03-01-2005, 02:09 PM
10e Episode : les subtilités de la cour
Jalousies et secrets
Cette après-midi là, dans les derniers jours du mois du Rat, alors que le soleil d'hiver descendait lentement derrière les murs du Palais du Chêne Pâle, Isawa Masanaga-sama réunit tous les invités pour leur annoncer une importante nouvelle :
- Honorables invités, puisque nous sommes des samuraï et que notre vie est faite pour servir l'Empereur, nous devons accepter ses décisions inconditionnellement. Aussi, puisque désormais le clan du Scorpion est à nouveau à compter parmi les clans majeurs, j'ai décidé d'inviter quelques-uns de ses représentants à notre cour, car il serait offensant pour notre Empereur que nous négligions les membres de ce clan. C'est pourquoi dès l'annonce de leur retour en grâce, j'ai fait de mon mieux pour les contacter. Leur réponse m'est enfin parvenue : l'honorable clan du daimyo Bayushi Yojiro nous enverra deux de ses représentants très bientôt. Ils se présenteront au palais, et feront pleinement partie de la cour de mes invités. Je sais que vous les accueillerez avec la déférence qu'il leur est dû. Ce sera tout, samuraï. Que cette fin de journée vous soit favorable.
Tous les invités s'inclinèrent, puis attendirent le départ de Masanaga-sama pour relever la tête, et retourner à leurs occupations. On imagine facilement que les spéculations sur l'identité des nouveaux invités occupa l'essentiel des conversations de cette fin de journée.
Ikoma Tsuyoshi déclara qu'il se comporterait honorablement avec eux, sans démonstration excessive de respect, et qu'il ne tolérerait aucun écart de langage contre sa famille ou son clan. Le docteur Munetaka semblait très contrarié par l'arrivée de ces deux Scorpions, de même qu'Asahina Masumi, tandis que Mirumoto Onitsugu sentait son sabre le démangeait : il voulait en défier un en duel, pour asseoir sa réputation ! Comme à l'habitude, Doji Itto prenait les choses par le bon côté, et attendait des occasions de leur proposer quelques faveurs, de se mettre bien avec eux.
Pendant ce temps, Isawa Akitoki réunit ses deux shugenja, Kogin et Ayame.
- J'attendais que Masanaga-sama nous confirme l'arrivée des représentants du Scorpion pour vous réunir toutes les deux. Inutile de faire de longs discours concernant la réputation des Scorpions, leur art de la conversation, du discours et de la manipulation. Aussi, il m'apparait nécessaire de vous aider à contrer l'adversaire avec ses propres armes. Je vous demande donc à toutes les deux d'aller recopier et apprendre rapidement le sort dit de l'Influence de Benten, qui vous permettra de demander aux esprits de l'air d'embellir votre apparence et votre art de la persuasion. Quiconque est sous l'effet de ce rituel magique paraît plus convaincant et plus gracieux dans ses gestes et ses discours.
"Ce n'est pas un sort difficile. Je compte sur vous deux pour l'apprendre très vite, et j'attends de voir laquelle de voux deux aura terminé en premier.
Akitoki-sama espérait évidemment piquer la jalousie, l'esprit de compétition, propre aux shugenja Isawa. Malheureusement, sur ce sujet, la jalousie brûla de manière inégale le coeur des deux shugenja : beaucoup celui de Kogin, pas du tout celui d'Ayame.
Alors que Kogin se précipitait déjà en bibliothèque pour se plonger dans ses études magiques, Ayame se précipita... également en bibliothèque, mais pour y continuer ses recherches sur Bayushi Tangen, l'Ombre, le Gozoku, la Novice, et autres sujets très courants dans l'enseignement des académies Phénix...
Ayame avança donc lentement dans l'apprentissage du sort, n'y consacrant que la moitié de son temps, tandis que Kogin termina de maîtriser le sort en très peu de temps, et s'empressa d'aller le montrer à Akitoki-sama.
