26-10-2006, 07:24 PM
(This post was last modified: 27-10-2006, 02:54 PM by Darth Nico.)
CHRONIQUES DE L'EMPIRE D'EMERAUDE
<span style="color:blue">La 5e Réincarnation : 21e Episode</span><!--/sizec-->
Boeuf 1127
Les otages du Gouverneur<!--/sizec-->
1ere partie : La quête de l'Epée de cristal<!--sizec--><!--/sizec-->

<span style="color:blue">La 5e Réincarnation : 21e Episode</span><!--/sizec-->
Boeuf 1127
Les otages du Gouverneur<!--/sizec-->
1ere partie : La quête de l'Epée de cristal<!--sizec--><!--/sizec-->

Hiruya entra, seul, dans la grande salle noire qui se trouvait au fond de la grotte. Des piliers de bois, avec des torches accrochées dessus. Un pesant silence, de recueillement, profond comme dans les grands temples des Fortunes les plus colériques de Rokugan. Un silence menaçant.
Hiruya savait qu'il n'était pas seul. Il avait la main sur la garde de son katana.
Et il avança vers le fond de la pièce, tandis que ses instincts de guerrier lui hurlaient de faire demi-tour. Il y avait un prédateur tapi au fond. Un être prêt à l'attaquer au moment où il s'y attendrait le moins. Un de ces monstres qui peuplent les récits d'enfance des grands-mères. Mais Hiruya savait qu'ils peuplaient aussi le monde réel. Il fit encore quelques pas. Il entendit des pas, juste à côté de lui et vit une silhouette disparaître derrière un pilier.
Il n'avait pas dégainé. Mais il n'allait pas tarder.
Hiruya était seul, bel et bien seul. Et il eut alors cette pensée, pensée toute simple, simple comme un enseignement de Shinsei, simple comme les proverbes immémoriaux... simple comme le mouvement de la vague éphémère sur l'océan ... pensée à la fois magique et pleine de bon sens :
- De toute façon, si Ryu était là, ça irait plus mal !...

Estourbi par sa chute, notre Magistrat s'était relevé au pied des falaises de granit rose, à quelques pas de la grotte. Il avait rencontré Kakita Kagetoki.
Dès le début de son voyage. Et les deux hommes, après les présentations rituelles, avaient discuté.
Cinq ans que Kagetoki-senseï avait quitté Rokugan ! Cinq ans d'exil !...
- Où sommes-nous ?
- Nous ne sommes plus dans l'Empire d'Emeraude, Magistrat-sama, c'est certain. Mais pas non plus dans le monde de Sakkaku. Nous sommes quelque part entre les deux.
Hiruya peinait à comprendre. Il savait seulement que Shinomen Mori était inacessible. Mais pour le moment, il ne pensait pas au retour. Il parla à Kagatoki de sa quête.
- Par Benten, l'Epée de Cristal ! Mais je ne l'ai plus, honorable Magistrat ! Je l'ai perdue... Et peu à peu, j'ai abandonné l'idée de revenir à Rokugan, fidèle à mon serment.
Pour un homme qui avait habité cinq ans dans un endroit perdu, loin des cours raffinées, il n'était pas devenu trop brutal. A peine quelques négligences, quelques gestes trop rudes, quelques petits oublis de l'étiquette, mais pas la bête brute qu'on aurait pu s'attendre à rencontrer. Il y avait tant de rônins, déchus récemment qui devenaient de véritables sauvages au bout de quelques mois passés sur les routes. Ce qui prouvait que les bonnes manières Grues pouvaient aider un samuraï aux abois à lutter contre la déchéance. Non l'honneur n'était donc pas un vain mot ! Kagetoki-senseï en était la preuve. Il aurait fait honte à bien des courtisans hypocrites, mal éduqués, qui avaient néanmoins leurs entrées dans les quartiers centraux d'Otosan Uchi.
