, le visage pâle...
- Ils ont besoin de toi, Toturi, dit-elle, la voix remplie de chagrin. Moi je ne peux pas les aider, mais... toi... tu peux...
Elle continuait à se déchirer la poitrine.
- Ils ont besoin de toi, dit-elle encore, se forçant à surmonter la douleur, plus encore qu'ils n'ont besoin de moi...

Elle s'effondra et allait pousser un cri de douleur. Toturi n'hésita pas. Il tira son sabre et l'abattit sur elle, sa lame chantant, le dernier chant qu'entendrait Tsuko.

L'officier Matsu jeta un linge blanc sur son corps. L'autre lut le poème qu'elle venait d'écrire :

Le printemps est sombre.
Les ombres s'allongent de désespoir.
Dans mes yeux, l'aube.

Toturi resta sans rien dire.

Puis quelqu'un cria, dans son dos :
- Toturi !
Le cri fut repris par une, par deux, par dix, par cent, par mille soldats !
- Toturi !!

Et en face, des Matsu crièrent à leur tour :
- TOTURI !!
Le nom de Toturi se répercuta dans la plaine, encore et encore, à mesure qu'une même clameur soulevait en même temps les deux armées, comme une gigantesque vague qui déferle.
Toturi lança son cheval au galop, et se mit à égale distance des deux armées.
- Samuraï !!
Sa voix grondait comme le tonnerre, et il fut dit, après, que l'esprit d'Akodo le Borgne en personne l'inspirait.
- Samuraï ! Le Vent des Dieux souffle sur nous ! A la capitale ! A Otosan Uchi !
Le cri de triomphe qui s'éleva fut inouï, indescriptible ! C'était la liesse, après, de part et d'autres, des mois et des mois d'attente et d'angoisse !
- Allons ! allons ! A Otosan Uchi !
- Shigeru, cria Hiruya, alors que les deux armées opéraient leur jonction, à toi !
- Zakennayo !
Le Crabe prit sa gourde et en but une grande gorgée puis il prit son cor en main. Et, de toutes ses forces, il souffla, le cor poussant un cri rauque, déchirant, immense, celui d'un démon à l'agonie !
Et les esprits de l'Air accoururent en une mer invisible mais déchaînée, entourèrent la grande armée qui venait de se former, et la souleva de terre aussi facilement qu'une botte de paille !
Le temps que les protagonistes réalisent ce qui arrivait et ils atterrissaient en vue des murailles d'Otosan Uchi ! Ils venaient de gagner presque une semaine de voyage !
Déjà, l'armée Licorne et l'armée Phénix était là. La jonction s'opéra aussitôt. Le soir, sous la tente de Toturi, les plus grands généraux de l'Empire se réunissaient.

On décida d'attaquer le Village Stratégique du Nord, pour y établir une solide base. C'était un des principaux retranchements de l'armée de l'Outremonde.
- Alors pas d'hésitation, dit Toturi. Demain, nous entrerons là-bas !

Ainsi fut dit, ainsi fut fait. Le lendemain, l'armée du général rônin chargeait une immense horde de l'Outremonde, menée par plusieurs onis volants. Ce fut un chatoiement sans précédent de couleurs, et une coulée de sang inimaginable. Hommes, bêtes, monstres, créatures, tous se déchirèrent et se saignèrent aveuglément, durant des heures et des heures. La chair déchira et dévora la chair, l'acier trancha et rencontra l'acier ; les démons de Toshigoku, le Royaume du Massacre, ouvraient tout grand leurs gueules, jubilants de voir ces légions de morts entrer chez eux !

Ayame vit fondre sur elle un des démons volants. Elle lui lança une énorme boule de feu. L'oni tomba, et la shugenja l'acheva en le couvrant d'une pluie de jade. Ikky n'avait jamais vu la shugenja aussi furieuse ! Quand elle voulait, elle en était capable !
Hiruya vola de duel en duel face aux pires samuraï maudits, et finit par trancher en deux un des onis ailés, grâce à sa maîtrise inégalée de l'art kenku. Il fut remarqué par toute la noblesse présente.
- Décidément, songea-t-il, en faisant mine de ne pas s'apercevoir de son succès, plus il y a de monde qui regarde, plus j'ai de talent !

Au bout de quelques heures, l'armée de l'Outremonde était en déroute et le Lion Noir faisait son entrée dans le Village du Nord. Un premier abri. Un havre de paix, après qu'on eût une nouvelle fois ouvert en grand les portes des enfers.


A suivre...Samurai
Reply
#22
Quote:Décidément, songea-t-il, en faisant mine de ne pas s'apercevoir de son succès, plus il y a de monde qui regarde, plus j'ai de talent !

ptdrTellement laid et tellement vrai à la foisApplause

Masi dis-moi tu as écrit tout ça récemment ou tu as commencé il y a un moment, parce que c'est énorme ce que tu as posté ces derniers jours ?
Reply
#23
C'est une citation presque exacte de Fredo, en réalité. Pas besoin de rajouter de la laideur.lol
"Plus il y a de gens qui regardent, plus je gère."

