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Dossier #5 : La vie d'hommes infâmes
#4
DOSSIER #5<!--sizec--><!--/sizec-->

- Bien, alors, mesdemoiselles…
Les cinq autres danseuses, frileuses dans leurs manteaux hâtivement jetés sur leurs épaules, regardaient le détective comme des petites filles. Leurs larmes faisaient couler leur maquillage.
- Que pouvez-vous me dire sur… « Juliana » ?

Portzamparc dut écouter ces superbes jeunes femmes pleurnicher comme des gamines et, entre deux sanglots, lui raconter trois anecdotes banales sur la victime, sa gentillesse, son talent…
- Bien, je vous remercie.
Il les congédia.
- Attendez… « Rebecca », c’est bien votre nom ?
La danseuse se retourna.
- J’ai encore quelques questions à vous poser…

Elle resta sans hésiter. Elle jeta un regard au détective qui montrait qu’il avait bien choisi. Portzamparc avait senti que c’était elle qui avait le mieux connu Juliana.

Rebecca se fit servir un café. Elle était plus posée, moins immature que les autres. On passa dans la salle, où le serveur, comme à l’habitude, rangeait les chaises et passait le balai par terre.
Le rideau à paillettes était refermé et le patron attendait au comptoir, en faisant des messes basses avec son serveur.

Portzamparc s’assit à califourchon sur la chaise.
- Alors, Rebecca…
L’ambiance était plus intime. Les serveuses partaient par la petite porte. Elles allumaient une cigarette avant de retrouver la rue humide.
- Puis-je vous demander votre vrai nom ?
- Thérèse Robuchon, fit-elle sans gêne.
Bien sûr, cela cassait le charme… Quoique…
- Thérèse, vous connaissiez bien Juliana ?
- Un peu…
- Vous étiez ici depuis longtemps ?
- Moi depuis quatre ans. Elle depuis cinq. C’était la doyenne, si je puis dire. Vous savez, c’est déjà rare de rester si longtemps dans un même établissement.
Portzamparc fit un petit signe à Feuillantin, qui entrait dans le cabaret et se mettait au travail.
- On a fait plusieurs numéros ensemble, expliquait Thérèse. On marchait bien. On avait un bon contact. Et du succès aussi.
- Pas de jalousie ?
- C’était elle la vedette. Personne ne le discutait. Donc…
- Donc ?
- Donc personne ne lui volait la vedette.
- Personne ?
- Non, c’était la meilleure. C’était une grande sœur pour nous. Un modèle.
- Elle aidait les autres ?
- Oui, elle était toujours là pour écouter nos petites misères. Pour nous encourager, nous donner des conseils. Pour savoir comment s’y prendre avec les clients.
- Vous vous voyez, entre danseuses, en-dehors d’ici ?
- En fait, non, pas vraiment. Je sais que « Juliana » a hébergé l’une ou l’autre d’entre nous, quand elle en avait vraiment besoin. Pour échapper à un petit ami trop violent, ce genre de choses…
- Je vois. Et vous, vous la fréquentiez ?
- Pas tellement. Nous ne connaissons pas notre vie. C’est bizarre, hein… Mais on a même peine à imaginer que les autres ont une vie à l’extérieur.
- Vous ne sortiez pas ensemble ?
- Si, quelques fois… La dernière fois, c’était il y a deux jours. On est allé faire des courses. Elle cherchait un cadeau pour sa mère.
- Comment était-elle ?
- Bien. Normale…
- Pas de souci particulier ?
- Non. Elle semblait heureuse ici. Elle disait qu’elle ne voulait rien changer.
- Elle comptait rester ici encore longtemps ?
- Probablement. Je crois que le patron l’avait à la bonne. Il l’aurait fait monter en grade. Pour recruter des filles par exemples. Peut-être qu’il l’aurait épousée, au bout du compte…
- Et vous ?
- Moi j’avais, et j’ai toujours, l’intention de ne pas faire de vieux os ici…
- Pourquoi ?
- C’est un métier trop épuisant. Et puis j’en ai marre de montrer mes cuisses aux vieillards libidineux… J’aspire à autre chose. Je voudrais me lancer dans le théâtre. Je passe une audition, la semaine prochaine, avec une troupe très intéressante…
- Que va dire le patron si vous partez ?
- Il va faire semblant d’être triste. Et le lendemain soir, j’aurai une remplaçante.
- Bon, je vois. Donc vous avez vu « Juliana » voici deux jours. Et ce soir, quand l’avez-vous vue pour la dernière fois ?
- Un peu avant son numéro. Disons une heure avant. Traditionnellement, le patron la fait passer en milieu de nuit. C’est son heure. Les clients le savent. C’est la vedette, je vous l’ai dit. C’est à cette heure-ci qu’on fait salle comble, généralement.
- Vous l’avez vu une heure avant, vous dites ?
- Oui, elle reste une bonne heure, seule, dans sa loge, à se préparer.
- Elle ne voit personne pendant ce temps ?
- C’est rare. Elle est, elle était… devrais-je dire… très disponible le reste du temps, mais pas avant son spectacle.
- Elle avait des admirateurs ?
- Vous voulez dire des mecs vraiment accrochés à elle ?
- Oui.
- Quelques-uns, occasionnels. A l’occasion, le patron ou le vigile, selon le client, se chargeait de faire comprendre que « Juliana » n’était pas disponible.
- Vous n’avez pas l’air de trop pleurer sa mort ?
- Parce que je ne chouine pas comme les autres ? Si vous voulez tout savoir, dès que cet entretien sera terminé, j’irai au bar du Negresco, me saouler la gueule jusqu’à l’aube. Ça vous va ?
- Oui. Je vous remercie.

