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Le coeur d'Océanie
LE COEUR D'OCEANIE

Résumé : Mouillant en vue des côtes de l'Indonésie, le navire de Gianmara Valtero, truand engagé par Loren, connaît quelques problèmes entre son équipage et son capitaine.


Java pour Valtero

Soulagé que les négociations aient abouti, l’Italien sortit sur le pont pour téléphoner ; l’air frais lui faisait du bien, car le tangage à l’arrêt, la fumée et l’haleine des asiatiques finissait par le rendre malade. Lui-même puait dans son débardeur jauni. Les poils et la sueur lui collaient à la peau ; il était temps de passer sous la douche.
Accoudé au bastingage, il fuma une cigarette en écoutant grincer le bateau. Il inspirait et expirait fortement et regardait la fumée disparaître, pendant que tout le monde rejoignait sa cabine pour se reposer, avant le réapprovisionnement du navire. L’eau, maintenant croupie, que le typhon avait versé sur le navire devait encore s’écoule, se balancer un peu partout, au gré des clapotis. Valtero tendit l’oreille : des éclats de voix lui parvenaient, depuis l’autre pont du navire. Il en fit rapidement le tour. Un bateau à moteur s’était approché du navire : plusieurs marins avaient lancé une échelle pour les occupants montent à bord. La côte n’était pas loin, mais il avait fait vite.
- Qu’est-ce qui se passe ? Qui sont ces gusses ?
Valtero se précipita, aussi vite que le permettait sa corpulence, vers son équipage, en bousculant au passage deux ou trois bleus, de corvée de ménage. Les Jaunes venaient d’admettre à bord un autre asiatique, d’une trentaine d’années, les traits tirés par la fatigue, amaigri par les épreuves.
- Qui c’est celui-là ! lança t-il à l’équipage. De quel droit admettez-vous quelqu’un sans mon autorisation ? Et d’abord qui es-tu ?
Le nouvel arrivant ne répondit rien. Il avait un air fier, imperturbable, malgré son épuisement. Deux autres hommes le tenaient par le bras pour le soutenir. L’interprète accourut alors.
- Ah te voilà toi ! Bon, alors, demande à ces gars qui est ce type ? Que fait-il à bord ?

Virus

Le bateau qui avait amené ce passager s’éloignait déjà. Valtero en était outré.
- Calme-toi capitaine, disait l’interprète. C’est juste un nouvel homme d’équipage… Les hommes disent qu’ils manquaient de quelqu’un… Il ne fera pas de désordre… On va lui trouver un poste.
- Un poste ? Non mais tu plaisantes ou quoi ! Ce type tient à peine debout ! Il n’est même pas bon à laver le pont dans l’état où il est ! Qui es-tu ?
Valtero souffla délibérément la fumée de sa cigarette sur le visage du jeune type. Celui-ci toussa, ferma les yeux, ne répondit rien. L’hostilité de Valtero nourrissait celle, opposée à la sienne, des hommes, qui tenaient manifestement à inclure cet homme affaibli à bord.
- Et il va servir à quoi exactement ? ricana l’Italien. Laissez-moi deviner : à vous ramasser la savonnette ?
L’interprète fut embarrassée pour traduire : il ne comprenait pas l’expression.
- Si tu te lavais de temps en temps, tu saurais de quoi je parle ! rigola Valtero. Vous allez faire quoi ? L’accrocher au lavabo ? Vous n’avez pas vu de femmes depuis combien de temps ?...
Le nouveau venu grimaça de haine.
- Tu comprends ce que je dis ? hein, tu comprends, dis ? T’es une tante, c’est ça ? ils sont allés te chercher… non plutôt ils t’ont fait venir de la côte pour jouer la femme ? Ils sont pédés comme des phoques en plus ? Hein, les gars, vous prenez tout vent arrière !
L’interprète traduisait de plus en plus timidement : ce qui suffisait pour faire salement grimacer les hommes présents.
- Comment tu t’appelles la tarlouze ?
C’était de trop. Le dénommé, avec une vigueur inattendue, envoya un coup de tibia dans l’entrejambe de Valtero. Plus exactement, il essaya : l’Italien avait anticipé le coup.
- Tiens donc, tu comprends les insultes, hein ? Que les insultes, tu es sûr ?
Valtero écrasa sa cigarette sur le nez du jeune gars, qui hurla de douleur. Les deux hommes se mirent à hurler après l’Italien, l’interprète ne savait plus quoi faire. Valtero remarqua qu’un marin, en retrait, avait la main sur un couteau à cran d’arrêt.
Corpulent, l’Italien en imposait, mais là, il sentit son autorité égratignée. Il marcha sus au type au couteau, et lui expédia un crochet du droit. Le type alla rouler sur le pont, entraîné par un léger creux de vague. Il se cogna la tête sur le bastingage.
- On t’a pas dit qu’il ne fallait pas menacer le capitaine de son navire ? Dis, on te l’a pas expliqué à l’école des marins de ton putain de pays de citrons ! Et vous, restez calmes, hein, sinon !…
Valtero avait sorti un pistolet de sa veste.
- Restez calme, ou il va y avoir du jus de citron !… Putain de ouistitis ! Vous comprenez donc que ça comme langage ! J’en ai marre d’avoir un ramassis de tueurs à gages comme vous pour équipage ! Pourquoi est-ce que j’irai pas engager plutôt un troupeau d’ânes à votre place, hein ! Dites-moi ! Vous avez idée, non ?… Toi, le nouveau venu, tu vas venir avec moi. On va faire connaissance, toi et moi. Dans ma cabine. Je vais t’offrir une séance de bienvenue dont tu te souviendras !… Tournée spéciale Valtero. Offert par la maison. Vous autres lâchez-le… Il va venir avec moi, et ça va bien se passer… Je vous le promets. On va juste faire connaissance !…

