17-04-2007, 01:31 PM
(This post was last modified: 17-04-2007, 01:33 PM by Darth Nico.)
CHRONIQUES DE L'EMPIRE D'EMERAUDE
[rgrrggnnrrrnggrr :philou_style: morceau de texte tapé chez Clémence... le retrouve plus



Ayame prit la blatte sur un morceau de parchemin, avec précaution.
Maintenant, il fallait chercher le nid. Si une de ces bestioles pouvait provoquer la mort…
En cherchant dans les pièces adjacentes, entre les étagères et dans les coins, les deux Phénix trouvèrent bientôt des pans de murs où grouillaient ces insectes. Ils passaient à travers les épaisseurs de pierres. A certains endroits, le mur rendait un son creux. Elles devaient avoir si bien creusé qu’elles s’étaient forgé un nid, des galeries !…
Entre deux rayons, Ayame découvrit un étroit passage, où l’on pouvait à peine se glisser. C’est de là que venait la colonie, ainsi qu’une infecte odeur. Le nid devait se trouver là-dedans. Ikky approcha la torche pour examiner : le passage menait à une autre pièce, dissimulée par l’arrangement des étagères. Dedans, un cadavre, mangé par la vermine.
Ayame reculée, écoeurée. Et avec cet écoeurement s’insinuait de la peur. Assez pour que sa curiosité soit vaincue : non, elle ne voulait pas aller y voir !
- Venez, ressortons !
La shugenja ne se fit pas prier. Guidées par l’assistant, en pleurs, les deux femmes repartirent vers l’entrée. Les panneaux succédèrent aux panneaux, les escaliers aux escaliers, sans qu’elles aient l’impression de progresser. Au début, elles se souvinrent que le chemin était long et détourné mais bientôt, elles furent persuadées d’être passées déjà trois ou quatre fois au même endroit. Elles tournaient en rond, et l’assistant ne s’y reconnaissait pas plus. On le sentait céder progressivement à la panique des profondeurs.
- Ce n’est pas possible… cette porte n’était pas là !… il y en avait une ici… Ce couloir ne mène nulle part… Cet escalier n’était pas si grand…
Il allait de découvertes en découvertes…
A quelques escaliers de là, ou peut-être très loin, quelque part entre deux étages, Hiruya s’engageait dans les tortueux chemins de la Bibliothèque et ne tarda pas à s’y égarer, prisonnier lui aussi des galeries qui changeaient, des murs mobiles et des escaliers à longueurs variables. C’était un édifice vivant qui se construisait, se défaisait, un palais des illusions et des métamorphoses !
Il se mit à crier le nom des deux femmes et l’écho lui renvoya des voix qui semblaient sorties de nulle part et n’avoir aucun destinataire. Comment identifier le cri d’origine parmi ses répétitions innombrables, qui ricochaient sur les murs et s’amplifiaient dans ces cavernes couvertes de livres ?…
Il finit par se rapprocher de plusieurs voix proches, des échos plus compacts, la voix d’Ikky.
Il entendit Ayame crier au piège mais il ne fit pas demi-tour. Comme si le piège ne s’était pas déjà refermé sur lui. Il arriva dans la pièce où l’Archiviste était mort. A terre, des parchemins à moitié effacés, et les grouillements de blattes. L’écho l’avait encore égaré davantage. Les voix étaient maintenant bien plus lointaines.
Ayame et Ikky continuèrent leur chemin avec l’assistant, et tournèrent en rond dans ce dédale qui se refermait sur elle, s’ouvrait, se transformait et les égarait encore un peu plus.
Les choses allèrent vite. Ayame passa la première un énième panneau de bois, qui se referma brusquement. Elle entendit un coup sourd derrière. Une faible lanterne qui éclairait la pièce fut soufflée et ce fut le silence. La shugenja n’entendait plus que sa respiration, dans le noir complet. Plus de bruit, plus d’échos de la voix de Hiruya. La peur ignoble lui tordait le ventre, semblait liquéfier ses os, glacer et brûler ses intérieurs, dilater son crâne et l’étrangler de l’intérieur !
