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17e Episode : La marque du Condor
#3
CHRONIQUES DE L'EMPIRE D'EMERAUDE

La magistrature d'Emeraude comptait déjà deux victimes en deux jours. Miya Katsu se remettait lentement, tandis que Hida Shigeru en serait bon pour garder le lit jusqu'au surlendemain.
Hiruya accepta que Ryu retourne voir les yakuzas, avec l'argent qu'ils demandaient.
- Mais ils auront de mes nouvelles avant peu si les informations qu'ils ont à vous donner ne sont pas pertinentes !
Ryu s'inclina et retourna rue du Topaze. Elle se présenta devant le chef des Teinturiers en lançant une bourse pleine de beaux kokus sonnants et trébuchants, qui se répandirent à terre.
- Bien, très bien, fit le chef, pendant que ses acolytes ramassaient cette fortune. Alors sachez que nous nous sommes renseignés sur ce gros oiseau que vous cherchez. Et quand les Teinturiers cherchent, ils finissent par trouver.
- Vous m'en voyez ravie.
- Nous savons que dans la quartier du Petit Outremonde, un laveur de latrines a été assassiné, avant-hier et retrouvé le visage balafré.
- En quoi cette mort m'intéresserait-elle ? Ce n'est qu'un eta...
- Parce que ce laveur de latrines était celui qui s'occupait de la maison du cousin qui a brûlé chez le moutardier.
- Alors dans ce cas, oui. Je vais aller me renseigner. J'espère d'autres renseignements bientôt.
- Dès que nous les aurons, nous vous les donnerons, Dragon-sama.

Ryu se rendit dans ce quartier eta, situé au dehors des murs de la ville, au sud-est du quartier des pêcheurs. L'endroit sentait fort les excréments et pourtant, les bicoques n'étaient pas si misérables, pour un quartier de non-peuple. Les travailleurs du cuir, comme ils préféraient se nommer, recevaient en effet un impôt pour leur ramassage des ordures, depuis la fois où ils avaient cessé le travail suite à des actions d'un gouverneur contre eux. En quelques heures, la Cité des histoires s'était mise à puer si fort -puisqu'en cette matière, les différentes de statut dans l'Ordre Céleste n'entrent pas du tout en jeu - qu'on avait accorder des avantages princiers aux etas, par comparaison avec le sort de leurs semblables dans le reste de l'Empire.

Ryu passa voir le corps cet eta, appelé Denbe, qu'on allait brûler en fin de journée. Son corps était exposé chez lui. Notre enquêtrice vit aussitôt qu'on lui avait tranché la gorge. Mais il avait eu aussi le visage tailladé, sans doute par le même poignard. Et les entailles formaient la marque du Condor...
Ryu fit le tour du quartier, pour la procédurière enquête de voisinage. Elle apprit que Denbe, ces derniers jours, avait été suivi par un rônin appelé Mâchoire, réputé pour louer ses services comme garde du corps ou tueur à gages à quiconque pouvait payer, sans souci de son honneur. Ce Mâchoire avait forcé Denbe à boire longuement avec lui, dans un rade minable ; d'autres fois encore il l'avait simplement observé, du fond de la salle, d'un air goguenard ou bien avait tourné autour de sa maison, ou dans le quartier de la boucle du Chêne, quand Denbe allait travailler chez le cousin du moutardier.
Et depuis la mort de l'eta, Mâchoire avait disparu.

