20-08-2010, 11:18 PM
le masque de... Geki

19e Episode : Les seconds rôles
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20-08-2010, 11:18 PM
le masque de... Geki
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21-08-2010, 01:25 AM
C'est une vraie petite entreprise artisanale le Geki
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21-08-2010, 09:33 AM
Tadao et Cie. : infiltration, surveillance, en force
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24-08-2010, 12:49 AM
CHRONIQUES DE L'EMPIRE D'ÉMERAUDE 8 – Le moine Ils discutèrent de choses et d’autres, sans arrière-pensées stratégiques, comme c’est souvent le cas dans les rencontres à la cour d’hiver. - Vous n’attendiez pas quelqu’un, j’espère ? demanda Tadao. - Si, dit Masaakira en applaudissant doucement aux geishas qui se retiraient. Et il doit arriver d’un moment à l’autre. Restez, je vous en prie… Un groupe de moines entrait. Cinq jeunes hommes qui entouraient un aîné. Les courtisans s’inclinèrent devant ce dignitaire d’âge respectable. Il était chauve, à l’exception d’une mèche très longue, attaché en boucle dans son dos – dont la légende disait qu’elle n’avait pas été coupée depuis son gempukku, et ne le serait qu’à sa mort (pour devenir une relique). Il portait une petite barbiche. Il était mince, sa stature révélait un corps qui n’avait pas perdu sa vigueur. Il portait des habits aussi simples que possible, ceux d’un ascète. Ce qui ne laissait pas deviner, à qui ne le connaissait pas, qu’il était l’un des plus hauts prêtres de l’Eglise de l’Illumination par la Pureté, la principale secte religieuse de l’Empire. Il toisa l’assemblée, aperçut la table de Masaakira et vint s’asseoir avec ses disciples. - Inquisiteur Kuni Tadao, dit le tensaï, vous connaissez certainement Shingon. Shingon, l’Inquisiteur Kuni Tadao. Il se faisait appeler Shingon, sans plus, par ascétisme, alors qu’il était en fait abbé, issu d'une famille noble. - Bonsoir, Inquisiteur. Je suis heureux de vous rencontrer, j’ai souvent entendu parler de vous. Sachez que quand on pense à un chasseur de démons par chez nous, on pense à vous… Enfin un qui reconnaissait ses mérites ! Tout n’est donc pas perdu pour mon kharma, se dit Tadao, si un moine venu de loin (des contreforts des montagnes du Dragon) sait ce que je vaux ! - J’ai entendu souvent parler de votre philosophie, dit l’inquisiteur Tadao. Elle fait de plus en plus d’adeptes par chez nous. Alors qu’au contraire, elle faisait bien rire (dans le meilleur des cas) chez les Phénix. - Nous avons du mal à comprendre certains de vos enseignements, dit alors Mizu. Elle jeta un froid. Masaakira la réprimanda du regard. Mizu baissa les yeux –trop tard, l’attaque était portée. Nobuyoshi tourna la tête pour masquer son sourire. Il savait que Mizu avait étudié avec acharnement les écrits de Shingon, que c’était pour elle une question vitale d’arriver à en montrer le peu de valeur. Elle était restée la plus scolaire du groupe, la plus « absolutiste ». Elle ne suivait pas cette voie du shinseïsme prônée par Shingon; qui apprenait à relativiser, à voir le bien en toutes choses, le Tao dans toutes les voies prises pour le trouver. On essayait bien de lui expliquer, mais non ! Elle ne croyait pas qu’il y eût milles voies différentes pour trouver l’Illumination ! C’était néanmoins vrai, à sa décharge, que l’enseignement de Shingon était nouveau. Comme on murmurait qu’il deviendrait bientôt le maître du plus grand ordre religieux du pays, cela ne manquait pas d’inquiéter. Nouvelle philosophie impliquait nouvelle vision de l’Ordre Céleste, donc changements politiques, bouleversement de certaines valeurs bien établies, et ainsi de suite. - Ma philosophie, dit le vieil homme, n’est pas ma philosophie, mais l’expression la plus simple et la plus dépouillée de l’enseignement de Shinseï. Ce n’est jamais qu’un retour à ce qu’il y a d’essentiel dans la sagesse. Entre aristocrates Phénix, on appelait ça : de la sagesse pour cordonniers ! Des textes clairs, faciles d’accès. Rien de compliqué à déchiffrer, pas de mystères ni de profondeur comme aimaient tant les virtuoses Phénix. - Vous vous intéressez peu aux mystères de la roue du destin… On sentait que Mizu avait affûté ses arguments. - Nous portons l’accent sur le combat contre la souffrance et pour l’harmonie des forces, au quotidien. - N’est-ce-pas délaisser les interrogations sur les vies futures et les cycles nombreux de réincarnation ? - Selon Shinsei, la sagesse s’atteint dans cette vie, sinon elle ne s’atteint