06-11-2007, 01:43 AM
(This post was last modified: 25-12-2007, 01:23 AM by Darth Nico.)
Nos samuraï rentrèrent au Village Stratégique, le lendemain soir.
- Allons vite dormir, samuraï, leur dit Miya Katsu après avoir entendu le rapport de Hiruya, car demain, la journée sera longue.
Tout le monde en était d'accord et Ayame fut la première au lit, et la première levée le lendemain. On sentait qu'il y avait de l'orage dans l'air, au palais des Magistrats. Bien avant le lever du soleil, les samuraï étaient dans leurs préparatifs.
Dame Soleil pointait à peine quand Hiruya, Ayame et Ikky se rendirent au palais du Lion Noir. Ils demandèrent à parler à l'un des bras droits du général Toturi, le capitaine Sasuke.
- Nous nous excusons platement de vous déranger si tôt, dit Hiruya.
- Pas du tout, Magistrats. Un soldat est toujours debout de bonne heure, et toujours prêt à aider d'honorables samuraï.
- Nous venons parler de Riobe.
- Le capitaine Watanabe ?
- Si vous préférez.
- C'est sous ce nom et ce grade qu'il est connu parmi nous.
- Il a toujours porté ce nom et ce grade ?
- Il a été promu ces derniers mois, quand il s'est joint à notre armée. Sa valeur lui a permis d'accéder rapidement au rang qui lui revenait.
- Quant à son nom ? Il me semble qu'il s'était toujours fait appeler Riobe.
- Vrai. Mais étant donné les circonstances, et la reformation des anciens frères d'armes sous la bannière du Lion Noir, il est devenu courant d'utiliser nos anciens noms.
- Bien. Nous nous adressons à vous car il nous semble que vous connaissiez bien Watanabe.
- En effet.
- Savez-vous où il se trouve à l'heure actuelle ?
- Par Osano-Wo, il a rejoint notre armée, avant de revenir vous servir, Magistrat.
- Ne s'est-il pas montré parmi vous depuis ?
- Non.
- Nous ignorons où il se trouve. Le fait est que, l'ayant enlevé à notre armée, nous l'avons rendu à sa condition de rônin. Il est donc, en quelque sorte, libre de ne plus servir de maître, puisqu'il a perdu son nom. Cependant, nous avons retrouvé sa trace il y a peu.
- Vous m'en voyez ravi. Beaucoup, ici, souhaitent son retour. Car c'est un officier de valeur.
- Depuis combien de temps, Sasuke, êtes-vous aux ordres du Lion Noir ?
- Depuis mon gempukku.
- Vous n'avez jamais quitté le service de Toturi ?
- Jamais.
- Et Watanabe ?
- Il n'a rejoint notre armée que récemment.
- Cela n'a-t-il pas créé des dissensions, entre fidèles de la première heure, et ceux qui se sont ralliés tardivement ?
- Aucun frère d'armes ne quitte vraiment le service de Toturi.
- Allons, vous jouez sur les mots.
- Entendu. J'admets que, bien sûr, ceux qui sont dans l'armée depuis des années se sentent privilégiés. N'est-il pas naturel qu'ils le soient ?
- Sans doute. Ce que je voudrais apprendre, c'est ce que Watanabe a pu dire de sa vie. Vous le connaissiez bien.
- Les soldats du Lion Noir ne parlent que de l'avenir, pas du passé. Et mieux encore : ils se concentrent sur les tâches présentes.
- Je veux savoir si Watanabe a parlé d'une vengeance... d'un affront. Ou quelque chose comme cela.
- Il parlait parfois d'un rônin qu'il avait apprécié, qu'il citait en exemple de rédemption. Sotan.
- Nous le connaissions un peu. Personne d'autre ?
- Pas à ma connaissance.
- Capitaine Sasuke, nous avons des raisons de croire que Watanabe s'est battu en duel contre un Scorpion, et qu'il l'a tué.
- C'était son droit. Il n'avait pas à demander l'autorisation à quiconque.
- Pas même au général Toturi ?
- Non, du moment qu'il n'était pas dans notre armée.
Hiruya faillit répondre qu'on allait et venait bien à son aise dans cette armée ! Mais ne venait-il pas de la rejoindre, avec ses assistants, tout en continuant à enquêter à côté ?
