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Dossier #1 : Le cuisinier de l'Hippocampe
#8

Tôt le matin, Boncousin en terminait l'interrogatoire avec l'interrogatoire de quelques truands en herbe : ils avaient à peine atteint la puberté et avaient entrepris de dévaliser les vieilles dames sur les passerelles mal surveillées.
- Vous êtes des petits imbéciles. Vous allez faire connaissance avec le Château. Là-bas au moins, vous emploierez votre force à casser des cailloux !

Maréchal salua ceux qui avaient fait le service de nuit. Sur son bureau, il trouva le dossier laissé par Priscilla, la secrétaire. CONTRÔLE avait sorti de ses entrailles mécaniques des informations relatives à Tourville. Il avait été marin pendant longtemps, sur de gros navires de pêche. Puis à l'âge de la retraite, trois ans auparavant, il avait résidé un temps au bord de l'Océan et ensuite, on le retrouvait dans divers logements aux quatre coins de la ville. Pourquoi avait-il été pris de bougeotte ainsi ?

Tandis que Maréchal allumait une cigarette en feuilletant le dossier, de Portzamparc retournait, en compagnie du détective Sampieri, dans le quartier des usines. Cette fois, au lieu d'aller au bistrot des parieurs, les deux policiers firent une entrée remarquée dans la salle des chaînes de fabrication de tissu. Un vacarme abrutissant y régnait et de Portzamparc dut crier au contremaître la raison de sa visite :
- Je désire parler à l'un de vos hommes, un certain Ballack.
On amena l'ouvrier dans une pièce à l'étage, à côté du bureau du patron, où on pouvait s'entendre parler.
- Tu as été en contact avec Tourville, récemment ?
- Non.
- Ecoute Ballack, Tourville n'est pas allé à l'hippodrome hier, parce qu'il savait qu'on le suivait. Or, il n'y a pas mille personnes qui ont pu le mettre au courant...
- C'est faux, je ne lui ai pas parlé depuis la fois où il m'a demandé des tuyaux.
- Tu vas nous suivre au commissariat, qu'on en discute plus tranquillement.
Le contre-maître jeta un regard noir à son ouvrier : du seul fait d'être emmené, il salissait la réputation de l'usine.
- Vous comptez le garder longtemps, messieurs ?
- Le temps qu'il faudra. On peut en avoir pour quelques heures, ou quelques années. Allez, avance toi.
Les deux hommes repartirent par la porte de derrière. Mais personne n'ignorait ce qui venait de se passer.

- Mademoiselle Markievich, demanda Maréchal à la secrétaire, je voudrais que vous contactiez CONTRÔLE. Cette fois-ci, pour identifier l'origine d'un appel reçu à l'hôtel Novö-Art, dans la chambre 112, hier vers trois heures de l'après-midi. C'est noté ?
- Très bien, inspecteur.

Le policier vit de Portzamparc et Sampieri revenir avec leur suspect.
- Tiens, Ballack...
- On pense qu'il a été plus bavard avec Tourville qu'avec nous.
- Je suis sûr que ça va changer rapidement.
On conduisit l'ouvrier dans le bureau des détectives.
- Alors, c'est bien toi qui a contacté Tourville ?
- Non je vous dis.
- Il t'a payé pour que tu lui files des tuyaux ?
- Oui, je ne les donne pas gratis !
- Bien, et il a ajouté un petit supplément pour être prévenu au cas où la police s'intéresserait à son cas ?
- Non !
- Tu ne lui as pas obtenu d'autres rendez-vous ?
- Non.
- Tu n'as parlé à personne d'autre de Tourville ?
- Non, je ne "vends" pas mes clients à d'autres !
- Il n'a parlé à personne d'autre ?
- Je n'en sais rien, tiens !... Par contre, celui qui me l'a envoyé, c'est Dimitri. Lui pourra peut-être vous en dire plus.
De Portzamparc et Sampieri se regardèrent.
- Bon, tu vas rester avec nous cette nuit, Ballack, dit Sampieri, pour le cas où la mémoire te reviendrait. C'est ta meilleure chance de ne pas rester chez TRIBUNAL pendant quelques années...
- Vous n'avez pas le droit ! J'ai un travail !
- Allons, calme-toi et fouille plutôt tes souvenirs. La moindre info sur Tourville peut-être importante pour nous.