Virus

Les hommes maugréèrent, sombres, avant de lâcher le jeune homme fatigué. Valtero, le pistolet toujours à la main, s’approcha d’eux, prit par le bras le type, résolument, et l’entraîna vers sa cabine.
- Capitaine, dit l’interprète, les hommes ne veulent pas que le nouveau ramasse la savonnette pour toi !
Valtero partit d’un rire où entrait la rigolade et le mépris :
- Pourquoi, ça leur ferait trop plaisir que je ne partage pas ? T’as peur que moi, un Italien de Palerme, je sois une putain de tante ! Allez-vous faire foutre… et oui tu peux traduire tout ce que j’ai dit !… Allez vous faire mettre, saletés de macaques…
Le temps de proférer ces injures, Valtero était arrivé devant sa cabine. Il fit entrer le passager, passa ensuite, referma la porte à clef, après s’être assuré que personne ne rôdait dans les parages. L’intérieur était plutôt luxueux comparé au reste du navire. Un placard à alcool, une banquette trouée, avachie, d’où jaillissait librement des ressorts, un ventilateur poussif, une table de bois taillée d’une pièce, une couchette digne de celles d’un pénitencier chinois, une radio et une télévision, un magnétoscope et quelques cassettes, contenant des films porno et de série Z, dignes du dernier des cars de touristes perdu en Patagonie.
Le passager se laissa tomber sur le fauteuil, épuisé. Il soupira longuement. Valtero lui envoya son paquet de cigarette et un briquet.
- Tiens, cadeau de bienvenue. Pour m’excuser de t’avoir brûlé.
- Vous y êtes allé fort quand même. J’ai cru que je m’étais trompé de navire, à un moment.
- Bah, tu es un gars solide, je le sais. Valtero sortait une bouteille de martini du placard. Et puis j’ai dû donner à ce point le change, car derrière leur façade de connerie épaisse, ces salopards sont loin d’être cons. Ils sont d’ailleurs aussi méchants qu’intelligents quand ils s’y mettent.
- Vous n’avez pas l’impression de tenir le discours du blanc colonialiste et impérialiste ?
- Ouais bah il me plaît ce discours, tu entends ? tiens, file-moi une cigarette. Ils m’ont mis à bout de nerf ces indigènes. Il me plaît ce discours, parce c’est vrai ce que je dis. C’est pas sensé de vivre dans ce pays bouillant, sur ces mers déchaînés, entre des villes de loqueteux et des jungles pleines de moustiques et de fauves !
- C’est tout ce que vous retiendrez de l’Asie, capitaine Valtero ?
- Ouais, et encore, j’espère bien oublier ça un jour, et finir peinard à Palerme, à déguster du rizzoto plutôt que de la saleté de riz gluant et bouilli… C’est quoi ton nom déjà ?
- Tuang-Loc.
- Ah ouais, c’est ça. Moi, c’est Valtero comme tu sais. Gianmaria de mon prénom. J’ai reçu il y a trois heures un message me prévenant de ton arrivée. Message qui venait d’autorités lointaines et supérieures, si j’ai bien compris.
- Oui. Le message venait d’un des QG de Lum Khan lui-même.
- Tiens donc, encore ce bon vieux Lum Khan. Tu m’en diras tant… A ta santé.

