17-04-2007, 02:13 PM
(This post was last modified: 18-04-2007, 01:13 PM by Darth Nico.)
CHRONIQUES DE L'EMPIRE D'EMERAUDE
Le bombardement de la Cité commença le lendemain du retour de Shigeru. Des blocs assez gros pour détruire chacun un bâtiment s'écrasaient en différents endroits. Sur le quartier des pêcheurs, des marchands, sur l'île de la Larme... Certains rochers fracassaient un toit puis se mettaient à rouler en ville sur des pentes ou des sols meubles et ravageaient les autres habitations sur leur passage. C'était une panique indescriptible là où passaient ces démons de pierre. Vinrent ensuite des projectiles enduits de matière combustilble, semblables à des météores qui s'abattirent à leur tour sur la Cité. Ils ressemblaient aux plus grands ryu de feu des légendes ou au tonnerre d'Osano-Wo.
L'effroi enflammant l'imagination, les habitants de Ryoko Owari voyaient venir la fin de ce monde, le moment où le ciel s'écroule, où les étoiles s'abîment dans l'océan et où déferlent les monstres.
Il en tombait une dizaine par heure, de ces projectiles, pendant qu'une marée verte avançait sur la Cité.
Toute la journée d'avant, Bayushi Jocho avait fait renforcer les défenses de la ville, mais si hauts fussent les murs, les rochers passaient au-dessus. Rapidement, les pompiers furent débordés et, malgré l'aide des habitants, organisés pour les incendies, les flammes jaillirent un peu partout en ville. Et on n'avait pas encore vu l'ombre d'un bushi du Grand Ours en ville.
Les shugenja de l'Air repoussaient l'attaque de certains blocs de pierre, mais la plupart étaient seulement déviés. Cela permit d'épargner le quartier de la noblesse. Des navires dans le lac de l'Honneur Noyé furent coulés par les bombardements. Plusieurs temples furent brisés et des moines ensevelis dans les décombres.
Et il n'y avait rien à faire contre cet ennemi !
C'était comme si tombaient du ciel plusieurs des mille démons du Jigoku !
Maintenant, la plaine devant la ville était recouverte par la masse immense de l'armée de l'Outremonde, semblable aux plus immenses vagues de l'Océan. Et avec eux venaient des démons aux corps multiples, des malédictions sans nombre. Les armées du Scorpion, du Dragon, de la Licorne se rangèrent en ordre de bataille pour faire face et défense l'Empire face à cette déferlante destructrice.
C'était la fin de la Cité des Mensonges. A son tour, elle craquait, elle s'effondrait, inéluctablement. Pendant mille ans, elle avait dressé ses tours inquiétantes, étendue ses quartiers du vice et servi d'abris à des crimes inavouables, elle avait été le repaire des crapuleries, la gloire des terres du Scorpion ! Maintenant, elle flambait et en quelques heures, l'incendie aurait ravagé un millénaire de résistance au temps. La bataille s'engagea, sous une pluie de printemps qui avait, de mémoire d'ancien, était annonciatrice du renouveau de la nature, du début des semailles. Mais c'était les démons du royaume de Fu-Leng qui venaient maintenant moissonner les âmes du Ningen-Do. Les pires prédictions des astrologues du malheur se réalisaient, et encore au-delà de ce qui était imaginable.
Une demi-journée après le début des bombardements, qui continuèrent pendant ce temps, la bataille était engagée. Au Pont du Dragon, une troupe d'ashigarus, menée par Shosuro Jocho, repoussait des troupes de paysans transformés en démons mineurs. Le mot d'ordre de Jocho était de tenir.
Ryu suggéra de faire s'écrouler le pont. Jocho trouva l'idée bonne et ordonna aux destructeurs de la famille Bayushi de faire sauter l'antique ouvrage.
Ce n'était pas ajouter beaucoup de destruction à cette journée !
Ailleurs, les Licornes, menés par le général Otaku Tetsuko passaient à l'attaque. Bayushi Korechika était au premier rang de la bataille, à la tête de la Garde du Tonnerre.