Ayame fut convoquée en même temps, et dut avouer que Kogin-san l'avait battue une fois de plus. Elle bafouilla quelques excuses maladroites, et sa persuasion ne prit pas. Kogin la regarda d'un air faussement gentil, lui signifiant qu'elle ne trompait personne, et que si elle voulait s'essayer à ce genre de mensonges éhontés, elle ferait mieux d'apprendre ledit sort de l'Influence de Benten.
Pas dupe non plus, Akitoki-sama la sermonna sévèrement, lui rappelant les principes sacrés d'excellence et d'harmonie de l'Académie Isawa, et l'importance vitale de surpasser tous les autres clans, d'autant plus quand on en est l'hôte pour un hiver.
Ayame répondit très poliment, très humblement, et cette fois de manière tout à fait convaincante :
- Hélas, j'ai les pires difficultés à ne pas lire le Tao quand je suis en bibliothèque. Cette lecture me passionne et me prend beaucoup de temps.
Quoique convaincu de la piété de sa shugenja, Akitoki décida que le temps de la méditation recluse était finie pour Ayame :
- Désormais, vous vous concentrerez sur la vie de cour. Même les shugenja vivent dans le monde. Vous devez trouver l'harmonie entre la méditation intérieure et le monde extérieur. Finissez de recopier ce parchemin de sort, et allez vous montrer parmi les invités. Prenez exemple sur Kogin-san !
Kogin la regarda sortir
, contente d'avoir été la meilleure aux yeux de son daimyo, mais aussi jalouse de ne pas aller lutter sur le même terrain qu'Ayame. En quelque sorte, grâce à, ou à cause d'Ayame, elle découvrait que la jalousie ordinaire entre shugenja n'était pas assez. Maintenant, Kogin voulait connaître la vraie jalousie qui poussait Ayame de l'avant.
- Je ne suis pas dupe de tes manoeuvres, Ayame-san, se disait à peu près Kogin. Tu joues à la mauvaise étudiante, lente d'esprit, mais je ne m'y laisse pas prendre. Je déteste sa fausse modestie qui cache ton mépris supérieur envers nous ; je déteste te voir choisir toi-même ton terrain de jeu, mais j'aime me sentir jalouse de toi !
Donc, sur ordre d'Akitoki-sama, Ayame-san dut abandonner ses recherches, pour son plus grand dépit. Elle tenta donc d'entrer dans la conversation des deux hôtes avec qui elle aurait sans doute les meilleures relations : Asahina Masumi et Kakita Hiruya, tous deux en conversation sur l'île au milieu du lac aux reflets pâles.
Il faisait très beau, un temps à ravir l'âme, et avec des fourrures, on pouvait supporter le temps. Les serviteurs avaient installé des poeles autour des deux Grues, et ainsi la température était parfaitement supportables.
Le bushi et l'artiste discutaient autour d'une tasse de thé et d'amuse-bouche. Ayame fut sans difficulté invitée à se joindre à la discussion.
Sans parvenir à cacher toutes ses émotions, Masumi-sama reparlait à Hiruya de l'affaire du duel. Kitsu Kameko s'était montrée odieuse envers Masumi, en l'accusant d'échecs de par le passé, et Masumi-sama avait fini par répliquer sur le sujet douloureux pour les Lions : l'affaire Bashô.
Le poète ne s'était pas présenté le jour convenu, et comme par hasard, le même soir, on entendait parler de l'arrivée d'un homme blessé, et mis au secret. Seuls Mirumoto Munetaka et Kitsu Kameko avaient pu l'approcher pour le soigner.
Masumi-sama avait demandé des éclaircissements sur cette affaire, avec insistance, en espérant que Kameko-sama battrait en retraite. Mais l'impétueuse Lionne avait fini par demander réparation.
Il est vrai que Matsu Bashô était en soi un sujet sensible, douloureux même pour le clan du Lion.