jamais. - Mais Shinsei, répliqua Mizu, ne prétend pas qu’on puisse trouver l’Illumination si facilement, si rapidement. - D’abord, dit patiemment Shingon, nous ne confondons pas la sagesse avec l’Illumination. Nous disons seulement que la délivrance spirituelle est plus proche de nous qu’on ne le croit généralement… Isawa Mizu avait toujours vécu selon une hygiène stricte, en modérant ses passions et en évitant tout excès, car elle était fort angoissée par l’idée de n’être qu’une brève apparition dans le cours de réincarnations interminables. Elle ne voulait pas causer de la souffrance à d’innombrables autres êtres en qui elle reviendrait, en se comportant mal dans cette vie. - Les dieux sont-ils si cruels, ajoutait Shingon, qu’ils auraient voulu nous voir souffrir pendant des siècles ? - Bien, dit Masaakira, je crois que tout cela mérite d’être longuement réfléchi et discuté. Mizu nous a montré qu’elle était exigeante sur la sagesse, ce que personne ne lui reprochera. - Certainement pas, répondit Shingon –qui était habitué aux critiques contre sa philosophie. Tadao ne savait pas quoi en penser. Il savait que le shingonisme rencontrait du succès chez les Crabes car ils voulaient croire à une délivrance plus rapide. Ils souffraient sur la Muraille, pour que leur prochaine vie soit bien meilleure. Le shingonisme trouvait surtout de l'écho chez nombre de jeunes gens du Gozoku, chez les mondains, les hommes de cour, guère prêts à se priver comme leurs parents, à mener une vie rude –l’époque était à la culture, aux fêtes, à la célébration des arts et des jeux !... A la décadence donc, selon les adversaires du Gozoku. Le fait est que le shingonisme rencontrait des partisans dans tous les clans –sauf peut-être chez les Dragons, à qui on n’osait pas demander, de peur de subir une réponse trop longue et trop compliquée ! Tadao, qui était de la vieille école, ne croyait pas tellement à une délivrance rapide. Il fallait souffrir et voilà ! L’homme connaissait la peur, le désir, le regret, on ne pouvait surmonter cela en une seule vie ! ![]() 9 – Le scribe Shingon dit qu’après cette conversation – dont il était ravi, il devait partir. - Le Scribe souhaite me rencontrer. C’était par ce titre qu’était désigné couramment le maître du clan du Phénix, Shiba Gaijushiko –un des trois membres dirigeant du Gozoku. C’était le plus discret, le moins influent des trois. Le plus puissant pour certains était Doji Raigu, daimyo des Grues et Champion d’Emeraude, donc chef des armées. Pour d’autres, c’était Bayushi Atsuki, daimyo des Scorpions, Maître des Secrets, donc le personnage le mieux informé de l’Empire. On était en revanche d’accord pour dire que Shiba Gaijushiko était moins important. Pour commencer, il n’avait pas le titre de daimyo du Phénix. Il en assumait la fonction depuis la mort du dernier. Des querelles interminables retardaient le choix du successeur. Gaijushiko avait seulement le titre de Scribe Impérial, fonction assez floue. Il était responsable d’archives historiques. Il était aussi mécène des arts, conseiller de l’Empereur. Rien de bien défini. Comme c’était un homme âgé, assez terne en société, les Phénix attendaient leur prochain daimyo, pour voir arriver un troisième homme fort à la tête du Gozoku. Les Scorpions aimaient cette plaisanterie : c’est Atsuki qui dicte les lois, c’est Gaijushiko qui les écrit, c’est Raigu qui les proclame ! Shingon se rendit dans Kyuden Hida, au troisième étage, dans les quartiers privés des membres du Gozoku. Le vrai lieu du pouvoir. Les moines passèrent dans deux antichambres successives. Il faisait presque nuit quand ils purent entrer dans la salle de réception. On sentait tomber la fatigue après une longue journée de mondanités. Shingon patientait, impassible. Ses disciples se frottaient les yeux, réprimaient des bâillements. Ils étaient séparés de leur hôte par un grand panneau laqué. De l’autre côté, le Scribe s’entretenait avec le juge Kempô, qui ne maitrisait pas ses tremblements : - Vous comprenez que cette affaire est en train de me revenir dessus ! On sentait que Shiba Gaijushiko n’était pas fait pour rester longtemps à la tête du Gozoku. Il était typiquement plus à l’aise à diriger des recherches en bibliothèques ou à rédiger ses interminables traités de droits, que les pauvres élèves avocats devaient apprendre par cœur pour espérer plaider un jour. - Je ne comprends pas bien vos inquiétudes, répondit-il à Otomo Kempô. D’abord, il y a chose jugée. La dégradation de ces samuraï est irréversible. Bien. Ensuite, leur