08-05-2006, 10:38 PM
(This post was last modified: 11-05-2006, 11:12 AM by Darth Nico.)
CHRONIQUES DE L'EMPIRE D'EMERAUDE
<span style="color:blue">La 5e Réincarnation : 17e Episode</span><!--/sizec-->
Coq 1127
La marque du Condor<!--/sizec-->
![[Image: condor.gif]](http://www.sdm-ftp.homelinux.com/L5R/condor.gif)
<span style="color:blue">La 5e Réincarnation : 17e Episode</span><!--/sizec-->
Coq 1127
La marque du Condor<!--/sizec-->
![[Image: condor.gif]](http://www.sdm-ftp.homelinux.com/L5R/condor.gif)
Shigeru reposa sa coupelle sur le comptoir et le patron lui resservit son petit sake maison.
- Alors, finalement, c'était bien la veuve Mayo, la coupable ?
Shigeru but son sake et maugréa quelques mots. Le patron avait attendu quelques verres avant de poser la question, comme ça, au détour d'une phrase, au moment où le Crabe semblait bien disposé.
Il le resservit généreusement.
- Pas mauvais, ce petit sake, hein ?... Il vient directement de mon village natal. C'est mon oncle qui le fait, chaque année.
Shigeru s'étira et vida son verre. Il était le dernier client du soir. Même le vieux Joji, dit la Belette, était déjà parti retrouver sa femme et ses enfants.
- Je l'avais toujours dit, qu'elle était pas claire, la veuve Mayo... Je me trompais pas, hein...
Amusé, et aussi de guerre lasse, Shigeru laissa tomber :
- Oui, c'est bien elle qui a tailladé l'eta, avant de demander au cousin de foutre le feu dans la réserve.
Le patron hocha la tête, dégoûté.
- Saleté, ça... Et pourtant, vous devez en voir des pas mûres, vous, les magistrats d'Emeraude...
- Comme tu dis !...
Shigeru s'étira et se leva. La journée avait été pénible. Le soleil était déjà tombé sur la Cité des Histoires : il allait demander à deux gardes du Tonnerre de le raccompagner jusqu'au palais, avant d'entamer une bonne nuit de sommeil. Dehors, l'enseigne du Sanglier qui Rit, claquait dans la bise nocturne.
Déçu de ne pas lui avoir plus tiré les vers du nez, le patron offrit un dernier verre pour la route : un client pareil, fallait le soigner !

Quatre jours plus tôt, alors que l'heure de Doji se terminait, les cloches des pompiers retentissaient dans le sud du quartier des pêcheurs, quartier dit des Caves des Crabes. On se pressait déjà pour former la chaîne, depuis la boucle du Chêne, pour acheminer l'eau de la baie vers la rue de la moutarde, où une échoppe avait pris feu, avant que le vent n'attise l'incendie et ne le transmette à une grande maison de samuraï.
Mais c'était trop tard, comme le comprirent les pompiers : l'échoppe et la maison du samuraï allaient y passer toutes les deux.
D'un pas plus que décidé, la magistrature d'Emeraude, emmenée par Kakita Hiruya, arriva sur les lieux, pour constater, découragée, que c'était bien la maison de Kuni Isao qui partait en fumée.
Quatre gardes du Tonnerre surveillaient les lieux, pendant que les pompiers évacuaient les alentours et organisaient la lutte contre les flammes.
- Combien de temps pour en venir à bout ? demanda Hiruya au chef du syndicat de la Pointe du Moment.
- Une bonne heure, honorable magistrat.
Nos samuraï comprirent qu'ils allaient devoir ronger leur frein.
Le patron de la maison du Sanglier qui Rit apercevait Shigeru depuis son comptoir et lui faisait des petits coucous de la main. Le Crabe avait bien envie d'aller donner l'accolade à une bouteille de sake mais la situation était trop sérieuse.
L'échoppe qui avait pris feu la première était celle d'un moutardier, à qui Hiruya posa quelques questions d'usage.
- Mon cousin y est resté ! Je lui avais demandé de vérifier ma réserve de bois, de nettoyer un peu... Et c'est là bas que ça a pris feu ! Il a brûlé vif !... Comment c'est possible une chose pareille ! Avec toutes ces pluies, ces derniers jours, tout était humide, c'est impossible que l'incendie ait pu prendre si facilement... On desespérait plutôt d'utiliser ce bois pour cet hiver. On se demandait s'il était pas moisi irrémédiablement...
