Thread Rating:
  • 0 Vote(s) - 0 Average
  • 1
  • 2
  • 3
  • 4
  • 5
Dossier #1 : Le cuisinier de l'Hippocampe
#4
Le planton à l'entrée du bâtiment de la police judiciaire saluait les citoyens en grande tenue qui pénétraient dans la cour. Le Quai des Oiseleurs était en proie à une agitation particulière. A la fenêtre de leurs bureaux, en bras de chemise, les hommes de SÛRETÉ regardaient leurs nouveaux collègues, frais, excités, se réunir et enlever la moindre poussière sur leurs uniformes.
C'était chaque année le même spectacle et ceux qui travaillaient dans cette prestigieuse maison avaient eux aussi commencé par cette cérémonie.
- La relève est assurée.
- Sûr, mais il va falloir qu'ils se forment sur le terrain. Regarde-les, se prendre pour les rois du monde. Mais c'est maintenant que ça va commencer pour eux.
- Oui, dès demain, ils se retrouveront à mener un interrogatoire. Ou à faire le café pour leurs supérieurs !
- Qui sait si bientôt quelques-uns d'entre eux ne seront pas nos collègues...
- Je me souviens comme j'étais, le jour où j'ai assisté à cette cérémonie. J'avais fait la fête toute la nuit, j'étais pas frais !
- Et moi toute la nuit d'après !

Les jeunes diplômés discutaient en fumant.
- Tiens salut, Jacques !
Celui qu'on appelait se retourna : c'était un solide citoyen, avec de grandes moustaches tombantes, l'air soucieux.
- Tiens, Jean-François !
Il reconnaissait un de ses collègues de PANDORE, la brigade de surveillance des rues et de répression des émeutes.
- Alors, toi aussi tu fais ton entrée dans la Boutique ?
- Comme tu vois, répondit Jean-François.
- Finis pour nous, les patrouilles de nuit.
- A nous les planques !
- Ne m'en parle pas. Enfin, on va bientôt sentir la différence à la fin du mois. On passe classe C maintenant.
- Oui, ma femme et moi allons d'ailleurs déménager pour que je puisse me rapprocher de mon commissariat.
- Je me demande où ils vont nous envoyer, soupira Jacques.
Jacques avait déjà vécu. Il avait longtemps fait divers boulots ingrats avant d'entrer à PANDORE puis en passant le concours de SÛRETÉ. Il aurait eu l'âge d'être officier mais il se trouvait avec des citoyens bien plus jeunes que lui.
Jean-François de Portzamparc approchait la trentaine. Solide, athlétique, l'air sûr de lui, dégagé, il avait une posture qui respire la santé et inspire la confiance. Il avait le maintien militaire de son Autrelles d'origine, la carrure requise par PANDORE et la dose de vivacité nécessaire pour faire un policier convenable. Il sortait de plusieurs moules mais il semblait bien adapté poru affronter la vie. A côté de lui, Jacques avait les épaules plus tombantes : il n'y croyait plus autant, il sentait qu'un pan de son existence était déjà passé.
- S'il vous plait, les titulaires du concours 206 de SÛRETÉ !

C'était un officier de la Maison, en uniforme, qui venait signaler qu'il était l'heure de rentrer dans le grand hall. Les policiers furent menés à la salle des archives, où traditionnellement ils étaient reçus par une des "huiles" du Quai, avant de recevoir leurs papiers.
Cette année encore, c'était le commissaire-divisionnaire Ménard, de la police judiciaire, qui avait été retenu pour le discours d'accueil.
Ménard était déjà une légende dans la Maison. Bon vivant, épais, il avait une réputation de limier implacable, souvent infaillible, rusé comme un renard et tenace comme un chien de chasse. Socialement, sa réputation était détestable : il passait pour n'avoir aucune manière et se comporter comme un rustre même à la table d'un ambassadeur. Mais ses résultats excellents le mettaient à l'abri de la rétrogradation que ses manières auraient pu lui valoir.
Souriant sous ses moustaches, content de lui, il serra quelques mains dans la salle, rit bien fort avec quelques collègues et monta à la tribune, en regardant, d'un air paternaliste et ravi, les jeunes collègues dans leur bel uniforme. Il avait sa grosse pipe à la bouche et ne l'éteignit que pour commencer son discours, devant un parterre muet de respect devant cette incarnation du Flic Idéal !