Samurai

Notre Mirumoto continua ses recherches pour mettre la main sur le rônin. A force d'écouter les uns et les autres, à patauger dans ce monde du non-peuple, de ces êtres insignifiants, sacrifiables, elle réussit à pister Mâchoire puis à le trouver, occupé à boire un mauvais alcool, au fond d'une gargote sordide, crasseuse, coincée au fond d'une impasse, dans un endroit où le soleil même se salit à venir.
Il pouvait avoir dépassé la quarantaine. Le menton balafré, tordu, les traits creusés, de grosses mains rudes auxquelles manquaient quelques phalanges, des morceaux d'armure prêts à tomber, c'était vraiment le samuraï sans maître ni honneur ni loyauté.
- Tu t'appelles Mâchoire ?
L'entrée de Ryu-san fit, une fois de plus, sensation : un magistrat d'Emeraude dans cet endroit, c'était un kami chez les Nezumi !
L'intéressé grogna quelques mots de sa voix pâteuse, alourdi par la boisson.
- Tu as entendu parler d'un nommé Denbe ?
Même réponse, par un vagissement ennuyé, vaguement agacé.
- Foutez-moi la paix !
Ryu s'approcha et posa la main sur son sabre.
- Tu l'a fréquenté de près, on m'a dit...
- Je connais pas ce type !...
- Les voisins t'ont vu boire avec lui pendant des heures...
- Et alors, quesse ça peut faire !... Je veux plus en entendre parler...
- Pourquoi tu es parti comme ça ?
- Foutez-moi la paix, j'ai rien à vous dire !
- ... Je crois que c'est parce que tu l'as tué. Lève-toi, je t'emmène au palais de la Magistrature d'Emeraude !
Machoire grogna plus fort et se leva, l'air très mauvais.
- Je vous suivrai nulle part j'ai dit !
Il avait crié.
Il avait l'air d'un vieil ours abruti par l'alcool ; la brute pas fréquentable, bornée.
- Je te conseille de me suivre gentiment.
- Je suivrai personne j'ai dit !
Il dégaina son sabre et le prit fermement en main, les genoux flageolants.
Ryu tira son katana et son wakisashi. Machoire gronda et se lança à l'attaque. Ryu para son attaque du wakisashi et répliqua de son autre sabre, mais le rônin avait vu venir le coup. Il dégagea son sabre, envoya un coup qui rata Ryu de peu. Celle-ci frappa et l'atteignit au visage, superficiellement. Machoire s'écroula tout seul, comme une barrique.
Il était ivre mort. Assommé, il se serait mis à ronfler si Ryu ne l'avait pas attrapé par le col, secoué et remis debout, en lui pointant sa lame sous le menton.
Elle fit appel à deux solides tanneurs pour ligoter le rônin.

Les deux gardes du Tonnerre en faction sur le pont du Dragon eurent la distraction de voir Mirumoto Ryu ressortir du Petit Outremonde, précédé d'un vieux samuraï crasseux.
- Tiens, mais qui voilà c'est Machoîre !
Une vieille connaissance apparemment. Le rônin grogna en passant devant les gardes, qui lui mirent un bon coup de manche de naginata sur le cassis pour lui apprendre à marcher droit et à s'incliner.
- Allez avance ! ordonna Ryu.

Samurai

Au palais, Miya Katsu avait demandé à parler à Hiruya et Ayame.
- Konnichi-wa, samuraï, toussotait le Magistrat, encore pâle, allongé sur son futon. Puisque je dois garder la chambre, j'en profite pour repenser à l'affaire qui nous occupe. Et regardez ceci...
Il se fit amener une boîte en satin, capitonnée, dans laquelle il conservait les sept poupées de Dajan et ses complices. De la plus grande à la plus petite, le serviteur les aligna :

1- La Folie pour Daidoji Unoko
2- La Lâcheté pour Kitsune Hamato
3- La Peur pour Toritaka Bonugi
4- Le Regret pour Bayushi Tomaru
5- La Haine pour Matsu Bashô
6- Le Désir pour Asako Nakiro
7- L'Orgueil pour Daidoji Dajan