De Portzamparc alla prendre conseil auprès de Maréchal.
- Voilà ce que je propose, dit l'inspecteur. Vous allez retourner au bistrot des parieurs et tâcher de savoir si d'autres personnes ont parlé à Tourville. Pendant ce temps, je vais aller parler à Dimitri.
- Entendu.

Maréchal entrait une heure après dans le Novö-Art. Le patron était de plus en plus nerveux de le voir traîner ses godillots sur ses beaux tapis. Plus la police fréquente un lieu, moins c'est de bon augure.
- Rassurez-vous, je souhaite juste parler à Dimitri.
Le serveur était au comptoir, à faire reluire le zinc et les verres.
- Sers-moi donc une eau minérale.
- A vos ordres...
- Allons, ne t'inquiète pas, je viens juste te poser quelques petites questions. On a parlé à Ballack et il nous a dit de venir te voir.
- A quel sujet ?
Visiblement, Dimitri avait deviné et il en voulait déjà à l'ouvrier d'avoir renvoyé la police vers lui !
- A propos de Tourville / Darchambault. Tu sais, ce parieur un peu bizarre, à qui tu as filé des tuyaux.
- Devant moi, il a dit s'appeler Darchambault.
- Peu importe quel nom il a donné. Ce que je veux savoir, c'est si tu lui as parlé depuis que tu l'as recommandé à Ballack.
- Ah mais non !
- Tu n'as plus été en contact avec lui ?
- Non, je ne m'en occupais plus.
- Il t'a glissé quelques billets pour tes conseils et depuis, plus rien ?
- Exactement.
- Il savait que la police le cherchait, hier, quand on a essayé de le trouver à l'hippodrome. Tu ne l'as pas eu au parlophone ?
- Non, je vous assure.
- Et Ballack, il aurait pu l'appeler ?
- Je ne sais pas... Pourquoi pas...
Maréchal ne put s'empêcher de sourire.
- Darchambault n'a pas disparu par magie. Il faut bien que quelqu'un lui ait dit qu'on cherchait après lui.

A défaut d'avoir avancé, l'inspecteur avait durablement brouillé Ballack et Dimitri. Maréchal rentra au commissariat finir sa journée avec de la besogne routinière. Il étudia le trajet pour se rendre dans un quartier pêcheur, où Tourville, selon Lamborgini, avait un temps résidé.
Il croisa de Portzamparc : ce dernier n'avait rien appris de plus chez les parieurs.
- Allons dormir, détective. Demain, nous partons sur les bords de l'océan !
- Décidément, il nous fait courir, ce Tourville.
- Oui son dossier s'alourdit de jour en jour.
- Ce type ne peut pas être tout à fait honnête...
- Espérons, car il faudra bien justifier nos notes de frais !

Le lendemain, les deux hommes se retrouvèrent à Mägott-Zentral, la station des transports du quartier. Plusieurs lignes de tramway passaient ici et les Ballon-Taxi avaient une plateforme réservée. Les pilotes de ces engins - dont l'image était si associée à Exil - se vivaient comme une caste à part, l'élite des transporteurs. Ils se sentaient investis d'un mandat symbolique, celui de maintenir une tradition associée à la vitesse, la modernité et l'audace, trois valeurs fortes de la Cité industrielle.
Ils avaient, comme les serveurs de restaurant, des attitudes parfaitement stéréotypées, une grande distance par rapport à ces terriens chauffeurs de tramway, eux qui voisinaient chaque jour avec les hauteurs de l'acier et les étoiles, qui se déplaçaient librement partout en ville. Ils avaient un syndicat puissant et leurs entrées dans certaines soirées du beau monde, où l'on trouvait ces aristos prolétaires tellement authentiques.
- Mägott-Platz - bord de l'océan, c'est parti, messieurs ! Attachez vos ceintures car notre décollage est imminent. Au nom de tous les pilotes, soyez les bienvenus à bord de cet appareil qui a déjà effectué près de deux mille heures de vol ! Mon nom est Hippolyte-Gustave Sourcier et je me fais fort de vous emmener à bon port.
Il débitait ce discours d'un ton parfaitement sérieux, grandiloquent, en mettant en route le moteur de son engin. Il fallait être pilote de Ballon-Taxi pour parler avec ce sans-gêne à des fonctionnaires de SÛRETÉ !