Le pont du Dragon explosa, envoyant en l'air les corps calcinés des paysans possédés. Mais il en vint bientôt d'autres. Ryu dirigeait les lanciers mais serviteurs du Démon n'hésitaient pas à venir s'empaler pour laisser la place aux suivants.
En peu de temps, les deux rangs de lanciers furent débordés et piétinés par la horde saignante et bavante. Ryu s'attaqua à l'officier Crabe qui dirigeait ce groupe. Le samuraï avait muté, comme tant d'autres, sous l'effet de la Souillure : il avait des visages qui apparaissaient partout sur sa peau et son armure, une gueule déformée, une force surhumaine et des moignons d'ailes et un sabre suintant d'un pouvoir maudit. Ryu devait commander le retrait de ses troupes en tenant en respect son adversaire. Elle parvint à le blesser griévement et à l'envoyer rejoindre le fleuve. Mais la position du pont était perdu. Les ashigarus de Jocho et ceux de Ryu durent se replier vers l'entrée du quartier des nobles...

Devant le palais du Gouverneur, les principaux dirigeants de la ville s'étaient réunis ou avaient envoyés leurs porte-paroles, pendant que les combats continuaient à l'extérieur. Rapidement, Bayushi Korechika exposa un plan d'attaque coordonné. Il chargea son fils de préparer une retraite par le nord de la ville... Avec l'incendie qui se répandait dans la Cité, qu'aucune intervention de pompiers ne pourrait circonscrire, il n'y avait plus qu'à se battre au-dehors.
- Une dernière sortie, dit Jocho, pour détruire l'Etat-Major ennemi. Si nous ne défendons plus la Cité, défendons l'Empire lui-même.
Il y avait là la crême des guerriers de la ville.
Shosuro Jocho, bien sûr, qui s'était assuré que sa mère partirait en sécurité de Ryoko Owari ; le général Bayushi Tomaru, revenu entièrement de sa disgrâce par sa bravoure ; le général Mirumoto Daini, allié aux Nagas et nombre d'autres guerriers qui entraient aujourd'hui dans la légende de Rokugan.
A l'extérieur, les ravages provoqués par les troupes de l'Outremonde avaient détruit les champs et les villages autour de la Cité.
C'est sans espoir, mais avec un courage en acier trempé que les nobles samuraï effectuèrent une sortie à cheval. Menés par les Vierges de Bataille Otaku, ils enfoncèrent les rangs ennemis. Tandis que les Licornes continuaient à cheval, les autres mettaient pied à terre.
En quelques minutes, on vit tomber sur ce champ de bataille plusieurs guerriers que tous avaient fini par croire invincibles.
Le senseï Kitsuki Jotomon se lança contre une troupe de quatre (!!

Le quatrième Garde, intact, leva son sabre. Le senseï, un genou à terre, para le coup et le retourna contre son adversaire, qui s'entailla la cuisse. Il recula sous le coup de la douleur. Jotomon-senseï se releva, respira une dernière fois l'air de son Empire, fixa le ciel et sans trembler, reçut le sabre de son ennemi qui lui trancha la tête.
Au milieu de la mêlée, Kakita Hiruya vit mourir le senseï. Face à lui, d'autres serviteurs de Moto Tsume approchaient. Fermement, Hiruya marcha sur eux, dégaina son sabre et entailla le premier et l'acheva d'un second coup, avec la souplesse et la rapidité d'une plume dans le vent.
Le second adversaire était un dueliste accompli : les deux samuraï échangèrent plusieurs coups, rapides comme l'éclair, et Hiruya, empli de l'esprit ancestral des Kenkus, trancha le corps de son ennemi.
Shosuro Jocho, entouré de deux de ses meilleurs hommes, monta à l'attaque d'un énorme guerrier Crabe à quatre bras, maniant autant de sabres. Une longue tête allongé, un corps presque squelettique, un souffle rauque, des membres grêles comme ceux d'une mante religieuse et la vélocité d'un démon. Le camarade de Jocho fut tué mais Jocho lui-même fit face au général dont les sabres tourbillonnaient si vite qu'on aurait dit des disques de lames. Jocho trancha un bras, puis un autre et un troisième. Le monstre recula, horrifié. A ce moment, il déploya une paire d'ailes et bondit dans les airs et lança le sort des kami du Feu appelé Coeur de l'Enfer : une énorme boule enflammée jaillit de sa gueule et frappa Jocho, qui mourut sur le coup, consumé par ce brasier.
