12-08-2005, 02:46 PM
(This post was last modified: 12-08-2005, 02:47 PM by Darth Nico.)
LE COEUR D'OCEANIE
Résumé : Mouillant en vue des côtes de l'Indonésie, le navire de Gianmara Valtero, truand engagé par Loren, connaît quelques problèmes entre son équipage et son capitaine.
Java pour Valtero
Soulagé que les négociations aient abouti, l’Italien sortit sur le pont pour téléphoner ; l’air frais lui faisait du bien, car le tangage à l’arrêt, la fumée et l’haleine des asiatiques finissait par le rendre malade. Lui-même puait dans son débardeur jauni. Les poils et la sueur lui collaient à la peau ; il était temps de passer sous la douche.
Accoudé au bastingage, il fuma une cigarette en écoutant grincer le bateau. Il inspirait et expirait fortement et regardait la fumée disparaître, pendant que tout le monde rejoignait sa cabine pour se reposer, avant le réapprovisionnement du navire. L’eau, maintenant croupie, que le typhon avait versé sur le navire devait encore s’écoule, se balancer un peu partout, au gré des clapotis. Valtero tendit l’oreille : des éclats de voix lui parvenaient, depuis l’autre pont du navire. Il en fit rapidement le tour. Un bateau à moteur s’était approché du navire : plusieurs marins avaient lancé une échelle pour les occupants montent à bord. La côte n’était pas loin, mais il avait fait vite.
- Qu’est-ce qui se passe ? Qui sont ces gusses ?
Valtero se précipita, aussi vite que le permettait sa corpulence, vers son équipage, en bousculant au passage deux ou trois bleus, de corvée de ménage. Les Jaunes venaient d’admettre à bord un autre asiatique, d’une trentaine d’années, les traits tirés par la fatigue, amaigri par les épreuves.
- Qui c’est celui-là ! lança t-il à l’équipage. De quel droit admettez-vous quelqu’un sans mon autorisation ? Et d’abord qui es-tu ?
Le nouvel arrivant ne répondit rien. Il avait un air fier, imperturbable, malgré son épuisement. Deux autres hommes le tenaient par le bras pour le soutenir. L’interprète accourut alors.
- Ah te voilà toi ! Bon, alors, demande à ces gars qui est ce type ? Que fait-il à bord ?

Le bateau qui avait amené ce passager s’éloignait déjà. Valtero en était outré.
- Calme-toi capitaine, disait l’interprète. C’est juste un nouvel homme d’équipage… Les hommes disent qu’ils manquaient de quelqu’un… Il ne fera pas de désordre… On va lui trouver un poste.
- Un poste ? Non mais tu plaisantes ou quoi ! Ce type tient à peine debout ! Il n’est même pas bon à laver le pont dans l’état où il est ! Qui es-tu ?
Valtero souffla délibérément la fumée de sa cigarette sur le visage du jeune type. Celui-ci toussa, ferma les yeux, ne répondit rien. L’hostilité de Valtero nourrissait celle, opposée à la sienne, des hommes, qui tenaient manifestement à inclure cet homme affaibli à bord.
- Et il va servir à quoi exactement ? ricana l’Italien. Laissez-moi deviner : à vous ramasser la savonnette ?
L’interprète fut embarrassée pour traduire : il ne comprenait pas l’expression.
- Si tu te lavais de temps en temps, tu saurais de quoi je parle ! rigola Valtero. Vous allez faire quoi ? L’accrocher au lavabo ? Vous n’avez pas vu de femmes depuis combien de temps ?...
Le nouveau venu grimaça de haine.
- Tu comprends ce que je dis ? hein, tu comprends, dis ? T’es une tante, c’est ça ? ils sont allés te chercher… non plutôt ils t’ont fait venir de la côte pour jouer la femme ? Ils sont pédés comme des phoques en plus ? Hein, les gars, vous prenez tout vent arrière !
L’interprète traduisait de plus en plus timidement : ce qui suffisait pour faire salement grimacer les hommes présents.
- Comment tu t’appelles la tarlouze ?