- Watanabe était-il du genre à provoquer des duels ?
- Il était intransigeant sur son honneur, comme tout frère d'armes doit l'être. Mais il ne s'est jamais battu.
- Qu'est-ce qui aurait pu l'y pousser ?
- Une raison sacrée. L'honneur. Une insulte grave...
- Je vous remercie.
Les samuraï se retirèrent en s'excusant encore.
- Les paroles de Sasuke, dit Ayame, confirment le témoignage du yoriki de la Cité de l'Or Bleu.
- Oui. Shosuro Emmon a été vantard une fois de trop. S'il a insulté Riobe, il méritait la mort. Reste qu'ils se sont battus dans cette masure minable. Et qu'il y avait ces hommes de mains, habillés en noir.
- Emmon se cachait de Hiroru, dit Ayame. Quant aux hommes de main...
Elle haussa les épaules.
- Allons parler à Hiroru justement, déclara Hiruya.
- Si vous le permettez, dit la shugenja, je pourrais...
- Oui, vas-y seule. Cela le mettra en confiance.
Etonnée, Ayame remercia Hiruya de cette marque de confiance.

Hiroru se leva de la table où il prenait le repas du matin avec ses hommes.
- Ayame-sama désire-t-elle partager la vie de caserne ?
- Je ne viens pas vous aider dans vos corvées de pomme de terre, caporal, répondit la shugenja. En revanche, nous avons à parler.
- J'ai compris, j'ai compris, je vous suis...
Ayame et Ikky emmenèrent Hiroru dans la même pièce que la dernière fois. On y était tranquille.
- Nous avons du nouveau pour vous. Emmon a rejoint ses Ancêtres.
Hiroru resta interdit un moment.
- Il a été tué par notre rônin, Riobe.
- Tiens donc...
- Cela vous déçoit ? Vous auriez préféré vous en charger ?
- Comment Emmon est-il mort ?
- En duel.
- C'est une trop belle mort pour lui.
- Vous pensiez vous y prendre autrement ?
- Ma foi, ricana Hiroru, cynique...
- Ce soir, caporal, nous allons nous retrouver chez Kitabakate. Qu'en penses-tu ?
- Vous me l'avez déjà promis.
- Tant mieux. Alors rendez-vous là-bas, après l'heure de Shinjo.
- J'y serai. J'obtiendrai une permission !
- Fais le mur si nécessaire, dit Ikky, mais sois au rendez-vous !
Nos héros passèrent la journée, fébriles, à s'occuper : ils firent des exercices physiques, lurent, s'absorbèrent dans l'origami ou la calligraphie.
Le soir, ils partirent en ordre de marche chez la vieille Kitabakate. C'était toute la Magistrature qui frappait à la porte !
- Nous sommes honorés, Kitabakate-senseï, de votre accueil.
C'est Iuchi Shizuka qui avait organisé l'invitation. Elle connaissait mieux Kitabakate depuis qu'elle s'était renseignée auprès d'elle sur Kishidayu.
- C'est moi qui suis honorée de vous accueillir.
On commença, pour se mettre dans l'ambiance, par parler des incertitudes, du monde comme il va...
Puis Hiruya amena la conversation sur les sujets sérieux.
- Nous sommes allés à la Cité de l'Or Bleu, senseï. Nous y avons fait une découverte macabre. Shosuro Emmon est mort.
La vieille Shosuro accusa le coup. Si elle s'attendait à pareille nouvelle.
- Hélas, il était bien mort. Et nous pensons connaître celui qui l'a tué. C'est ce rônin qui a été avec nous, Riobe.
Kitabakate soupira.
- Vous n'aviez pas vu Emmon-san depuis longtemps, senseï ?
- Oui. Il y avait bien cinq ans.
- Etait-il habile au sabre ?
- Autant qu'on peut l'être. Lui et ce rônin se sont-ils battus en duel ?
- Oui. Car Emmon avait mortellement offensé Riobe, voici deux ans.
- Je vois.
- Nous savons également pourquoi Emmon avait quitté sa maison de la Cité de la Forêt des Ombres. Il cherchait à fuir un intrus.