Virus

Les deux hommes avaient rempli leur verre de whisky. Ils le vidèrent d’un coup.
- Tu m’en diras tant…
Valtero fit claquer sa langue. Il s’assit à califourchon sur une chaise. Tuang-Loc fumait en profitant de ce moment de délassement.
- Alors, je t’écoute, monsieur Loc. Pourquoi devais-tu absolument monter à bord ? Et pourquoi doit-on ignorer qui tu es ?
- Les hommes croient que c’est la « maffia », comme vous diriez, de la côte qui exige ma présence à bord. La « maffia » qui est capable d’exécuter leur famille s’ils désobéissent.
- Ouais, sauf que Lum Khan est capable lui, en sus, d’exécuter aussi tes amis, et la famille de tes amis, je sais… Ca ne répond pas à ma question.
- Il y a quelques heures encore, soupira l’Asiatique, j’étais commandant d’un sous-marin, le Requin Bleu, qui a été coulé, non loin d’ici. La raison officielle en est le typhon qui vous a touchés aussi.
- Et qui a vraiment coulé ton sous-marin ?
- Un navire de guerre, battant pavillon Indonésien, en réalité au service de Lum Khan.
- Attends, qu’est-ce que c’est que cette histoire ? tu n’es pas au service de ton grand Khan ?
- Ce navire a torpillé par erreur mon sous-marin. On a réussi à falsifier les ordres qu’il a reçus. Ce n’était évidemment pas moi la cible normalement.
- Il a mal reçu des ordres de Lum Khan ?
- Non, pire que cela. Il a reçu des ordres qui ne venaient pas de Lum Khan, des ordres venant d’une autre autorité, qui s’est fait passer pour Lum Khan. Des gens assez puissants pour tromper la vigilance d’officiers aguerris, et pour utiliser tous les codes habituels de nos QG.
- C’est dément… Et alors ?
- Alors, contre toute attente, j’en suis sorti vivant. J’ai été recueilli par le navire de guerre, d’abord parce qu’ils n’avaient pas reçu l’ordre express d’achever d’éventuels survivants… Ensuite, parce qu’ils m’ont reconnu. La flotte de Lum Khan n’est pas immense, et je connaissais déjà les officiers du navire. Ils ont envoyé des plongeurs examiner l’épave de mon sous-marin. Ils ont alors compris l’erreur qu’on leur avait fait commettre.
- C’est monstrueux. Et vous avez identifié les pirates ?
- Je n’en sais rien. J’étais à bouts de forces, nerveusement et physiquement. Un hélicoptère est venu me chercher en urgence, m’a ramené à terre. J’ai rencontré à l’improviste certains de nos dirigeants. Ils ont décidé de me transférer sur votre navire.
Tuang-Loc alluma une autre cigarette et but un autre verre, imité en cela par Valtero.
- Et qu’est-ce qui va arriver au navire fautif ?
- Lum Khan va sans doute faire exécuter les officiers. Si ce n’est déjà fait. S’ils n’ont pas déjà pris la fuite, en connaissance de cause.
- Sale histoire en tout cas. Mais quel rapport avec moi ?
- Attendez, je ne vous ai pas tout dit. Il y avait à bord de mon sous-marin deux passagers très spéciaux. Dans l’idée des agresseurs, ils auraient dû périr, comme tout mon équipage. Mais ils en ont réchappé, et ils ont été recueillis à bord d’un petit submersible, qui les a emmenés avec lui.
- Et qui étaient ces deux bonshommes ? c’est à cause d’eux en fait qu’on s’est arrangé pour que tu sois coulé.
- Oui. L’un d’eux se nommait Lucinius. L’autre, je ne me souviens plus de son nom…
- Corso, lâcha Valtero avec amertume.
- Oui c’est ça. Vous les connaissez, j’imagine.
- Oui, je suis au service de Lucinius.