C’était de trop. Le dénommé, avec une vigueur inattendue, envoya un coup de tibia dans l’entrejambe de Valtero. Plus exactement, il essaya : l’Italien avait anticipé le coup.
- Tiens donc, tu comprends les insultes, hein ? Que les insultes, tu es sûr ?
Valtero écrasa sa cigarette sur le nez du jeune gars, qui hurla de douleur. Les deux hommes se mirent à hurler après l’Italien, l’interprète ne savait plus quoi faire. Valtero remarqua qu’un marin, en retrait, avait la main sur un couteau à cran d’arrêt.
Corpulent, l’Italien en imposait, mais là, il sentit son autorité égratignée. Il marcha sus au type au couteau, et lui expédia un crochet du droit. Le type alla rouler sur le pont, entraîné par un léger creux de vague. Il se cogna la tête sur le bastingage.
- On t’a pas dit qu’il ne fallait pas menacer le capitaine de son navire ? Dis, on te l’a pas expliqué à l’école des marins de ton putain de pays de citrons ! Et vous, restez calmes, hein, sinon !…
Valtero avait sorti un pistolet de sa veste.
- Restez calme, ou il va y avoir du jus de citron !… Putain de ouistitis ! Vous comprenez donc que ça comme langage ! J’en ai marre d’avoir un ramassis de tueurs à gages comme vous pour équipage ! Pourquoi est-ce que j’irai pas engager plutôt un troupeau d’ânes à votre place, hein ! Dites-moi ! Vous avez idée, non ?… Toi, le nouveau venu, tu vas venir avec moi. On va faire connaissance, toi et moi. Dans ma cabine. Je vais t’offrir une séance de bienvenue dont tu te souviendras !… Tournée spéciale Valtero. Offert par la maison. Vous autres lâchez-le… Il va venir avec moi, et ça va bien se passer… Je vous le promets. On va juste faire connaissance !…
Les hommes maugréèrent, sombres, avant de lâcher le jeune homme fatigué. Valtero, le pistolet toujours à la main, s’approcha d’eux, prit par le bras le type, résolument, et l’entraîna vers sa cabine.
- Capitaine, dit l’interprète, les hommes ne veulent pas que le nouveau ramasse la savonnette pour toi !
Valtero partit d’un rire où entrait la rigolade et le mépris :
- Pourquoi, ça leur ferait trop plaisir que je ne partage pas ? T’as peur que moi, un Italien de Palerme, je sois une putain de tante ! Allez-vous faire foutre… et oui tu peux traduire tout ce que j’ai dit !… Allez vous faire mettre, saletés de macaques…
Le temps de proférer ces injures, Valtero était arrivé devant sa cabine. Il fit entrer le passager, passa ensuite, referma la porte à clef, après s’être assuré que personne ne rôdait dans les parages. L’intérieur était plutôt luxueux comparé au reste du navire. Un placard à alcool, une banquette trouée, avachie, d’où jaillissait librement des ressorts, un ventilateur poussif, une table de bois taillée d’une pièce, une couchette digne de celles d’un pénitencier chinois, une radio et une télévision, un magnétoscope et quelques cassettes, contenant des films porno et de série Z, dignes du dernier des cars de touristes perdu en Patagonie.
Le passager se laissa tomber sur le fauteuil, épuisé. Il soupira longuement. Valtero lui envoya son paquet de cigarette et un briquet.
- Tiens, cadeau de bienvenue. Pour m’excuser de t’avoir brûlé.
- Vous y êtes allé fort quand même. J’ai cru que je m’étais trompé de navire, à un moment.
- Bah, tu es un gars solide, je le sais. Valtero sortait une bouteille de martini du placard. Et puis j’ai dû donner à ce point le change, car derrière leur façade de connerie épaisse, ces salopards sont loin d’être cons. Ils sont d’ailleurs aussi méchants qu’intelligents quand ils s’y mettent.
- Vous n’avez pas l’impression de tenir le discours du blanc colonialiste et impérialiste ?