- Un intrus ?
- Oui, quelqu'un qui doit bientôt nous rejoindre.
- Tiens donc...
- Il paraît incroyable qu'Emmon puisse redouter quelqu'un, n'est-ce pas ?
Une servante vint alors annoncer qu'un soldat attendait à la porte.
- Qu'il entre.
La servante repartit en refermant doucement le panneau. Des pas. Elle rouvrit doucement le panneau. Hiroru entra, aussi fier qu'à son habitude, la lèvre arrogante. Kitabakate le foudroyait du regard, mais il soutint ce défi aussi longtemps que le lui permettait son rang. Puis il s'inclina et s'assit sur le côté, entre la maîtresse de maison et ses invités.
- Nous avons à parler, caporal, annonça Hiruya.
- Si cela peut aider la Magistrature d'Emeraude, dit le soldat en haussant les épaules.
- Ce qui nous aiderait, justement, c'est que tu nous parles de toi. Que tu nous dises ce que tu avais après Emmon. Et le reste.
Hiroru s'était sans doute préparé à subir ce genre d'interrogatoire. Il ne devait pas être fâché d'avoir un public de choix. Quant à Hiruya, après ce que Hiruya avait entendu de la vie de Yajinden, il se sentait prêt à tout.
Mais peut-être pas à entendre la vie de Hiroru.

- Commençons par l'essentiel, dit Hiruya. Qui a fait de toi un Ninja ? Qui a pu t'apprendre à traquer l'ombre, à passer inaperçu, à défier tes poursuivants...
- Deux hommes m'ont formé, samuraï. Mais si je vous parle, considérez que vous êtes déjà tous morts.
- Et pourquoi ?
- Parce que ces gens ont le pouvoir de voir et d'entendre tout un chacun, aussi facilement que s'ils étaient à côté de vous.
- Cela je l'ai déjà entendu, dit Hiruya, de la bouche d'une fille à moitié folle qui redoutait la vengeance du Condor...
- Alors que puis-je vous dire de plus ?
- Nous savons que le Condor n'était qu'une partie d'une organisation plus vaste, possédant d'autres branches. La maison du Condor n'était que l'une d'elle. Maître Condor n'était pas seul ! Il y en a d'autres, Hiroru ! Qui ?...
Kitabakate alluma une pipe. Elle ne pensait pas qu'on en viendrait si vite à ce point. Elle prit garde, de toute la soirée, à dissimuler ce qu'elle savait à ce sujet.
- Je vois que vous êtes bien renseignés, ironisa Hiroru.
- C'est notre tâche, figure-toi, caporal.
- Bien, je vois.
- Parle, nous t'écoutons.
- Quand j'étais jeune, j'ai peu à peu perdu confiance en l'idéal des samuraï. Et un homme m'a pris sous sa protection à ce moment. Un homme qui se faisait appeler Tigre.
- Tigre... Comment était-il ?
- Je l'ignore. Il apparaissait dans un ample manteau, avec un masque lui couvrant tout le visage.
- Quels pouvoirs avait-il ?
- J'ignore si c'était un shugenja. Je sais en revanche que c'était un maître du chantage et de la manipulation. Il exerçait une véritable terreur sur ses sujets.
- Dont toi ?
- Dont moi.
- Il a fait de toi un "Ninja" ?
- Il m'a appris à traquer les créatures qui rampent dans la nuit.
- Seul ?
- Non, un autre l'aidait.
- Un autre Maître ?
- Oui, vêtu lui aussi d'un manteau et d'un masque. Lui se faisait appeler Cristal.
- Quand était-ce ?
- Il y a plus de dix ans.
- Tu ne sais pas qui était ce Cristal ?
- Non.
- Tu es encore à leur service ?
- Non. Je suis parti. Je me suis enfui.
- Tu disais qu'ils pouvaient retrouver n'importe qui, n'importe où.
- J'ai profité de certains de leurs dons. Dont mon kimono, qui peut me rendre partiellement invisible. Et des techniques qu'ils m'ont enseignées.
- Qu'as-tu fait ?
- J'ai continué à traquer les créatures de l'Ombre. Seul.
On sentait que Hiroru n'était guère bavard. Il était farouche.
- Tu en as trouvé beaucoup ?
