15-08-2005, 04:30 PM
LE COEUR D'OCEANIE
Résumé : Gianmaria Valtero fait le point de la situation avec le capitaine Tuang-Loc : aux dernières nouvelles, Lucinius et Corso sont perdus corps et bien, après la destruction du sous-marin "le Requin Bleu". L'Italien et le Vietnamien ignorent que les deux Caïnites ont été emmenés à bord du submersible du nabot Kuei-Jin.
Orages
Le submersible, semblable à un gros œuf blanc, reposait sur le sable d’une île perdue au milieu de l’océan, battue par le vent de la nuit.
Le Kuei-Jin avait donné des ordres brefs et précis en enfermant nos deux héros dans une paillote :
- Vous rester là. Vous pas bouger, compris ?
Ce n’était pas les fragiles murs qui dissuadaient Corso de tenter l’évasion, non plus que le cadenas posé sur la serrure.
Il se méfiait du Cathéen. Il n’osait pas s’attaquer à cette créature dont il ignorait tout. Il la regardait de travers, comme le fauve lorgne le chasseur qui vient de le capturer. En pensant au moyen de trahir sa vigilance, tout en redoutant son courroux.
- Ca ne nous change pas tellement du sous-marin, disait Lucinius en s’allongeant sur un des deux lits… Et maintenant, comment allons-nous repartir de cette île perdue ? Vous avez une idée de l’endroit où nous sommes ?
- Non, aucune. On pourrait être aussi bien à Sumatra qu’en Nouvelle-Calédonie. J’ignore le trajet que nous avons suivi dans le submersible.
Le long voyage, serré dans la cale de l’engin, avait été particulièrement pénible pour le Gangrel. La promiscuité avec le Toréador devenait vraiment pesante. Certes, ils étaient associés en affaire, ils avaient tout intérêt à s’épauler. Mais Corso n’aimait pas les espaces clos. Il avait besoin d’espace. La cohabitation prolongée avec un Toréador n’était pas prévue dans ses conditions d’existence. Il finirait par devenir la risée de son clan… Mais au diable son clan !

Le vent du large passait de temps à autre en mugissant dans les arbres autour de la paillote et la faisait craquer ; la mer, plongée dans la nuit, respirait, régulièrement, pesamment, infiniment.
- J’en ai assez, cria Corso en tapant sur la porte. Laissez-moi sortir maintenant ! J’en ai assez !… J’ai besoin de sortir !… Tu entends, espèce de sale enflure de nabot !…
- Calmez-vous, Corso, je vous en supplie.
Lucinius avait nettement perçu la rage qui gagnait le Gangrel. Tous les deux étaient à bout de nerfs. Mais Corso était le plus dangereux une fois dans cet état, et de loin.
- Du calme, je suis sûr qu’on va nous ouvrir pour nous emmener ailleurs.
- Vous m’emmerdez Lucinius. Restez donc couché, moi je vais sortir d’ici. J’ai besoin de sang !
Il griffait les murs, tapait du poing sur la porte, qui tremblait, prête à s’écrouler.
- Ouvre maintenant, sale nabot ! Ouvre tu m’entends ! Ou j’enfonce ta porte !
Il jouait au méchant loup contre le petit cochon.
- Allez, Porcinet ! Sale cochon jaune, fais-moi sauter ce cadenas ! Ouvre, saleté de niak !… Il griffait encore la porte. D’habitude, je suis patient, mais là, il va vraiment le sentir passer…
Corso avait perdu ce ton de menace froide dont il usait d’habitude pour exercer sa contrainte. Il perdait peu à peu sa contenance. Il tourna en rond quelques instants dans la paillote. Seul le vent répondait à ses appels. Il se rongeait le poing, tandis que le Toréador l’observait, très inquiet d’un soudain déchaînement de violence.