Ya une partie des textes que j'ai commencée avant (surtout Exil #4). Souvent je fais comme ça.wink

Dans 5mn, j'envoie la fin de cet épisode.smile
Reply
#24
Je vais me coucher avant, j'aime tellement ces textes que je sais que je ne pourrai pas résister. Et c'est mal, il faut économiser pour demain soirsmile
Reply
#25
CHRONIQUES DE L'EMPIRE D'EMERAUDE

Riobe descendit de cheval, à la porte ouest de la Cité de la Forêt des Ombres. Des mouettes criaillaient, à l'heure où les pêcheurs rentraient. La place du marché était déjà noire de monde.
Le rônin finit à pied, et se fit annoncer au palais du gouverneur.
- Entre, lui dit-on, tu es attendu.

Riobe remercia poliment, humblement même, et passa la poterne. Il fut reçu par le premier magistrat de la ville, Shiba Tadamischi.
- Seigneur, dit-il en s'inclinant bien bas, je te remercie de me recevoir si promptement.
- J'ai reçu ta missive. Les hommes de l'armée de Toturi sont les bienvenus dans mon clan.
Le gouverneur évita de demander ce qu'un officier du Lion Noir faisait si loin de son armée.
- Voici la raison de ma venue, Tadamischi-sama. Je cherche un homme qui a vécu ici plusieurs années. Un certain Shosuro Emmon..
- Il a disparu récemment, rônin. Cependant, tu n'es pas le premier à le chercher. Alors j'ai ordonné des recherches. Des pisteurs me disent l'avoir aperçu au sortir de la Cité de l'Or Bleu, il y a quelques jours. Il n'est donc pas allé si loin.
- Mais toutefois, il est parti précipitamment ?
- Oui, certainement. Mais il y a déjà dix jours de cela, au moins.
Riobe, en s'inclinant encore, répondit :
- Je te remercie de ton aide, seigneur.
- Puis-je te demander, osa le Magistrat, pourquoi tu veux retrouver Emmon-san ?
Riobe, si doux avec Tadamischi-sama, durcit d'un coup le ton :
- Cet homme a fait un affront mortel à ma famille, seigneur. Il doit mourir.
Et il s'inclina de nouveau, humble et doux.

Riobe repartit sur l'heure de la Cité, et prit la route côtière vers le sud. Il arriva bientôt en vue de la cabane du pêcheur Gempachi, qui l'avait naguère hebergé avec Sotan.
Riobe se proposa de passer le voir, en souvenir du bon vieux temps, comme on dit. Il l'appela du dehors.
Pas de réponse. Peut-être était-il parti pêcher.
Riobe entra dans le petit jardin. Il fut saisi par l'infect odeur. Une odeur de mort.
Il entra, un mouchoir sur le nez. Des mouches vrombissaient. Il y avait un cadavre, déjà bien attaqué par les horribles nuées. Le rônin s'approcha. L'odeur était intenable.
C'était Gempachi. Mort depuis plusieurs jours. On lui avait soigneusement tailladé le visage, selon un motif précis.

[Image: cristal.GIF]

- Par les tripes d'Akodo, qu'est-ce que cette horreur !

Riobe ressortit en vitesse. Il avait la nausée. Respirer le grand air lui fit du bien. Qui avait bien pu s'en prendre à un pauvre pêcheur isolé comme Gempachi ? Et pourquoi cette marque qui ressemblait à un rituel ? Qui avait pu signer son forfait ainsi ?
Le rônin se pressa de remonter en selle. Il serait temps, en arrivant à la prochaine étape, d'avertir les autorités, qui enverraient les etas.
Le soir tombait quand Riobe entra dans la Cité de l'Or Bleu. C'est alors que Riobe repensa que, dans la Cité des Mensonges, certaines victimes de la secte du Condor avaient eu le visage tailladé elle aussi ! Mais là, ce n'était pas l'insigne du Condor !

[Image: condor.gif]

Riobe s'arrêta à l'auberge et se fit servir à dîner. Soucieux, il avala sa soupe et mangea le riz, puis monta se coucher. Il n'avait parlé à personne.
Il eut du mal à s'endormir. Le sommeil vint toutefois, tard dans la nuit. Riobe n'aimait pas déroger à la vieille sagesse d'Akodo le Borgne : "couche-toi tôt, ainsi, quand on t'attaquera au milieu de la nuit, tu seras reposé".
Peu après s'être endormi, Riobe entendit qu'on grattait à sa porte. Il attrapa aussitôt son sabre et alla à la porte. On grattait toujours.
- Qui est là ?
Pas de réponse. Il entendit des pas s'éloigner. Il ouvrit brusquement la porte. Il vit des silhouettes habillées de noir détaler.
- Hé vous là !
Un des hommes passa par la fenêtre. Riobe courut et en attrapa à la gorge. Il sentit qu'on voulait le saisir par derrière. Le rônin décocha un coup de coude dans son agresseur, se retourna, lui envoya son poing dans la figure. L'autre voulut s'enfuir. Riobe lui taillada le bras.
- Reste ici toi !
Le second, à terre, se releva d'un coup, poignard à la main. Riobe le renvoya à terre d'un coup de sabre : sa tête tomba la première, puis son corps.
Le combat avait fait du bruit. Le patron montait, avec un yoriki, une lanterne à la main.
- Donnez-moi ça, dit Riobe en lui prenant des mains.
Il éclaira sa porte de chambre : on avait commencé à tailler dans le bois le même sigle que celui pratiqué sur le visage de Gempachi !
A première vue, cela ressemblait à des méthodes de yakuzas. Mais pourquoi Riobe se serait-il mis à dos la petite pègre locale ?
Non, c'était plus grave que ça.