- Oui. Des hommes aux visages effacés. Je les ai tués.
- Tu as fait ce qu'on t'a appris.
- Oui.
- J'en viens maintenant à un évènement plus récent, Hiroru. Pourquoi es-tu allé trouver Shosuro Emmon ?
- Allons, Magistrat...
- Ne te défile pas, Hiroru. Réponds.
- Je suis allé voir Emmon pour me venger de lui.
- Que t'a-t-il fait ?
- Il a fait de moi ce que je suis !
- C'était Tigre ?
- Non. Cristal.
- Comment le sais-tu ?
- Qui vit parmi les ombres finit par découvrir les secrets des ombres, Magistrats...
- Cristal était corrompu par l'Ombre ?
- Non, il la traquait, lui aussi. Mais il a ruiné ma vie. Il a fait de moi un moins que rien.
- Ne crois-tu pas, dit Hiruya, négligemment mais sachant fort bien ce qu'il disait (et remerciant presque Yajinden de lui fournir matière à cette question !
, ne crois-tu pas que Emmon était un peu jeune pour avoir été ce Cristal qui t'a formé, il y a dix ans ?...
Hiroru ne sut que répondre. Il accusait le coup.
Kitabakate devina que Hiruya cachait quelque chose.
- Je ne sais pas.
- Bien. Continuons. Tu as quitté cette organisation... le Kolat, c'est bien ainsi qu'elle s'appelle ?
- Oui, c'est son nom.
- Et elle se divise en plusieurs branches ?
- Je crois bien.
- Combien ?
- Je l'ignore !
- Au moins deux : une dirigée par Tigre, une autre par Cristal.
- Sans doute. Où voulez-vous en venir ?
- Quel est leur but ?
- De ce que j'en sais, ils se vouent à détruire l'ombre vivante... Je sais qu'ils la connaissent bien. Qu'ils savent user de pouvoirs inconnus dans Rokugan...
- Des pouvoirs gaijin ?
- Peut-être.
- Les poupées gaijin, pensa Ayame à voix haute.
- Tu es persuadé que Emmon n'était autre que Cristal ? Tu as voulu le faire parler, c'est ça...
- Oui, pour retrouver la piste de Tigre. C'est lui que je veux abattre.
- Nous avons trouvé la trace de cette organisation, dit Ayame, jusqu'à l'époque du Gozoku. Cela te dit-il quelque chose ?
- Je ne connais rien de cette période.
- La question est de savoir, dit Ayame, si le Kolat est une organisation vieille de plus de sept siècles. Ou si les actuels Maîtres n'ont fait que ressusciter cette vieille conspiration, dont, du reste, nous ignorons les buts exacts.
- Oui, dit Hiruya, y-at-il continuité, ou bien résurgence ?
- Je n'en sais rien, dit Hiroru, agacé.
- Il y a une continuité au moins dans le folklore, dit Ayame. La Grue Noire, des noms codés pour les Maîtres... Je pense que le nom de Cristal était déjà emploué à l'époque du Gozoku. Traquaient-ils déjà l'Ombre à cette époque ?
- Reste à savoir, dit Hiruya, si Riobe savait l'identité cachée de Shosuro Emmon.
- C'est peu probable, dit la vieille Kitabakate, puisqu'il venait régler une question d'honneur.
- Reste aussi à savoir, dit Ikky, où est Riobe maintenant. Bokkaï l'a vu dans Otosan Uchi. Qu'y faisait-il ?
- Il va bientôt être temps pour moi, dit Hiruya, de retourner voir Daidoji Yajinden, pour mon duel. Ensuite, nous devons attendre que Bokkaï revienne avec la famille Hanteï, comme Toturi l'a demandé.
- Rien ne nous empêche, dit Kohei, d'aller à Otosan Uchi. Riobe ne sait peut-être pas qu'il est en danger ! Ou bien s'est-il réfugié près de la Cité Interdite, s'y croyant à l'abri d'assassins au service de la maison du Cristal !
Kitabakate fit servir le thé.
- Si vous n'avez plus besoin de moi, samuraï, je vais me retirer. J'effectue des manoeuvres cette nuit avec mes hommes...
- Va, dit Hiruya.