- Il dit vrai, intervint un autre commerçant, la baie a débordé il y a trois jours ; elle a noyé le ponton du Cèdre et l'eau est montée jusqu'ici, à la moitié de la rue de la Moutarde !
- Silence, toi, gueula un garde du Tonnerre. Comment oses-tu t'adresser à un magistrat d'Emeraude sans permission !
Hiruya soupira. Les pompiers s'activaient, dans la fournaise, pour lancer seau après seau sur les flammes et jeter des pelletées de terre sur les cendres. Les esprits du feu finirent par rendre l'âme.
La charpente de la moutarderie craqua et s'effondra, pendant que la maison de Kuni Isao rendait aussi l'âme. Lamentable spectacle de carcasses calcinées. Spectacle qui n'était pas rare à Rokugan mais aujourd'hui, nos héros ne pouvaient pas croire à une coïncidence !
- Shigeru, Ryu, vous allez fouiller dans la maison du Crabe. Ayame, Ikky, chez le moutardier.
Nos héros allèrent arpenter les cendres encore chaudes, Ryu furetant attentivement, tandis que les autres samuraï se contentaient de coups d'oeil à droite à gauche.
Hiruya masquait mal sa contrariété.
Les narines d'Ayame ne la trompèrent toutefois pas : dans ce qui restait de la réserve de bois, ça sentait fort l'huile de roche, dont on se sert pour les lampes. Produit qui ne se trouve pas généralement chez un moutardier.
Chez Isao, Ryu fouilla et ordonna qu'on retourne les décombres. Elle avait buté contre un objet lourd.
Le vent du midi apportait la brise et l'odeur du port dans la rue encore tiède après l'incendie. On avait fait dégagé les maisons alentours, si bien qu'on avait l'impression de pénétrer dans une cité vidée par la guerre.
Les coups de pelles des hommes vinrent butter contre une grosse pierre.
Ryu et Shigeru s'approchèrent et regardèrent attentivement.
C'était une pierre rectangulaire, plate, bien polie, sur laquelle on avait gravé, en caractères dorés, un sigle que nos héros connaissaient bien : quelques traits qui représentaient un animal stylisé : un condor...
Les autres magistrats virent à leur tour l'emblème et respirèrent à fond.
- Rentrons au palais, dit Hiruya.

Quand Miya Katsu allait apprendre cela...
Les questions se bousculaient dans la tête de nos héros, sur le chemin du retour. La pierre avait-elle été posée là pour signer l'incendie, ou bien se trouvait-elle déjà chez le Crabe quand il s'était pendu ?
- L'honorable Katsu-sama vous attend, Hiruya-sama.
- Bien, nous allons le voir dès maintenant.
Quand nos héros entrèrent dans la salle de réception du Magistrat, ils attrapèrent un coup de sang comme ils en avaient rarement eu.
Le Magistrat gisait à terre, très pâle, son sabre ensanglanté à côté de lui et un serviteur, la gorge tranchée, poignard à la main.
Et au mur, dessinés à grands traits rageurs de peinture rouge, la marque du Condor.
Ayame alla auprès du magistrat : il vivait encore mais respirait péniblement. Il s'étouffait. Notre shugenja se hâta d'invoquer des sorts de guérison, qui eurent pour effet immédiatement de faire rendre son dernier repas à Katsu-sama ; après avoir bien vomi, le magistrat hoqueta, rendit encore ses fruits et haleta, tordu de douleur. Il reprenait déjà des couleurs.
Le serviteur avait de la peinture plein sur lui ; le pinceau était tombé à côté de lui.
Ayame respira le thé : aucune odeur suspecte et de même pour les fruits.
- Je suis rentré dans la pièce... après être allé prendre un papier dans ma chambre... j'avais bu un thé ici... lui, il peignait ce signe... ensuite...
Le magistrat souffrait à chaque mot. Nos héros purent conclure pour lui : Katsu-sama rentre dans la pièce, le serviteur se jette sur lui, tanto à la main ; le magistrat est le plus rapide et d'un trait de iaijutsu tue l'assassin, mais le poison fait effet.