Elle eut l’idée de prendre un fil de son kimono et de l’attacher à un clou au mur et de se faire ainsi un guide pour explorer les lieux. C’est dans la panique qu’elle conçut cette invention, mais elle était bien seule.
Elle repassa le panneau, Ikky n’était plus là, pas plus que l’assistant. Elle courut, son kimono s’effila et la ligne rouge laissée derrière elle attestait seulement de sa fuite. Il pouvait se rompre à tout moment, et pour le moment, zigzaguait de pièce en pièce, tournait, montait, descendait, seule trace d’Ayame dans ces obscurités profondes.
A bout de souffle, la shugenja s’arrêta, la main posée sur la cuisse, haletante. Il faisait tellement sombre ici. Elle avait besoin de voir si le fil s’était rompue. Elle invoqua de petits esprits du feux, qui naquirent dans sa main.
Avec cette faible lumière, elle eut juste le temps de voir le panneau s’ouvrir devant elle d’un coup, Matsu Bashô entrer, le visage figé par la haine et l’étranger puis recouvrir tout son visage de ses grandes mains, à en faire rentrer ses doigts dans les yeux, le nez et la bouche de la shugenja.
Hiruya, après avoir dévalé un escalier, trouva Ikky évanouie, l’assistant à ses côtés. Non loin de là, un fil rouge, qui passait le long de rayons vides, et qui serpentait dans ce labyrinthe, se terminait devant un panneau de bois, pendant dans le vide.
Ikky se réveilla, vit le fil.
On entendit alors des bruits de pas.
Arrivaient des samuraï, avec Bayushi Tangen à leur tête.
- Isawa Ayame a disparu, dit Hiruya, en remontant vers la sortie, qui se trouvait juste là, derrière le groupe de bushis.
Sans tarder, on envoya plusieurs groupes fouiller la Bibliothèque de fond en comble. On trouva l’Archiviste, seulement évanoui et nullement ligoté. Hiruya ne fit aucun commentaire. Il ne comprenait que trop ce qui s’était produit et ne voulut pas ajouter à la confusion. Ikky, tacitement, comprenait.
La bibliothèque avait repris un aspect normal. Elle en devenait même banale et on aurait eu peine à croire qu’elle fût la Bibliothèque Interdite. Pour un samuraï peu habitué à ce genre d’endroit, il n’y avait rien d’extraordinaire dans ce lieu. Beaucoup de parchemins et de poussière.
Ryu s’était lancée dans les recherches. Hiruya laissa faire, mais n’en attendait rien. Il savait que ce qui était responsable de l’enlèvement d’Ayame ne se laisserait pas ainsi retrouver par des moyens ordinaires. Même l’intelligence et la ruse des Scorpions n’y pouvait rien changer. On passa le restant de la nuit à fouiller. Ikky raconta en détails ce qui s’était passé, à Hiruya seulement. Aux Scorpions, elle dit qu’elles s’étaient perdues au retour, faute d’avoir suivi le conseil de l’assistant. La yojimbo ne voulut même pas accabler le malheureux petit bibliothécaire !
A l’aube, Ryu alla se coucher. Même le flair de la célèbre enquêtrice n’avait rien trouvé, sans parler des recherches de l’Archiviste lui-même.
- Hé bien, grommela la bushi Dragon, on se passera d’Ayame.

Shigeru se jeta à temps derrière un talus pour éviter le rocher qui tombait du ciel. L’énorme pierre tomba dans un marécage, soulevant une gerbe boueuse puante, qui éclaboussa à des mètres aux alentours.
Le Crabe osa passer la tête : personne n’avait été écrasé cette fois. Mais au loin, il apercevait les machines de guerre ennemies qui se rechargeaient.
- Zakennayo ! Nous seront bientôt hors de portée mais il va falloir encore courir !
Les têtes de ses compagnons apparurent derrière les arbres et talus où ils s’étaient réfugiés. Ils étaient encore une dizaine, de volontaires Scorpions et Dragons, emmenés par le Crabe de la Magistrature. La moitié d’entre eux avait été tuéselors de cette expédition.