Il passait pour n'avoir aucune qualité de la famille Matsu. Ni valeureux au combat, ni belliciste le reste du temps, ni bon soldat, il était au contraire solitaire, réservé, timide, certains disaient efféminé, et s'adonnait volontiers à la poésie plutôt qu'au maniement du katana. Seule sa haute naissance le mettait un tant soit peu à l'abri des railleries des Matsu. Du moins ne ricanait-on que dans son dos. On raconte que Matsu Tsuko aurait déclaré que Bashô-sama n'était pas un Lion, mais un petit chaton, bon pour téter le lait de sa maman.
Bref, Bashô-sama avait toujours vécu à l'écart du clan. Il traînait depuis plusieurs années une réputation sulfureuse : ses séjours fréquents parmi le Monde Flottant de Ryoko Owari ne faisait rien pour arranger la situation.
Masumi-sama ne retenait pas un certain rire sarcastique en détaillant toutes les faiblesses de Bashô. C'était toujours un plaisir de voir l'embarras des Lion à son sujet.
- Je vais vous laisser à présent, dit-elle, car il est l'heure pour moi de faire de l'origami et...
Elle voulut alors se lever, mais elle sentit soudain ses forces l'abandonner. Hiruya la soutint aussitôt, et dut vigoureusement l'aider pour qu'elle se mette sur ses pieds. Elle devait être épuisée, et souffrir de fièvre.
- Dois-je vous raccompagner au pavillon, demanda Hiruya-san
- Non, cela ira, je vous remercie. Je me sens parfaitement bien, maintenant.
Elle était pâle, et transpirait. Courageusement, elle se tint bien droite, sourit, salua et s'éloigna, suivi d'un serviteur.
Ayame-san et Hiruya-san regardèrent l'artiste Asahina s'éloigner, puis reprirent la conversation. Ils discutèrent de choses et d'autres pendant quelques temps. Dans un coin de son esprit, Ayame gardait cette question répétée de Kogin : pourquoi Hiruya avait-il suivi le groupe des terres du Dragon vers la Grenouille Riche ?
Il est vrai que Hiruya-san avait discuté à huis clos avec Akitoki-sama et Yobe-sama, avant leur départ d'Heibetsu...
Au fil de la conversation, le Grue en vint à proposer à Ayame de découvrir la bibliothèque avec elle.
- C'est que... Hiruya-san... c'est assez gênant pour moi... Il se trouve que j'y ai passé beaucoup de temps dernièrement, et Akitoki-sama verrait d'un meilleur oeil que je me fasse plus voir à la cour...
Cependant, Hiruya-san, très sûr de lui, servit à la shugenja un discours tellement assuré, et si poliment insistant, que celle-ci ne put en fin de compte qu'accepter.
Elle espérait seulement ne pas croiser Akitoki-sama sur le chemin.
Ils le croisèrent seulement au dernier couloir avant la bibliotèque.
Ayame-san se mordit la lèvre en le voyant. Cette fois, elle risquait une sévère punition pour sa désobéissance. C'était sans compté l'aplomb, le culot et l'assurance incassables de Kakita Hiruya. Celui-ci salua très poliment Isawa Akitoki-sama, et déclara sans ambage qu'il désirait visiter la bibliothèque du palais, et comptait sur Ayame-san pour la lui faire découvrir.
Akitoki-sama, qui marchait, pressé, vers ses appartements, sourit aimablement à Hiruya-san, et de manière un peu plus carnassière à Ayame, puis conclut :
- Très bien, Hiruya-san. Je suis certain qu'à présent, Ayame-san connaît par coeur chaque rayon et chaque rouleau de parchemins.
Puis il repartit sans plus se préocupper d'eux.