- Ah et puis j’en ai marre à la fin !…
Le poing gauche du Gangrel partit comme un coup de canon, suivi de près du droit et enfin d’un coup balancé des deux poings serrés l’un dans l’autre. Un vrai swing de golfeur !…
Au premier choc, la porte trembla, au second, elle s’enfonça, au troisième elle craqua et tomba sur la plage, emportant dans sa chute ses gonds et une partie du mur. Corso rugit de plaisir en apercevant le dehors, tandis qu’il faisait irruption avec le vent chargé de pluie. Une grande plage silencieuse et les palmiers qui s’y balançaient ensemble, à l’orée de la jungle. Le Cathéen n’était pas dans les environs.
- Tiens, saleté de saleté de nabot, tu vas voir ce que j’en fais de ton cabanon de merde !
Le Gangrel s’en donna à cœur joie : poussant ses cris caractéristiques de hyène rieuse, il attaqua à coup de poings et de pieds la maigre paillote. Elle se mit à craquer de toutes ses jointures. Affolé, Lucinius en sortit en courant, avant qu’elle ne s’effondre par terre, démolie en quelques secondes par les coups acharnés de Corso.
- Vous êtes content de vous maintenant ! lança Lucinius, en tâchant de dominer sa crainte.
Le Gangrel, vibrant de colère, continuait à taper dans les morceaux écroulés.
- Mais arrêtez, vous voyez que vous avez déjà tout détruit ! C’est malin, où est-ce que nous allons nous abriter du soleil maintenant ?
- Parce que vous croyez que ces trois bouts de bois et de paille vous auraient protégé ?… Vous n’avez qu’à vous trouver un autre endroit comme abri. Il y a peut-être un village vacances dans le coin !
Et de partir d’un rire sardonique.
- Et j’ai l’air de quoi, moi, naufragé avec vous, Corso, dans cet endroit perdu !
Corso toisa son compagnon d’aventure, piteux, beaucoup moins frais que pour les lundis de Villon au Louvre. Puis il éclata de rire :
- Je ne préfère pas vous le dire pour ne pas vous faire un immense chagrin…
Il planta là l’Artiste en déconfiture : il s’en alla marcher sur la plage en sifflotant. Il essayait de prendre un air dégagé mais jamais il ne s’était senti en détresse. Il pensait aux millions de mètres cubes d’eaux qui le séparaient du bois de Vincennes.

Resté seul, Lucinius s’assit sur un tas de bois, tout ce qui restait de la paillote. Il regarda Corso s’éloigner, puis l’ignora.
Les reflets laiteux de la lune brillaient de vagues en vagues houleuses ; de la jungle sombre qui bordait la plage provenait des bruissements d’animaux nocturnes. Epaissie par la nuit, cette jungle devenait fébrile, apeurante comme un fauve qui rôde près de vous, ou un voleur introduit dans votre appartement.
Sur quel atoll perdu nos deux héros avaient-ils pu échouer ? Etaient-ils chez Lum Khan, le maître du Pacifique, ou chez ce nabot de Kuei-Jin ? Que devenaient Loren et Benedict ?
Le bruissement des feuilles accompagnait celui des vagues dans un même feulement constitué de gouttes de sons imperceptibles.
- Je ne vais pas rester ici à me tourner les pouces !
Lucinius se leva d’un coup et alla marcher sur la plage. Corso n’était plus qu’une silhouette au loin : il avançait à vive allure, au bord de l’eau. Vers où pouvait-il se diriger ? Vers quoi surtout ? Les vagues venaient s’échouer de toutes leurs forces sur le sable. Elles se retiraient aussi vigoureusement, happées dans le courant contraire, puis revenaient, inlassablement, pour broyer, aplatir et enrouler tout le sable. Des nuages s’accumulaient dans le ciel, lourds d’orage.
Lucinius cria pour appeler Corso : mais il criait contre le vent. Le Toréador avançait péniblement, se protégeant du sable qui giclait sur lui et alourdissait sa marche. Les rafales étaient de plus en plus fortes, tout comme les vagues qui s’enflaient avant le rivage et qui s’y abattaient de plus en plus fort.