L’approche des catapultes ennemies était vitale pour estimer les forces de l’armée d’invasion. Shigeru avait accepté de participer pour lever les derniers doutes sur sa fidélité : il allait de son propre chef espionner les hommes du Grand Ours.
Pendant une journée et demi, le groupe avait avancé dans la campagne, par des chemins détournés connus des seuls Scorpion. Enfin, parvenus à distance raisonnable de l’armée de l’Outremonde, ils avaient estimé la puissance et le nombre des engins de guerre. C’est alors qu’ils avaient été repérés par un sorcier auquel parlaient les esprits de la Terre. Aussitôt, d’énormes golems de terre avaient jailli autour de la troupe d’éclaireurs et il s’en était suivi un âpre combat, pendant que les Crabes envoyaient des renforts. Shigeru avait abattu de son tetsubo deux des géants mais trois membres du groupe avaient succombé, le crâne fracassé sous les poings ennemis, durs comme la pierre.
Dès lors, c’est Shigeru qui avait pris la tête du groupe. Ils avaient été rattrapés par des cavaliers de la famille Hiruma. La mort dans l’âme, Shigeru s’était en tête du groupe face à eux et leur avait laissés une chance de s’enfuir. Il avait parlé au nom de la Magistrature d’Émeraude mais il avait senti dans le regard des cavaliers masqués qu’il était un traître. Furieux, Shigeru avait tiré son sabre. Suivi par ses hommes, il avait tué les bushi Hiruma.
C’est alors que les machines de guerre s’étaient mises en route. Deux Scorpions et un Dragon avaient péri écrasés sur le moment, alors que s’abattaient trois gros rochers.
Les survivants avaient couru se mettre à l’abri et depuis, une dizaine de projectiles gros comme la tête d’un akuma s’étaient abattus et deux autres samuraï étaient morts.
Shigeru fit signe aux autres de ressortir. Ils coururent au village le plus proche. Des rochers s’écrasaient derrière eux. Ils étaient enfin saufs !
Amers, fatigués, le Crabe regarda la morne plaine derrière lui, occupée par l’armée de son clan. Il avait accompli sa mission : un ingénieur de la famille Kitsuki avait pu estimer la distance de tir des engins. Mais qu’il en aurait coûté cher de ramener cette information !
Les samuraï ne firent pas de halte au village. Hida Shigeru ordonna une marche forcée et ce n’est qu’à la nuit tombée, alors que le groupe était épuisé, que le Crabe ordonna qu’on sorte les bivouacs.
La nuit fut courte.
Les hommes furent réveillés, au milieu d’un épais brouillard, humide, aigre, par le bruit d’une forte troupe de cavaliers qui venaient du nord-ouest.
Shigeru ordonna à ses samuraï de se mettre sur leurs gardes.
- Face à une troupe si nombreuse, dit l’un des Bayushi qui avait collé son oreille au sol, nous n’avons aucune chance. Pensons à nous cacher.
- Se cacher, toujours se cacher, Scorpion-san !
- Entends-moi bien, Crabe-sama. Ma vie n’a pas d’importance mais que je meure pour ma Cité, pas au milieu d’un bois perdu dans le brouillard !
Les samuraï approchèrent de l’orée des bois, juste avant la plaine noyée dans une blancheur fantomatique. Les cavaliers apparurent, en une longue silhouette aux contours indéfinis, ombre d’un immense chevauchée confuse. Parmi la grisaille, apparurent les couleurs, rendues blafardes, d’un étendard.
- La troupe du Lion Noir, murmura Shigeru. Vous autres Dragons, avancez et signalez-vous !
Les bushis désignés obéirent. Des cavaliers se détachèrent de la troupe pendant que celle-ci continuait sa fantastique avancée.
- Oh là, nous sommes au service de la Magistrature d’Émeraude ! Un des assistants de l’honorable Miya Katsu souhaite vous parler.
- Mon nom est Sasuke, porte-parole du Lion Noir.
Hida Shigeru, qui connaissait ce samuraï comme étant l’ami de Riobe, s’avança.