Ayame-san invoqua les esprits du vent pour s'éponger le visage. Elle l'avait échappé belle. Hiruya-san lui proposa d'entrer en bibliothèque, avec au visage un sourire assuré qui disait : "Ne vous inquiétez donc pas, tout était prévu." :odieux:
Une fois assis à une table dans le vénérable bâtiment où dormaient des milliers de parchemins, Hiruya-san et Ayame-san discutèrent encore quelques temps par pure politesse, puis le Grue en vint à demander, sans avoir l'air trop désinteressé, ce qui avait tant intéressé Ayame-san ces derniers temps dans la bibliothèque.
Il fut très surpris de s'entendre répondre carrément qu'elle cherchait à savoir ce qui s'était passé à Morikage Toshi, avec ce cauchemar et ces ombres !
Très intrigué, Hiruya-san écouta la suite des explications d'Ayame. Elle s'intéressait à ces choses mystérieuses, ces ombres qui avaient envahi leur rêve, et créé une sorte de songe collectif. Elle s'intéressait aussi à certaines périodes troublées de l'Empire, le Gozoku surtout, sans faire encore le lien entre ces élèments.
Hiruya-san écouta ces explications avec beaucoup d'intérêt, et se promit d'en apprendre plus une prochaine fois.
Peu après, Ayame était à nouveau convoqué chez Akitoki-sama.
Celui-ci la convoquait au dernier moment, et l'accueillit avec un ton des plus sévères. Etonnament, ce n'était même pas pour la tancer au sujet de ses ruses pour aller en bibliothèque -même si Akitoki-sama était presque sûr qu'en réalité, c'est la rusée Ayame qui avait entourloupé Hiruya pour trouver une bonne raison de retourner parmi les parchemins...
- Bien, Isawa Ayame-san, je vous ai convoqué de nouveau pour vous parler d'une affaire grave. Vous savez certainement que deux membres du clan du Scorpion vont arriver à la cour d'hiver. J'ai pu me renseigner sur l'un d'eux. Il se nomme Bayushi Bokkai. C'est un personnage extrêmement malin, et très dangereux quand il le veut. Il a déjà détruit des réputations au détour d'une phrase, comme on abat une pile de riz d'un revers de main. S'il vient à la cour d'hiver, vous pouvez être sûr qu'il s'est renseigné sur tous les invités, et sait lesquels sont potentiellement à sa merci. Autant dire tous ceux d'un rang inférieur ou égal au sien dans l'Ordre Céleste. Vous êtes donc une victime tout désignée pour lui. Alors, plus que jamais, vous serez en première ligne pour défendre l'honneur du clan. Ne soyez pas notre point faible ! Tout le clan vous aura à l'oeil, donc pas d'imprudence. Attention aux impasses périlleuses vers lesquelles il peut vous pousser. Il semble qu'Isawa Kogin soit plus apte que vous à réagir face à ce danger. C'est le moment de montrer que vous pouvez être la meilleure.
"Comme il faut lutter avec les armes de ses adversaires, je vais vous donner un renseignement important. Je sais que Bokkai-san a des contacts avec la pègre de la région. Ces engeances sont en quelque sorte nécessaire à la stabilité sociale, mais il est indigne pour un samuraï de les fréquenter. Donc, si jamais Bokkai-san vous attaque, évoquez ces liens avec la canaille, d'un air entendu, et vous pourrez ainsi le contrer. Procédez par insinuation, jouez secret contre secret, et vous le surprendrez, ce qui vous donnera l'avantage. Il se rabattra sur une autre victime, et vous aurez gagné !
Ayame-san acquiesça aux paroles de son daimyo. Ce dernier venait de parler comme un général à ses troupes, à la veille d'une bataille décisive...
Aussi, Ayame-san prit-elle la peine d'aller s'adresser à Doji Itto, ce fin courtisan.
Très flatté qu'on vienne ainsi lui demander conseil sur de redoutables adversaires, Itto-sama accueillit aimablement la shugenja.
- Itto-sama, vous qui avez connu de nombreuses cours, vous devez bien connaître les membres du clan du Scorpion...