A suivre...
Résumé : Gianmaria Valtero fait le point de la situation avec le capitaine Tuang-Loc : aux dernières nouvelles, Lucinius et Corso sont perdus corps et bien, après la destruction du sous-marin "le Requin Bleu". L'Italien et le Vietnamien ignorent que les deux Caïnites ont été emmenés à bord du submersible du nabot Kuei-Jin.
Orages
Le submersible, semblable à un gros œuf blanc, reposait sur le sable d’une île perdue au milieu de l’océan, battue par le vent de la nuit.
Le Kuei-Jin avait donné des ordres brefs et précis en enfermant nos deux héros dans une paillote :
- Vous rester là. Vous pas bouger, compris ?
Ce n’était pas les fragiles murs qui dissuadaient Corso de tenter l’évasion, non plus que le cadenas posé sur la serrure.
Il se méfiait du Cathéen. Il n’osait pas s’attaquer à cette créature dont il ignorait tout. Il la regardait de travers, comme le fauve lorgne le chasseur qui vient de le capturer. En pensant au moyen de trahir sa vigilance, tout en redoutant son courroux.
- Ca ne nous change pas tellement du sous-marin, disait Lucinius en s’allongeant sur un des deux lits… Et maintenant, comment allons-nous repartir de cette île perdue ? Vous avez une idée de l’endroit où nous sommes ?
- Non, aucune. On pourrait être aussi bien à Sumatra qu’en Nouvelle-Calédonie. J’ignore le trajet que nous avons suivi dans le submersible.
Le long voyage, serré dans la cale de l’engin, avait été particulièrement pénible pour le Gangrel. La promiscuité avec le Toréador devenait vraiment pesante. Certes, ils étaient associés en affaire, ils avaient tout intérêt à s’épauler. Mais Corso n’aimait pas les espaces clos. Il avait besoin d’espace. La cohabitation prolongée avec un Toréador n’était pas prévue dans ses conditions d’existence. Il finirait par devenir la risée de son clan… Mais au diable son clan !

Le vent du large passait de temps à autre en mugissant dans les arbres autour de la paillote et la faisait craquer ; la mer, plongée dans la nuit, respirait, régulièrement, pesamment, infiniment.
- J’en ai assez, cria Corso en tapant sur la porte. Laissez-moi sortir maintenant ! J’en ai assez !… J’ai besoin de sortir !… Tu entends, espèce de sale enflure de nabot !…
- Calmez-vous, Corso, je vous en supplie.
Lucinius avait nettement perçu la rage qui gagnait le Gangrel. Tous les deux étaient à bout de nerfs. Mais Corso était le plus dangereux une fois dans cet état, et de loin.
- Du calme, je suis sûr qu’on va nous ouvrir pour nous emmener ailleurs.
- Vous m’emmerdez Lucinius. Restez donc couché, moi je vais sortir d’ici. J’ai besoin de sang !
Il griffait les murs, tapait du poing sur la porte, qui tremblait, prête à s’écrouler.
- Ouvre maintenant, sale nabot ! Ouvre tu m’entends ! Ou j’enfonce ta porte !
Il jouait au méchant loup contre le petit cochon.
- Allez, Porcinet ! Sale cochon jaune, fais-moi sauter ce cadenas ! Ouvre, saleté de niak !… Il griffait encore la porte. D’habitude, je suis patient, mais là, il va vraiment le sentir passer…
Corso avait perdu ce ton de menace froide dont il usait d’habitude pour exercer sa contrainte. Il perdait peu à peu sa contenance. Il tourna en rond quelques instants dans la paillote. Seul le vent répondait à ses appels. Il se rongeait le poing, tandis que le Toréador l’observait, très inquiet d’un soudain déchaînement de violence.