Samurai

Un des agresseurs était encore en vie. Le patron et le yoriki avaient reconnu un soldat de Toturi. Ils n'osaient pas intervenir. Riobe releva l'espèce de ninja à la manque qui avait voulu s'en prendre à lui.
- Qui t'a engagé ?
- Un homme riche, non loin d'ici.
- Ah oui ? Alors tu vas m'y conduire ! Allons, en avant !

Riobe lui donna une claque sur la tête et lui pointa son sabre dans le dos.
- Patron, faites préparer mes affaires. Je pars sur le champ.
- En pleine nuit ?
- Oui, si je veux retrouver ses complices, je dois faire vite.

Riobe monta à cheval, ayant attaché son prisonnier à la selle.
- Allons, en avant ! Et presse le pas, sinon tu vas faire le voyage allongé !
Le rônin fit partir son cheval au trot, et le misérable eut du mal à suivre. Il tomba plusieurs fois, fut traîné dans la poussière, se releva, tomba encore. Riobe, estimant qu'il en avait assez fait, ralentit.
- Allons, dépêche-toi. D'où viens-tu ?
- D'une petite maison, au sortir de la ville ?
- Est-ce vous qui avez tué le pêcheur, sur la côte ? Parle, misérable, où je te taille les oreilles en pointe !
- Pitié, oui ! Oui, c'est nous !

La promenade nocturne dura une petite heure. A bout de forces, le "ninja" finit de conduire Riobe au coeur d'une petite forêt. S'y trouvait une masure, éclairée par un rayon de lune.
- L'endroit est idéal, dit Riobe, pour un repaire de bandits.
- J'ai accompli ma promesse de vous amener ici, gémit le "ninja".
- Tu as raison.
- Alors quoi ?
- Alors tu peux t'en aller.
- Vrai ?
- Mais oui.
Le malheureux tourna les talons. Riobe dégaina et lui trancha la tête.
- Il ne s'est pas senti partir...

Le rônin nettoya sa lame et approcha de la maison.
C'était trop facile, évidemment.
On avait envoyé trois tocards à l'auberge, pour l'attirer. Mais au fond, il ne demandait pas mieux que de suivre la piste des loups, emblème des rônins sans clan, pour mieux se jeter dans la gueule de l'animal !
Il approcha donc, le sabre en main. Par une fenêtre, il vit quelqu'un le viser, un arc bandé en mains. La flèche partit. Riobe ne se jeta pas sur le côté : il intercepta la flèche en vol d'un coup de sabre et la trancha. Une seconde partit ; dans un mouvement de retour, Riobe la coupa aussi sec.
Il se jeta en avant, et roula jusqu'à la porte. Il resta accroupi et écouta. Puis il enfonça la porte de vieux bois et entra dans la bâtisse. L'intérieur était humide, poussiéreux.
Riobe laissa ses yeux s'habituer à l'obscurité. Il crut entendre du bruit derrière lui. Un agresseur qui venait du dehors. Il se retourna. C'est alors que, dans son dos, tombèrent du plafond trois silhouettes vêtues de combinaisons noires.
- Laisse tomber ton arme, rônin ou tu es mort.
Riobe se figea, et sourit.
- Non, je ne crois pas, dit-il en se retournant et en tranchant à vif dans un premier opposant. Il esquiva les coups des autres, qui finirent eux aussi à terre, en deux ou trois morceaux.
Riobe aperçut leurs armes : des tonfas.
Il secoua la tête, dédaigneux, en poursuivant son chemin :
- Bande de barbares...

Il ouvrit un panneau coulissant et entra dans une grande pièce. Là, il reçut ce qui fut sans doute le choc de sa vie.
Sur un siège, aux côtés duquel étaient posées deux lanternes, était ligoté un vieil homme. Le crâne chauve, des cheveux longs tombant sur le côté, les moustaches fines et tombantes. La musculature aguerrie, les avant-bras tatoués de serpents.

- Akodo Kage-senseï...






... OMBRES, ET POUSSIÈRE... SAMURAÏ...<!--sizec--><!--/sizec-->
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#26
Si on m'avait confié l'entrainement de ces ninjas ça ne se serait pas passé comme ça tssOuimaisnon



C'est trop bonBonheur
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#27
Du seigneur le plus dur de l'empire du coté obscur!!!
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