Elle partit se changer. Le garçon attendait, appuyé sur son balai. Le patron terminait un dernier verre en bavardant à voix basse, pendant que le serveur, très attentif, approuvait chacune de ses paroles.
Portzamparc voulut interroger le patron, mais il vit qu’il n’était plus en état. Feuillantin avait terminé son tour des lieux.
Le réceptionniste, son manteau sur le dos, vint dire que l’inspecteur Maréchal avait appelé.

*

- Les obèses sont rares en Exil.
Sampieri écoutait l’inspecteur, mais Maréchal parlait surtout pour lui-même.
- Surtout à Mägott Platz, où les gens travaillent dur. Certains nobles se goinfrent et finissent impotents. Mais cet obèse-là n’avait l’air de sortir de la haute.
Portzamparc et Feuillantin étaient de retour. Autour d’un café, Maréchal fixa la suite du programme de la nuit :
- On va aller voir chez Boncousin, Portzamparc et moi. Il n’habite pas loin d’ici.
- Je vais rejoindre Rainier à l’usine, dit Feuillantin.
Le café était très amer. C’était le café des nuits sans fin.

- SÛRETÉ, dit Maréchal en montrant sa plaque à la concierge.
La porte de Boncousin avait trois serrures, les autres appartements n'en avaient qu'une ou deux.
Il habitait au troisième, face escalier. Maréchal avait emporté son passe-partout. Il fit jouer les loquets et la porte s’ouvrit.
Les policiers firent le tour du propriétaire.
- C’est la première fois que je viens chez lui, remarqua l’inspecteur.
Pourtant, Maréchal connaissait Boncousin depuis quatre ans. Boncousin qui était le doyen du commissariat. Il était plus âgé que Novembre, mais il n’était jamais monté en grade. Pourtant, tout le monde savait qu’il avait la carrure d’un commissaire. Mais il ne semblait pas faire tellement d’efforts pour progresser.

Dans l'appartement, tout était bien rangé. Les mules au pied du lit. Le lit bien fait. Pas de poussière. Une bibliothèque bien fournie, épousseté elle aussi. Pas de vaisselle sale.
Un célibataire méticuleux. Un siège en cuir au bureau. Des dossiers classés. Une chemise en cuir avec ses initiales : PB. Patrick Boncousin. Il aurait eu vingt ans, on aurait dit qu’il était bon à marier !
Mais à l’approche de l’âge de la retraite, on l’imaginait mal passer la bague au doigt d’une femme.
On n’osait pas trop allumer la lumière chez lui, comme s’il fallait respecter une certaine ambiance tamisée, chez cet homme qui n’était peut-être plus de ce monde.

- Tiens, il fréquentait du beau linge, nota Portzamparc.
Dans un sous-main, il venait de trouver un carton d’invitation, à une soirée de gala.
- La corpole Donnasserne.
Un vin d’honneur pour le départ d’un administrateur du groupe.
- Le beau monde, dit Maréchal, et le monde de la nuit.
Sous le lit, il avait déniché une charmante culotte en dentelles et des bas. Dans le tiroir de la table de nuit, une photo dédicacée.
- Elle était belle, avant qu’on lui passe du nylon au cou, remarqua Maréchal.
C’était bien une photo de la victime, « Juliana ».
C’était attendrissant de découvrir cette passion de Boncousin. Lui si discret sur sa vie privée. Tellement absorbé dans son travail. Toujours ouvert aux autres, mais finalement très réservé.

Boncousin, en adoration devant une petite danseuse de cabaret…
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