Dans le bureau de Novembre, l'interrogatoire reprenait. Maréchal comme sténo, son supérieur, de fort méchante humeur, assis en face du suspect.
- Tu essaies de gagner du temps, Pavel, mais tu es perdu. Signe et tu pourras aller dormir. La Scientifique nous a tout dit sur toi. Tu as consommé ta poudre. Tu croises Beltrando, qui sort de chez Pham'Velker. Peut-être que tu lui vends régulièrement de la drogue. Il en a sans doute besoin. D'une manière ou d'une autre, la conversation s'envenime entre vous. Et tu finis par le suriner à l'ancienne. Et tu t'acharnes sur lui. Classique. Tuer rend les faibles comme toi hystériques. Vous en voulez au mec de clamser et vous voulez lui faire payer. Pas besoin d'avoir fait psycho pour ça... Quelque chose à ajouter, Maréchal ?
- On a trouvé la cuillère dans sa roulotte, celle sur laquelle il fait chauffer sa poudre. Et le couteau n'y était pas.
- Tu as dû le balancer du haut de la première Passerelle venue. Si on voulait, on finirait par mettre la main dessus, va. Mais tu vas être raisonnable et avouer, hein Pavel ?...
Le truand restait courbé en deux, retenant ses larmes.
Novembre s'approcha :
- Tu l'as tué, Pavel. Tu l'as tué... Allez, avoue, qu'on aille dormir, qu'est-ce que t'en penses ?

Le commissaire Ménard toussota pour s'éclaircir la voix :
- Mesdemoiselles, mesdames et messieurs, au nom de SÛRETÉ, je me permets de vous dire que je suis fier de vous !... Vous avez choisi de devenir les protecteurs de notre magnifique Cité exiléenne et vous vous êtes donné les moyens de votre ambition. Vous avez réussi et maintenant, une partie de la charge de protéger nos concitoyens vous revient !
"La théorie, vous la connaissez maintenant. On vous a posé des questions de droit, de culture générale, d'exiléen et vous avez réussi ces tests. Certains d'entre vous ont déjà soit l'expérience du terrain soit d'ADMINISTRATION au sens large. Les autres découvrent un nouvel univers. Mais tous, vous allez être les agents de TRIBUNAL, les garants de la paix et de la loi sur notre lune.

Novembre tournait en rond et écrasait encore une cigarette sous son talon.
- A quoi tu joues, Pavel ?... Je te préviens, un flic, après dix heures, ça devient méchant... Surtout quand il n'a pas dormi depuis longtemps... Tout t'accuse. Quand on en arrive à ce point-là, Pavel, quand les mots ne suffisent plus pour faire parler, on passe à autre chose...
Maréchal enleva la feuille qu'il venait de noircir d'encre. Il comprit que sténographier la suite immédiate de "l'entretien" ne serait pas indispensable.

Ménard alluma sa pipe, ronronnant de plaisir en même temps qu'elle grésillait.
- Alors, j'aurai envie de vous demander, chers collègues, quelles sont les qualités d'un bon policier ? Mais comme nous ne sommes plus aux épreuves orales, je vais répondre moi-même.
"D'abord, je crois, après bientôt trente ans de carrière, qu'un bon policier doit être dévoué à son travail.

- Ecoute, Pavel, ça fait dix heures que je m'occupe de toi. C'est trop. Ma femme m'attend à la maison. J'ai autre chose à foutre qu'à m'occuper d'un merdeux comme toi. Et pourtant, tu vois, je reste, alors que je pourrais te laisser avec mes détectives. Et non...