- Ouais bah il me plaît ce discours, tu entends ? tiens, file-moi une cigarette. Ils m’ont mis à bout de nerf ces indigènes. Il me plaît ce discours, parce c’est vrai ce que je dis. C’est pas sensé de vivre dans ce pays bouillant, sur ces mers déchaînés, entre des villes de loqueteux et des jungles pleines de moustiques et de fauves !
- C’est tout ce que vous retiendrez de l’Asie, capitaine Valtero ?
- Ouais, et encore, j’espère bien oublier ça un jour, et finir peinard à Palerme, à déguster du rizzoto plutôt que de la saleté de riz gluant et bouilli… C’est quoi ton nom déjà ?
- Tuang-Loc.
- Ah ouais, c’est ça. Moi, c’est Valtero comme tu sais. Gianmaria de mon prénom. J’ai reçu il y a trois heures un message me prévenant de ton arrivée. Message qui venait d’autorités lointaines et supérieures, si j’ai bien compris.
- Oui. Le message venait d’un des QG de Lum Khan lui-même.
- Tiens donc, encore ce bon vieux Lum Khan. Tu m’en diras tant… A ta santé.

Les deux hommes avaient rempli leur verre de whisky. Ils le vidèrent d’un coup.
- Tu m’en diras tant…
Valtero fit claquer sa langue. Il s’assit à califourchon sur une chaise. Tuang-Loc fumait en profitant de ce moment de délassement.
- Alors, je t’écoute, monsieur Loc. Pourquoi devais-tu absolument monter à bord ? Et pourquoi doit-on ignorer qui tu es ?
- Les hommes croient que c’est la « maffia », comme vous diriez, de la côte qui exige ma présence à bord. La « maffia » qui est capable d’exécuter leur famille s’ils désobéissent.
- Ouais, sauf que Lum Khan est capable lui, en sus, d’exécuter aussi tes amis, et la famille de tes amis, je sais… Ca ne répond pas à ma question.
- Il y a quelques heures encore, soupira l’Asiatique, j’étais commandant d’un sous-marin, le Requin Bleu, qui a été coulé, non loin d’ici. La raison officielle en est le typhon qui vous a touchés aussi.
- Et qui a vraiment coulé ton sous-marin ?
- Un navire de guerre, battant pavillon Indonésien, en réalité au service de Lum Khan.
- Attends, qu’est-ce que c’est que cette histoire ? tu n’es pas au service de ton grand Khan ?
- Ce navire a torpillé par erreur mon sous-marin. On a réussi à falsifier les ordres qu’il a reçus. Ce n’était évidemment pas moi la cible normalement.
- Il a mal reçu des ordres de Lum Khan ?
- Non, pire que cela. Il a reçu des ordres qui ne venaient pas de Lum Khan, des ordres venant d’une autre autorité, qui s’est fait passer pour Lum Khan. Des gens assez puissants pour tromper la vigilance d’officiers aguerris, et pour utiliser tous les codes habituels de nos QG.
- C’est dément… Et alors ?
- Alors, contre toute attente, j’en suis sorti vivant. J’ai été recueilli par le navire de guerre, d’abord parce qu’ils n’avaient pas reçu l’ordre express d’achever d’éventuels survivants… Ensuite, parce qu’ils m’ont reconnu. La flotte de Lum Khan n’est pas immense, et je connaissais déjà les officiers du navire. Ils ont envoyé des plongeurs examiner l’épave de mon sous-marin. Ils ont alors compris l’erreur qu’on leur avait fait commettre.
- C’est monstrueux. Et vous avez identifié les pirates ?
- Je n’en sais rien. J’étais à bouts de forces, nerveusement et physiquement. Un hélicoptère est venu me chercher en urgence, m’a ramené à terre. J’ai rencontré à l’improviste certains de nos dirigeants. Ils ont décidé de me transférer sur votre navire.
Tuang-Loc alluma une autre cigarette et but un autre verre, imité en cela par Valtero.
- Et qu’est-ce qui va arriver au navire fautif ?
- Lum Khan va sans doute faire exécuter les officiers. Si ce n’est déjà fait. S’ils n’ont pas déjà pris la fuite, en connaissance de cause.
- Sale histoire en tout cas. Mais quel rapport avec moi ?