Virus

Valtero vida encore un verre. Il resta interdit pendant une longue minute.
Il s’exclama enfin :
- Mais enfin que faisaient-ils dans ton sous-marin, à des milliers de kilomètres de leur trajet initial ?
- Je les ai recueillis auparavant, alors qu’ils étaient à fond de cale, à bord d’un navire qui voguait non loin de la mer des Sargasses.
- La mer des Sargasses ? non mais c’est insensé ! Et qu’est-ce qu’ils faisaient là-bas ?
- Je crois qu’ils y ont fait naufrage… avant d’être recueilli par ce navire, puis moi.
- Nom de Dieu de nom de Dieu, prononça Valtero. Ces deux crétins ont fait naufrage entre l’île de la Tortue et l’Australie, en pleine mer des Sargasses… et les voilà partis pour se promener Dieu sait où… Tu sais où les a emmenés le submersible en question ?
- Aucune idée. Mais je les ai nettement vu monter à bord avant d’être recueillis. Ce submersible n’était pas là par hasard. Mais je ne sais pas s’il était de mèche avec nos agresseurs.
- Et qui pilotait l’engin ?
- Aucune idée non plus.
- … Voilà pourquoi je n’arrivais plus à les joindre depuis des jours !… Ah, pas à dire, ils ont bien voyagé, ils n’ont pas perdu leur temps : ils ont vu du pays !…

A suivre... Virus
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Que de péripéties biggrin
Du vrai roman-feuilleton Yaisse
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LE COEUR D'OCEANIE

Résumé : Gianmaria Valtero fait le point de la situation avec le capitaine Tuang-Loc : aux dernières nouvelles, Lucinius et Corso sont perdus corps et bien, après la destruction du sous-marin "le Requin Bleu". L'Italien et le Vietnamien ignorent que les deux Caïnites ont été emmenés à bord du submersible du nabot Kuei-Jin.


Orages

Le submersible, semblable à un gros œuf blanc, reposait sur le sable d’une île perdue au milieu de l’océan, battue par le vent de la nuit.
Le Kuei-Jin avait donné des ordres brefs et précis en enfermant nos deux héros dans une paillote :
- Vous rester là. Vous pas bouger, compris ?

Ce n’était pas les fragiles murs qui dissuadaient Corso de tenter l’évasion, non plus que le cadenas posé sur la serrure.
Il se méfiait du Cathéen. Il n’osait pas s’attaquer à cette créature dont il ignorait tout. Il la regardait de travers, comme le fauve lorgne le chasseur qui vient de le capturer. En pensant au moyen de trahir sa vigilance, tout en redoutant son courroux.
- Ca ne nous change pas tellement du sous-marin, disait Lucinius en s’allongeant sur un des deux lits… Et maintenant, comment allons-nous repartir de cette île perdue ? Vous avez une idée de l’endroit où nous sommes ?
- Non, aucune. On pourrait être aussi bien à Sumatra qu’en Nouvelle-Calédonie. J’ignore le trajet que nous avons suivi dans le submersible.
Le long voyage, serré dans la cale de l’engin, avait été particulièrement pénible pour le Gangrel. La promiscuité avec le Toréador devenait vraiment pesante. Certes, ils étaient associés en affaire, ils avaient tout intérêt à s’épauler. Mais Corso n’aimait pas les espaces clos. Il avait besoin d’espace. La cohabitation prolongée avec un Toréador n’était pas prévue dans ses conditions d’existence. Il finirait par devenir la risée de son clan… Mais au diable son clan !