- Il doit se dire que sa vie tourne autour de son métier, qu'il doit être prêt à ne pas compter ses heures, à travailler sans relâches à combattre le crime sous toutes ses formes.

- Et j'en ai connu, des fripouilles, comme toi, et des coriaces. Mais si coriaces pour un crime crapuleux minable, rarement. Des truands, des joueurs, des drogués, des maniaques, des délateurs, des maris cocus, des femmes adultères, des héritiers impatients, il en est passé des dizaines dans ce bureau !

- Le policier doit, pour se faire, être intègre, maître de lui-même et connaître par coeur le code civil ainsi que les réglements afférents à l'exercice de ses fonctions.

- Tu vois, Sobotka, là tu passes les bornes...
Et Novembre envoya une gifle retentissante au truand, et une seconde. Attaché à sa chaise, Sobotka tomba en arrière. Novembre le releva par le col, pendant que Maréchal, qui avait un peu mal pour la victime, soupirait en détournant le regard.

- Et, donc, chers collègues, si je n'avais qu'une chose à dire, ce serait celle-ci :

- Tu n'es qu'une fripouille, Pavel ! Un minable ! Et tu vas finir pendu ! Tu te souviens, il y a trois ans, tu étais déjà là ! Et je te l'avais promis !

- Ce n'est donc qu'en ayant présent à l'esprit ces règles élémentaires que vous ferez honneur à notre Cité et que vous pourrez vous dire, avec fierté :

- Quand je vois une fripouille comme toi qui me prends du temps alors que les gosses m'attendent à la maison et que d'autres tueurs courent les rues, ça me donne envie de gerber !

- Je vous remercie de votre attention. Encore bravo à tous !
Les applaudissements retentirent dans la belle salle au parquet ciré, avec ses grands tableaux aux murs.
- Je vous invite à passer au buffet et à signer votre titularisation dans notre corps administratif.
De Portzamparc prit un verre sur la table et se dirigea vers le guichet où d'autres collègues faisaient déjà la queue.
- Tenez, signez ici et ici.

- Pitié, je signe, je signe !
Le nez sur le bureau, Sobotka prit la plume tendue par Novembre et signa la déposition.
- Très bien.

- Je vous remercie, monsieur. Au suivant !
Un autre fonctionnaire tendit à de Portzamparc son dossier d'affectation, une belle chemise en cuir avec un cordon rouge et l'emblème du quai des Oiseleurs gravé en lettres d'or.

Deux hommes de PANDORE vinrent chercher Sobotka et l'emmenèrent en cellule.
Novembre alluma la cigarette de la victoire.
- Mon vieux, j'ai cru qu'on en sortirait jamais !
Maréchal se levait et s'étirait.

Le jeune policier se fit remettre son arme et, fiérement, sortit dans la cour. Il avait le coeur palpitant, au moment d'ouvrir son dossier.

Maréchal et Novembre passèrent dans le bureau des inspecteurs pour un brin de toilettes. L'inspecteur, vaseux, prit sa mousse à raser, s'en étala et enlever cette barbe naissante, cette barbe vieille comme l'interrogatoire.
- Maintenant, je ne vais plus dormir, dit Novembre, dont la montre indiquait presque 6h du matin. Ca te dit qu'on aille se manger une soupe à l'oignon à côté ?
Maréchal, fatigué, se passait de l'eau sur le visage.
- Si vous voulez, patron.
- Allez, je t'invite.
Les deux hommes prirent leurs vestes, leurs chapeaux et traversèrent la rue. A l'angle de la Platz, ils avaient leurs habitudes dans un bistrot où le patron, un ancien flic, les accueillait souvent par l'apéro-maison, surtout quand ils arrivaient après un interrogatoire difficile.
Cette fois-là encore, ils firent l'ouverture. Ils arrivaient même avant les ouvriers qui commençaient à l'usine à 7h.