- Ah et puis j’en ai marre à la fin !…
Le poing gauche du Gangrel partit comme un coup de canon, suivi de près du droit et enfin d’un coup balancé des deux poings serrés l’un dans l’autre. Un vrai swing de golfeur !…
Au premier choc, la porte trembla, au second, elle s’enfonça, au troisième elle craqua et tomba sur la plage, emportant dans sa chute ses gonds et une partie du mur. Corso rugit de plaisir en apercevant le dehors, tandis qu’il faisait irruption avec le vent chargé de pluie. Une grande plage silencieuse et les palmiers qui s’y balançaient ensemble, à l’orée de la jungle. Le Cathéen n’était pas dans les environs.
- Tiens, saleté de saleté de nabot, tu vas voir ce que j’en fais de ton cabanon de merde !
Le Gangrel s’en donna à cœur joie : poussant ses cris caractéristiques de hyène rieuse, il attaqua à coup de poings et de pieds la maigre paillote. Elle se mit à craquer de toutes ses jointures. Affolé, Lucinius en sortit en courant, avant qu’elle ne s’effondre par terre, démolie en quelques secondes par les coups acharnés de Corso.
- Vous êtes content de vous maintenant ! lança Lucinius, en tâchant de dominer sa crainte.
Le Gangrel, vibrant de colère, continuait à taper dans les morceaux écroulés.
- Mais arrêtez, vous voyez que vous avez déjà tout détruit ! C’est malin, où est-ce que nous allons nous abriter du soleil maintenant ?
- Parce que vous croyez que ces trois bouts de bois et de paille vous auraient protégé ?… Vous n’avez qu’à vous trouver un autre endroit comme abri. Il y a peut-être un village vacances dans le coin !
Et de partir d’un rire sardonique.
- Et j’ai l’air de quoi, moi, naufragé avec vous, Corso, dans cet endroit perdu !
Corso toisa son compagnon d’aventure, piteux, beaucoup moins frais que pour les lundis de Villon au Louvre. Puis il éclata de rire :
- Je ne préfère pas vous le dire pour ne pas vous faire un immense chagrin…
Il planta là l’Artiste en déconfiture : il s’en alla marcher sur la plage en sifflotant. Il essayait de prendre un air dégagé mais jamais il ne s’était senti en détresse. Il pensait aux millions de mètres cubes d’eaux qui le séparaient du bois de Vincennes.

Resté seul, Lucinius s’assit sur un tas de bois, tout ce qui restait de la paillote. Il regarda Corso s’éloigner, puis l’ignora.
Les reflets laiteux de la lune brillaient de vagues en vagues houleuses ; de la jungle sombre qui bordait la plage provenait des bruissements d’animaux nocturnes. Epaissie par la nuit, cette jungle devenait fébrile, apeurante comme un fauve qui rôde près de vous, ou un voleur introduit dans votre appartement.
Sur quel atoll perdu nos deux héros avaient-ils pu échouer ? Etaient-ils chez Lum Khan, le maître du Pacifique, ou chez ce nabot de Kuei-Jin ? Que devenaient Loren et Benedict ?
Le bruissement des feuilles accompagnait celui des vagues dans un même feulement constitué de gouttes de sons imperceptibles.
- Je ne vais pas rester ici à me tourner les pouces !
Lucinius se leva d’un coup et alla marcher sur la plage. Corso n’était plus qu’une silhouette au loin : il avançait à vive allure, au bord de l’eau. Vers où pouvait-il se diriger ? Vers quoi surtout ? Les vagues venaient s’échouer de toutes leurs forces sur le sable. Elles se retiraient aussi vigoureusement, happées dans le courant contraire, puis revenaient, inlassablement, pour broyer, aplatir et enrouler tout le sable. Des nuages s’accumulaient dans le ciel, lourds d’orage.
Lucinius cria pour appeler Corso : mais il criait contre le vent. Le Toréador avançait péniblement, se protégeant du sable qui giclait sur lui et alourdissait sa marche. Les rafales étaient de plus en plus fortes, tout comme les vagues qui s’enflaient avant le rivage et qui s’y abattaient de plus en plus fort.
A suivre...