Il semblait dire : "va tenter de rattraper une vie de deshonneur en servant humblement le Lion Noir." Après tout, ce n'était qu'un rônin !
A suivre...
- Allons vite dormir, samuraï, leur dit Miya Katsu après avoir entendu le rapport de Hiruya, car demain, la journée sera longue.
Tout le monde en était d'accord et Ayame fut la première au lit, et la première levée le lendemain. On sentait qu'il y avait de l'orage dans l'air, au palais des Magistrats. Bien avant le lever du soleil, les samuraï étaient dans leurs préparatifs.
Dame Soleil pointait à peine quand Hiruya, Ayame et Ikky se rendirent au palais du Lion Noir. Ils demandèrent à parler à l'un des bras droits du général Toturi, le capitaine Sasuke.
- Nous nous excusons platement de vous déranger si tôt, dit Hiruya.
- Pas du tout, Magistrats. Un soldat est toujours debout de bonne heure, et toujours prêt à aider d'honorables samuraï.
- Nous venons parler de Riobe.
- Le capitaine Watanabe ?
- Si vous préférez.
- C'est sous ce nom et ce grade qu'il est connu parmi nous.
- Il a toujours porté ce nom et ce grade ?
- Il a été promu ces derniers mois, quand il s'est joint à notre armée. Sa valeur lui a permis d'accéder rapidement au rang qui lui revenait.
- Quant à son nom ? Il me semble qu'il s'était toujours fait appeler Riobe.
- Vrai. Mais étant donné les circonstances, et la reformation des anciens frères d'armes sous la bannière du Lion Noir, il est devenu courant d'utiliser nos anciens noms.
- Bien. Nous nous adressons à vous car il nous semble que vous connaissiez bien Watanabe.
- En effet.
- Savez-vous où il se trouve à l'heure actuelle ?
- Par Osano-Wo, il a rejoint notre armée, avant de revenir vous servir, Magistrat.
- Ne s'est-il pas montré parmi vous depuis ?
- Non.
- Nous ignorons où il se trouve. Le fait est que, l'ayant enlevé à notre armée, nous l'avons rendu à sa condition de rônin. Il est donc, en quelque sorte, libre de ne plus servir de maître, puisqu'il a perdu son nom. Cependant, nous avons retrouvé sa trace il y a peu.
- Vous m'en voyez ravi. Beaucoup, ici, souhaitent son retour. Car c'est un officier de valeur.
- Depuis combien de temps, Sasuke, êtes-vous aux ordres du Lion Noir ?
- Depuis mon gempukku.
- Vous n'avez jamais quitté le service de Toturi ?
- Jamais.
- Et Watanabe ?
- Il n'a rejoint notre armée que récemment.
- Cela n'a-t-il pas créé des dissensions, entre fidèles de la première heure, et ceux qui se sont ralliés tardivement ?
- Aucun frère d'armes ne quitte vraiment le service de Toturi.
- Allons, vous jouez sur les mots.
- Entendu. J'admets que, bien sûr, ceux qui sont dans l'armée depuis des années se sentent privilégiés. N'est-il pas naturel qu'ils le soient ?
- Sans doute. Ce que je voudrais apprendre, c'est ce que Watanabe a pu dire de sa vie. Vous le connaissiez bien.
- Les soldats du Lion Noir ne parlent que de l'avenir, pas du passé. Et mieux encore : ils se concentrent sur les tâches présentes.
- Je veux savoir si Watanabe a parlé d'une vengeance... d'un affront. Ou quelque chose comme cela.
- Il parlait parfois d'un rônin qu'il avait apprécié, qu'il citait en exemple de rédemption. Sotan.
- Nous le connaissions un peu. Personne d'autre ?
- Pas à ma connaissance.
- Capitaine Sasuke, nous avons des raisons de croire que Watanabe s'est battu en duel contre un Scorpion, et qu'il l'a tué.
- C'était son droit. Il n'avait pas à demander l'autorisation à quiconque.
- Pas même au général Toturi ?
- Non, du moment qu'il n'était pas dans notre armée.
Hiruya faillit répondre qu'on allait et venait bien à son aise dans cette armée ! Mais ne venait-il pas de la rejoindre, avec ses assistants, tout en continuant à enquêter à côté ?