Kakita Hiruya continuait son avancée. Il courut sur le général, lui trancha son dernier bras puis le décapita promptement. Il en terminait avec l'un des plus formidables généraux de l'Outremonde. Il jaugea d'un coup d'oeil la bataille. Ryu arrivait à sa hauteur. Ils ne virent pas que le général n'était pas mort. Il se redressa à moitié, pathétique comme un pantin brisé et cracha son souffle de feu. Ryu se jeta sur le côté, mais Hiruya fut frappé grièvement !
Notre enquêtrice Dragon acheva pour de bon le général et protégea Hiruya, encore vivant mais brûlé au second degré aux jambes et à la poitrine. Iuchi Shizuka accourut et appela les esprits de l'Eau sur les plaies du Magistrat, qui sentit la brûlure s'apaiser.
Un peu plus loin, Hida Shigeru et Bayushi Bokkai, côte à côte, combattaient, l'un avec la force éternelle de la montagne, l'autre avec la ruse insatiable de la vipère ! Riobe dirigeait les derniers rônins de la ville.
Pendant que ces guerriers devenaient à jamais des héros de l'Empire, la Cité s'effondrait, dérisoire, plus rien ne s'opposant à l'affreux chaos propagé par l'Outremonde. On dit que même le lac de l'Honneur Noyé devint bouillant, du sang des corps et des rochers bouillants qui avaient chu dedans. Les troupes Crabes coururent sus à cette ville, pillant, massacrant, brisant tout sur leur passage, comme un tsunami de Souillure !
Les derniers samuraï debout sur le champ de bataille se réunirent en un petit groupe, cerné par des dizaines et des dizaines de gobelins et de samuraï déchus. Ils étaient peut-être une trentaine, guère plus, en un petit cercle, face à des adversaires cent fois plus nombreux. Et face à eux, approchait un monstrueux Oni qui menait cette armée. Il sortait juste par une porte Magique du Puits de l'Enfer, dont il exsudait l'odeur à des lis à la ronde. Il ressemblait à un Ryu des légendes, mais corrompu par Fu-Leng. Il avait bien la tête d'un dragon élémentaire, mais son corps était celui d'une fourmi géante et ses pattes celles d'un bouc et ses membres antérieurs des pattes de tigre terminés par des griffes longues comme des lames. Ses deux paires d'ailes rougeoyantes, propageaient un bruit grondant comme le tonnerre.
Les samuraï firent une prière à leurs Ancêtres, car même à eux tous, ils ne pourraient venir à bout de cette créature d'une perfection démoniaque.
Shiba Ikky faisait partie de ce groupe. Elle repensa à la shugenja, qu'elle ne reverrait jamais. A côté d'elle se trouvait un samuraï de sa famille, au visage casqué et masqué. Elle croisa son regard : effrayée, elle vit que le masque représentait le visage de Nakiro.
- N'ayez crainte, ricana le samuraï, en montrant ses deux paumes de mains sur lesquelles étaient tatouées des yeux pleurant du sang, je viens tirer ma révérence. Saluez Ayame !
Alors le samuraï bondit dans les airs, très haut et atterrit juste devant le démon. Il explosa d'un rire tonitruant devant la formidable chimère et les samuraï qui s'étaient trouvés au village thermal reconnurent le sinistre Inquisiteur Nakiro.
Le monstre voulut le faucher de sa queue de crocodile, mais Nakiro bondit en l'air, rebondit sur sa tête, sauta en l'air et grandit d'un coup démesurément, se transformant en une gigantesque vouivre dont la gueule rappelait le sourire douloureux de Nakiro !
La vouivre ensserra la chimère de sa queue et entreprit de l'étrangler, pendant que ses pattes griffues s'enfonçaient dans l'abdomen craquelant et qu'elle lui déchirait le coup de sa mâchoire. C'était une formidable lutte, entre deux puissances monstrueuses, qui fauchaient, pendant leurs combat, tous les serviteurs subalternes de l'Outremonde, qui se dispersèrent dans un affreux grouillement.