bravoure au combat les a menés dans un autre clan. - Je suis sûr qu’ils veulent se venger de moi ! Ils seraient bien capables de contester ce jugement. - Ce n’est pas moi qui les soutiendrait contre un juge impérial, dit le Scribe. J’ignore les raisons précises de leur dégradation –je ne vous les demande pas – mais votre pouvoir en la matière est souverain. De plus, ils ne doivent pas être si mal chez les Matsu. Quoi qu’ils aient fait, leur déchéance a dû leur remettre les idées en place. Et je doute que les Lions tolèrent la désobéissance, n’est-ce-pas ? Je crois donc que ces samuraï vont se tenir tranquilles. Le Scribe ne pouvait pas savoir… Savoir ce qui s’était passé… L’île… Le chantage sur Kempô… - Nous entrons dans la période du repos de la Lune, dit le Scribe. Ces célébrations vont marquer une pause dans les festivités. Et une fois cette période de recueillement terminée, ce sera le grand carnaval, puis la fin de la cour. Je pense que nous aurons tous plus urgent que de nous occuper d’une vieille affaire… - Bien évidemment, seigneur, bien évidemment… - J’en suis certain. Allons, nous nous reverrons très bientôt, votre Excellence. Le Scribe se leva, avec son éternel air de vague ennui face au monde. Il fit quelques pas pour raccompagner son invité. : - Venez-vous ce soir à la réception de l’Empereur ? - Je ne sais pas, j’ai à faire… - Vous passerez au moins voir le concours de poésie ? - Oh, je ne crois pas… Je m’y connais si peu… - Moi non plus, mais c’est un divertissement intéressant… Les plus grands seront là. - En plus, je me suis laissé dire que… (le juge baissa d’un ton) que Mitsurugi s’y est inscrit. - Tiens donc… Le Scribe eut un début de sourire : - Alors je verrai enfin le personnage. - Que les dieux vous protègent ! Le juge partit. Gaijushiko ordonna de faire entrer Shingon et ses disciples et de l’excuser un instant. Il avait besoin de respirer. Il recevait des gens depuis le matin, dans la même pièce, dans une atmosphère confinée. Le grand air du soir lui rafraichirait les idées. Il monta au quatrième étage, sur la terrasse d’où la vue sur la Cité s’étendait jusqu’à la Muraille. Il fuma une longue pipe en écoutant la rumeur de la ville. Il observa, dans les dernières lueurs dorés et rouges qui s’éteignaient, le pont de la falaise qui touche la lune. Il tombait là-bas une fine pluie. Cinq hommes en chapeaux coniques passaient la rivière et arrivaient près du chemin de ronde reliant la Cité à la Muraille. Gaijushiko vida la cendre de sa longue pipe. La pluie arrivait. Il se retourna. Un homme tatoué du clan du Dragon le regardait. Il était torse nu. Il luisait d’une aura verdâtre, et par ses orbites vides lui sortaient des flammes émeraude. - Tiens, mon visiteur nocturne, dit le Scribe, en tapant sa pipe contre la rambarde. A suivre... ![]()
24-08-2010, 06:56 PM
le shinto pour les nul par shingon
26-08-2010, 06:46 PM
CHRONIQUES DE L'EMPIRE D'ÉMERAUDE 10 - Le saint Ils échangèrent quelques mots, puis le Dragon se hissa sur la rambarde de la terrasse et plongea dans le vide. Une corneille, aux yeux entièrement verts, traversa la cour du palais en criaillant. Elle descendit sur la ville, se posa dans une petite rue, près du palais de l’Empereur, où les courtisans arrivaient pour la grande réception. Trois samuraï du clan de la Grue montaient à pied, contrairement à bien d’autres qui ne se déplaçaient qu’en palanquins : Doji Onegano et ses deux enfants, Doji Suzume et Doji Ikue. - Encore une riche idée que tu as eue, disait Ikue, de nous faire venir comme des paysans. Nous allons arriver tout crottés. - Regarde où tu marches… Ikue devait faire des petits pas à cause de ses sandales hautes et de son bas de kimono très serré. - Ton frère est un ascète, sourit Onegano. Ceci dit, nous allons gagner du temps, car les palanquins sont sévèrement contrôlés. Ils doivent faire la queue à l’entrée des palais. Nous passerons plus vite. Une vieille mendiante faisait trébucher des pièces dans sa main. - Mon joli garçon, pense donc à une vieille femme… Suzume avait immanquablement de la pitié pour les mendiants. Son père s’y était habitué. Il mit la main à la poche et tendit la pièce à son fils. - Vas-y, fais-nous encore perdre du temps, dit Ikue, qui craignait pour son maquillage à cause de la sueur. Elle rageait d’être dans cette vilaine rue, alors qu’elle avait passé la journée à se faire belle. Suzume s’approcha pour donner à la vieille. - Tu as une jolie main… Très belles lignes… Onegano remarqua les yeux de la vieille, qui étaient très