- Vous savez, Ayame-san, à les fréquenter, je vous dirai qu'ils ne sont pas les démons que l'on peint généralement. Ils sont humains, comme vous et moi, mais il sont très malins. Face à eux, chaque mot compte, et ils n'oublient rien ! Alors prudence, prudence !...
A suivre...
Jalousies et secrets
Cette après-midi là, dans les derniers jours du mois du Rat, alors que le soleil d'hiver descendait lentement derrière les murs du Palais du Chêne Pâle, Isawa Masanaga-sama réunit tous les invités pour leur annoncer une importante nouvelle :
- Honorables invités, puisque nous sommes des samuraï et que notre vie est faite pour servir l'Empereur, nous devons accepter ses décisions inconditionnellement. Aussi, puisque désormais le clan du Scorpion est à nouveau à compter parmi les clans majeurs, j'ai décidé d'inviter quelques-uns de ses représentants à notre cour, car il serait offensant pour notre Empereur que nous négligions les membres de ce clan. C'est pourquoi dès l'annonce de leur retour en grâce, j'ai fait de mon mieux pour les contacter. Leur réponse m'est enfin parvenue : l'honorable clan du daimyo Bayushi Yojiro nous enverra deux de ses représentants très bientôt. Ils se présenteront au palais, et feront pleinement partie de la cour de mes invités. Je sais que vous les accueillerez avec la déférence qu'il leur est dû. Ce sera tout, samuraï. Que cette fin de journée vous soit favorable.
Tous les invités s'inclinèrent, puis attendirent le départ de Masanaga-sama pour relever la tête, et retourner à leurs occupations. On imagine facilement que les spéculations sur l'identité des nouveaux invités occupa l'essentiel des conversations de cette fin de journée.
Ikoma Tsuyoshi déclara qu'il se comporterait honorablement avec eux, sans démonstration excessive de respect, et qu'il ne tolérerait aucun écart de langage contre sa famille ou son clan. Le docteur Munetaka semblait très contrarié par l'arrivée de ces deux Scorpions, de même qu'Asahina Masumi, tandis que Mirumoto Onitsugu sentait son sabre le démangeait : il voulait en défier un en duel, pour asseoir sa réputation ! Comme à l'habitude, Doji Itto prenait les choses par le bon côté, et attendait des occasions de leur proposer quelques faveurs, de se mettre bien avec eux.

Pendant ce temps, Isawa Akitoki réunit ses deux shugenja, Kogin et Ayame.
- J'attendais que Masanaga-sama nous confirme l'arrivée des représentants du Scorpion pour vous réunir toutes les deux. Inutile de faire de longs discours concernant la réputation des Scorpions, leur art de la conversation, du discours et de la manipulation. Aussi, il m'apparait nécessaire de vous aider à contrer l'adversaire avec ses propres armes. Je vous demande donc à toutes les deux d'aller recopier et apprendre rapidement le sort dit de l'Influence de Benten, qui vous permettra de demander aux esprits de l'air d'embellir votre apparence et votre art de la persuasion. Quiconque est sous l'effet de ce rituel magique paraît plus convaincant et plus gracieux dans ses gestes et ses discours.
"Ce n'est pas un sort difficile. Je compte sur vous deux pour l'apprendre très vite, et j'attends de voir laquelle de voux deux aura terminé en premier.
Akitoki-sama espérait évidemment piquer la jalousie, l'esprit de compétition, propre aux shugenja Isawa. Malheureusement, sur ce sujet, la jalousie brûla de manière inégale le coeur des deux shugenja : beaucoup celui de Kogin, pas du tout celui d'Ayame.
Alors que Kogin se précipitait déjà en bibliothèque pour se plonger dans ses études magiques, Ayame se précipita... également en bibliothèque, mais pour y continuer ses recherches sur Bayushi Tangen, l'Ombre, le Gozoku, la Novice, et autres sujets très courants dans l'enseignement des académies Phénix...