- Si vous observez, samuraï, plus la poupée est petite, plus le complice à qui elle fut offerte était haut dans la hiérarchie du Condor, c'est à dire dangereux pour l'Empire.
- En effet, Katsu-sama.
- Unoko avait perdu l'esprit ; Hamato était un lâche ; Bonugi fréquentait les yoreï ; Tomaru était un général en disgrâce, mais valeureux combattant ; Bashô était le complice des démons qui ont enlevé votre senseï, Ayame, à la cour d'hiver ; Nakiro était un tsukaï et Dajan le maître Condor en personne.
Les samuraï acquiescèrent, sans comprendre où voulait en venir Katsu-sama.
- Observez plus attentivement les poupées de Bashô et Nakiro. Passez votre regard de l'une à l'autre.
Ayame et Hiruya les fixèrent quelques instants.
- Par Benten, murmura Hiruya, on dirait que... comment dire...
- On dirait bien qu'il y aurait de la place pour une autre entre les deux !
Ayame avait vu juste : Miya Katsu remboîta les poupées les unes dans les autres. Alors qu'elles entraient parfaitement dans la suivante, il y avait du jeu entre celle de Nakiro et de Bashô.
- Autrement dit, il n'y aurait pas sept mais bien huit poupées ! Et il nous manque dans ce cas la 6e poupée !
- Mais qui serait le possesseur de cette poupée !
- Le dernier membre du Condor encore en vie, dit Katsu après une violente quinte de toux. Celui qui trace sa marque dans cette ville et qui s'en est pris à la magistrature d'Emeraude !
- Un membre de la caste des samuraï de la Cité ?...
- Certainement, fit Katsu. Vous savez comme moi que Dajan a fait son temps dans cette ville, qu'il y a rencontré Bashô et Tomaru. Pourquoi pas quelqu'un d'autre ?... Le possesseur de la 6e poupée nous fait savoir qu'il ne nous craint pas et qu'il ne reculera devant rien.
- Nous le trouverons et nous le tuerons, jura Hiruya.
- Je sais que je peux compter sur vous, samuraï. Maintenant, écoutez ceci...
Nouvelle quinte de toux, puis Katsu pu parler distinctement.
- Ces poupées sont visiblement des objets gaijin. Je n'en ai jamais vu de telles à Rokugan. Et je sais qu'il existe, sur l'île de la Larme, un établissement, appelé la Maison des Histoires Etrangères, tenu par une gaijin appelée Magda. Montrez-lui ces poupées, elle pourra peut-être vous renseigner sur elles.
Les samuraï s'inclinèrent devant la sagesse et la perspicacité de Miya Katsu, puis se retirèrent pour le laisser prendre du repos.
- Continuez à vous renseigner dans les archives, Ayame-san, moi j'irai ce soir sur l'île de la Larme...
Privilège du rang, Kakita Hiruya se réservait la tâche la plus pénible : une nuit dans le monde flottant. Mais c'était pour les besoins de l'enquête...:roll:

Samurai

A la nuit tombée, Hiruya mettait pied sur la barque qui l'emmenait sur l'ïle de la Larme. L'imposant Portail, garde de l'entrée de ce monde à part, demandait avec une parfaite politesse s'il pouvait garder le sabre du magistrat. Les lumières rouges et bordeaux du monde flottant s'allumaient ; les maisons ouvraient leurs portes aux rideaux incarnats. Il y avait peu de monde ce soir. Mais cette île vivait à part : elle ignorait le rythme habituel de la Cité et du reste de l'Empire. Elle était comme un lointain pays, dédié aux plaisirs, plus lointain que les archipels tempêtueux du clan de la Mante

Et ce même soir, Ayame rejoignait la bibliothèque du palais, comme un oiseau son nid. Ikky savait qu'elle allait devoir veiller tard. Elle apportait maintenant systématiquement de la lecture : le plus souvent le Tao, ou bien des légendes épiques ou encore le Sabre de Kakita. Secrêtement, elle était jalouse des talents des membres de cette école et donc de Hiruya-sama. Elle voulait devenir maître dans l'art du iaijutsu, même si son école lui apprenait des techniques très différentes, consistant à défendre sa protégée. Ikky avait eu honte, pendant longtemps, de cette jalousie, qui la détournait de son devoir. Mais depuis qu'elle était passée à la cour d'hiver, qu'elle avait comme touché du doigt le vrai sens des mots jalousies, rivalités, vanités, orgueils, ambitions, elle avait compris qu'elle n'était pas si déviante que cela. L'art de Kakita, n'était-ce pas la pureté même, l'idéal du samuraï ? Quel mal y avait-il à suivre cette voie ?
Pendant qu'Ayame s'abandonnait aux royaumes des mystères occultes, Ikky veillait, patiente, déchiffrant patiemment la vie des samuraï et de leur art, dans le silence paisible et parfois inquiétants de la nuit.

Hiruya se fit conduire à la maison dite des histoires étrangères. Elle était en retrait de la grand'rue de l'île. Il comprenait qu'il ait pu ne pas la voir, les fois d'avant. Le bâtiment était bien dans ce style non conventionnel, en arabesques, lignes tordues, arrondis, au contraire de la pureté et de la droiture traditionnelle des bâtiments rokuganis.
L'accueil fut au moins aussi surprenant : une créature comme Hiruya n'en avait jamais vu. Grande comme un Crabe, mais fine, les cheveux dorés, la peau très blanche, les yeux bleus, un nez pointu, une poitrine généreuse ; un pantalon bouffant et une chemise fine ! D'où venait-elle !