Virus

Le vent du large passait de temps à autre en mugissant dans les arbres autour de la paillote et la faisait craquer ; la mer, plongée dans la nuit, respirait, régulièrement, pesamment, infiniment.
- J’en ai assez, cria Corso en tapant sur la porte. Laissez-moi sortir maintenant ! J’en ai assez !… J’ai besoin de sortir !… Tu entends, espèce de sale enflure de nabot !…
- Calmez-vous, Corso, je vous en supplie.
Lucinius avait nettement perçu la rage qui gagnait le Gangrel. Tous les deux étaient à bout de nerfs. Mais Corso était le plus dangereux une fois dans cet état, et de loin.
- Du calme, je suis sûr qu’on va nous ouvrir pour nous emmener ailleurs.
- Vous m’emmerdez Lucinius. Restez donc couché, moi je vais sortir d’ici. J’ai besoin de sang !
Il griffait les murs, tapait du poing sur la porte, qui tremblait, prête à s’écrouler.
- Ouvre maintenant, sale nabot ! Ouvre tu m’entends ! Ou j’enfonce ta porte !
Il jouait au méchant loup contre le petit cochon.
- Allez, Porcinet ! Sale cochon jaune, fais-moi sauter ce cadenas ! Ouvre, saleté de niak !… Il griffait encore la porte. D’habitude, je suis patient, mais là, il va vraiment le sentir passer…
Corso avait perdu ce ton de menace froide dont il usait d’habitude pour exercer sa contrainte. Il perdait peu à peu sa contenance. Il tourna en rond quelques instants dans la paillote. Seul le vent répondait à ses appels. Il se rongeait le poing, tandis que le Toréador l’observait, très inquiet d’un soudain déchaînement de violence.
- Ah et puis j’en ai marre à la fin !…
Le poing gauche du Gangrel partit comme un coup de canon, suivi de près du droit et enfin d’un coup balancé des deux poings serrés l’un dans l’autre. Un vrai swing de golfeur !…
Au premier choc, la porte trembla, au second, elle s’enfonça, au troisième elle craqua et tomba sur la plage, emportant dans sa chute ses gonds et une partie du mur. Corso rugit de plaisir en apercevant le dehors, tandis qu’il faisait irruption avec le vent chargé de pluie. Une grande plage silencieuse et les palmiers qui s’y balançaient ensemble, à l’orée de la jungle. Le Cathéen n’était pas dans les environs.
- Tiens, saleté de saleté de nabot, tu vas voir ce que j’en fais de ton cabanon de merde !
Le Gangrel s’en donna à cœur joie : poussant ses cris caractéristiques de hyène rieuse, il attaqua à coup de poings et de pieds la maigre paillote. Elle se mit à craquer de toutes ses jointures. Affolé, Lucinius en sortit en courant, avant qu’elle ne s’effondre par terre, démolie en quelques secondes par les coups acharnés de Corso.
- Vous êtes content de vous maintenant ! lança Lucinius, en tâchant de dominer sa crainte.
Le Gangrel, vibrant de colère, continuait à taper dans les morceaux écroulés.
- Mais arrêtez, vous voyez que vous avez déjà tout détruit ! C’est malin, où est-ce que nous allons nous abriter du soleil maintenant ?
- Parce que vous croyez que ces trois bouts de bois et de paille vous auraient protégé ?… Vous n’avez qu’à vous trouver un autre endroit comme abri. Il y a peut-être un village vacances dans le coin !
Et de partir d’un rire sardonique.
- Et j’ai l’air de quoi, moi, naufragé avec vous, Corso, dans cet endroit perdu !
Corso toisa son compagnon d’aventure, piteux, beaucoup moins frais que pour les lundis de Villon au Louvre. Puis il éclata de rire :
- Je ne préfère pas vous le dire pour ne pas vous faire un immense chagrin…
Il planta là l’Artiste en déconfiture : il s’en alla marcher sur la plage en sifflotant. Il essayait de prendre un air dégagé mais jamais il ne s’était senti en détresse. Il pensait aux millions de mètres cubes d’eaux qui le séparaient du bois de Vincennes.

Virus

Resté seul, Lucinius s’assit sur un tas de bois, tout ce qui restait de la paillote. Il regarda Corso s’éloigner, puis l’ignora.
Les reflets laiteux de la lune brillaient de vagues en vagues houleuses ; de la jungle sombre qui bordait la plage provenait des bruissements d’animaux nocturnes. Epaissie par la nuit, cette jungle devenait fébrile, apeurante comme un fauve qui rôde près de vous, ou un voleur introduit dans votre appartement.
Sur quel atoll perdu nos deux héros avaient-ils pu échouer ? Etaient-ils chez Lum Khan, le maître du Pacifique, ou chez ce nabot de Kuei-Jin ? Que devenaient Loren et Benedict ?
Le bruissement des feuilles accompagnait celui des vagues dans un même feulement constitué de gouttes de sons imperceptibles.