- Watanabe était-il du genre à provoquer des duels ?
- Il était intransigeant sur son honneur, comme tout frère d'armes doit l'être. Mais il ne s'est jamais battu.
- Qu'est-ce qui aurait pu l'y pousser ?
- Une raison sacrée. L'honneur. Une insulte grave...
- Je vous remercie.
Les samuraï se retirèrent en s'excusant encore.
- Les paroles de Sasuke, dit Ayame, confirment le témoignage du yoriki de la Cité de l'Or Bleu.
- Oui. Shosuro Emmon a été vantard une fois de trop. S'il a insulté Riobe, il méritait la mort. Reste qu'ils se sont battus dans cette masure minable. Et qu'il y avait ces hommes de mains, habillés en noir.
- Emmon se cachait de Hiroru, dit Ayame. Quant aux hommes de main...
Elle haussa les épaules.
- Allons parler à Hiroru justement, déclara Hiruya.
- Si vous le permettez, dit la shugenja, je pourrais...
- Oui, vas-y seule. Cela le mettra en confiance.
Etonnée, Ayame remercia Hiruya de cette marque de confiance.

Hiroru se leva de la table où il prenait le repas du matin avec ses hommes.
- Ayame-sama désire-t-elle partager la vie de caserne ?
- Je ne viens pas vous aider dans vos corvées de pomme de terre, caporal, répondit la shugenja. En revanche, nous avons à parler.
- J'ai compris, j'ai compris, je vous suis...
Ayame et Ikky emmenèrent Hiroru dans la même pièce que la dernière fois. On y était tranquille.
- Nous avons du nouveau pour vous. Emmon a rejoint ses Ancêtres.
Hiroru resta interdit un moment.
- Il a été tué par notre rônin, Riobe.
- Tiens donc...
- Cela vous déçoit ? Vous auriez préféré vous en charger ?
- Comment Emmon est-il mort ?
- En duel.
- C'est une trop belle mort pour lui.
- Vous pensiez vous y prendre autrement ?
- Ma foi, ricana Hiroru, cynique...
- Ce soir, caporal, nous allons nous retrouver chez Kitabakate. Qu'en penses-tu ?
- Vous me l'avez déjà promis.
- Tant mieux. Alors rendez-vous là-bas, après l'heure de Shinjo.
- J'y serai. J'obtiendrai une permission !
- Fais le mur si nécessaire, dit Ikky, mais sois au rendez-vous !
Nos héros passèrent la journée, fébriles, à s'occuper : ils firent des exercices physiques, lurent, s'absorbèrent dans l'origami ou la calligraphie.
Le soir, ils partirent en ordre de marche chez la vieille Kitabakate. C'était toute la Magistrature qui frappait à la porte !
- Nous sommes honorés, Kitabakate-senseï, de votre accueil.
C'est Iuchi Shizuka qui avait organisé l'invitation. Elle connaissait mieux Kitabakate depuis qu'elle s'était renseignée auprès d'elle sur Kishidayu.
- C'est moi qui suis honorée de vous accueillir.
On commença, pour se mettre dans l'ambiance, par parler des incertitudes, du monde comme il va...
Puis Hiruya amena la conversation sur les sujets sérieux.
- Nous sommes allés à la Cité de l'Or Bleu, senseï. Nous y avons fait une découverte macabre. Shosuro Emmon est mort.
La vieille Shosuro accusa le coup. Si elle s'attendait à pareille nouvelle.
- Hélas, il était bien mort. Et nous pensons connaître celui qui l'a tué. C'est ce rônin qui a été avec nous, Riobe.
Kitabakate soupira.
- Vous n'aviez pas vu Emmon-san depuis longtemps, senseï ?
- Oui. Il y avait bien cinq ans.
- Etait-il habile au sabre ?
- Autant qu'on peut l'être. Lui et ce rônin se sont-ils battus en duel ?
- Oui. Car Emmon avait mortellement offensé Riobe, voici deux ans.
- Je vois.
- Nous savons également pourquoi Emmon avait quitté sa maison de la Cité de la Forêt des Ombres. Il cherchait à fuir un intrus.
- Un intrus ?