- Bonjour, je me nomme Magda. Entrez bien vite.
Elle parlait avec moins d'accent qu'un Licorne, ce qui était encore plus bizarre. Une femme si surprenante, on se serait attendu à moins la comprendre qu'un esprit !
Hiruya s'inclina poliment, sans pouvoir cesser de la dévisager.
- Je suis honorée de recevoir le grand magistère émeraude de notre Cité.
L'intérieur était décoré à la façon Licorne, comme si on se trouvait dans la riche tente nomade d'un seigneur de la cavalerie de l'Ouest. L'illusion était parfaite : Hiruya se revoyait presque à Shiro Iuchi, dans les plaines battues par les vents sauvages.
Il s'assit sur un grand tapis, où de jolies musiciennes jouaient un air entraînant. Magda servit du saké à la mode Shinjo. Hiruya y fit honneur, surpris d'arriver dans ce pays étrange. Décidément, la Cité des mensonges était un monde à soi seul ou même plusieurs mondes ensembles !
- Que voulez-vous entendir, honorable magistère ?... Des légendes du mien pays ?
- Hé bien, oui, sourit notre héros.

A la bibliothèque, Ayame se fatiguait à chercher des documents en rapport avec Dajan. Elle baîllait, lassée de ne pas trouver. Un jour, il faudrait bien qu'elle aille voir dans les recoins cachés des étagères du palais Shosuro ! Rien qu'à penser à ce qui pouvait se cacher là-bas, elle en devenait fébrile. Par ailleurs, rien qu'à lire quelques documents cachés là-bas, on devait perdre assez d'honneur pour être méprisé par un tanneur de peau, mais le jeu en valait la chandelle !
Ayame se sentait rêveuse. Quand elle était à la cour d'hiver, elle rêvait de venir un jour à Ryoko Owari, et ça y est ! elle y était. Des trésors de secrets étaient à portée de main. C'était dit : elle ne partirait pas de la Cité avant d'avoir retourné le moindre rayonnage, découvert la date de la varicelle du gouverneur Hyobu et, si possible, s'il y avait bien une famille de ninjas à la tête du clan du Scorpion !

Ayame se frotta les yeux et reprit : allons, elle n'avait pas perdu son début de nuit. Un registre lui apprit le nom de plusieurs marchands ayant été patronné par Daidoji Dajan. L'occasion d'un interrogatoire de routine. Elle entendit alors un cri, venant des caves du palais. Oui, c'était Pitoyable, l'interrogateur eta, qui prenait soin du borné Machoire, invité à passer la nuit aux frais de la magistrature. En début de nuit, il n'avait rien voulu dire. Pas parlé à l'eta, pas touché, rien à voir dans l'histoire.
Hiruya-sama n'avait pas la patience d'entendre ça. Katsu-sama avait failli mourir empoisonné, alors des têtes allaient tomber !
- A demain matin, Machoire. Espérons que tu seras plus loquace.
Le sale ivrogne devait passer un sale moment, avec les pinces rougies de Pitoyable qui venaient lui triturer les tripes, le bout des doigts, sans parler des claques à répétition, des seaux d'eau, des coups portés par les assistants de Pitoyable, des immersions dans l'eau, des tabassages, des coups en dessous de la ceinture... Ah, le non-peuple avait le droit de s'en donner à coeur joie, en matière de cruauté et de se venger de n'être rien dans l'ordre céleste, sur ce déchu de la caste des samuraï !

- Allons dormir, finit par dire Ayame. Nous ne trouverons rien ce soir.
Ikky haussa les épaules et enroula le parchemin qu'elle lisait. Elle n'était pas mécontente de retrouver son futon, elle aussi.

Magda chanta les légendes des Sables Brûlants, au-delà de Rokugan, de ce pays brûlé par la déesse du soleil et transformé en un désert infini, où semble ne pouvoir vivre nulle créature.
- Mais qui voyage dans ce désert pendant vingt jours et vingt nuits, guidé par les étoiles et l'espoir de voir l'horizon changer enfin, trouvera la plus grande cité de l'univers, Medinat Al'Salaam la Merveilleuse, la Perle des Mille Peuples, la Cité Labyrinthique gouvernée par sa puissante Calife et ses serviteurs immortels dont le coeur fut arraché. Autour de la Cité vivent et combattent d'immenses armées, aussi nombreuses que les grains de sables, qui s'affrontent pendant des jours et des jours, sous l'oeil amusé du Calife et des nobles magiciens de sa cour. Plus loin encore, d'autres Empires se dressent, qui ont construit des temples astrals dont la pointe touche le ciel, et où dorment des divinités millénaires qui un jour se réveilleront et dévoreront leur peuple !