Ebahis, les samuraï assistèrent à ce combat. Alors, Nakiro, hurlant, ordonna aux shugenja de lancer leurs sorts les plus destructeurs.
Outre Iuchi Shizuka, il y avait quatre membres de la famille Yogo : tous invoquèrent en même temps les élèments du feu et cinq formidables météores jaillirent en même temps, convergeant sur les deux créatures, qui furent changées en une immense torche !
Les shugenja invoquèrent encore la puissance du Jade pour abattre ces êtres souillés. Les deux carcasses, calcinés, morcelées, s'abattirent en une pluie de feu sur les créatures de l'Outremonde, qui furent rôties et purgées par ce déluge de flammes et de jade !

C'en était terminé de cette armée d'invasion, qui, ses généraux morts, se dispersa comme une colonie de fourmis affolées. De même, la Cité des Mensonges s'effondrait. Les plus beaux bâtiments n'étaient plus que d'hideuses carcasses noires et la ville l'ombre de ce qu'elle fut.
Des centaines de samuraï et des milliers d'hommes du peuple étaient morts en quelques heures.
Le groupe des quarante put respirer. Certains tombèrent, blessés qu'ils étaient, et moururent peu après. D'autres restèrent mutilés à vie. Ils étaient les derniers à avoir tenu face à l'Outremonde. Le Gouverneur Goshiu avait assisté à cette destruction, avec Miya Katsu à ses côtés et les femmes de la noblesse et plusieurs vieillards. Ils virent revenir vers eux Kakita Hiruya, en sa qualité de yojimbo et Bayushi Korechika. Il restait quelques jeunes samuraï Scorpion, plusieurs Vierges et bushi Licornes. Les autres survivants étaient ailleurs autour de la ville, aux portes qu'ils n'avaient pu défendre, ou bien aidaient d'autres dignitaires à partir vers le nord, les montagnes.
Korechika et Hiruya s'inclinèrent devant le Gouverneur, qui n'avait rien perdu de leurs exploits.
Hiruya s'apprêtait à... Ou plutôt, il ne s'apprêtait à rien. Miya Katsu le regardait, lui faisant signe d'un battement de cil qu'il comprenait sa fatigue, son découragement. Ils n'avaient rien pu faire pour empêcher la ruine de la Cité.
On vit alors s'avancer, au milieu de ce champ de desespoir, un rônin au pas lent, fatigué lui aussi, mais aux veines emplies d'un sang encore bouillant. Il sembla que son pas, trébuchant, imposa un silence supplémentaire au silence déjà surnaturel qui suivait la bataille.
C'était Tsuyoshi.
Emprisonné sur ordre de Goshiu, il avait été accusé d'être le Ninja, avant que celui-ci ne soit capturé. Devant tous les dignitaires du palais Shosuro, il avait lancé à la face du Gouverneur qu'il était venu à Ryoko Owari pour le tuer en duel singulier, sur ordre de son maître Akodo Kage.
Il avait passé les jours précédant la bataille dans une geôle, avant d'être libéré pour aller se battre. Il avait été intégré au groupe de doshi dirigés par Riobe et ensemble, ils avaient accompli plusieurs exploits dont nul ne se souviendrait, car ils n'étaient que des rônins. Mais ils savaient que la force des Ancêtres coulait dans leurs veines, quand ils avaient détruit les machines de guerre ennemies ou abattu les archers Crabe.
Maintenant, Tsuyoshi, délivré de ses devoirs envers la Cité, avançait, pour accomplir la dernière volonté de son maître.
Il ne tenait pas plus facilement debout que Hiruya, mais il était déterminé à aller au bout. Notre Magistrat Grue, en sa qualité de yojimbo du Gouverneur n'avait pas le choix. Goshiu-sama avait refusé le duel mais le rônin avait refusé ce refus !
Hiruya devait donc faire son devoir.
A la cour d'hiver, Tsuyoshi avait dégainé une fraction de seconde avant lui et lui avait laissé une légère entaille sur la joue. Mais aujourd'hui, il s'agissait d'un combat à mort.