Ayame avança donc lentement dans l'apprentissage du sort, n'y consacrant que la moitié de son temps, tandis que Kogin termina de maîtriser le sort en très peu de temps, et s'empressa d'aller le montrer à Akitoki-sama.
Ayame fut convoquée en même temps, et dut avouer que Kogin-san l'avait battue une fois de plus. Elle bafouilla quelques excuses maladroites, et sa persuasion ne prit pas. Kogin la regarda d'un air faussement gentil, lui signifiant qu'elle ne trompait personne, et que si elle voulait s'essayer à ce genre de mensonges éhontés, elle ferait mieux d'apprendre ledit sort de l'Influence de Benten.
Pas dupe non plus, Akitoki-sama la sermonna sévèrement, lui rappelant les principes sacrés d'excellence et d'harmonie de l'Académie Isawa, et l'importance vitale de surpasser tous les autres clans, d'autant plus quand on en est l'hôte pour un hiver.
Ayame répondit très poliment, très humblement, et cette fois de manière tout à fait convaincante :
- Hélas, j'ai les pires difficultés à ne pas lire le Tao quand je suis en bibliothèque. Cette lecture me passionne et me prend beaucoup de temps.
Quoique convaincu de la piété de sa shugenja, Akitoki décida que le temps de la méditation recluse était finie pour Ayame :
- Désormais, vous vous concentrerez sur la vie de cour. Même les shugenja vivent dans le monde. Vous devez trouver l'harmonie entre la méditation intérieure et le monde extérieur. Finissez de recopier ce parchemin de sort, et allez vous montrer parmi les invités. Prenez exemple sur Kogin-san !

Kogin la regarda sortir

- Je ne suis pas dupe de tes manoeuvres, Ayame-san, se disait à peu près Kogin. Tu joues à la mauvaise étudiante, lente d'esprit, mais je ne m'y laisse pas prendre. Je déteste sa fausse modestie qui cache ton mépris supérieur envers nous ; je déteste te voir choisir toi-même ton terrain de jeu, mais j'aime me sentir jalouse de toi !

Donc, sur ordre d'Akitoki-sama, Ayame-san dut abandonner ses recherches, pour son plus grand dépit. Elle tenta donc d'entrer dans la conversation des deux hôtes avec qui elle aurait sans doute les meilleures relations : Asahina Masumi et Kakita Hiruya, tous deux en conversation sur l'île au milieu du lac aux reflets pâles.
Il faisait très beau, un temps à ravir l'âme, et avec des fourrures, on pouvait supporter le temps. Les serviteurs avaient installé des poeles autour des deux Grues, et ainsi la température était parfaitement supportables.
Le bushi et l'artiste discutaient autour d'une tasse de thé et d'amuse-bouche. Ayame fut sans difficulté invitée à se joindre à la discussion.
Sans parvenir à cacher toutes ses émotions, Masumi-sama reparlait à Hiruya de l'affaire du duel. Kitsu Kameko s'était montrée odieuse envers Masumi, en l'accusant d'échecs de par le passé, et Masumi-sama avait fini par répliquer sur le sujet douloureux pour les Lions : l'affaire Bashô.
Le poète ne s'était pas présenté le jour convenu, et comme par hasard, le même soir, on entendait parler de l'arrivée d'un homme blessé, et mis au secret. Seuls Mirumoto Munetaka et Kitsu Kameko avaient pu l'approcher pour le soigner.
Masumi-sama avait demandé des éclaircissements sur cette affaire, avec insistance, en espérant que Kameko-sama battrait en retraite. Mais l'impétueuse Lionne avait fini par demander réparation.
Il est vrai que Matsu Bashô était en soi un sujet sensible, douloureux même pour le clan du Lion.