Magda ne manquait pas de talent pour décrire ces pays étranges, aussi imaginaires que réels. Il y avait bien longtemps que Hiruya ne s'était pas assis pour qu'on lui raconte des histoires. Après avoir bu et plaisanté, plié quelques origamis et écouté d'autres chansons, Hiruya sortit l'une des poupées de Dajan.
- Connais-tu cela Magda ?
La grande gaijin éclata d'un rire amusé. Une poupée pour enfant dans les mains d'un très sérieux magistrat d'Emeraude !
- Une poupée pour enfant ?
- Oui, on en vend dans le désertique dont je t'ai parlé par ma chanson. Les samuraï du Licorne en vendent parfois avec les leurs caravanes. J'en avais une comme celle-ça quand j'étais petite. Tu sais qu'elles sont à plusieurs ensembles et qu'elles se boîtent les unes dans les autres.
- Oui, je sais, je crois avoir les autres. Ou plutôt je pense qu'il m'en manque une. J'en ai sept mais je pense qu'il y en a une huitième.
- Huit, c'est un chiffre rare pour celles-là poupées. En généralement, on en trouve sept ou dix.
- Celui à qui elles ont appartenu avant était quelqu'un d'un peu... particulier. Tu en as déjà vu des comme ça ?
- Oui, ça c'est sûr ! Elles sont porteuses de bonheur : quand on les offre à son ami, on met un papier petit à l'intérieur pour souhaiter la Chance ou la Courage ou le Longue-Vie...
- Et tu me dis que les Licornes en vendent ?
- Oui à la porte de laquelle qui porte leur nom, en le nord-est de la Cité.
- Je vois, dis-moi, connaîtrais-tu ce poème ?

Hiruya sortit de sa manche un bout de parchemin, qu'il avait trouvé dans la dernière poupée, celle de Dajan. Magda le lut, amusée.
« Ma jolie poupée, j’ai enfermé en toi ma pensée de ce soir.
La ronde des lucioles sur l’eau
Danse, danse, danse
Danse toute la nuit
La lune veille sur nous
Tandis que le soleil dort »


- Oui, rit-elle, pendant que les autres filles riaient de la naïveté de ce petit texte mignon. C'est un comptine qu'on apprend dans les Sables Brûleurs et même chez les Yodataï, le peuple de d'où je viens.
- Sais-tu qui en est l'auteur ? demanda Hiruya, soudain aussi curieux qu'un Phénix.
- Oui, c'est la personne qui s'appelle la Novice, la célèbre Lena !
Hiruya écarquilla les yeux, ce qui fit éclater de rire les filles.
La Novice, c'était Ayame qui lui en avait parlé à la Cour d'Hiver.

- La prochaine fois que je viendrai, pourras-tu m'en chanter ?
Surprise, Magda que c'était promis, elle ferait plaisir au Magistrat en lui chantant ces berceuses pour enfants !

Hiruya but encore une coupe de sake, offrit une origami pour les chanteuses, ravies et émerveillées de ce beau cadeau puis, après avoir fait le joli coeur, notre magistrat remercia Magda pour cette inoubliable soirée. Outre qu'il en avait beaucoup appris, il avait vraiment passé un moment agréable.
La nuit n'était finie : il se rendit dans un établissement bien plus canaille, la Maison de l'Etoile du Matin, bien plus animée, où il trouva sans surprise Jocho, déjà bien imbibé, qui dansait dans une farandole titubante avec les geishas et riait aux éclats.
- Hiruya ! tu tombes à pic ! viens te joindre à nous !
Et les deux compères restèrent jusqu'à l'aube à boire, rire et danser comme des petits fous.
Quand ils repassèrent chez Portail, le matin, ils riaient encore comme des étudiants de dojo permissionnaires, s'envoyer forces tapes dans le dos et se promettaient de remettre ça bientôt.
Passé le lac et de retour dans la Cité, ils avaient repris leur visage de magistrats et se saluèrent poliment et élégamment, malgré le tetsubo d'acier qu'ils avaient dans la tête !