- Je ne vais pas rester ici à me tourner les pouces !

Lucinius se leva d’un coup et alla marcher sur la plage. Corso n’était plus qu’une silhouette au loin : il avançait à vive allure, au bord de l’eau. Vers où pouvait-il se diriger ? Vers quoi surtout ? Les vagues venaient s’échouer de toutes leurs forces sur le sable. Elles se retiraient aussi vigoureusement, happées dans le courant contraire, puis revenaient, inlassablement, pour broyer, aplatir et enrouler tout le sable. Des nuages s’accumulaient dans le ciel, lourds d’orage.
Lucinius cria pour appeler Corso : mais il criait contre le vent. Le Toréador avançait péniblement, se protégeant du sable qui giclait sur lui et alourdissait sa marche. Les rafales étaient de plus en plus fortes, tout comme les vagues qui s’enflaient avant le rivage et qui s’y abattaient de plus en plus fort.

A suivre... Virus
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LE COEUR D'OCEANIE

Résumé : Corso et Lucinius, emmenés dans le sous-marin du nabot Kuei-Jin arrivent sur une île déserte tropicale, battue par les vents. Alors que la tempête se lève, Corso part seul sur la plage. Lucinius reste seul un moment, abandonné, puis décide de rattraper le Gangrel...


Orages (suite)

Le Toreador s’éloigna du bord de mer. Les arbres se balançaient de plus en plus, et il peinait à avancer. Il essaya de progresser à reculons, sans grand succès. Le vent le poussait vers l’intérieur des terres. Il courut se mettre à l’abri en bordure de plage, à l’orée de la jungle humide. Un des palmiers, plus frêle, avait cassé à la base, sous les assauts du vent. Le Toréador s’assit sur la souche, attendant que le vent retombe, à l’abri sous les grandes feuilles de ce pays sauvage, qui s’agitaient comme des déments. Est-ce que Corso avait continué à avancer sur la plage ? Les gros nuages, chargés d’éclairs comme la dynamite de poudre, avançaient vers l’île. Avant peu, ils amèneraient l’orage au-dessus de Lucinius.
Et on lui avait toujours dit, à Lucinius, de ne pas rester sous un peu arbre pendant l’orage… Mais il savait aussi qu’un homme sur une étendue plane était une cible de choix pour la foudre. Décidément ! sur la plage ou sous les arbres, il n’était nulle part à l’abri. Il pouvait commencer à paniquer s’il voulait, il en avait le droit !
Lucinius reprit sa marche. La pluie commença à tomber dru, en gouttes grosses comme des noix, qui éclataient sur le sable. Elles s’y écrasaient de tout leur poids, en crépitant, y laissant des petits cratères, comme des millions de petites météorites poussées par les rafales. Le mugissement du faîte des arbres devenait sinistre pour notre Toréador naufragé…

Il marcha pendant près d’une demi-heure, entre la plage et les arbres, tantôt sur le sable, tantôt au pied des arbres, pendant que la pluie tombait de plus en plus et que, symétriquement, les vagues se soulevaient de plus en plus, comme des gueules liquides de plus en plus voraces, avides de dévorer le rivage.
Au milieu du grondement qui s’amplifiait, Lucinius traçait sa route, et laissait derrière lui les zigzags de ses empreintes.
Le tonnerre éclatait de plus en plus près. Les décharges de foudre commençaient à tomber. Les éclats de lumière électrique rythmaient l’avancée du Toréador, qui sursautait à chaque éclair, avant que le roulement de l’orage ne déferle, comme les vagues, transmettant son tremblement à toute l’atmosphère. Les masses de nuages avançaient en roulant dans le ciel, se répandant en tous sens, à l’allure d’un cheval qui a pris le mors aux dent. Le ciel n’était plus très loin au-dessus de notre héros vagabond et il était saturé d’électricité.
Notre Toréador n’avait jamais eu à subir un orage de cette violence. Ses secousses, ses roulements fracassants, tonitruants, avaient la force d’une secousse tellurique : tremblement de ciel. En bon parisien habitué au crachin, ou à la limite aux averses de grêlons, Lucinius n’était pas préparé à l’avancée d’un mur liquide, qui n’était encore que peu de choses à ce qu’aurait été le passage de la mousson en une autre saison. Et l’orage menaçait d’amener avec lui un typhon, qui vrillait de toute sa puissance mécanique la mer un peu plus loin. Le monstrueux vortex pouvait engloutir tout l’océan et tout le ciel et sa puissance était titanesque. Il s’avançait, magistral, sombre, implacable, comme le requiem de Mozart, sans daigner s’apercevoir que sa puissance s’imposait à tous, avec une brutalité aveugle. La foudre même craignait de tomber sur ce typhon, de peur d’être prise dans sa danse hystérique. Il narguait Lucinius, c’était sûr ! Les violences conjuguées de l’eau et de la foudre se déchaînaient assez pour menacer sévèrement notre Parisien égaré.