Hiruya, furieux, fit transporter Katsu-sama dans sa chambre, fit doubler la garde, boucler les issues du palais et interdit à quiconque de rentrer dans cette pièce. Après quoi, il finit réunir l'ensemble du personnel du palais.
Renseignements pris sur le coupable, il servait dans le palais depuis dix ans, après avoir commencé chez les Scorpions. Il avait vu passer quatre magistrats et n'avait jamais encouru le moindre reproche.
Miya Katsu se remettrait, car il avait été rapidement soigné. Mais, affaibli, il garderait le lit plusieurs jours.
La nouvelle ne tarda pas à s'ébruiter dans la Cité.
En fin d'après-midi, Shosuro Jocho se présentait au palais, escorté d'une dizaine de gardes, pour assurer Kakita Hiruya de son soutien.
- Je suis honoré par votre proposition.
- J'enverrai dès ce soir Yogo Osako, excellente shugenja et magistrat du Gouverneur. Elle pourra aider l'honorable Katsu-sama à guérir.

Le lendemain, ce ne fut pas une mais deux shugenja qui se présentèrent à la porte du palais d'Emeraude : Yogo Osako, envoyée par le gouverneur Hyobu mais aussi Iuchi Sadako, la petite bavarde aux grands yeux clairs, qui venaient prendre soin du magistrat. Bien évidemment, Osako-san ne manquait pas de se mettre en avant, car elle n'avait pas besoin de cette gamine dans ses jambes pendant qu'elle invoquerait les esprits de l'eau pour rétablir l'harmonie dans le corps du malade !
Et Sadako-san faisait des pieds et des mains pour montrer qu'elle aussi pouvait guérir les gens !
C'était nos héros qui avaient demandé aux Licornes et aux Scorpions de leur faire cette faveur, d'envoyer leurs meilleurs shugenjas guérisseurs. L'occasion évidemment pour les deux clans de reprendre leur rivalité.
Hiruya sourit devant la comédie que lui jouait les deux femmes et les pria aimablement de s'entendre pour soigner ensemble Miya Katsu. Les deux femmes s'inclinèrent et furent conduites à la chambre du magistrat.
Hiruya avait interdit à quiconque l'accès à la chambre où le signe obscène du Condor avait été tracé. Le panneau était d'ailleurs gardé en permanence par deux soldats de la magistrature.
Ryu était partie le matin au dojo du senseï Kitsuki Jotomon. Elle s'y entraînait depuis plusieurs jours maintenant. Elle y perfectionnait l'art du sabre, mais aussi du kaze-do, le style de lutte inventé dans les montagnes du Dragon ; cet art martial était pratiqué au dojo par des hommes du peuple, auxquels Ryu fit une démonstration de ses talents en la matière. Un solide pêcheur, plus large et plus haut que notre enquêtrice, se retrouva à terre, après avoir subi deux projections et trois planchettes rokuganies. Jotomon-senseï, occupée à son jardin, à cueillir et respirer des fleurs délicates, passait de temps à autre pour surveiller ses étudiants. Elle félicitait Ryu pour ses talents.
Le senseï aimait se faire maquiller, coiffer, parfumer, ou composer des ikebana pendant que les élèves suaient, luttaient, se battaient et s'exerçaient durement. On ne la voyait que rarement sur le tatami, sauf le matin pour ses exercices rituels. Le reste du temps, elle aimait jouer les coquettes, comme si elle se préparait pour son entrée à la cour impériale.
Alors que les combattants quittaient le dojo, Ryu alla parler au senseï, le nez dans ses acacias.
- J'ai entendu parler de ce malheur qui est arrivé à Miya Katsu, Ryu-san. J'espère que ses jours ne sont pas en danger ?...
- Non, il s'en remettra.
- Si je puis vous aider en quoi que ce soit, j'en serai honorée.
- Il se trouve justement que je suis sur la piste d'un gros oiseau...
- Ah bon, fit Jotomon-senseï en humant ses massifs odoriférants.
- Oui un gros carnassier qui niche dans cette ville.
- Je pratique peu la chasse à vrai dire.