Samurai


De bon matin, Mirumoto Ryu avait fait ses exercices au dojo de Kitsuki Jotomon puis était repartie enquêter rue de la Moutarde, selon les instructions laissées par Hiruya-sama qui, à cette heure-ci, dormait à poings fermés.
D'ailleurs, la veille, le Magistrat avait ordonné à Ryu et à Shigeru de rendre compte désormais à Ayame, qui serait leur supérieure et qui viendrait, elle, lui rendre compte, seule. Ainsi Hiruya évitait-il de multiplier les contacts avec Ryu-san, jamais à l'abri d'une maladresse ou d'une belle gaffe en société.
Il n'allait pas regretter cette décision, et tant pis pour la pauvre Ayame !

Rue de la Moutarde, Ryu recueillit les confidences d'un délateur, qui lui signala que les entrepôts visités par la Magistrature se trouvaient à côté de la maison du cousin, pêcheur de la Coopérative du Chêne. Selon le moutardier, le cousin en question travaillai avec sa coopérative et venait donner un coup de main régulièrement dans l'échoppe. Cette fois-là, il avait eu à vérifier l'état de la réserve de bois. Or, l'incendie s'était déclaré à ce moment, si rapide qu'il y était resté. Qui plus est, l'endroit sentait encore l'huile de roche, produit hautement inflammable. Et l'entrepôt secret, qui menait par le passage souterrain directement chez le moutardier, sentait aussi l'huile de roche !

Le cousin passe par l'entrepôt, puis le passage, arrose la réserve de bois d'huile, y met le feu et se retrouve bloqué dans les flammes qui se propagent partout. Une poutre lui tombe dessus, l'assomme et il y reste. Ou bien encore il avait pour mission d'y rester... Et c'est la secte du Condor qui est derrière cet incendie : comme la maison de Kuni Isao est taboue (son propriétaire s'y est pendu et on croit que des démons y rôdent), personne ne voudra y pénétrer pour la brûler. Donc l'échoppe du moutardier est mieux indiquée, car le vent qui souffle de la baie propage à tous les coups l'incendie vers la maison du Crabe.
Ryu se rendit chez le cousin, dont la petite famille, endeuillée, vivait sur le port. Des mouettes voletaient ici et là, poussant leurs grands cris, à l'heure où les hommes revenaient de la pêche et leur jetait des morceaux de poisson. Le cousin avait une femme et deux fils et tous pleuraient sa mort. Ryu interrogea quelques pêcheurs, qui dirent combien ils regrettaient la mort de ce brave gaillard, honnête, courageux, qui allait bien manquer à la coopérative.

Notre enquêtrice passa la baie par le pont nord et, dans le quartier des marchands, retourna voir le syndicat des Teinturiers.
- Nous avons du nouveau pour vous, honorable magistrate.
- Je vous écoute.
- Nous nous sommes renseignés sur le moutardier et sa famille.
- Ah, je reviens de chez son cousin...
- Précisément, Dragon-sama. Nous savons deux choses : le corps du cousin a été emmené hier au palais Shosuro, où le magistrat Yogo Osako-sama désire l'examiner. Et deuxiémement, ce cousin avait des dettes. Il était joueur. Il avait reçu la visite, deux jours avant l'incendie, des hommes de mains du lieu.
- Il devait beaucoup d'argent ?
- Sans doute, oui.
- Où est cette maison de jeu ?

Elle se trouvait rue de l'Ambre, à deux pas de là.

Samurai

Tard dans la mâtinée, Hiruya se réveilla, à l'heure où les deux shugenja, Yogo Osako et Iuchi Sadako, quittaient Miya Katsu, qui était en bonne voie de guérison.
Hiruya fit appeler Ayame et lui parla de sa nuit à la Maison des Histoires Etrangères. Il lui montra le papier, qui intrigua Ayame, car elle avait déjà lu quelque chose de semblable, mais eut sur l'instant un trou de mémoire.
- De qui est ce poème ? dit-elle, impatiente.
- De la Novice, sourit Hiruya.
Ayame faillit se frapper le front. Mais bien sûr !
Comment avait-elle pu l'oublier !
Ayame en avait entendu parler pour la première fois à son retour chez elle, après Inchu, quand Kitsuki Hanbeï lui avait dit qu'on avait retrouvé des poèmes maudits de cette Novice. L'inquisiteur pensait que c'était la Grue Noire qui les semait là où ils passaient, sur les terres du Dragon.
A l'origine, ces textes étaient impies, blasphématoires mais avec le temps, seuls les versions épurées avaient subsisté. Des poèmes interdits dits des Hurlements de la Novice Folle n'était resté, avec le temps, que des comptines bien innocentes.
Et notre shugenja avait lu au palais du Chêne Pâle un poème similaire de cette même Novice :