- Non je n'ai plus l'Epée... Moi aussi je me suis aventuré dans Sakkaku, à la poursuite du Kenku qui me l'avait dérobée. Mais ma quête n'avait plus de fin, et j'ai cru devenir fou parmi ces créatures qui n'ont ni honneur ni langage comme nous. J'ai trouvé refuge ici, où la solitude me pèse moins que la fréquentation de ces saletés de créatures qui me prenaient pour un semblable, alors qu'elles n'appartiennent pas plus à l'Ordre Céleste que le dernier des bouchers de Rokugan !
- Kagetoki-senseï, j'ai besoin de cette Epée. Un grand danger pèse sur notre Empire...
Et par ces paroles, Hiruya reprochait implicitement au senseï d'avoir abandonné sa recherche.
- Je comprends, Hiruya-san. Tu es un homme d'honneur et je crois que j'ai oublié ce que signifiait ce mot depuis trop de temps. Puisque tu es venu pour moi, je ne peux pas refuser de repartir avec toi. Mais encore faut-il que tu puisses entrer dans Sakkaku...
- Que faut-il faire ?
Kagetoki s'était levé en soupirant.
- Va au fond de cette grotte. Il s'y trouve une pièce imprégnée d'une magie dont j'ignore tout. Là-bas se trouve l'entrée du monde des Kenkus. Si tu parviens à y entrer, je le saurai et tu me retrouveras de l'autre coté... Mais si tu n'y parviens pas...
- Alors quoi ?...
- Alors l'Epée sera perdue pour de bon...
Hiruya était parti aussitôt, pendant que Kagetoki se grattait la nuque, dubitatif. Mais déjà il sentait la vaillance et le dévouement du samuraï reprendre sens pour lui. Et si c'était sa chance ?...

Hiruya distinguait nettement des pas. On courait autour de lui, entre les piliers. Il avança vers le fond de la pièce, où il vit des mannequins en bois, habillés de grands kimonos et de masques à longs becs. Ces fantôches semblaient l'observer attentivement. Notre héros s'approcha. Il sentait que ces êtres inertes pouvaient prendre vie brusquement.
On continuait à trotter, à quelques pas de lui. Hiruya se posa sur ses deux pieds, fermement et attendit. Il ferma les yeux et ne se fia qu'à son ouïe. A elle et à l'intuition du guerrier, qui anticipe la frappe de son adversaire avant même qu'il ne la lance. Il entendit la lame de son ennemi sortir du fourreau : il était prêt. Il pivota sur un pied, évita le coup qui trancha un pilier et répliqua d'une attaque fulgurante : il désarma son adversaire d'un mouvement absolument parfait. Les lames tintèrent en se heurtant et le katana s'envola. Hiruya pointa le bout de sa lame sous le bec de son ennemi : le Kenku qui l'avait attiré au bord de la falaise.
Le gros oiseau suait dans son kimono et vit son sabre, planté à terre à plusieurs mètres de lui. Hiruya vit une grosse boule d'inquiétude descendre dans sa gorge.
- Voudrais-tu m'indiquer le chemin qui mène dans ton monde, s'il te plait, kenku-san ?
Et, bizarrement, il savait qu'il serait compris, tant un sabre bien aiguisé peut délier les langues !
Timidement, le Kenku pointa de son bras - aile vers le fond de la pièce un des mannequins.
- Je te remercie.
Il rengaina en souriant et alla à l'endroit indiqué. Le Kenku était bien dépité. Il n'osait ramasser son sabre.
Notre Magistrat approcha du mannequin. Il enfila le masque et le grand kimono par-dessus le sien. Un cercle de lumière se forma autour de lui et se mit à tourner très vite. Les autres mannequins s'animèrent, se changèrent en kenkus vivants, qui glapirent, croassèrent et forment une ronde folle, une farandole étourdissante.
Hiruya sentit le sol se dérober sous ses pieds et il perdit à nouveau connaissance, entraîné dans un grand trou lumineux, éblouissant.
Quand il se réveilla, il se trouvait au coeur d'une forêt d'arbres aux feuillages bleus, assis parmi les buissons. La tête lui tournait.
Il entendit venir du monde sur le chemin, en contrebas.