- Attendez, je ne vous ai pas tout dit. Il y avait à bord de mon sous-marin deux passagers très spéciaux. Dans l’idée des agresseurs, ils auraient dû périr, comme tout mon équipage. Mais ils en ont réchappé, et ils ont été recueillis à bord d’un petit submersible, qui les a emmenés avec lui.
- Et qui étaient ces deux bonshommes ? c’est à cause d’eux en fait qu’on s’est arrangé pour que tu sois coulé.
- Oui. L’un d’eux se nommait Lucinius. L’autre, je ne me souviens plus de son nom…
- Corso, lâcha Valtero avec amertume.
- Oui c’est ça. Vous les connaissez, j’imagine.
- Oui, je suis au service de Lucinius.

Valtero vida encore un verre. Il resta interdit pendant une longue minute.
Il s’exclama enfin :
- Mais enfin que faisaient-ils dans ton sous-marin, à des milliers de kilomètres de leur trajet initial ?
- Je les ai recueillis auparavant, alors qu’ils étaient à fond de cale, à bord d’un navire qui voguait non loin de la mer des Sargasses.
- La mer des Sargasses ? non mais c’est insensé ! Et qu’est-ce qu’ils faisaient là-bas ?
- Je crois qu’ils y ont fait naufrage… avant d’être recueilli par ce navire, puis moi.
- Nom de Dieu de nom de Dieu, prononça Valtero. Ces deux crétins ont fait naufrage entre l’île de la Tortue et l’Australie, en pleine mer des Sargasses… et les voilà partis pour se promener Dieu sait où… Tu sais où les a emmenés le submersible en question ?
- Aucune idée. Mais je les ai nettement vu monter à bord avant d’être recueillis. Ce submersible n’était pas là par hasard. Mais je ne sais pas s’il était de mèche avec nos agresseurs.
- Et qui pilotait l’engin ?
- Aucune idée non plus.
- … Voilà pourquoi je n’arrivais plus à les joindre depuis des jours !… Ah, pas à dire, ils ont bien voyagé, ils n’ont pas perdu leur temps : ils ont vu du pays !…
A suivre...
Résumé : Mouillant en vue des côtes de l'Indonésie, le navire de Gianmara Valtero, truand engagé par Loren, connaît quelques problèmes entre son équipage et son capitaine.
Java pour Valtero
Soulagé que les négociations aient abouti, l’Italien sortit sur le pont pour téléphoner ; l’air frais lui faisait du bien, car le tangage à l’arrêt, la fumée et l’haleine des asiatiques finissait par le rendre malade. Lui-même puait dans son débardeur jauni. Les poils et la sueur lui collaient à la peau ; il était temps de passer sous la douche.
Accoudé au bastingage, il fuma une cigarette en écoutant grincer le bateau. Il inspirait et expirait fortement et regardait la fumée disparaître, pendant que tout le monde rejoignait sa cabine pour se reposer, avant le réapprovisionnement du navire. L’eau, maintenant croupie, que le typhon avait versé sur le navire devait encore s’écoule, se balancer un peu partout, au gré des clapotis. Valtero tendit l’oreille : des éclats de voix lui parvenaient, depuis l’autre pont du navire. Il en fit rapidement le tour. Un bateau à moteur s’était approché du navire : plusieurs marins avaient lancé une échelle pour les occupants montent à bord. La côte n’était pas loin, mais il avait fait vite.
- Qu’est-ce qui se passe ? Qui sont ces gusses ?
Valtero se précipita, aussi vite que le permettait sa corpulence, vers son équipage, en bousculant au passage deux ou trois bleus, de corvée de ménage. Les Jaunes venaient d’admettre à bord un autre asiatique, d’une trentaine d’années, les traits tirés par la fatigue, amaigri par les épreuves.
- Qui c’est celui-là ! lança t-il à l’équipage. De quel droit admettez-vous quelqu’un sans mon autorisation ? Et d’abord qui es-tu ?
Le nouvel arrivant ne répondit rien. Il avait un air fier, imperturbable, malgré son épuisement. Deux autres hommes le tenaient par le bras pour le soutenir. L’interprète accourut alors.
