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Dossier #1 : Le cuisinier de l'Hippocampe
#6
De lourds nuages teignaient le demi-jour d'Exil en grisaille pesante. L'obscurité entrait en filets noirs à travers les stores de la fenêtre.
Dans l'air bleu fumée de son bureau, Maréchal classait des dossiers et tapait à la machine quelques documents pour son reclassement. Au plafond, le ventilateur tournait avec peine, sans pouvoir éclaircir l'atmosphère brumeuse des lieux.

Au début, il ne la vit pas. D'abord, ce fut un parfum lourd, capiteux. Une odeur entêtante qui pénétra en lui et ne le quitta plus. Puis elle ouvrit la porte et entra. Maréchal en eut le souffle coupé. Il avait retenu sa respiration. Quand il put enfin expirer, il était déjà empli de sa présence. Il se leva de son fauteuil pour l'accueillir.
Elle portait un strict tailleur noir, une voilette de deuil à son chapeau. Des talons aiguilles assez fins pour poignarder quelqu'un. Un petit sac à main qu'elle tenait contre elle. Elle était d'une beauté vénéneuse bien qu'elle essayât de passer pour un ange déchu.
Elle alluma une cigarette qui fut marqué de son violet à lèvres. D'une voix vaporeuse, pleine de fumée, elle dit :
- Bonsoir, inspecteur... Mon nom est Ute Lamborghini. On m'a dit que vous pouviez me recevoir.
Maréchal déglutit.
- Evidemment, madame. Je vous en prie, asseyez-vous.
Son regard perçait celui de l'inspecteur comme un coup de feu. Elle était dangereuse comme une prise d'otage, attirante comme une promotion.
- Expliquez-moi ce qui vous amène ici.
- Voilà, fit-elle en étouffant un sanglot, je viens vous voir car je crains que mon fiancée n'ait disparu...
Elle roulait imperceptiblement les "r". On aurait sauté du haut d'une passerelle pour l'entendre parler.
- Et... qu'est-ce qui vous fait croire ça ? dit Maréchal en rejetant son chapeau en arrière.
- Je n'ai pas de nouvelles depuis plus de trois jours. Et je ne l'ai pas vu depuis une semaine.
- Que fait votre fiancé, mademoiselle Lamborghini ?
- Il est dans les assurances. Je ne sais pas bien quoi. Il démarche je crois. Nous nous connaissons finalement peu. Nous nous sommes fiancés sur un coup de tête.
- Comment se nomme t-il ?
- Louis. Louis Tourville.
Maréchal notait sur un bout de papier, pour la forme. Envoûté par la voix de cette femme, il sentait chacune de ces paroles s'inscrire en lettres de feu dans son corps.
- Où réside t-il ?
- Il change souvent de lieu de résidence. Je sais qu'il avait pris récemment une chambre dans un hôtel... qui s'appelait... attendez... oui, le Negresco.
Maréchal connaissait l'endroit : ce n'était pas le palais de l'élégance. Un hotel meublé, avec des clients de passage venus de n'importe où.
- Vous-même, mademoiselle Lamborghini, où résidez-vous ?
- J'ai une chambre depuis un mois à l'hôtel Novö Art.
C'était l'un des deux palaces du quartier.
- Depuis un mois ?
- Oui, c'est Louis qui m'a payé la chambre.
- Entendu. D'autres choses ?
- Non, rien de matériel. Mais je crains vraiment pour Louis. Tenez, je vous ai apporté une photographie.
- Ah très bien, vous facilitez grandement mon travail.
Maréchal observa le cliché : il avait été pris dans les hauteurs de la ville, sur la terrasse d'un beau quartier. Tourville devait approcher la soixantaine. Solidement bâti, il avait une carrure d'ouvrier avec de grosses mains de travailleur.
Rien à voir avec l'élégante et fragile Lamborghini.
- Nous allons tout faire pour retrouver Louis Tourville, dit Maréchal en raccompagnant "Ute" à la porte.
- Merci beaucoup, inspecteur, fit-elle, éplorée.
Elle sortit et Maréchal dut se rasseoir un moment, étourdi, perdu. Il savait à peine où il se trouvait. Son bureau tanguait et il sentait le sol prêt à se dérober sous ses pieds, comme s'il allait plonger dans le ciel étoilé !
C'était l'ivresse comme il en connaissait rarement, une douce euphorie. Il sortit enfin de son bureau. Dans le commissariat, pas un bruit.
Soudain, une porte s'ouvrit et toutes ensembles :
- Oh, mon salaud !
Des sifflets, des lazzis, des cris de jalousie !
- Inspecteur Maréchal, fit Novembre en se dandinant et en imitant l'accent de "Ute", yé souis terriblément inquiète !
- Inspecteur ! fit un autre avec une voix de fausset.
- Mon cochon, tu sais ce que c'est, le prestige du titre maintenant !
- Alors, elle t'a demandé quoi ?
- Un instant, fit l'inspecteur, soudain maître de lui, c'est mon dossier. C'est moi qui en suis chargé.
Amusés, les détectives sortaient de la pièce où ils jouaient aux cartes.
- Ecoute, dit Novembre, ce serait l'occasion de mettre le pied à l'étrier de Portzamparc, qu'est-ce que tu en penses ?
- Entendu. Venez, mettez votre manteau, nous allons faire la tournée du quartier.