Il passait pour n'avoir aucune qualité de la famille Matsu. Ni valeureux au combat, ni belliciste le reste du temps, ni bon soldat, il était au contraire solitaire, réservé, timide, certains disaient efféminé, et s'adonnait volontiers à la poésie plutôt qu'au maniement du katana. Seule sa haute naissance le mettait un tant soit peu à l'abri des railleries des Matsu. Du moins ne ricanait-on que dans son dos. On raconte que Matsu Tsuko aurait déclaré que Bashô-sama n'était pas un Lion, mais un petit chaton, bon pour téter le lait de sa maman.
Bref, Bashô-sama avait toujours vécu à l'écart du clan. Il traînait depuis plusieurs années une réputation sulfureuse : ses séjours fréquents parmi le Monde Flottant de Ryoko Owari ne faisait rien pour arranger la situation.
Masumi-sama ne retenait pas un certain rire sarcastique en détaillant toutes les faiblesses de Bashô. C'était toujours un plaisir de voir l'embarras des Lion à son sujet.
- Je vais vous laisser à présent, dit-elle, car il est l'heure pour moi de faire de l'origami et...
Elle voulut alors se lever, mais elle sentit soudain ses forces l'abandonner. Hiruya la soutint aussitôt, et dut vigoureusement l'aider pour qu'elle se mette sur ses pieds. Elle devait être épuisée, et souffrir de fièvre.
- Dois-je vous raccompagner au pavillon, demanda Hiruya-san
- Non, cela ira, je vous remercie. Je me sens parfaitement bien, maintenant.
Elle était pâle, et transpirait. Courageusement, elle se tint bien droite, sourit, salua et s'éloigna, suivi d'un serviteur.
Ayame-san et Hiruya-san regardèrent l'artiste Asahina s'éloigner, puis reprirent la conversation. Ils discutèrent de choses et d'autres pendant quelques temps. Dans un coin de son esprit, Ayame gardait cette question répétée de Kogin : pourquoi Hiruya avait-il suivi le groupe des terres du Dragon vers la Grenouille Riche ?
Il est vrai que Hiruya-san avait discuté à huis clos avec Akitoki-sama et Yobe-sama, avant leur départ d'Heibetsu...
Au fil de la conversation, le Grue en vint à proposer à Ayame de découvrir la bibliothèque avec elle.
- C'est que... Hiruya-san... c'est assez gênant pour moi... Il se trouve que j'y ai passé beaucoup de temps dernièrement, et Akitoki-sama verrait d'un meilleur oeil que je me fasse plus voir à la cour...
Cependant, Hiruya-san, très sûr de lui, servit à la shugenja un discours tellement assuré, et si poliment insistant, que celle-ci ne put en fin de compte qu'accepter.
Elle espérait seulement ne pas croiser Akitoki-sama sur le chemin.
Ils le croisèrent seulement au dernier couloir avant la bibliotèque.
Ayame-san se mordit la lèvre en le voyant. Cette fois, elle risquait une sévère punition pour sa désobéissance. C'était sans compté l'aplomb, le culot et l'assurance incassables de Kakita Hiruya. Celui-ci salua très poliment Isawa Akitoki-sama, et déclara sans ambage qu'il désirait visiter la bibliothèque du palais, et comptait sur Ayame-san pour la lui faire découvrir.
Akitoki-sama, qui marchait, pressé, vers ses appartements, sourit aimablement à Hiruya-san, et de manière un peu plus carnassière à Ayame, puis conclut :
- Très bien, Hiruya-san. Je suis certain qu'à présent, Ayame-san connaît par coeur chaque rayon et chaque rouleau de parchemins.
Puis il repartit sans plus se préocupper d'eux.

Ayame-san invoqua les esprits du vent pour s'éponger le visage. Elle l'avait échappé belle. Hiruya-san lui proposa d'entrer en bibliothèque, avec au visage un sourire assuré qui disait : "Ne vous inquiétez donc pas, tout était prévu." :odieux:
Une fois assis à une table dans le vénérable bâtiment où dormaient des milliers de parchemins, Hiruya-san et Ayame-san discutèrent encore quelques temps par pure politesse, puis le Grue en vint à demander, sans avoir l'air trop désinteressé, ce qui avait tant intéressé Ayame-san ces derniers temps dans la bibliothèque.