- Ah te voilà toi ! Bon, alors, demande à ces gars qui est ce type ? Que fait-il à bord ?

Le bateau qui avait amené ce passager s’éloignait déjà. Valtero en était outré.
- Calme-toi capitaine, disait l’interprète. C’est juste un nouvel homme d’équipage… Les hommes disent qu’ils manquaient de quelqu’un… Il ne fera pas de désordre… On va lui trouver un poste.
- Un poste ? Non mais tu plaisantes ou quoi ! Ce type tient à peine debout ! Il n’est même pas bon à laver le pont dans l’état où il est ! Qui es-tu ?
Valtero souffla délibérément la fumée de sa cigarette sur le visage du jeune type. Celui-ci toussa, ferma les yeux, ne répondit rien. L’hostilité de Valtero nourrissait celle, opposée à la sienne, des hommes, qui tenaient manifestement à inclure cet homme affaibli à bord.
- Et il va servir à quoi exactement ? ricana l’Italien. Laissez-moi deviner : à vous ramasser la savonnette ?
L’interprète fut embarrassée pour traduire : il ne comprenait pas l’expression.
- Si tu te lavais de temps en temps, tu saurais de quoi je parle ! rigola Valtero. Vous allez faire quoi ? L’accrocher au lavabo ? Vous n’avez pas vu de femmes depuis combien de temps ?...
Le nouveau venu grimaça de haine.
- Tu comprends ce que je dis ? hein, tu comprends, dis ? T’es une tante, c’est ça ? ils sont allés te chercher… non plutôt ils t’ont fait venir de la côte pour jouer la femme ? Ils sont pédés comme des phoques en plus ? Hein, les gars, vous prenez tout vent arrière !
L’interprète traduisait de plus en plus timidement : ce qui suffisait pour faire salement grimacer les hommes présents.
- Comment tu t’appelles la tarlouze ?
C’était de trop. Le dénommé, avec une vigueur inattendue, envoya un coup de tibia dans l’entrejambe de Valtero. Plus exactement, il essaya : l’Italien avait anticipé le coup.
- Tiens donc, tu comprends les insultes, hein ? Que les insultes, tu es sûr ?
Valtero écrasa sa cigarette sur le nez du jeune gars, qui hurla de douleur. Les deux hommes se mirent à hurler après l’Italien, l’interprète ne savait plus quoi faire. Valtero remarqua qu’un marin, en retrait, avait la main sur un couteau à cran d’arrêt.
Corpulent, l’Italien en imposait, mais là, il sentit son autorité égratignée. Il marcha sus au type au couteau, et lui expédia un crochet du droit. Le type alla rouler sur le pont, entraîné par un léger creux de vague. Il se cogna la tête sur le bastingage.
- On t’a pas dit qu’il ne fallait pas menacer le capitaine de son navire ? Dis, on te l’a pas expliqué à l’école des marins de ton putain de pays de citrons ! Et vous, restez calmes, hein, sinon !…
Valtero avait sorti un pistolet de sa veste.
- Restez calme, ou il va y avoir du jus de citron !… Putain de ouistitis ! Vous comprenez donc que ça comme langage ! J’en ai marre d’avoir un ramassis de tueurs à gages comme vous pour équipage ! Pourquoi est-ce que j’irai pas engager plutôt un troupeau d’ânes à votre place, hein ! Dites-moi ! Vous avez idée, non ?… Toi, le nouveau venu, tu vas venir avec moi. On va faire connaissance, toi et moi. Dans ma cabine. Je vais t’offrir une séance de bienvenue dont tu te souviendras !… Tournée spéciale Valtero. Offert par la maison. Vous autres lâchez-le… Il va venir avec moi, et ça va bien se passer… Je vous le promets. On va juste faire connaissance !…

Les hommes maugréèrent, sombres, avant de lâcher le jeune homme fatigué. Valtero, le pistolet toujours à la main, s’approcha d’eux, prit par le bras le type, résolument, et l’entraîna vers sa cabine.