Jean-François enfila son imperméable, mit son chapeau et suivit l'inspecteur dans les rues de Mägott Platz.
Ils commencèrent par l'hôtel Negresco, où le patron, toujours très bien avec la police, leur assura qu'il n'avait aucun problème avec ses locataires.
- Nous n'en doutons pas monsieur, fit Maréchal. Pour le moment, nous voulons savoir si vous avez eu cet homme parmi vos locataires.
L'inspecteur montrait la photo laissée par la Lamborghini mais il la cachait du pouce.
- Comme ça, je ne me souviens pas. Vous savez, il passe tellement de monde ici...
- Il se nomme Louis Tourville.
Le patron chercha dans ses registres :
- Oui il était ici il y a deux jours. Il a loué une chambre pour la nuit.
- Il a rencontré du monde ? reçu des gens ?
- Attendez oui, je crois me souvenir... Oui, un certain Dimitri, que j'ai déjà vu dans le quartier... Et puis d'autres gens, que je ne connaissais pas.
- Bon, si vous vous souvenez de quoi que ce soit, vous me contactez, compris ?
- Oui, inspecteur.

Les deux policiers continuèrent la tournée, sous la pluie, dans les quatre autres établissements du même genre. Ils purent retracer le parcours de Tourville pendant la dernière semaine. Il avait dormi tous les soirs dans les hôtels, restant une nuit ou deux dans chaque. Dans deux d'entre eux, y compris le Negresco, il avait reçu de la visite, pendant une heure ou deux.
Un des contacts de Tourville, tel que décrit par un patron d'hôtel, lui rappelait quelqu'un.
- Venez, de Portzamparc. Nous changeons de décor.
Ils repassèrent par la Platz et entrèrent dans les beaux coins du quartier. La pluie ne cessait pas. Ils entrèrent au palace le Novö Art : son garçon en livrée devant la porte-tambour, son tapis rouge, ses lumières dorées, sa grande réception, son bar, sa salle de jeux...
Un vieux groom, qui connaissait bien la police, s'approcha respectueusement des deux policiers qui entraient, trempés, dans ce beau monde polissé.
- Messieurs, vous désirez ?
- Juste quelques renseignements.
Les deux policiers allèrent s'asseoir aux tabourets du bar. Ils posèrent leurs chapeaux et se firent servir une eau gazeuse.
- Dis-moi, Dimitri, fit Maréchal en allumant une cigarette, tu es allé au Negresco récemment ?
- Oui, c'est vrai...
- Qui allais-tu voir là-bas ?
- Ma foi, ma foi... un ami.
Il était nerveux.
- Ah, un ami... Très bien. Son nom ?
- Je ne sais pas.
- Etrange ami, alors, qui ne dit pas son nom. Que te voulait-il ?
- Il voulait parler de courses.
- De courses ?
- De courses de chevaux.
- J'oubliais que tu es amateur.
Dimitri appartenait en effet au petit monde des turfistes.
- Si, ça me revient maintenant. Il m'a dit s'appelait Darchambault.
Maréchal sortit la photo :
- C'était lui ?
- Oui.
- Tu ne l'as jamais vu ici ?
- Non.
Maréchal montra l'autre partie du cliché.
- Et elle ?
- Ah oui, comment l'oublier ! Elle vit ici, bien sûr. Depuis presque un mois. J'ignorais qu'ils étaient ensemble.
- Tu vois... Alors ?
- Alors quoi ?
- Alors dis m'en plus sur ce Darchambault.
- Il s'intéressait aux courses hippiques. Il voulait des tuyaux.
- De quel ordre ?
- Des choses simples : quel entraineur était bon, quelle bête courait bien, sur quelle course miser etc.
- Il avait l'air de s'y connaître ?
- Non pas vraiment. Il ne s'en cachait pas tellement.
- C'est tout ?
- Il voulait des tuyaux et quelques contacts.
- Des contacts ?
- Oui, des gens qui s'y connaissent, pour rencontrer d'autres gens.
- Explique-toi mieux.
- C'est simple, je lui ai donné le nom de quelques parieurs professionnels.
- Leurs noms ?
Dimitri prit un papier et les écrivit.
- Ils sont ouvriers à la fonderie. Ils fréquentent le café La chope. C'est là que se réunissent les turfistes.
- Je sais.
- Je vous ai dit ce que je savais.
A ce moment, monsieur Joseph, le patron de l'hôtel, un petit homme grassouillant toujours très empressé, s'approcha :
- Un problème, messieurs ?
- Non, aucun, sourit Maréchal.
- Tout va bien, Dimitri ?
- Oui, monsieur
- Bien.
Et il s'éloigna pour s'occuper de l'installation des plantes vertes du casino.
- Bon, ça ira pour aujourd'hui, Dimitri.