Ryu était très concentrée sur son sujet tandis que le senseï se demandait si Ryu parlait au propre ou au figuré.
- Je chasse un gros oiseau rapace.
- Un aigle peut-être ?... Ces animaux vivent dans nos montagnes, dans leurs aires, dans les sommets...
- Non, plus gros que ça. Un condor. Vous n'en avez jamais entendu parler ?
- Un condor ?
Le senseï avait vraiment l'air surpris. Ryu surveillait sa réaction car à ses yeux, n'importe qui pouvait bien être coupable !
- Je ne crois pas connaître ce genre de bestioles.
- Ah non ?
Jotomon plissa le front, plus amusée qu'agacée par l'insistance un peu balourde de Ryu.
- Si vous pensez que ce condor est dangereux, dit le senseï, je vous recommande d'aller voir le syndicat des teinturiers. C'est un groupe important, dont un des membres vient s'entraîner ici régulièrement. Vous lui avez fait une jolie clef de bras en le plaquant à terre, hier encore... Je suis sûre qu'il sera heureux de vous revoir.
- Je vous remercie de votre aide.
Ryu salua et partit sur le champ, vers la rue du topaze, dans le quartier marchand.
Le bâtiment des Teinturiers était gardé par deux solides gaillards, torses nus, tatoués du bout des doigts jusqu'au torse et dans le dos, qui gardaient l'entrée de cette honorable maison.
- Je souhaiterais parler à votre chef, dit Ryu, alors que les yakuzas tombaient à genoux devant elle.
Notre enquêtrice fut emmenée dans une grande salle circulaire, éclairée par un brasero de flammes turquoises, décorée de grandes tentures en camaïeux de bleus. Le chef du syndicat des Teinturiers était sec, les traits tirés, de petits yeux qui vous scrutent fixement.
- Je cherche à attraper un condor, dit Ryu d'entrée de jeu.
- Un condor ?
Le patron haussait un sourcil.
- Oui, il est très dangereux. Et on m'a dit que vous pourriez m'aider à l'attraper.
- Le syndicat des teinturiers peut obtenir beaucoup d'informations s'il les demande. Elles ne sont toutefois pas gratuites. Je m'excuse de souiller les oreilles d'une noble magistrate en abordant ce sujet, mais c'est ainsi.
- Peut-être que nous voudrons payer pour vos informations, mais elles doivent être bonnes.
- Elles le seront. Etes-vous d'accord ?
- Je dois en informer mes supérieurs.
- Si vous acceptez, il vous en coûtera 50 kokus.
Ryu ne fit aucune remarque et partit.
- 50 kokus !
Kakita Hiruya fut sur le point d'aller expliquer, à coups de sabres, sa façon de penser à ce yakuza !
- C'est peut-être une piste, dit Ryu.
- Elle a intérêt à être bonne cette piste, car il ne manque pas d'air de demander un prix pareil ! Laissez-moi du temps : je vous rendrai ma réponse plus tard.
Ryu s'inclina et sortit.
Hiruya alla s'enquérir de l'état de santé de Katsu-sama. Yogo Osako et Iuchi Sadako avaient fini de lui procurer leurs soins.
- Je reviendrai demain, dit la Scorpionne.
- Et moi aussi, s'empressa d'ajouter la Licorne.
- Je vous remercie toutes les deux, dit Hiruya.
Il retourna dans ses appartements, où un serviteur vint lui apporter un courrier cacheté à la cire, portant le sceau de la famille Bayushi et celui de la cité de Shutaï.
- Par Benten, la réponse de Tomaru !
Hiruya l'attendait impatiemment : il avait demandé au général disgrâcié de lui écrire ce qu'il savait sur le commerce de Matsu Bashô.
« Excellence,
C’est honoré que je reçois votre missive, étonné qu’un membre aussi éminent de l’Ordre Céleste que vous daigne s’adresser à un humble petit gouverneur comme moi.
Ma cité, Shutai, comme l’a appris votre Excellence, fut un lieu de passage pour les navires aux couleurs du noble Matsu Bashô. Ses marchands vendaient ici des herbes médicinales pour les gens de mon clan et je sais que ses navires continuaient plus au sud, pour vendre leurs produits au clan du Crabe.