- Capitaine, dit l’interprète, les hommes ne veulent pas que le nouveau ramasse la savonnette pour toi !
Valtero partit d’un rire où entrait la rigolade et le mépris :
- Pourquoi, ça leur ferait trop plaisir que je ne partage pas ? T’as peur que moi, un Italien de Palerme, je sois une putain de tante ! Allez-vous faire foutre… et oui tu peux traduire tout ce que j’ai dit !… Allez vous faire mettre, saletés de macaques…
Le temps de proférer ces injures, Valtero était arrivé devant sa cabine. Il fit entrer le passager, passa ensuite, referma la porte à clef, après s’être assuré que personne ne rôdait dans les parages. L’intérieur était plutôt luxueux comparé au reste du navire. Un placard à alcool, une banquette trouée, avachie, d’où jaillissait librement des ressorts, un ventilateur poussif, une table de bois taillée d’une pièce, une couchette digne de celles d’un pénitencier chinois, une radio et une télévision, un magnétoscope et quelques cassettes, contenant des films porno et de série Z, dignes du dernier des cars de touristes perdu en Patagonie.
Le passager se laissa tomber sur le fauteuil, épuisé. Il soupira longuement. Valtero lui envoya son paquet de cigarette et un briquet.
- Tiens, cadeau de bienvenue. Pour m’excuser de t’avoir brûlé.
- Vous y êtes allé fort quand même. J’ai cru que je m’étais trompé de navire, à un moment.
- Bah, tu es un gars solide, je le sais. Valtero sortait une bouteille de martini du placard. Et puis j’ai dû donner à ce point le change, car derrière leur façade de connerie épaisse, ces salopards sont loin d’être cons. Ils sont d’ailleurs aussi méchants qu’intelligents quand ils s’y mettent.
- Vous n’avez pas l’impression de tenir le discours du blanc colonialiste et impérialiste ?
- Ouais bah il me plaît ce discours, tu entends ? tiens, file-moi une cigarette. Ils m’ont mis à bout de nerf ces indigènes. Il me plaît ce discours, parce c’est vrai ce que je dis. C’est pas sensé de vivre dans ce pays bouillant, sur ces mers déchaînés, entre des villes de loqueteux et des jungles pleines de moustiques et de fauves !
- C’est tout ce que vous retiendrez de l’Asie, capitaine Valtero ?
- Ouais, et encore, j’espère bien oublier ça un jour, et finir peinard à Palerme, à déguster du rizzoto plutôt que de la saleté de riz gluant et bouilli… C’est quoi ton nom déjà ?
- Tuang-Loc.
- Ah ouais, c’est ça. Moi, c’est Valtero comme tu sais. Gianmaria de mon prénom. J’ai reçu il y a trois heures un message me prévenant de ton arrivée. Message qui venait d’autorités lointaines et supérieures, si j’ai bien compris.
- Oui. Le message venait d’un des QG de Lum Khan lui-même.
- Tiens donc, encore ce bon vieux Lum Khan. Tu m’en diras tant… A ta santé.

Les deux hommes avaient rempli leur verre de whisky. Ils le vidèrent d’un coup.
- Tu m’en diras tant…
Valtero fit claquer sa langue. Il s’assit à califourchon sur une chaise. Tuang-Loc fumait en profitant de ce moment de délassement.
- Alors, je t’écoute, monsieur Loc. Pourquoi devais-tu absolument monter à bord ? Et pourquoi doit-on ignorer qui tu es ?
- Les hommes croient que c’est la « maffia », comme vous diriez, de la côte qui exige ma présence à bord. La « maffia » qui est capable d’exécuter leur famille s’ils désobéissent.
- Ouais, sauf que Lum Khan est capable lui, en sus, d’exécuter aussi tes amis, et la famille de tes amis, je sais… Ca ne répond pas à ma question.
- Il y a quelques heures encore, soupira l’Asiatique, j’étais commandant d’un sous-marin, le Requin Bleu, qui a été coulé, non loin d’ici. La raison officielle en est le typhon qui vous a touchés aussi.
- Et qui a vraiment coulé ton sous-marin ?