Les deux policiers se calèrent dans leur fauteuil et passèrent la grosse couverture pour passager. Le Ballon décolla en trombe et partit à travers les gouffres incertains et les immensités labyrinthiques de la Cité. Au bout de quelques minutes, les deux hommes ne savaient plus où ils étaient. Ils voyaient en-dessous et au-desuss d'eux Exil vivre, ronfler, gronder, travailler, chauffer, hurler, peiner. Immense labeur des hommes et des structures.
Ils passèrent au travers d'épais nuages crasseux et crurent qu'ils allaient percuter une cheminée d'usine, puis à nouveau le ciel serein, dans les hauteurs, avant un nouveau plongeon vers le niveau du sol et une longue ligne droite au travers d'interminables blocs résidentiels éclairés au gaz. Ils découvraient les aspects d'un monstre protéiforme aux parties modulables et remplaçables.
Enfin, en fin de mâtinée, on sentit les effluves se marier à l'atmosphère lourde et enfin, le puissant, ténébreux et infini océan noir apparut.

Des gueules d'acier crachaient des tonnes de déchets visqueux et bouillants, qui provoquaient un énorme dégagement de vapeur en s'abîmant dans l'eau. Des cornes de brume retentissaient de lieux proches et inconnus. De lourds navires partaient au large. Le brouillard transformait cette zone en un monde irréel, où les sons étaient transformés et où le manque de visibilité donnait le sentiment d'être proche du bord du monde...
- Nous y sommes, messieurs ! Le quartier de la Vague Noire : 295, 10, 4212 !

Il fallut laisser un pourboire, car "ADMINISTRATION se faisait un honneur de connaitre les mérites des vaillants pilotes" !
- J'ai l'adresse d'un bistrot d'habitués, dit Maréchal. On a bien mérité d'aller se réchauffer un peu.
L'endroit se nommait La Truite. Une enseigne en bois battait dans le vent humide. Sa chaleureuse lumière perçait l'inquiétante brume permanente des rues du port.
On sentait le bistrot d'habitués. De solides gaillards mangeaient une grosse soupe et l'aspirait avec de forts bruits de succion.
Les deux policiers s'assirent dans un coin de la pièce et commandèrent un thé.
- Ce matin, dit Maréchal, j'ai demandé à un Pandore de surveiller de près Ute Lamborghini.
- Vous pensez qu'on en a pour un peu de temps ici ?
- Je ne sais pas. Vu le temps de transport, on va se payer une chambre ici pour ce soir. Ce sacré Tourville a intérêt à être un gros poisson !
Les deux policiers burent leur thé et ils se demandaient alors, tacitement, pourquoi un marin en venait à s'intéresser aux courses hippiques, tout en se fabriquant une couverture de vendeur d'assurances.
Ils demandèrent l'addition.
- Dites-moi, c'est vous le patron ici ?
- Oui pourquoi ?
Maréchal montra discrêtement son insigne.
- Nous aimerions vous parler.
- Oui, bien sûr. Dans mon bureau ?
- Très bien.