Bashô-sama avait pour ami un des membres de ce clan, Kuni Isao, car ils avaient noué des accords de transports des marchandises de nuit.
Depuis la mort de Bashô-sama, les relations commerciales de Shutai avec la puissante Cité des Histoires se font par les navires de Bayushi Korechika-sama, que les Fortunes le bénissent.
Depuis quelques semaines, Shutai a l’honneur de recevoir des navires au nom de Yasuki Taka-sama, qui compte rouvrir un comptoir commercial des Crabes dans votre fastueuse Cité.
Puissent votre sagesse et votre clairvoyance vous permettre de faire justice partout où ce sera nécessaire,
Ce 17e jour du mois du Coq 1127,
Bayushi Tomaru »
Hiruya n'était qu'à moitié satisfait à la lecture de cette missive. Il découvrit alors un post-scriptum, rédigé sur une feuille à part. Bayushi Tomaru avait fait les choses bien !
« PS : Mes hommes ont plusieurs fois protégé des navires marchands de Bashô-sama, depuis Shutaï vers la Cité des Histoires. Ces navires étaient arrimés au ponton du Chêne et leurs marchandises, stockées dans l’entrepôt ouest, plus connus des gens du lieu sous le nom d’entrepôt du Condor. »
Notre Grue se leva et ordonna qu'on aille chercher ses assistants : rendez-vous sur les docks, à la boucle du Chêne !

Shigeru dut se courber en deux pour sortir de la maison du Sanglier qui Rit, avant d'aller s'asseoir sur sa marche habituelle, en regardant la baie de l'honneur noyé, dont les motifs brillants, sans cesse changeants, où flottaient les barques de pêcheurs, le réjouissait chaque jour.
C'était aussi le jour du marché flottant. Une petite ville, colorée, fruitée, animée, s'était bâtie sur l'eau, qui disparaîtrait en fin de journée, comme elle était apparue.
Quand notre Crabe vit arriver les autres magistrats, il s'empressa de se lever et de se mettre au garde-à-vous.
- Quelles nouvelles, Shigeru-san ?
Le Crabe faisait une tête de plus que Hiruya mais c'est lui qui avait l'air d'un grand dadais face à l'energique magistrat.
- Hiruya-sama ! J'ai reparlé aux habitants de la rue de la Moutarde qui m'affirment que les inondations ont rendu le bois humide, ont rempli les caves. Il est incompréhensible qu'un incendie ait pu se déclencher ainsi.
- Sans que personne ne l'ait voulu, tu veux dire ?
- Exactement.
- Des nouvelles de ce cousin qui est mort dans l'incendie ?
- Son corps était méconnaissable, Hiruya-sama et il a été transporté au palais Shosuro, sur ordre du magistrat Yogo Osako !
- Sais-tu si quelqu'un en voulait à ce moutardier ?
- Non, magistrat ! Il disait qu'il n'avait pas d'ennemi, sinon des marchands, qui sont les rivaux naturels des pêcheurs ! Mais sa maison était bien située pour que, avec le vent, l'incendie se transmette à la maison de Kuni Isao.
- Bon, suis nous, Shigeru.
Les magistrats d'Emeraude se dirigèrent vers les quais, au ponton du Chêne. Une rue en demi-cercle, dite boucle du Chêne, cernait des hangars pour les navires, des entrepôts de marchandises et des maisons de sake. Voir la magistrature impériale arriver dans ce quartier paisible causait un remue-ménage comme on en voyait rarement ! Les pêcheurs s'empressaient d'exécuter les quatre volontés de nos samuraï.
- Ouvrez-moi cet entrepôt, dit Hiruya. A qui appartient-il ?
- A personne, seigneur !
- Il n'a jamais appartenu à personne ?
- Si, il appartenait au seigneur Matsu Bashô !
Les portes s'ouvrirent sur une grande salle vide et poussiéreuse. Les magistrats en firent le tour avec empressement.
- Regardez, dit Ryu.
Elle venait de trouver, gravée dans le bois, dans un coin de la salle, la marque du Condor.
- Mais il n'y a plus rien ici, dit Isawa Ayame.
- Ici peut-être pas, dit Hiruya mais à côté sans doute...
Etonné, nos samuraï suivirent leur supérieur dans la rue, à l'entrée d'une petite impasse.