- Samuraï, nous revenons d’une mission de reconnaissance des rangs ennemis. Où allez-vous ?
- Nous partons vers l’océan, Hida-sama.
- Comment ça, vers l’océan ? Vous allez combattre l’armée de l’Outremonde, non !
- Oui, mais plus ici. Nous allons la combattre sur les terres de l’océan !
- Mais il y a une gigantesque armée qui approche de la Cité !
- Justement, mon maître, le général Toturi, estime avoir fait suffisamment couler le sang de ses hommes. Il a décrété que plus un seul doshi [camarade] ne tombera sur les terres Scorpion !
- Comment ? Mais le gouverneur Goshiu, et Miya Katsu, comptent sur vous pour les aider à défendre la Cité !
- Comprends-moi bien, honorable Magistrat, Toturi pense que le plus urgent n’est pas de défendre Ryoko Owari.
- Mais par Osano-Wo, vous n’avez pas le droit !
Dans ce brouillard épais, face à ces cavaliers résolus, Shigeru s’époumonait de rage et d’impuissance.
- Sans vous, avoua-t-il, la Cité ne pourra pas résister aux assauts de l’Outremonde.
- Je le regrette pour vous, samuraï, fit froidement Sasuke, mais davantage que mon Maître.
- Si Toturi est un homme d’honneur, il ne peut éviter le combat !
- Ce n’est pas ce combat que le Lion Noir doit mener. Désormais, nul n’est en position de lui indiquer la voie à suivre.
- C’est de la folie !
- Entre nous, honorable Magistrat, je vais te répéter ce que le seigneur Toturi a soufflé à ses plus proches fidèles, dont je suis : « Plus un seul de nos sabres ne sortira pour défendre le plus grand bordel de l’Empire ! »
Shigeru en eut le souffle coupé.
- Périsse Ryoko Owari, Magistrat, peu importe car aujourd’hui, c’est Otosan Uchi la capitale qui a besoin d’être sauvée !
Shigeru et ses hommes ne purent rien répondre.
Les cavaliers de Sasuke firent demi-tour et repartirent se fondre dans la masse mouvante de l’armée du Lion Noir, qui disparut bientôt, comme happée par l’épais brouillard.
- En avant, cria Shigeru lorsque le silence fut revenu. Nous crevons de faim, de soif et de désespoir mais nous rentrerons à la Cité lui confirmer que l’un de ses alliés s’en est allé vers d’autre batailles !
Quelques heures plus tard, les murs de Ryoko Owari apparurent, comme rendus liquides par la brume, et si fragiles, si flous…
- Ouvrez les portes, au nom de la Magistrature d’Emeraude !
Le cri que poussa Shigeru avait dû être vraiment effrayant, comme celui d’un démon, car les Gardes en surveillance dans la tour des murs encochèrent leurs flèches. Shigeru y prêta à peine attention :
- Dites au Gouverneur Goshiu que l’expédition est de retour !
Enfin, on accepta la troupe à l’intérieur de la Cité.
Au palais Shosuro, le Gouverneur reçut la nouvelle et convoqua sur l’heure la troupe de Shigeru. On avait abandonné depuis le matin la recherche d’Ayame, belle et bien engloutie dans les profondeur de la Bibliothèque.
- Les catapultes, tortues de fers, trébuchets et balistes ennemies sont nombreuses, Gouverneur. Au moins une vingtaine de ces engins, protégés par des runes et glyphes maudites, sans compter la surveillance de puissants Shugenja de la terre.
Shigeru, fatigué, débitait son rapport face aux dignitaires de chaque clan et à la Magistrature d‘Émeraude. Il ne cherchait pas tellement à respecter les convenances. A quoi bon maintenant ? Il voyait l’ensemble de cette assemblée condamnée à retourner bientôt auprès des Ancêtres.
Goshiu remercia le Magistrat d’avoir mené à bien cette courageuse mission. On en concluait que l’armée de l’Outremonde serait aux portes de la ville avant deux jours et qu’il serait impossible d’y faire face.