verts, luisants comme des yeux de chat. Intrigué, il s’approcha pour écouter. - Laisse-moi les lire… Je ne te demanderai pas plus de pièce, c’est promis. - Tes promesses n’ont aucune valeur, dit Onegano. - Juste deux mots… Elle leva son long doigt, qui semblait avoir trop de phalanges. Elle suivait les lignes de la paume : - On s’est moqué de toi… Tu as défendu ton honneur. Tu as combattu et vaincu… [voir épisodes #13-14]. C’était un Scorpion. - Ce duel n’avait rien de secret. N’importe qui a pu en entendre parler, dit Onegano. Ikue trépignait. La vieille ne s’adressait qu’à Suzume : - Cette cour d’hiver sera décisive pour toi… Tu auras encore à défendre ton honneur. Sois prêt à cela, sois bien prêt… Tu pourras devenir un grand personnage, mais pas quelqu’un de puissant. Un chef, mais pas riche… - Que veux-tu dire ? - Ton destin est d’être changé en… Elle se concentrait, sa voix grinçait. - Changé, en quoi ? Suzume voulut enlever sa main. La vieille serrait. Onegano mit la main sur son sabre. - Tu seras changé (ses yeux brillaient plus forts), en moineau !... - Qu’est-ce que c’est que ces idioties ? Onegano s’approcha : - Il suffit ! Nous allons être en retard ! Toi, la vieille, dégage le chemin ! Que tu n’ailles pas importuner d’autres passants ! Elle se leva, replia sa natte en vitesse et disparut dans une ruelle. Onegano et ses enfants continuèrent leur chemin. Ils entrèrent dans la maison impériale en doublant la file de palanquins. La corneille aux yeux verts volait au-dessus de Kyuden Hida. Elle prenait son envol pour le nord. Elle s’éleva au-dessus des nuages, laissa loin derrière elle les terres du Crabe, passa le col de Benten, survola les terres des Lions et remonta dans les airs en profitant des courants ascendants lorsqu'elle arriva face aux montagnes éternelles du nord. Elle redescendit vers la terre, le toit du monde, une étendue de pierres vertes au milieu de laquelle méditait le maître du clan du Dragon. ![]() 11 – Le senseï Quand la corneille s’était envolée du balcon de Shiba Gaijushiko, elle avait survolé le mur d’enceinte de Kyuden Hida. Elle avait criaillé au moment où elle passait au-dessus de Yatsume, toute de noir vêtue, qui escaladait le premier mur, puis sautait dans la cour et entamait l’escalade du deuxième. Elle s’était posée un instant sur ce mur. Yatsume lançait sa corde, commençait l’escalade. Puis elle s’adossait au mur, reprenait le plan tracé par Juro, trouvait une porte pour les serviteurs et s’engageaient dans l’intérieur du mur de ronde. La corneille avait crié et s’était envolée. Un peu plus tôt, alors que Shiba Gaijushiko fumait sa pipe, il avait vu, sur le pont au pied de la falaise qui touche la lune, cinq hommes qui traversaient la rivière sous la pluie, vêtus de gros manteaux d’hiver et de chapeaux coniques. Sazen marchait en tête, appuyé sur une canne. Il avait refusé encore une fois que Juro l’accompagne. - Tu dois rester le chef des Loups. Sans toi, ils se disperseront. Toi seul sait les tenir ensemble. Il avait demandé quatre volontaires. Il en avait obtenu huit. - Pourquoi voulez-vous tous venir ? leur avait-il dit. Croyez-vous racheter vos fautes grâce à moi ? Je vais me venger, c’est tout. J’attends ce moment depuis presque trois ans. Mais cette affaire ne vous concerne pas. Vous n'y gagnerez aucun honneur. Deux avaient hésité. Sazen en avait encore refusé deux autres, trop jeunes. Il s’était montré dur, cassant, exprès. Pour qu’ils ne regrettent pas de rester, qu’ils en veulent à Sazen et qu’ils ne se fassent pas un souvenir doré. Les quatre autres n’avaient plus rien à perdre. Sazen avait senti en eux des fanatiques, comme certains dirigeants Scorpions les aiment. Des guerriers ayant perdu tout sens de leur individualité, impassibles, impersonnels. L’un d’eux avait tué son père. Deux étaient amants. Ils avaient été déchus ensemble, car leur passion les avait détournés de l’obéissance. Ils voulaient cette mort comme un dernier acte d’amour. Le quatrième ne parlait pas. Il était passé par trop de choses. Il disait qu’il se dégoutait lui-même. On l’appelait Dégoût, et il ne l’avait jamais empêché. Le bois rouge du pont craquait. La pluie tombait. Un pecheur lançait une dernière fois sa ligne avant la nuit. Le fil montait haut, décrivait une immense courbe pleine de grâce. Elle redescendait. Le bouchon tombait dans l’eau avec un bruit discret. - L’hiver est dure, dit-il aux cinq passants, mais le printemps sera beau. Les bourgeons sont bien au chaud sous la neige. Sazen le regarda pendant qu’il