Il fut très surpris de s'entendre répondre carrément qu'elle cherchait à savoir ce qui s'était passé à Morikage Toshi, avec ce cauchemar et ces ombres !

Très intrigué, Hiruya-san écouta la suite des explications d'Ayame. Elle s'intéressait à ces choses mystérieuses, ces ombres qui avaient envahi leur rêve, et créé une sorte de songe collectif. Elle s'intéressait aussi à certaines périodes troublées de l'Empire, le Gozoku surtout, sans faire encore le lien entre ces élèments.
Hiruya-san écouta ces explications avec beaucoup d'intérêt, et se promit d'en apprendre plus une prochaine fois.
Peu après, Ayame était à nouveau convoqué chez Akitoki-sama.
Celui-ci la convoquait au dernier moment, et l'accueillit avec un ton des plus sévères. Etonnament, ce n'était même pas pour la tancer au sujet de ses ruses pour aller en bibliothèque -même si Akitoki-sama était presque sûr qu'en réalité, c'est la rusée Ayame qui avait entourloupé Hiruya pour trouver une bonne raison de retourner parmi les parchemins...
- Bien, Isawa Ayame-san, je vous ai convoqué de nouveau pour vous parler d'une affaire grave. Vous savez certainement que deux membres du clan du Scorpion vont arriver à la cour d'hiver. J'ai pu me renseigner sur l'un d'eux. Il se nomme Bayushi Bokkai. C'est un personnage extrêmement malin, et très dangereux quand il le veut. Il a déjà détruit des réputations au détour d'une phrase, comme on abat une pile de riz d'un revers de main. S'il vient à la cour d'hiver, vous pouvez être sûr qu'il s'est renseigné sur tous les invités, et sait lesquels sont potentiellement à sa merci. Autant dire tous ceux d'un rang inférieur ou égal au sien dans l'Ordre Céleste. Vous êtes donc une victime tout désignée pour lui. Alors, plus que jamais, vous serez en première ligne pour défendre l'honneur du clan. Ne soyez pas notre point faible ! Tout le clan vous aura à l'oeil, donc pas d'imprudence. Attention aux impasses périlleuses vers lesquelles il peut vous pousser. Il semble qu'Isawa Kogin soit plus apte que vous à réagir face à ce danger. C'est le moment de montrer que vous pouvez être la meilleure.
"Comme il faut lutter avec les armes de ses adversaires, je vais vous donner un renseignement important. Je sais que Bokkai-san a des contacts avec la pègre de la région. Ces engeances sont en quelque sorte nécessaire à la stabilité sociale, mais il est indigne pour un samuraï de les fréquenter. Donc, si jamais Bokkai-san vous attaque, évoquez ces liens avec la canaille, d'un air entendu, et vous pourrez ainsi le contrer. Procédez par insinuation, jouez secret contre secret, et vous le surprendrez, ce qui vous donnera l'avantage. Il se rabattra sur une autre victime, et vous aurez gagné !
Ayame-san acquiesça aux paroles de son daimyo. Ce dernier venait de parler comme un général à ses troupes, à la veille d'une bataille décisive...

Aussi, Ayame-san prit-elle la peine d'aller s'adresser à Doji Itto, ce fin courtisan.
Très flatté qu'on vienne ainsi lui demander conseil sur de redoutables adversaires, Itto-sama accueillit aimablement la shugenja.
- Itto-sama, vous qui avez connu de nombreuses cours, vous devez bien connaître les membres du clan du Scorpion...
- Vous savez, Ayame-san, à les fréquenter, je vous dirai qu'ils ne sont pas les démons que l'on peint généralement. Ils sont humains, comme vous et moi, mais il sont très malins. Face à eux, chaque mot compte, et ils n'oublient rien ! Alors prudence, prudence !...
A suivre...