C'était une bande de kenkus, aux plumages bleu et noir, qui allaient du même pas. Ils aperçurent Hiruya et l'invitèrent à se joindre à eux. Et notre héros comprenait ce qu'ils disaient ! Ils ne remuaient pas le bec mais il les comprenait, il entendait leur voix dans sa tête !
Et il s'aperçut qu'à leurs yeux, il passait pour un vrai Kenku ! Le masque et le kimono créaient une illusion parfaite.
- Comment te nommes-tu, donc ?
- Hiruya !
- Tu nous sembles perdu. Nous allons au château de Heaguleus ! Je suppose que toi aussi, alors suis-nous !
- Bien sûr, répondit avec l'aplomb menteur d'un courtisan notre héros.
Et le voilà parti, en cette plumesque compagnie, vers un endroit inconnu, où il espère bien retrouver Kagetoki !

Les Kenkus sont de bien sympathiques personnages, qui font des plaisanteries entre eux, qui blaguent les gros oeufs à pois que pond la femme de l'un d'eux, ou les nids carrés de la femme de l'autre ou bien encore le bec tordu d'un troisième, depuis qu'il s'est cogné à un sequoia !
Après une petite heure de marche, durant laquelle Hiruya conserve le silence en s'efforçant de rire au bon moment, tout en découvrant la campagne environnante, la troupe sort du bois et arrive en haut d'une grande falaise qui se dresse devant une grande vallée où le soleil se couche paisiblement, dans l'air paisible du soir et les nuages rêveurs, par dessus les torrents qui chantent en dégringolant des sommets.
Au loin, très loin, on distingue un orgueilleux château, perché dans la montagne nu, hérissé de tours aux sommets desquels claquent des drapeaux bleu et or. Les Kenkus battent des ailes, toussotent, s'ébrouent, claquent du bec et s'élancent dans le vide !
Affolé, Hiruya n'a pas pu suivre le mouvement ! Il reste au bord du vide cette fois, sûr que s'il n'arrive pas à battre des ailes, il ne se réveillera pas ailleurs que dans le pays des Ancêtres !
Les autres, étonnés, le regardent hésiter et tournoient en l'attendant. Hiruya respire un grand coup, s'agite, prend encore une inspiration, tente quelques battements d'ailes et voit qu'il arrive à décoller timidement du sol !
Dans aucun dojo on ne l'a prévenu que l'honneur exigeait parfois d'en arriver à une telle situation ! Il n'ose pas imaginer ce qui se passerait si Ayame le découvrait dans cette situation. Toute la vallée retentirait de son rire et Hiruya ne s'en remettrait jamais !
Après un timide envol, voyant que ses compèrent s'impatientent, Hiruya décide de se lancer dans le grand saut !
Terreur : il part en chute libre, avalé par les vents tourbillonnants et il voit le sol s'approcher à la vitesse d'un cheval au galop ! Il bat des ailes, bat, bat, bat et enfin l'inespéré se produit : il se sent porté par la puissance de ses ailes et remonte joyeusement dans les airs ! Quelle euphorie ! Un des rêves des hommes se réalise ! Il pourrait s'amuser comme un gosse, dans ce monde fou, mais il n'est pas temps : il rejoint le groupe des Kenkus et tous ensemble se laissent porter, sur les ailes du vent, jusqu'au grand château.
D'autres groupes, venus des quatre coins du ciel, arrivent eux aussi dans la cour. Là, c'est l'agitation des retrouvailles, une vraie basse-cour malgré la noblesse supposée des invités !
Dans les tours retentissent les cuivres chaque fois qu'une délégation atterrit. Parmi le brouhaha enjoué de la foule, Hiruya se sent bien seul. Il croit comprendre que la situation est périlleuse, malgré la bonne humeur des gens du lieu. On se serre dans les ailes, on se rentre dans les plumes, on caquète, on becquète, on volette et on se tape sur les cuisses en se racontant des farces et blagues pas croyables !