Les deux hommes remirent leurs chapeaux et quittèrent le Novö-Art. Ils avaient appris, pendant leur tournée des hôtels meublés, que Tourville se présentait comme vendeur d'assurances. Mais vendeur à son compte. Ce qui sentait mauvais. Plusieurs syndicats du crime avaient recours à ce genre de "démarcheurs".
Pourquoi Tourville avait-il disparu ? Avait-il eu un problème ? Allait-on le retrouver mort dans une chambre minable, tué par un client récalcitrant ?

Les deux policiers retraversèrent le quartier pour entrer dans les rues ouvrières. La journée se terminait. La sonnerie de l'usine retentit quand ils mirent le pied dans la rue des Fonderies. Les ouvriers sortirent comme un seul homme du grand bâtiment bouillant d'activité et se précipitèrent à La chope. Maréchal et de Portzamparc firent leur entrée dans le café encombré, dans la chaleur humaine, entre les buveurs et les parieurs.
Par Dimitri, ils avaient le nom de quelques aguerris des courses hippiques.
- Ballack, c'est toi ?
Maréchal montrait sa plaque à un barbu costaud, teint rougeaud, air pas commode.
- Oui, c'est moi.
- Tu connais Dimitri, le serveur du Novö-Art ?
- Oui.
- Et lui ?
Ballack examina le cliché.
- Oui, il est venu me voir ya pas longtemps.
- Il y a combien de temps ?
- Cinq jours.
- Une fois seulement ? Je ne vais pas t'arracher les mots de la bouche. Sois un peu bavard s'il te plait.
- Il est venu il y a cinq jours la première fois et il est revenu il y a 3 jours.
- Parler de quoi ?
- De courses, de paris...
- Il avait l'air de s'y connaître.
- Pas tellement. Il y a cinq jours, il avait l'air perdu. En revenant deux jours après, il avait trouvé ses marques.
- Qu'est-ce que tu lui as dit ?
- Je lui ai donné des contacts, c'est ce qu'il voulait.
- Où ? qui ? quand ?...
Maréchal s'impatientait.
- Je lui ai donné le nom d'un gardien de l'hippodrome de l'Arc de la Victoire. Et aussi le nom d'un soigneur.
- Il y a une course là-bas, bientôt ?
- Dans deux jours.
- Donc tu me dis : un gardien et un soigneur.
De Portzamparc notait sur son carnet.
- Et il s'appelait comment au fait ?
- Darchambault.
- Il a parlé à d'autres personnes ? Allez, réponds.
Ballack donna le nom d'un autre ouvrier. Chaque fois, il avait graissé la patte des contacts pour s'ouvrir rapidement les portes de ce milieu auquel, visiblement, il ne connaissait rien avant.
Par l'autre ouvrier, il avait obtenu des contacts pour le prix de la Haie d'Honneur, dans quatre jours.

Les deux policiers quittèrent le bistrot des parieurs et retournèrent au commissariat faire le point.
- Nous irons voir les courses de chevaux, dit l'inspecteur. Nous découvrirons bien pourquoi ce Tourville / Darchambault s'intéresse aux canassons.
"Nous avons bien travaillé, conclut-il. Bonne soirée, détective de Portzamparc.
- Bonne soirée, inspecteur.

Maréchal, pas pressé de retrouver son appartement gris, se rendit au Novö-Art. Etait-ce du zèle d'aller parler à Ute Lamborghini en-dehors des heures de service ?...
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Dossier #1 : Le cuisinier de l'Hippocampe - by Guest - 27-02-2007, 03:19 PM
Dossier #1 : Le cuisinier de l'Hippocampe - by Guest - 27-02-2007, 03:24 PM
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