- Oui, quelqu'un qui doit bientôt nous rejoindre.
- Tiens donc...
- Il paraît incroyable qu'Emmon puisse redouter quelqu'un, n'est-ce pas ?
Une servante vint alors annoncer qu'un soldat attendait à la porte.
- Qu'il entre.
La servante repartit en refermant doucement le panneau. Des pas. Elle rouvrit doucement le panneau. Hiroru entra, aussi fier qu'à son habitude, la lèvre arrogante. Kitabakate le foudroyait du regard, mais il soutint ce défi aussi longtemps que le lui permettait son rang. Puis il s'inclina et s'assit sur le côté, entre la maîtresse de maison et ses invités.
- Nous avons à parler, caporal, annonça Hiruya.
- Si cela peut aider la Magistrature d'Emeraude, dit le soldat en haussant les épaules.
- Ce qui nous aiderait, justement, c'est que tu nous parles de toi. Que tu nous dises ce que tu avais après Emmon. Et le reste.
Hiroru s'était sans doute préparé à subir ce genre d'interrogatoire. Il ne devait pas être fâché d'avoir un public de choix. Quant à Hiruya, après ce que Hiruya avait entendu de la vie de Yajinden, il se sentait prêt à tout.
Mais peut-être pas à entendre la vie de Hiroru.

- Commençons par l'essentiel, dit Hiruya. Qui a fait de toi un Ninja ? Qui a pu t'apprendre à traquer l'ombre, à passer inaperçu, à défier tes poursuivants...
- Deux hommes m'ont formé, samuraï. Mais si je vous parle, considérez que vous êtes déjà tous morts.
- Et pourquoi ?
- Parce que ces gens ont le pouvoir de voir et d'entendre tout un chacun, aussi facilement que s'ils étaient à côté de vous.
- Cela je l'ai déjà entendu, dit Hiruya, de la bouche d'une fille à moitié folle qui redoutait la vengeance du Condor...
- Alors que puis-je vous dire de plus ?
- Nous savons que le Condor n'était qu'une partie d'une organisation plus vaste, possédant d'autres branches. La maison du Condor n'était que l'une d'elle. Maître Condor n'était pas seul ! Il y en a d'autres, Hiroru ! Qui ?...
Kitabakate alluma une pipe. Elle ne pensait pas qu'on en viendrait si vite à ce point. Elle prit garde, de toute la soirée, à dissimuler ce qu'elle savait à ce sujet.
- Je vois que vous êtes bien renseignés, ironisa Hiroru.
- C'est notre tâche, figure-toi, caporal.
- Bien, je vois.
- Parle, nous t'écoutons.
- Quand j'étais jeune, j'ai peu à peu perdu confiance en l'idéal des samuraï. Et un homme m'a pris sous sa protection à ce moment. Un homme qui se faisait appeler Tigre.
- Tigre... Comment était-il ?
- Je l'ignore. Il apparaissait dans un ample manteau, avec un masque lui couvrant tout le visage.
- Quels pouvoirs avait-il ?
- J'ignore si c'était un shugenja. Je sais en revanche que c'était un maître du chantage et de la manipulation. Il exerçait une véritable terreur sur ses sujets.
- Dont toi ?
- Dont moi.
- Il a fait de toi un "Ninja" ?
- Il m'a appris à traquer les créatures qui rampent dans la nuit.
- Seul ?
- Non, un autre l'aidait.
- Un autre Maître ?
- Oui, vêtu lui aussi d'un manteau et d'un masque. Lui se faisait appeler Cristal.
- Quand était-ce ?
- Il y a plus de dix ans.
- Tu ne sais pas qui était ce Cristal ?
- Non.
- Tu es encore à leur service ?
- Non. Je suis parti. Je me suis enfui.
- Tu disais qu'ils pouvaient retrouver n'importe qui, n'importe où.
- J'ai profité de certains de leurs dons. Dont mon kimono, qui peut me rendre partiellement invisible. Et des techniques qu'ils m'ont enseignées.
- Qu'as-tu fait ?
- J'ai continué à traquer les créatures de l'Ombre. Seul.
On sentait que Hiroru n'était guère bavard. Il était farouche.
- Tu en as trouvé beaucoup ?