En écoutant les conversations, Hiruya tâche de se fondre entre les groupes, de s'agiter pour paraître occupé. Il comprend que les nations Kenkus s'unissent aujourd'hui, dans le château du roi Haeguleus, pour combattre les Seigneurs des Hautes Montagnes, de terribles Hommes-Bêtes menés par un démon du nom d'Hanuman. Hiruya imagine qu'ils doivent être des sortes de primates, de gros gorilles brutaux, comme des Crabes décérébrés par l'Outremonde en somme !
Des trompettes sonnent alors et des serviteurs en livrée prient les nobles seigneurs de se rendre dans la salle de réception royale. Toujours pas de Kagetoki !
On se presse pour être en bonne position dans la grande salle, pour être aperçu du roi ! Celui-ci arrive enfin, avec le retard qu'autorise sa fonction, au milieu d'une foule agitée, où les plumes volent en tous sens. Le silence se fait quand les soldats, de cérémonieux gypaètes barbus, viennent se poster dans la salle en criant le nom du roi.
Entre alors Haeguleus, un bel aigle grisonnant, suivi de son chambellan faucon à l'air redoutable. Hiruya s'est mis en retrait de la foule, pour ne heurter personne et ne pas se faire remarquer. Quelqu'un lui tire alors le kimono : c'est Kagetoki !
- Il était temps que nous nous retrouvions, souffle le senseï.
- Où étiez-vous passé ?
- J'ai été enchanté par un mujina !... mais me voilà !
Hiruya ignore ce qu'est un mujina, ignore si Kagetoki plaisante et ne veut pas le savoir. L'essentiel est qu'il soit là !
- Où est l'Epée ?
- Mais je ne l'ai plus, souffle Kagetoki. En revanche, je sais un peu où elle est : elle a été dérobée par un des lieutenants d'Hanuman, un Kenku traître !
- Alors nous irons la chercher là où il habite, ce traître !
A ce moment, le roi Haeguleus demande des volontaire pour partir en éclaireurs observer les positions de l'armée ennemie. Hiruya s'avance, fend la foule et se présente devant le roi, avec un enthousiasme de jeune homme qui ne doute de rien, et que sa vie de magistrat aux lourdes responsabilités lui avait fait un peu oublier...
- Je suis volontaire, seigneur.
On admire par des murmures l'audace de ce jeune seigneur que personne ne connaît. "Le seigneur Hiruya"... mais d'où vient-il avec un nom pareil ?
Le roi le félicite.
Kagetoki le suit de près et d'autres encore s'avancent. Au total, une dizaine de guerriers, qui vont partir en mission contre les Hommes-Bêtes de Hanuman !

Les volontaires partent dès le lendemain, avec des instructions très précises des éperviers conseillers du roi. Ils emportent des cartes des régions environnant la vallée, qu'ils devront compléter aussi précisément que possible, dès qu'ils auront surpris les infiltrations des barbares de Hanuman.
Le groupe s'envole de bon matin, dans le soleil de fin d'aurore, par-dessus monts et vallées, pour un voyage au plus près des nuages.
Après une demi-journée de vol, alors que le soleil commence à décliner, le chef du groupe, Hetryus, un solide gros condor au teint rougeaud, aperçoit un groupe de barbares : vêtus de peaux de bêtes et de morceaux d'armures de plates, dont des casques cornus, portant une double-hache dans leur dos et tout un attirail à la ceinture, ils sont montés sur de grosses montures à six pattes crochues. Hetryus considère que ce groupe est repéré et qu'il faut le signaler sur la carte, avant de trouver le camp d'où ils viennent. Hiruya suggère alors que ce n'est pas le tout de les repérer : ils restent des ennemis !
Un jeune faucon, vif et nerveux, approuve, pendant que Kagetoki se demande dans quoi Hiruya les emmène !
Le gros Hetryus, qui ne refuse pas la guerre quand elle se fait contre les guerriers de Hanuman, ordonne de passer à l'attaque !
- Formation en piqué ! sortez vos sabres !
Tous obéissent et plongent, mais Hiruya a gardé son katana au fourreau !