Les trois hommes se rendirent à l'étage.
- Je vous écoute.
- Nous venons vous parler d'un de vos habitués, un certain Louis Tourville.
Maréchal espérait ne pas s'être trompé. C'est Ute qui avait mentionné ce nom.
Oui, maintenant, dans sa tête, il l'appelait simplement "Ute" !
- Louis, oui bien sûr, il venait souvent ici.
- "Venait" ?
- On ne l'a plus vu depuis quelques temps.
- Combien de temps ?
- Deux bons mois.
- Il venait souvent ?
- Oh oui. Louis, c'était un des piliers de la Vague Noire.
- Il a toujours vécu ici avant ?
- Pour ainsi dire. C'est à dire qu'il était marin. Cuistot plus exactement. Il a travaillé sur pas mal de navires et il avait bonne réputation. Vous savez, les cuistots, généralement, ils savent se faire respecter.
- Il vous a paru changé ces derniers temps ?
- Non pas trop. Enfin, sauf qu'il paraissait s'intéresser davantage à son passé. Avant, c'était pas trop son genre. Mais récemment, il a voulu retrouver d'anciens camarades.
- Par nostalgie ?
- Je ne sais pas trop. Peut-être qu'il se sentait vieillir... Vous voyez...
- Vous avez les noms des navires sur lesquels il a travaillé ?
- Voyons, de mémoire, il y avait Le Roc, le Corsaire d'Acier... Mais celui sur lequel il est resté le plus d'année, c'était sans doute l'Hippocampe.
- Il y est resté combien de temps ?
- Facile dix ans. Mais si voulez, j'ai un de mes clients, qui loue une chambre... Il a navigué avec Tourville.
- On peut le voir ?
- Oui, sans doute. Il est dans sa chambre.
- Alors nous allons le voir.
Le patron les conduisit au deuxième.
- Lambert, Lambert tu m'entends ? Il y a là deux messieurs de SÛRETÉ qui voudraient te parler...
Une voix éraillée répondit de les faire entrer.
De Portzamparc poussa la porte.
On entrait dans l'univers d'un marin. Une chambre bien propre, le parquet passé à l'encaustique. Des meubles fabriqués sur Forge et plein de souvenirs de navigation. Le vieil homme qui vivait à l'année ici avait rassemblé sa vie dans cette petite pièce. Il se balançait sur sa chaise à bascule, installée près de la fenêtre. On devinait qu'il devait passer ses journées à contempler le port, à regarder les navires partir et revenir, à ressasser ses souvenir au rythme des marées.
Il était très maigre, avec de longs cheveux gris. Il avait la voix cassée d'un gros fumeur. Il remettait bien ses bretelles et avait honte de ses vieilles pantoufles.
- Nous aimerions vous poser quelques questions, monsieur Lambert.
Maréchal avait pris une chaise pour s'installer près du vieil homme, pendant que de Portzamparc s'asseyait avec son bloc-note au bureau.
- Je vous en prie, détective. En un sens, je pensais bien que la police finirait par me poser des questions.
- Pourquoi donc ?
- Parce que j'ai peur que ce sacré vieux Louis ait fait une belle connerie !
- Laquelle ?
- C'est un peu compliqué à dire comme ça... Je peux peut-être commencer par le début.
- Allez-y.
- Voilà. J'ai travaillé dix-huit ans comme machiniste à bord de l'Hippocampe. Louis a travaillé pendant douze ans, comme cuisinier. C'était d'ailleurs un sacré cuistot, le père Tourville ! Fallait pas venir se plaindre que la soupe était pas assez épicée ou trop, sinon vous seriez repartis avec le chaudron sur la tête !
"Le principal à savoir, c'est que notre navire était affrêté par une grosse compagnie de pêcherie. Et nous étions connus pour être un équipage particulièrement intrépide. Il faut savoir que la concurrence est rude dans notre métier, malgré la solidarité des pêcheurs entre eux. Mais les compagnies poussent à la performance et pour trouver des grosses bêtes, il n'y a rien à faire qu'à partir le plus loin possible vers le large. Nous étions prêts à relever ce défi, parce qu'au bout, il y avait de sacrés primes. Primes qu'on a généralement bues dans les trois jours suivants notre retour...
Le vieil homme eut une expression nostalgique amusée.
- Bref, nous y allions pour le défi, pour l'aventure, pour en remontrer aux autres, pour nous maintenir à hauteur de notre réputation. Et un jour, nous sommes allés encore plus loin que d'habitude. Et parmi les flots déchaînés, nous avons aperçu des récifs, sur lesquels était échoué un gros navire. Un gros navire militaire...
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Dossier #1 : Le cuisinier de l'Hippocampe - by Guest - 27-02-2007, 03:19 PM
Dossier #1 : Le cuisinier de l'Hippocampe - by Guest - 27-02-2007, 03:24 PM
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