« Ma jolie poupée, j’ai enfermé en toi ma pensée de ce soir.

Tant de secrets, et tant de mensonges ; un mensonge après l’autre, un secret en recouvre un autre.

Après avoir bien cherché, j’ai surpris une petite vérité, la plus vieille et la plus petite de toutes…
Il n’y a pas de vérité, juste des grands et des petits mensonges… »


Et ce poème semblait faire écho aux aphorismes sur le mensonge de Bayushi Tangen 2e du nom. Ayame jubilait intérieurement : la piste de la Novice, oubliée depuis plusieurs mois, s'ouvrait à nouveau ! Et qui disait Novice et Tangen disait aussi... Gozoku !
Il est vrai que le senseï Kanera lui avait fortement déconseillé de se lancer dans de telles recherches. Mais il l'avait interdit à la shugenja Phénix. Maintenant qu'Ayame était magistrat d'Emeraude assistant, c'était bien différent !
Elle suggéra à Hiruya, content d'en imposer à sa turbulente shugenja, qu'elle serait bien intéressée par une visite à cette Magda. Hiruya répondit que ce serait peut-être possible.
Ayame sourit poliment, pour mieux dissimuler que dans ces moments-là, elle aurait bien aimé étrangler ce Grue odieux !
- J'aimerais, dit-elle, me rendre au palais Shosuro, pour y examiner les plans de la ville. Ceux de la rue de la Moutarde en particulier. Le magistrat Yogo Osako m'a affirmé qu'elle me guiderait jusqu'à leurs registres communaux.
- Entendu, dit Hiruya.

Samurai

La maison de jeu était noire de monde. Les croupiers, torse nu, en tailleur, lançaient les dés et les recouvraient de leur godet, avant de crier qu'il fallait miser et les joueurs, agenouillés de l'autre côté de la table, braillards, énervés, passionnés, posaient leur mise. Et les cris de desespoir se mêlaient aux cris de victoires, et le coup d'après, les mêmes qui venaient de remporter la mise la perdaient à nouveau.
Mirumoto Ryu entra, jeta un oeil à la salle, puis se fit conduire chez le patron.
C'était un petit homme gras, avec une longue cicatrice dans le cou, qui avait dû faire son temps dans les combats entre bandes yakuzas.
- Je viens vous voir au sujet d'une personne qui fréquente votre établissement.
- Je ne les connais pas tous, honorable Magistrate, mais je ferai de mon mieux pour vous renseigner.
- C'était un pêcheur, quelqu'un de costaud, qui a brûlé dans l'incendie de la rue de la Moutarde.
- Quel malheur, fit le patron, d'un air qui ne cachait pas qu'il s'en fichait profondément.
- J'aimerais savoir s'il avait des dettes chez vous.
Un des acolytes murmura quelques mots à l'oreille du patron.
- Oui, il en avait, honorable magistrate.
- Pour combien ?
- Presque un demi-koku.
- C'est une forte somme.
- Oui, en effet. Et nous lui avions envoyé un avertissement hum amical. En particulier, je lui avais interdit de revenir jouer avant qu'il n'ait épongé au moins la moitié de sa dette.
- Pouvez-vous m'en dire plus sur lui ?
- A vrai dire, non, honorable magistrate. Je connais la plupart des joueurs seulement par leur niveau d'endettement. Je ne me mêle pas à eux, en règle général.
- Alors je compte sur vous pour m'en apprendre plus la prochaine fois !
Le petit homme sentit la sueur perler à son front.
- Co... comment ça, vous en apprendre plus ?
- Je tiens à en apprendre plus sur ce cousin et je requiers votre collaboration !
- Ma collaboration !
Le patron faillit s'étrangler.
- Mais je ne suis en aucun cas...
- Vous avez intérêt à m'en dire plus la prochaine fois, fit Ryu avec un ton de forte insinuation.
Elle se leva et sortit de la pièce. Le patron la suivit, suppliant, pret à se jeter à ses pieds :
- Mais enfin, Dragon-sama ! C'est un pêcheur, nous sommes dans le quartier marchand et je n'ai pas les moyens de me renseigner sur lui comme ça !
- Je reviendrai vous voir et alors...
- Mais dans combien de temps !
- Disons dans deux jours...