tirait. Le pécheur finit par ramener sa ligne, déçu. Il soupira, sourit. Il rangea son matériel et serra son baluchon. - Tu n’as rien pris aujourd’hui ? dit Sazen. - Je n’en vis pas. Je viens pécher le soir parce que ça me plait. Les rônins regardèrent l’étrange bonhomme s’éloigner. Ils sourirent entre eux, comme on sourit d’un original sympathique. Un vent glacé venu de la baie souffla sur eux. Ils se remirent en route. Ils avancèrent dans la neige épaisse et sale du pied du mur. Des hurlements lointains provenaient de la Muraille. Des bruits de fête du palais. Ils longèrent le mur, la neige au-dessus des chevilles. Ils ignoraient où exactement se trouvait l’entrée. Ils trouvèrent une petite porte presque recouverte. - Le mécanisme est coincé, il doit être givré, dit l'un des amants. - Écarte-toi… Dégoût enfonça la porte d’un coup de pied. A quatre, ils finirent d’ouvrir la porte à coup de sabres. - Passez, senseï… Sazen enjamba les débris. Ils entraient dans un vieux passage. Quelques chauves-souris s’envolèrent en criant. Des poutres de bois moisis avaient été posées pour soutenir les murs et le plafond. Plusieurs étaient effondrées. Des échos de chute de gouttes d’eau. Ils avancèrent dans un couloir de plus en plus sombre. Quelques meurtrières, certaines bouchées par des nids. Leurs pas résonnaient de plus en plus fort. Ils finirent par ne plus voir la fin du couloir. La nuit était tombée. Ils arrivèrent au bout du couloir. A tâtons, ils découvrirent une porte. Comme prévu, ils ne pourraient pas l’ouvrir d’eux-mêmes. Il leur aurait fallu des instruments, et ils auraient fait un tel tintamarre que tout le palais aurait entendu. Ils s’assirent sur leurs chevilles. Impossible d’entendre au travers du bois épais. Ils ne savaient pas si Yatsume serait là. - Frappez un coup, dit Sazen. Un rônin tapa. Ce fut le silence de nouveau. Puis un mécanisme joua. Quelqu’un enlevait la barre de l’autre côté. La porte grinça. L’ouverture fut douloureuse. Les cinq rônins s’étaient mis en garde. La porte s’ouvrit encore : - Senseï… Sazen s’avança. - C’est Yatsume, vous pouvez sortir… Le senseï sortit : elle était seule. Les autres vinrent à leur tour. La bise soufflait dans la cour, chargée de neige. - Bien, je pense qu’il ne nous reste qu’à te remercier, dit Sazen. - Je paye ma dette envers vous. - Je crois que j’étais prêt à finir mes jours sur cette île… Je me faisais vieux. J’aurais pu oublier tous ces traîtres… Mais c’est moi que j’aurais trahi… - J’ai été heureuse de… Elle ne savait quoi dire. - Prends bien soin de toi, Yatsume. J’ai entendu que tu as une fille. - Oui, elle s’appelle Yutsuko. - Je suis heureux pour vous deux, alors. - Le couloir est là-bas… La réception a déjà commencé je pense… Et la garde impériale doit veiller. - Ne t’inquiète plus pour nous. Nous sommes prêts. Yatsume salua. Elle lança sa corde, remonta le mur. Perchée en haut, elle regarda Sazen et ses fidèles entrer par une petite porte, puis elle devina ce qui se passait : ils passaient près des cuisines. Des cris de servantes, bousculade. Des coups. La porte des cuisines refermée, bloquée. Les rônins prennent des lanternes, courent. Yatsume voit au travers des fenêtres de papier les lumières qui se déplacent, qui remontent. Trois silhouettes armées courent vers les intrus. Les sabres jaillissent. Du sang sur le papier. Des cris. Des lumières s’allument. D’autres soldats accourent. Yatsume suivait cela comme un théâtre d’ombres. Les rônins montent encore un étage ; d’autres coups de sabre. Un homme passe par la fenêtre. Puis les rônins prennent un couloir qui les éloigne de Yatsume. Celle-ci ne peut plus les voir. La salle de réception est de l’autre côté du palais par rapport à elle, au troisième étage. Des milliers de lumières y scintillent. Elle voit les rônins courir le long d’une corniche, poursuivis par des hommes en armes. Puis elle les perd. Elle devine quand ils rentrent. Des cris, à peine audibles. Elle descend le mur, passe l’enceinte extérieure, puis quitte le palais. Les rues sont noires, et la nuit est vide. A suivre... ![]()
27-08-2010, 02:01 PM
Ah bravo bravo c'est toujours un plaisir de te lire
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27-08-2010, 02:06 PM
Le p'tit Suzume a de l'avenir
![]() Mais est-il enviable ? ![]()
Bah Mitsu serait pas amené à devenir Empereur, il aurait peut-être pu le trouver enviable quand même
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30-08-2010, 08:02 PM
(This post was last modified: 29-01-2011, 01:16 PM by Darth Nico.)