Kakita Hiruya fit un pas en avant. Maintenant que l'Outremonde s'enfuyait, comme reflue un cauchemar au réveil, l'assistance, dispersée aux portes de la Cité en ruine, n'avait plus d'yeux que pour ce fantastique duel.

Tsuyoshi regarda son adversaire sans inimitié. Il ne pouvait être question de haine entre eux, ce n'était que l'honneur. Les deux samuraï mirent la main sur la garde du sabre. Sans doute dans leur regard passa alors quelque chose par quoi ils se sentaient, au milieu de ces horreurs et de la proximité de la mort, amis.
Ils dégainèrent en même temps mais se ratèrent. Ils reculèrent d'un pas et se remirent en garde, comme deux fauves, la lame pointé devant eux vers le bas.
Qui pourrait gagner ? A ce moment, c'était strictement indécidable.
Les deux samuraï attaquèrent ensemble. Tsuyoshi entailla Hiruya aux côtes et reçut un coup dans le bras. Le yojimbo du Gouverneur recula, chancelant, de même que son adversaire qui, pourtant, se remit en marche. Il n'était plus qu'à quelques pas de Goshiu-sama.
Bayushi Korechika fit alors un geste de la main.
Une flèche vint se planter dans le dos de Tsuyoshi, qui mit un genou à terre. Il faillit s'étendre pour de bon. Le regard exorbité, comme déjà possédé par la mort qui grandissait en lui, il regarda la Cité en ruines, le ciel immense et la plaine dévasté et tous les hommes autour de lui, qui ressemblaient déjà à des fantômes. Il commença à se relever, en brandissant son sabre de plus belle. Une volée de flèches s'abatitt sur lui, en tous sens. Cette fois, il s'écroula pour de bon. Tsuyoshi repensa à une petite vieille, diseuse de bonne aventure, croisée dans les ruelles sales de la Cité. Elle lui avait prédit qu'avant peu, il serait changé en hérisson.
Pour un peu, le samuraï aurait souri, transpercé d'une dizaine de flèches. Son dernier regard fut pour Hiruya. Ce dernier le vit clairement et en resta pénétré, intensément. Jamais il ne pourrait oublier ce regard.
Puis il fixa avec une haine brûlante Korechika, l'ignoble lâche !
Miya Katsu fixa alors le Gouverneur et dit simplement :
- Dans ses conditions, Goshiu-sama, j'estime que mon assistant est délivré de ses devoirs envers vous. La Magistrature d'Emeraude peut venir en aide à des samuraï défaits mais pas à des hommes deshonorables.
Le Gouverneur ne put rien répondre.
Nul n'avait perdu une miette de toute cette scène. Il y avait littéralement des dizaines de témoins de la perfidie des Scorpions. Miya Katsu soutint Hiruya, pendant que des shugenja accouraient pour guérir notre héros.
En passant près du corps de Tsuyoshi, il se pencha et ramassa son daisho. Puis il rejoignit les autres samuraï d'Emeraude, sans plus un regard pour les Scorpions.

Le soir, dans la ville à l'état zéro, les samuraï retrouvèrent l'endroit où avait logé Tsuyoshi, à peu près épargné. Il n'y avait que quelques effets personnels, ainsi que, dans un petit coffret, un papier sur lequel le rônin, comme les guerriers qui s'apprêtent à mourir, avait rédigé un poème :
"Plutôt que de vivre sans honneur / Mieux vaut pour l'homme / Combattre sans répit / Et mourir comme un chien."
Hiruya était accompagné de Riobe et les deux hommes se recueillirent devant ce papier, en méditant ces paroles impitoyables.
- Tsuyoshi était l'incarnation de l'excellence du samuraï, dit Riobe. Il était un vrai doshi. Son destin était de mourir pour le Lion Noir. S'il avait combattu en duel le Gouverneur, il aurait vaincu.
- Il ne le pouvait pas, il n'était plus qu'un rônin.
- Oui, fit Riobe. Déchu de son rang de samuraï par le caprice d'un ignoble Lion.
- Que veux-tu dire ?
- Tsuyoshi s'est confié à moi avant la bataille.