Les Hommes-Bêtes ont vu venir leurs agresseurs. Ils sont une dizaine et ont le temps de décocher quelques flèches, avant que griffes, serres et sabres ne s'abattent sur eux. Hiruya passe en rase-motte et d'un coup de iaijutsu décapite son adversaire. Kagetoki se précipite sur un autre, le désarçonne, atterrit et attend qu'il se soit relevé pour l'achever. Les autres n'obéissent pas à un tel code de l'honneur et frappent dans le dos, aux jambes et tuent les montures d'abord.
En quelques instants, le combat est réglé. Les Hommes-Bêtes gisent à terre et on les achève.
- C'est ce qu'on appelle une reconnaissance en force, conclut Hiruya, approuvé par tous.
Au moment de repartir, Hiruya ne parvient pas à s'arracher au sol. Grâce à son art accompli de courtisan, il parvient à berner son monde (sauf Kagetoki) en disant qu'il a cru apercevoir une autre troupe approché. Mais non, ce n'est qu'un nuage de poussière sur un plateau rocheux.:P
Mais l'un des leurs est morts, et ils ont dû l'enterrer rapidement. Et ils ont volontairement laissé un des Hommes-Bêtes en vie : ils se mettent à deux pour l'arracher de terre et quand ils ont bien pris de la hauteur, la brute est bien obligée de parler si elle ne veut pas aller s'écraser à terre !
- Tu vas nous dire où se trouve le gros de ton armée ! tonne le gros Hetryus.
Le serviteur de Hanuman est bien obligé de parler. On le dépose et on le laisse s'enfuir, seul, au milieu de la solitude immense de la vallée. Les bêtes féroces auront bientôt raison de lui.
Sur ses indications, ils retrouvent, deux cols plus loin, une armée en manoeuvre pour gravir un sentier escarpé. Une armée légère, d'éclaireurs. Peu de cavaliers et de ravitaillement : des hommes qui avancent à marche forcée. A ce moment, Kagetoki, qui est un peu connu chez les Kenkus (et qu'on prend pour un seigneur exilé de chez lui), demande la permission à Hetryus de se séparer du groupe. Il semble que le gros condor ait une petite dette envers le senseï car il lui donne l'autorisation.
- Nous serons bientôt de retour, promet Kagetoki.
Pendant ce temps, Hetryus va emmener son groupe survoler cette armée et repérer son arrière-garde. Et Kagetoki promet de ramener bientôt les informations au château d'Haeguleus.
- Où allons-nous, demande Hiruya.
- Nous allons chez une vieille connaissance, dit Kagetoki en prenant de la hauteur. Un des principaux seigneurs de ce monde, le Baron Ko-Te-Chu, qui habite au sommet de l'Impassible Montagne d'Emeraude des Nuages Eternels.
- Rien que ça !...
- Ah mais, ce n'est pas n'importe qui le Baron Ko-Te-Chu, tu vas t'en apercevoir, honorable Magistrat !

L'Impassible Montagne d'Emeraude des Nuages Eternels (IMENE) est la plus haute que Hiruya ait connu de sa vie ! Elle dépasse sans doute les plus hauts sommets des terres du clan du Dragon et il semble que les pics aux neiges éternelles touche le soleil et perce les étoiles qui brillent en permanence dans ce ciel qui noircit déjà, et où flotte en permanence la lune.
Pour arriver au palais du Baron, il faut laisser loin en-dessous de soi les toits du monde et arriver enfin dans une région mi-terrestre, mi-céleste, où l'on ne sait plus si on marche sur des cailloux ou des chemins de poussière d'étoiles. Le palais d'ivoire, d'or, d'emeraude, de jade, de jais et de diamants du Baron est bien plus imposant qu'Otosan Uchi et ressemble à une capitale de province du ciel.
Les deux samuraï se posent au pied d'un gigantesque escalier qui semble mener en haut de l'Ordre Céleste, au paradis de dame Soleil, dont les marches sont en marbre et dont l'entrée est gardée par deux gardiens haut près de quatre mètres, à quatre bras et six jambes, protégés par des armures améthystes et rubis, armés de lances assez grandes pour empaler un régiment entier !
Leur voix gronde comme le tonnerre :
- Qui êtes-vous ?...