CHRONIQUES DE L'EMPIRE D'ÉMERAUDE 11 – Le senseï (suite) Une tête roule lentement sur le parquet. Un silence de mort tombe sur la grande salle de fête. L’Empereur est assis avec son épouse, à quinze pas du courtisan le plus proche de lui. Il a deux pages à ses côtés, dix gardes du corps, cinq par cinq, adossés au mur. Ceux-ci viennent d’ouvrir les yeux. Les rônins ne sont plus que quatre. Dégoût est mort au détour d’un couloir. Il a emporté dans la mort deux soldats du shinsen-gumi. Tange Sazen a donné des instructions précises : épargner autant que possible les uniformes impériaux, mais aucune pitié pour la milice du Gozoku. Les habitués du Parfum céleste voient entrer leur cauchemar, le seul, l’unique ! Il n’a qu’un œil et qu’un bras. Pour plusieurs, il est la preuve vivante de leurs trahisons et de leurs crimes. Il est repoussant ; il paraît sans âge, comme un échappé du royaume des morts. Les gardes du corps ont mis la main sur leurs sabres et sont prêts à jaillir. L’Empereur fait un petit geste, ils attendent. Personne d’autre qu’eux n’est armé dans la pièce, à part le Champion d’Emeraude, Doji Raigu. Certains doivent reconnaître les deux amants qui suivent Sazen, ainsi que l’autre qui est parricide. Les courtisans se sont figés. La fumée désagréable des bougies qui brûlent mal dans l’air humide bleuit l’air et leur donne à tous un teint cireux. Le vieux senseï a l’air d’avancer au milieu d’un jardin de statues. Entre les rônins et les gardes du corps, il y a une grande partie de l’assemblée. De même, le Champion d’Emeraude qui est dans un coin de la salle. On ne pourrait donc empêcher les samuraï déchus de faire un massacre avant qu'on ne leur mette la main dessus. Lentement, les courtisans s’écartent. Les étoffes font un froufrou doux. Sazen les regarde de son œil furieux. Le vide se fait entre lui et l’Empereur. Les gardes du corps changent de position pour former un mur devant le couple impérial. Les deux amants rabattent la lourde barre en bois qui ferme la porte de la salle. Plus une respiration. Sazen ne regarde personne, il regarde le sol. - Seigneur, dit le Champion d’Emeraude, un geste de ta part et j’abats sur le champ cet individu. L’Empereur réfléchit. Les trois dirigeants du Gozoku sont dans la pièce. Il dit : - Qu’on le laisse parler. - Merci, seigneur, dit Sazen. Les courtisans reculent encore d’un pas. - Voici donc… Il y a trois ans, je me suis vu défier en duel par quatorze samuraï. Ce jour-là, j’en ai affronté cinq. Puis, quoique laissé pour mort, je me suis lancé à la recherche des suivants. J’en ai encore retrouvé six… Il en reste donc trois. Ils sont dans cette pièce. Matsu Kokatsu fait deux pas en avant. - Je suis ton homme. - Je reconnais la bravoure des Lions, général, mais tu n'es pas le seul. - Il suffit ! crie Doji Raigu. D’un geste, l’Empereur lui intime l’ordre de se taire. Mirumoto Robun, le jeune duelliste du clan du Dragon, avance à son tour. - Je suis ton homme. - Je me nommais alors Bayushi Natsu, poursuit Sazen. J’étais senseï du Dojo du Scorpion d’Obsidienne. Ce titre m’avait été décerné par mon daimyo, Bayushi Gensshin. A sa mort de ce dernier, un groupe s’est formé, composé de ces quatorze samuraï qui estimaient que je leur devais réparation. Ils étaient menés par un capitaine du shinsen-gumi. J’ai ordonné à mes douze disciples de pratiquer le seppuku. Ils l’ont fait, à l’exception d’un seul, qui m’avait quitté peu avant, pour aller vendre les secrets de mon enseignement à la milice du Gozoku. L’insulte est volontairement mortelle. Otomo Jukeï s’avance le dernier. C’est un soulagement, car tout le monde ou presque savait, et le capitaine tardait à s’annoncer. - Je suis ton homme. - J’ai mauvaise vue, dit Sazen. Le disciple qui m’a trahi est-il dans cette pièce ?... Personne ne dit mot. Personne ne veut se retourner vers Bayushi Renshun ni même risquer de regarder