En quelques mots, Riobe rapporta ce que le rônin lui avait dit. Comment le cruel Matsu Matasaka avait jeté Tsuyoshi dans la boue avant de le dégrader et lui retirer son nom de famille.
- Donc, dit Hiruya, c'est par la faute de ce Matasaka si Tsuyoshi n'a pu combattre le Gouverneur...
- ... et s'il est mort ainsi, tué comme un voleur de poules !
- J'ai compris dans le dernier regard de Tsuyoshi qu'il comptait sur moi pour ramener son daisho à sa famille.
- Confiez-moi ce daisho, dit Riobe. C'est celui d'un doshi qui a combattu sous mes ordres.
- Que veux-tu faire ?
- Passer le katana au travers de la poitrine de celui qui a deshonoré Tsuyoshi.
Hiruya ne répondit rien.
- Je ne suis qu'un rônin. Mon maître est Toturi, mais entre camarades, l'honneur est sacré.
- Où habite Matsu Matasaka ?
- Souvenez-vous, Hiruya-sama. C'est le cruel seigneur qui a son domaine de l'autre côté de la frontière, dans la vallée d'Inchu. Je n'en aurai pas pour longtemps.
- N'oublie pas que le moine Tadakune t'a demandé de le suivre.
- Oui mais où veut-il nous emmener ?
- Je l'ignore.
Les deux hommes ressortirent du quartier des pêcheurs. Dans une section à peu près épargnée du palais d'Emeraude, Miya Katsu faisait préparer les bagages pour la Magistrature.
Le Moine Tadakune et Rukya venaient de s'entretenir longuement avec Shiba Ikky.
- Je sais où est Ayame, dit cette dernière, une lueur surnaturelle dans le regard. Je ne sais comment le dire, dit la yojimbo, mais je me sens liée à elle. On le dit, dans les légendes, qu'entre le yojimbo et celui qu'il protège se crée parfois un lien si fort qu'ils peuvent toujours se retrouver, si loin soient-ils l'un de l'autre.
- Où est Ayame, alors ?
- Dans cette direction, fit Ikky en pointant le nord-est.
- Aller dans cette direction porte malheur, remarqua Hiruya.
En effet à Rokugan, voyager vers le nord-est est toujours de mauvais augure.
- Cette direction, dit le Moine, est pourtant la bonne.
- C'est là-bas que se trouve Ayame, affirma encore Ikky.
Du reste, personne dans le groupe n'était surpris. Iuchi Shizuka trouvait parfaitement plausible un tel lien mystique, forgé dans les épreuves et un secours mutuel. Même Bayushi Bokkai n'avait pas envie d'ironiser à ce sujet.
- Si je puis suggérer ceci, fit Riobe.
- Nous t'écoutons.
- Si nous remontons vers le nord, nous traverserons la Chaine du Toit du Monde dans une région où elle n'est pas trop haute. Ainsi nous gagnerons du temps. En continuant vers le nord, nous arriverons à la Cité de la Grenouille Riche. Nous pourrons alors bifurquer vers l'est...
- Et ainsi ne pas voyager direction nord-est, sourit Hiruya.
- Et arriver ainsi dans la vallée d'Inchu, conclut Riobe.
Du regard, Miya Katsu interrogea ses assistants.
- Accompagnez-moi au château de ma famille, dit le vieux Magistrat. Ce n'est qu'à une journée et demi d'ici. Ce n'est pas un grand détour pour vous. Je dois écrire là-bas impérativement au Champion d'Emeraude, pour rendre compte de ce qui s'est passé à la Cité. Vous repartirez, sous les ordres de Kakita Hiruya et irez accomplir ce que le Moine Tadakune exige de vous.
Tous hochèrent la tête d'approbation.
- En route, samuraï, nous n'avons plus rien à faire dans cette ville !
Et c'est ainsi que nos héros quittèrent Ryoko Owari, qui n'était plus qu'un champ de bâtisses calcinées, de maisons éventrées, de ruelles de mort, de fragiles constructions défiant encore le ciel mais menaçant de croûler, une ville habitée par des gens terrés dans les ruines, effrayés, et dirigée par des samuraï moins honorables que des chiens.
A suivre...