- Oui. Des hommes aux visages effacés. Je les ai tués.
- Tu as fait ce qu'on t'a appris.
- Oui.
- J'en viens maintenant à un évènement plus récent, Hiroru. Pourquoi es-tu allé trouver Shosuro Emmon ?
- Allons, Magistrat...
- Ne te défile pas, Hiroru. Réponds.
- Je suis allé voir Emmon pour me venger de lui.
- Que t'a-t-il fait ?
- Il a fait de moi ce que je suis !
- C'était Tigre ?
- Non. Cristal.
- Comment le sais-tu ?
- Qui vit parmi les ombres finit par découvrir les secrets des ombres, Magistrats...
- Cristal était corrompu par l'Ombre ?
- Non, il la traquait, lui aussi. Mais il a ruiné ma vie. Il a fait de moi un moins que rien.
- Ne crois-tu pas, dit Hiruya, négligemment mais sachant fort bien ce qu'il disait (et remerciant presque Yajinden de lui fournir matière à cette question !

Hiroru ne sut que répondre. Il accusait le coup.
Kitabakate devina que Hiruya cachait quelque chose.
- Je ne sais pas.
- Bien. Continuons. Tu as quitté cette organisation... le Kolat, c'est bien ainsi qu'elle s'appelle ?
- Oui, c'est son nom.
- Et elle se divise en plusieurs branches ?
- Je crois bien.
- Combien ?
- Je l'ignore !
- Au moins deux : une dirigée par Tigre, une autre par Cristal.
- Sans doute. Où voulez-vous en venir ?
- Quel est leur but ?
- De ce que j'en sais, ils se vouent à détruire l'ombre vivante... Je sais qu'ils la connaissent bien. Qu'ils savent user de pouvoirs inconnus dans Rokugan...
- Des pouvoirs gaijin ?
- Peut-être.
- Les poupées gaijin, pensa Ayame à voix haute.
- Tu es persuadé que Emmon n'était autre que Cristal ? Tu as voulu le faire parler, c'est ça...
- Oui, pour retrouver la piste de Tigre. C'est lui que je veux abattre.
- Nous avons trouvé la trace de cette organisation, dit Ayame, jusqu'à l'époque du Gozoku. Cela te dit-il quelque chose ?
- Je ne connais rien de cette période.
- La question est de savoir, dit Ayame, si le Kolat est une organisation vieille de plus de sept siècles. Ou si les actuels Maîtres n'ont fait que ressusciter cette vieille conspiration, dont, du reste, nous ignorons les buts exacts.
- Oui, dit Hiruya, y-at-il continuité, ou bien résurgence ?
- Je n'en sais rien, dit Hiroru, agacé.
- Il y a une continuité au moins dans le folklore, dit Ayame. La Grue Noire, des noms codés pour les Maîtres... Je pense que le nom de Cristal était déjà emploué à l'époque du Gozoku. Traquaient-ils déjà l'Ombre à cette époque ?
- Reste à savoir, dit Hiruya, si Riobe savait l'identité cachée de Shosuro Emmon.
- C'est peu probable, dit la vieille Kitabakate, puisqu'il venait régler une question d'honneur.
- Reste aussi à savoir, dit Ikky, où est Riobe maintenant. Bokkaï l'a vu dans Otosan Uchi. Qu'y faisait-il ?
- Il va bientôt être temps pour moi, dit Hiruya, de retourner voir Daidoji Yajinden, pour mon duel. Ensuite, nous devons attendre que Bokkaï revienne avec la famille Hanteï, comme Toturi l'a demandé.
- Rien ne nous empêche, dit Kohei, d'aller à Otosan Uchi. Riobe ne sait peut-être pas qu'il est en danger ! Ou bien s'est-il réfugié près de la Cité Interdite, s'y croyant à l'abri d'assassins au service de la maison du Cristal !
Kitabakate fit servir le thé.
- Si vous n'avez plus besoin de moi, samuraï, je vais me retirer. J'effectue des manoeuvres cette nuit avec mes hommes...
- Va, dit Hiruya.
Il semblait dire : "va tenter de rattraper une vie de deshonneur en servant humblement le Lion Noir." Après tout, ce n'était qu'un rônin !
A suivre...