Un éclair tomba non loin, sur la jungle. Un arbre prit feu : il s’enflamma comme une grande torche, tandis que les flammes se tordaient déjà, s’allongeaient, se déformaient et volaient brièvement sur le vent pour aller se nourrir d’autres arbres.
L’incendie était n’était pas prêt d’atteindre Lucinius. Mais il n’en fut pas moins terrifiée –atavisme de vampire ! Il redescendit en courant sur la plage, et continua sa course sur le sable qui se déplaçait par ondulations et tourbillons sous ses pieds. Tandis que le souffle tournoyant du vent s’intensifiait, une vague plus grande que ses sœurs, venue de très loin au large, avançait vers l’île. Elle allait s’abattre aux pieds de Lucinius, et sans doute le happer en refluant. Le Toréador remonta la pente, trébucha, tomba à genoux.
Il se retourna : la vague était presque sur lui, ouvrant tout grand sa gueule comme un hippopotame. Un éclair fendit alors les cieux, frappa la crête de la vague, puissant comme un marteau d’airain. Le bruit du tonnerre explosa et l’écume fut illuminée un court instant d’une fantastique brillance électrique. Percée comme une baudruche, la vague s’écrasa sur la plage, à l’agonie, éventrée. Lucinius s’enfuit en courant, trempé par la pluie. Avant le jaillissement éblouissant de l’éclair, il avait discerné, s’élevant en ligne brisée vers les nuages pris delirium tremens, l’éclair noir qui monte de l’océan, le sombre précurseur...

Virus

Lucinius piqua un sprint, ventre à terre, décidé à fuir les flammes, les vagues en acier, la foudre qui lui hérissait le poil. Les grains de sable crépitaient en tapant contre lui : dansant follement, ils transformaient la plage en surface de vent, mer vaporeuse, emportée par des courants en tous sens. C’était le bal des tourbillons.

Roulant toujours comme une colonne de blindés, les cumulo-nimbus finirent par dépasser la plage. Ils emportaient le vent et la pluie avec eux, et semblaient vouloir absorber en leur sein les arbres, comme un siphon qui emporte tout avec lui. Formidables machines de guerre.
Le vent retomba presque d’un coup, et avec lui, la fureur des vagues. Elles continuèrent à gronder, mais comme des chiens repus après la curée. Au bout de quelques minutes, il ne pleuvait plus qu’une une honnête pluie londonienne… Lucinius se laissa tomber par terre. Il s’allongea, content d’avoir échappé au pire. Il ignorait quelle distance il avait pu parcourir. Il n’avait pas épargné ses forces : elle devait être loin, maintenant, la paillote où les avait enfermés le nabot.

Lucinius regardait le ciel, qui se délivrait peu à peu des nuages chargés comme des bombes. Quelques étoiles reparurent. Allongé, le Toreador sourit d’apaisement. Il avait évité le pire.
Il vit alors dans son champ de vision la tête grimaçante de Corso, debout à hauteur de sa tête.
- Hé bien, vous aussi vous vous promenez ?
- Tiens, Corso… Je parie que c’est vous qui avez déclenché cet orage pour m’embêter. :baton:
- Et encore, dit le Gangrel en s’asseyant, ce n’était qu’une répétition, avant celui que je vais balancer sur la tête de ce nabot de Kuei-Jin ! Swann


A suivre... Virus
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