vers lui. Matsu Mitsurugi sait qu’il n’a plus le choix. Il sait que c’est lui qui devra tuer Renshun, le disciple félon, car il est devenu le dernier disciple de Sazen. Il vient à côté de son maître, le général Kokatsu, et crie : - Seigneur, ne salissez pas votre lame ! Laissez-moi prendre votre place ! Le général lui fait signe qu’il accepte. Mitsurugi avance encore d’un pas. Tout le monde sauf les protagonistes recule contre le mur. Sazen est concentré. On le sent entrer en transe. Seppun Tokugawa, le maître de cérémonie voit l’Empereur le regarder. Il s’incline, puis ordonne d’ouvrir un grand présentoir situé au fond de la pièce. A l’intérieur, un coffre verrouillé, que Seppun Tokugawa ouvre avec sa clef personnelle. Deux serviteurs viennent prendre le coffre et l’amènent au milieu de la pièce, tout de même à distance respectable du vieux rônin. Le maître de cérémonie s’agenouille devant le coffre. Il en sort trois sabres de cérémonie, dans de beaux fourreaux de la famille Seppun. Ce sont normalement des armes pour des démonstrations. Elles seules sont admises dans l’enceinte d’une cour impériale. Les trois duellistes s’approchent et prennent les armes qu'on leur présente. Ils l’accrochent à leur ceinture, à côté de leur wakisashi, qu’ils eu le droit de garder. Doji Raigu se met en position d’arbitrer la rencontre. Les autres courtisans ne remuent presque pas. L’Empereur s’appuie sur son genou, curieux. Mitsurugi, Robun et Jukeï ont mis leurs sabres. Sazen, qui regardait le sol depuis un moment, lève l’œil vers eux. Il a mis la main sur son sabre. Il regarde ses trois adversaires. Il jauge, il prévoit. Il fait brusquement trois pas de course, dégaine et dans le même mouvement frappe Jukeï au visage. Le capitaine part en arrière. Il ne tombe pas mais se tient l’œil, que Sazen vient de lui arracher. Robun a eu le temps de se mettre en garde avec ses deux sabres. Sazen rengaine, court, Robun lui entaille le bras de son wakisashi, Sazen retient un cri, dégaine et lui tranche le bras. Il rengaine à nouveau, se présente face à Mitsurugi, tire son sabre, évite l’attaque du Lion et réplique en lui entaillant le bras gauche. Plusieurs personnes ont à peine eut le temps de crier. Robun tombe à genoux, exsangue, Jukeï sort un mouchoir, fou de rage. Mitsurugi serre les dents. L'entaille est très douloureuse mais peu profonde. C’est terminé, Sazen a gagné ses trois derniers duels, il s’est vengé. Il respire. Le Champion d’Emeraude ne consulte pas l’Empereur. Il dégaine son sabre, s’approche de Sazen. Ce dernier sort doucement son sabre, alors que le sang lui coule sur le bras. Il se met en garde. Il attaque le premier ; le seigneur Raigu a juste reculé un peu, une mèche de cheveux tombe, et il réplique d’un coup parfait, qui tranche la tête du vieux rônin. Raigu nettoie son sabre et se retourne vers les complices. Ceux-ci se sont mis à genoux, les yeux fermés. Le Champion d’Emeraude ouvre en grand la porte, furieux. Des soldats impériaux entrent. Ils voient les rônins et les abattent coup sur coup. Le parricide tombe seul, les deux amants meurent dans les bras l’un de l’autre. ![]() Robun gémissait à terre en tenant son bras mutilé. Jukeï avait sorti un mouchoir et quitta la pièce le visage en sang. Mitsurugi s’inclina face à Kokatsu pour s’excuser d’avoir perdu son duel. - Donne ton sabre, fit le général, de mauvaise humeur. Kokatsu prit l’arme et s’entailla le bras de la même façon que son duelliste. Il grogna et se fit apporter un mouchoir. Il regardait le corps décapité du vieux Natsu. Il rit pour lui-même. Il revoyait le combat. Le senseï attaque Jukeï en premier, car lui, il ne veut pas le rater. Il aurait pu le tuer mais il préfère le laisser défiguré à vie. C’est bien une vengeance de Scorpion ! Ensuite, il attaque Robun. Il connaît parfaitement la technique du Nitten, le combat à deux sabres des Dragons. Il