De Portzamparc salua son collègue Jacques.
- Ils m'ont envoyé aux passantes, soupira ce dernier, mécontent mais résigné.
- C'est loin de chez toi ?
- Ne m'en parle pas !... Et toi ?
Le jeune policier ouvrit enfin son dossier, sûr de sa bonne fortune :
- Ils m'envoient à... Mägott Platz ! 132, 1127, 2318. Excellent, ce n'est pas si loin de chez moi. Allez, je rentre, ma femme m'attend !
- A bientôt !
- On s'appelle, Jacques, j'ai ton numéro de parlophone.

Novembre et Maréchal mangèrent bruyamment leur soupe, rendus brutaux, irritables, par cette journée interminable à l'issue de laquelle sommeil et veille se distinguaient mal.
- Je vais retourner directement au commissariat, dit Novembre et m'allonger un peu dans mon bureau. Toi, rentre chez toi, et repasse en fin de journée.
- Entendu.

De Portzamparc allait sauter dans le tramway quand il reconnut plusieurs de ses collègues qui allaient boire un verre à la célèbre brasserie Mazarine, à côté du quai. Il se joignit à eux et ne ressortit du grand établissement, avec ses grandes lumières, ses miroirs et ses décorations en fer forgé, que bien plus tard.
Il rentra chez lui, légérement titubant, accueilli par sa femme qui lui sauta dans les bras.

Maréchal entra dans son petit appartement, à proximité des logements ouvriers. Il retrouva son lit, son armoire, sa cuisinière, son coin salle de bain, son miroir et son blaireau, cet environnement familier qui ressemblait étrangement au bureau des détectives, comme si son logement était devenu, après des dizaines de nuits blanches, une simple annexe du commissariat.
Le détective sortit une bouteille qu'il termina, allongé sur son lit et s'endormit enfin, après avoir cessé de compter les cigarettes qu'il avait fumées.

Avant de s'endormir, il revit Sobotka sortir, menotté.
- A propos, avait dit Novembre, c'était ta centième affaire, Maréchal ! Tu te rends compte !
- Comme vous dites, inspecteur.
- Ah, c'était moi, avait dit Pavel, riant jaune.
- Et oui, c'est toi.
Novembre trouvait à se réjouir.
- Donc bientôt, ADMINISTRATION va nous envoyer ton dossier de reclassement, Maréchal ! Remercie Pavel !
- Qu'est-ce que vous auriez fait sans moi, hein !
- On aurait attendu, répliqua Novembre, cassant, le prochain imbécile qui pense qu'on tue impunément sur Mägott Platz !

Reply


Messages In This Thread
Dossier #1 : Le cuisinier de l'Hippocampe - by Guest - 27-02-2007, 03:19 PM
Dossier #1 : Le cuisinier de l'Hippocampe - by Guest - 27-02-2007, 03:24 PM
Dossier #1 : Le cuisinier de l'Hippocampe - by Guest - 27-02-2007, 04:40 PM
Dossier #1 : Le cuisinier de l'Hippocampe - by Guest - 28-02-2007, 07:14 PM
Dossier #1 : Le cuisinier de l'Hippocampe - by Guest - 28-02-2007, 08:08 PM
Dossier #1 : Le cuisinier de l'Hippocampe - by Guest - 28-02-2007, 10:04 PM
Dossier #1 : Le cuisinier de l'Hippocampe - by Guest - 03-03-2007, 02:36 PM
Dossier #1 : Le cuisinier de l'Hippocampe - by Guest - 05-03-2007, 07:03 PM
Dossier #1 : Le cuisinier de l'Hippocampe - by Guest - 06-03-2007, 01:07 AM
Dossier #1 : Le cuisinier de l'Hippocampe - by Guest - 06-03-2007, 12:24 PM
Dossier #1 : Le cuisinier de l'Hippocampe - by Guest - 06-03-2007, 06:28 PM

Forum Jump:


Users browsing this thread: 1 Guest(s)