Kagetoki se présente et dit qu'il souhaite pour son ami Hiruya une entrevue avec le Baron Ko-Te-Chu. Les Gardes grondent, se penchent et grincent pour examiner le petit personnage qui se présente à eux. S'ils le veulent, ils peuvent l'écraser comme un insecte et son sabre n'est pour eux qu'une épine. L'un des soldats dit alors à Hiruya de le suivre. Il déploie deux grandes paires d'ailes d'acier et s'envole dans le ciel nimbé de nuages presque invisibles, dans la lumière du soir qui brille sur les tours luisantes du palais, et déjà la nuit tombe sur le monde.
En approchant du palais, qui est taillé pour abriter un géant, Hiruya entend des éclats de gros rires, des bruits digestifs, des chants paillards : on tient un plantureux banquet dans ce palais !
Effectivement, le Baron Ko-Te-Chu célèbre ce soir une petite fête entre intimes (guère plus de trois cents invités). Hiruya arrive parmi ces invités de toutes races, de toutes espèces, qui vont du plus petit au plus grand, et qui semblent venus d'une dizaine de mondes étranges et différents.
Le maître des lieux lui-même mesure plus de trois mètres de haut et le tour de son ventre ne se ferait pas en moins d'une journée ! Il engloutit des quantités astronomiques de nourritures avec forces bruits de succion, déglutition, renvois, pourléchement de babines, mastiquacations forcenées, le tout se passant dans ce petit palais qu'est sa grosse bouche qui ressemble à un enfer alimentaire !
Le garde s'est posé en pleine salle de réception et tous les invités braquent leurs regards sur Hiruya qui, comme à son habitude, ne doute de rien. Simplement, désormais, il trouvera les Licornes plutôt civilisés !
- Salutations à toi, Baron Ko-Te-Chu... Mon nom est Hiruya. Je suppose que cela ne te dira rien...
Et à ce moment, notre héros essaye de ne pas penser au fait qu'il pourrait finir comme énième apéritif du Baron, écrasé entre deux grosses dents jaunes et cariées !
- Je viens de la part de mon ami Kagetoki que tu connais un peu.
A ce moment, les centaines de muscles énormes et puissants du visage du Baron se mettent en action, se plissent, comme une mer houleuse, et son visage se renfrogne, exprime une sombre méfiance à entendre ce nom. Les invités se sont tus, se sont même arrêtés au milieu d'une bouchée.
- Et que me veut donc Kagetoki ? gronde le Baron.
- Il désirerait savoir où se trouve en ce moment votre femme...
Hiruya a dit cela au milieu d'un silence énorme et pesant, plus énorme et pesant que le Baron lui-même !
- Ma femme... murmure Ko-Te-Chu...
Et il reprend, effaré :
- Ma femme...
Et la colère sourd dans sa voix.
- MA FEMME !
Il éclate ! Une colère monstrueuse ! Adipeuse, grasse, obèse ! Une colère abominable ! Son rugissement renverse tous les plats de la table, mais Kagetoki a prévenu Hiruya de ne pas se laisser destabiliser.
- MA FEMME, misérable avorton !...
Et soudain, le Baron éclate en sanglots et s'affale sur sa table, pendant que rivières de larmes coulent de ses gros yeux exorbités sur sa bonne bouille écarlate. Les invités sont stupéfaits.
- Ma femme, ah ma pauvre femme !... Elle est partie... elle est partie sur les terres des Lunes Vertes, voilà !...
Et il renifle grassement pendant qu'on vient le consoler et qu'on fait gentiment mais fermement signe à Hiruya qu'il est temps de partir maintenant !
Notre héros ne se fait pas prier et s'incline poliment devant l'assistant qui a soudain perdu l'appétit !
Et nos deux samuraï quittent la Montagne du Baron, pendant que les chouinements de mômes du Baron retentissent dans tout l'espace !
- Les terres des Lunes Vertes, dit Kagetoki, je crois me souvenir où elles se trouvent... Ce n'est pas la porte à côté. Il faudra arriver reposés là-bas, car la femme de Ko-Te-Chu n'est pas précisément ce qu'on appelle une femme arrangeante...
A suivre...