- Un navire de guerre, battant pavillon Indonésien, en réalité au service de Lum Khan.
- Attends, qu’est-ce que c’est que cette histoire ? tu n’es pas au service de ton grand Khan ?
- Ce navire a torpillé par erreur mon sous-marin. On a réussi à falsifier les ordres qu’il a reçus. Ce n’était évidemment pas moi la cible normalement.
- Il a mal reçu des ordres de Lum Khan ?
- Non, pire que cela. Il a reçu des ordres qui ne venaient pas de Lum Khan, des ordres venant d’une autre autorité, qui s’est fait passer pour Lum Khan. Des gens assez puissants pour tromper la vigilance d’officiers aguerris, et pour utiliser tous les codes habituels de nos QG.
- C’est dément… Et alors ?
- Alors, contre toute attente, j’en suis sorti vivant. J’ai été recueilli par le navire de guerre, d’abord parce qu’ils n’avaient pas reçu l’ordre express d’achever d’éventuels survivants… Ensuite, parce qu’ils m’ont reconnu. La flotte de Lum Khan n’est pas immense, et je connaissais déjà les officiers du navire. Ils ont envoyé des plongeurs examiner l’épave de mon sous-marin. Ils ont alors compris l’erreur qu’on leur avait fait commettre.
- C’est monstrueux. Et vous avez identifié les pirates ?
- Je n’en sais rien. J’étais à bouts de forces, nerveusement et physiquement. Un hélicoptère est venu me chercher en urgence, m’a ramené à terre. J’ai rencontré à l’improviste certains de nos dirigeants. Ils ont décidé de me transférer sur votre navire.
Tuang-Loc alluma une autre cigarette et but un autre verre, imité en cela par Valtero.
- Et qu’est-ce qui va arriver au navire fautif ?
- Lum Khan va sans doute faire exécuter les officiers. Si ce n’est déjà fait. S’ils n’ont pas déjà pris la fuite, en connaissance de cause.
- Sale histoire en tout cas. Mais quel rapport avec moi ?
- Attendez, je ne vous ai pas tout dit. Il y avait à bord de mon sous-marin deux passagers très spéciaux. Dans l’idée des agresseurs, ils auraient dû périr, comme tout mon équipage. Mais ils en ont réchappé, et ils ont été recueillis à bord d’un petit submersible, qui les a emmenés avec lui.
- Et qui étaient ces deux bonshommes ? c’est à cause d’eux en fait qu’on s’est arrangé pour que tu sois coulé.
- Oui. L’un d’eux se nommait Lucinius. L’autre, je ne me souviens plus de son nom…
- Corso, lâcha Valtero avec amertume.
- Oui c’est ça. Vous les connaissez, j’imagine.
- Oui, je suis au service de Lucinius.

Valtero vida encore un verre. Il resta interdit pendant une longue minute.
Il s’exclama enfin :
- Mais enfin que faisaient-ils dans ton sous-marin, à des milliers de kilomètres de leur trajet initial ?
- Je les ai recueillis auparavant, alors qu’ils étaient à fond de cale, à bord d’un navire qui voguait non loin de la mer des Sargasses.
- La mer des Sargasses ? non mais c’est insensé ! Et qu’est-ce qu’ils faisaient là-bas ?
- Je crois qu’ils y ont fait naufrage… avant d’être recueilli par ce navire, puis moi.
- Nom de Dieu de nom de Dieu, prononça Valtero. Ces deux crétins ont fait naufrage entre l’île de la Tortue et l’Australie, en pleine mer des Sargasses… et les voilà partis pour se promener Dieu sait où… Tu sais où les a emmenés le submersible en question ?
- Aucune idée. Mais je les ai nettement vu monter à bord avant d’être recueillis. Ce submersible n’était pas là par hasard. Mais je ne sais pas s’il était de mèche avec nos agresseurs.
- Et qui pilotait l’engin ?
- Aucune idée non plus.
- … Voilà pourquoi je n’arrivais plus à les joindre depuis des jours !… Ah, pas à dire, ils ont bien voyagé, ils n’ont pas perdu leur temps : ils ont vu du pays !…
A suivre...