Et notre Dragon s'en alla, comme si de rien n'était.

Samurai

Le résultat ne se fit pas attendre.
D'abord, Ayame apprit de la bouche de Ryu les résultats de ses investigations du jour : pourquoi le cousin était peut-être bien le coupable de l'incendie, ses dettes de jeu et son cadavre que le magistrat Yogo Osako avait fait mener au palais Shosuro.
- Intéressant, dit Ayame, qui ne pouvait jamais se retenir d'être nerveuse quand elle entendait Ryu parler de ses "exploits", mais cette histoire avec le patron est un peu gênante... Il n'appartient pas à ce genre de personnes de nous assister dans notre enquête.
- Il nous donnera quelques indices, c'est tout.
Dans ces moments-là, Ryu-san affichait une certitude fière et bornée, imperméable aux critiques.
Ayame-san soupira et lui donna congé. Restée avec Ikky, elle secoua la tête, consternée, autant que sa yojimbo.
Hiruya, qui se trouvait dans la pièce à côté, séparée de celle des deux Phénix par une mince cloison, avait tout entendu. Et il jubilait à son tour : oui, il avait bien été inspiré, par Benten, de nommer Ayame supérieure directe de Ryu !
- Kakita Hiruya, tu es vraiment admirable !
Puis, l'air de rien, il retourna voir les deux Phénix :
- Venez, nous allons rendre visite à Machoire. Il doit être cuit à point maintenant.
Le rônin avait passé la nuit et la mâtinée entre les mains de Pitoyable et ses hommes. Battu, frappé, torturé pendant des heures et des heures, il en était réduit à l'état de chiffe molle.
- Alors, fit Hiruya, impatient et méprisant, je pense que tu as plus de choses à nous dire maintenant...
- Je pense qu'il sera plus loquace, fit doucement Pitoyable.
- Oh ça va hein ! grogna Machoire. C'était pas la peine de tout ce raffût pour en arriver là !... Alors je vous le dis : non c'est pas moi qui l'ai tué, cet eta de merde ! mais c'est vrai qu'on m'avait dit d'aller boire avec lui ! de le fréquenter, d'être son pote, même contre son gré !... On m'avait dit que j'aurai crédit illimité pour lui payer des coups ! Et quand il s'est fait trucider, je me suis dit Machoire tu t'es fait roulé, on va t'accuser le premier !
- Et tu ne savais pas qu'on avait l'intention de le tuer ?
- Mais pas du tout ! enfin quoi c'est qu'un laveur de chiottes !
- Ce n'est pas toi qui l'as tué ?
- Non je vous dis ! On m'a juste collé ça sur le dos parce que j'ai une sale réputation.
- Et qui t'as demandé d'aller boire avec cet eta ?
- Une certaine bonne femme, la veuve Mayo !
- "La veuve Mayo" ?
- Elle habite au sud de la ville. On la dit un peu sorcière.
- Un peu sorcière... Et tu sais où elle habite précisément ?
- Ah ça non je sais pas et je veux pas le savoir !
- Il n'a rien dit d'autre, dit Hiruya à Pitoyable.
- Non seigneur.
Le magistrat se leva.
- Ca va, tu peux t'en aller. Mais si tu te fais encore remarquer, tu finiras au bout d'une corde !
Les eta raccompagnèrent Mâchoire à la porte, pendant que Hiruya distribuait ses ordres, y compris au Crabe, remis sur pied et impatient d'aller se dégourdir les jambes.
- Ryu et Shigeru, vous vous renseignez sur cette veuve Mayo et vous me la trouvez. Ayame et Ikky, vous allez au palais Shosuro et vous vous renseignez sur les poupées. Quant à moi, je vais voir les gens de mon clan pour me renseigner sur Dajan.

Les samuraï saluèrent et, après un court repas, partirent aux quatre coins de la Cité.

A suivre...Samurai
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