se présente donc face au Mirumoto de façon à ce que l’autre puisse facilement lui entailler le bras. Mais en réponse, Sazen tranche l’autre bras du duelliste, pour empêcher une seconde attaque. Sazen a le bras affaibli. Il a donc une excuse pour paraître moins vaillant face à Mitsurugi. Il se contente donc de le blesser légèrement : il frappe sur son bras faible, le gauche. Enfin, face au Champion d’Emeraude, Sazen n’essaie plus de se battre. Il lui fait seulement une belle frayeur en lui coupant une mèche. Il lui montre qu’il ne le craint pas. Le général Kokatsu sortit de la salle. Mitsurugi le suivit, ainsi que Sasuke. De nombreux autres courtisans s’en allèrent de même. Robun partait sur une civière, accompagné par ceux de son clan. On emportait en vitesse les corps des rônins. ![]() 12 – Le poète Mitsurugi ordonna au médecin de lui faire un bandage bien serré. - Que comptez-vous faire ? - Je vais au concours de poésie. - Voyons, c’est de la folie… - Je n’ai qu’un haïku à réciter, ce ne sera pas long… Il a dû se passer deux heures depuis l’irruption des rônins. - Serrez plus fort. Mitsurugi se lave, se rhabille, passe une autre tenue de soirée. Il ne sent presque plus son bras blessé. Les participants au concours de poésie se sont réunis dans une grande salle au premier étage. Il y a moins de monde que prévu, à cause de ce qui s’est passé... Le maître de cérémonie doit tenir pourtant son rôle. Il nomme les participants. On est content de se consacrer à la poésie pour oublier ce qui vient d’arriver. Ikoma Noyuki salue l’assistance. Le juge Otomo Kempô est là. Il est venu avec le conseiller Bayushi Tangen. Le Scribe aussi est là. Le moine Shingon et plusieurs élèves. Bayushi Renshun, qui ne s’est pas avancé face à son ancien maître, est venu se fondre dans le public. Otomo Jukeï fait une entrée discrète, avec un bandeau sur l’œil. La douleur le tenaille mais il se doit aussi d’être présent. Il y a plein de jeunes mondains, plusieurs poètes comiques, trois auteurs de pièces épiques. La porte s’ouvre : un serviteur annonce Matsu Mitsurugi. Il entre avec son bras raide dissimulé sous son kimono. Tous les courtisans les plus salauds sont là. Certains, à bout de nerfs depuis l’attaque de Sazen, ont envie de prendre leurs jambes à leur cou. L’ambassadeur est plus blanc que d’habitude, à cause de la douleur, mais il arrive, pas à pas, fermement. Le concours commence. Personne n’arrive à y mettre du cœur. L’ambiance est trop lourde, l’atmosphère sordide. Mitsurugi est un reproche vivant pour la moitié des présents, c'est à son tour d'être leur cauchemar. Tokugawa va au plus pressé, ne fait pas de longs discours. Mitsurugi s’est assis autour du tatami. Vient son tour, dans les derniers. On ne ricane plus tellement de le voir. On pensait déjà que, s’étant inscrit à moitié ivre à ce concours, il se désisterait entre temps. Non, il vient. Il se lève. Son bras le tire. Il s’efforce de sourire. Il s’éponge le front et récite, en regardant brusquement Otomo Jukeï dans les yeux : Un vol de corbeaux Les semences sous la neige Le Loup attend Il se rassoit. La haine devient pratiquement palpable, comme de la bruine en suspension. Les courtisans voudraient se jeter sur Mitsurugi et le dépecer vif. Tokugawa se hâte de faire passer les derniers. Puis le jury se retire rapidement pour délibérer. Ils reviennent et annoncent que le gagnant est, sans surprise, un Asahina, maître du haïku. Prétexte retenu : le poème de Mitsurugi manque d'une syllabe au troisième vers (quatre au lieu des cinq attendus). Son irrégularité le disqualifie. Personne n’aura vraiment d’intérêt pour le vainqueur. En revanche, Mitsurugi sent les regards pointer sur lui comme des flèches quand il sort de la salle, dans un silence qui a le tout le poids menaçant de cette syllabe manquante. ![]() ![]() |
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