- Ouvrez-moi cette porte.
Notre Grue avait repéré une entrée dissimulée, juste à côté de l'entrepôt.
Les pêcheurs s'exécutèrent. Ils durent forcer pour arracher une barre de fer qui bloquait la porte de l'intérieur. Un coup de tetsubo de Shigeru et de pieds de Ryu finirent le travail. C'était une petite cache, bien propre, sans poussière et qui sentait fort l'huile de roche.
Ryu avisa alors un défaut dans le parquet : des planches se soulevaient, découvrant une petite échelle qui descendait sur quelques mètres dans un puits.
- Nous sommes sur la bonne piste, fit Hiruya, satisfait.

Nos samuraï s'engagèrent dans le passage secret, torches à la main.
D'abord Shigeru, puis Hiruya, Ryu et les deux Phénix. En bas de l'échelle se trouvait un tunnel étroit, humide, où l'on ne pouvait passer qu'à un à la fois. On entendit après quelques pas un mécanisme d'engrenage s'actionner, une corde se détendre. Shigeru, frappé en pleine poitrine, tomba à la renverse sur Hiruya, qui le reçut dans ses bras, faillit partir en arrière et entraîner dans sa chute les autres magistrats !
Le Crabe avait été frappé par des flèchettes dégoulinant d'une résine visqueuse.
Shigeru se tordait de douleur mais sur le Mur, il en avait connu d'autres. Il fallut un bout de temps, dans ce couloir, pour qu'Ayame arrive à sa hauteur et lui administre quelques soins.
- Vous là-haut, cria Ikky aux pêcheurs, aller nous chercher des cordes !
Il fallut en effet de gros bouts d'arrimage et la force de plusieurs hommes pour remonter Shigeru dans le petit entrepôt. Les deux Phénix restèrent avec lui tandis que Ryu et Hiruya repartaient en exploration.
Cette fois, Ryu-san passa devant et vit que plusieurs cordelettes très fines étaient tendues en travers du passage. En les coupant, on déclenchait le mécanisme. Elle et Hiruya se plaquèrent sur le mur et Ryu coupa du bout de son tanto les cordelletes. Les flèchettes partirent en sifflant et allèrent se ficher dans le mur derrière l'échelle.
Après avoir pataugé dans la gadoue jusqu'aux chevilles, nos deux héros arrivèrent au bout du couloir, terminé par une échelle. Ryu monta la première : une trappe fermait l'accès au niveau du sol. Hiruya se demandait où ils se trouvaient. Ryu tira sur la trappe et un gros tas de cendres en tomba ! Notre enquêtrice en fut recouverte des pieds à la tête et Hiruya en reçut à peine moins. De la suie, de la poussière, des copeaux de bois humides et de la cendre coulèrent en abondance, avant que Ryu ne puisse passer la tête.
Les manouvriers qui dégageaient les décombres dans les restes de la réserve du moutardier furent bien surpris de voir une tête de femme, noire comme du charbon, sortir de terre, suspicieuse, avant de comprendre qu'il s'agissait de la magistrate d'Emeraude !
Ryu monta à la force des bras puis aida Hiruya-sama à en sortir : chacun son tour d'aider l'autre à sortir du trou...:P
Et c'est ainsi que la magistrature d'Emeraude fit un baroud d'honneur remarqué dans la rue de la Moutarde, noire et grise de crasse, le bas de kimono trempé et boueux ! Le peuple se cachait pour rire à gorge déployée et même les inflexibles gardes du Tonnerre eurent de la peine à se retenir.
Dans l'entrepôt du Condor, Ayame se concentrait pour attirer les fortunes de l'eau dans le corps de Shigeru et le purifier. Elle sentit alors Ikky la pousser du coude : elle allait soupirer d'agacement quand elle vit arriver ce cher Hiruya et cette chère Ryu, plus sales que des ramoneurs de cheminées, et dut se mordre la lèvre pour garder son sérieux. Shigeru fut secoué par un gros rire caverneux mais il se termina en plaintes et gémissements et Ayame reprit ses soins.
- Nous retournons au palais, fit Hiruya, d'un ton raide et martial. Nous en avons assez appris. Qu'on nous amène une bassine d'eau, par Benten !
A suivre...
