26-11-2007, 01:01 PM
(This post was last modified: 28-11-2007, 03:51 PM by Darth Nico.)
DOSSIER #5<!--sizec--><!--/sizec-->
Au commissariat, Sampieri s’était chargé de mettre en branle les Pandores, et d’appeler les mitiers. A chaque heure qui passait, c’était des chances en moins de retrouver le policier.
C’était le petit matin quand les deux policiers rentrèrent au commissariat. Novembre, tiré du lit, réunissait tout le monde. Il écouta ce que l’inspecteur et le détective avaient trouvé dans la nuit.
- Donc, la seule piste, pour le moment, c’est cet homme à tête de rat.
- Voilà. Boncousin m’en a parlé, affolé, et c’est tout…
- Donc c’est lui qu’on doit retrouver.
- On va tout faire pour, dit Rampoix.
Novembre finit son café.
- Bon, il y a autre chose les enfants. J’ai appris que la bande à Fufu Carambouille a été relâchée sous caution. C’est eux qui ont payé. Chez Gino, ils avaient dû se constituer une cagnotte, en cas de coup dur. Donc j’espère que ces zigues là ne vont pas poser de problème.
« Deuzio, je suis officiellement en congé à partir d’aujourd’hui. J’ai promis à ma femme qu’on partait sur le bord de mer. On prend le train tout à l’heure...
Les policiers eurent du mal à cacher leur surprise. Novembre enchaîna :
- Si ça tourne mal, vous m’appelez, et je rapplique dans la journée, d’accord ?
- Entendu, patron.
- Ça m’embête vraiment de vous lâcher maintenant, les enfants, mais il faut que je pense à moi. Il doit y avoir deux ans que je n’ai pas pris mes congés…
- C’est normal, patron, on comprend.
On devinait que c’est le médecin qui avait obligé Novembre à partir se reposer et lui avait signé un arrêt de travail. Madame Novembre devait aussi être derrière.
- On va se renseigner chez Gino, dit Portzamparc. Et je me dis qu’on pourrait aussi faire des recherches sur les dernières affaires menées par Boncousin.
- Tu lanceras une demande directement auprès d’ADMINISTRATION, dit Novembre. En espérant qu’ils répondent vite.
Maréchal alla s’allonger dans son hamac. Pendant que le jour pointait timidement, il fuma, et la cigarette éteinte au coin de la bouche, il s’endormit. Sa respiration devint régulière.
Son mégot tomba, alors qu’il commençait à ressentir la douce chaleur du sommeil.
C’est Rampoix qui le réveilla.
- Maréchal…
- J’arrive…
Rampoix faisait une sale tête.
- On vient de le retrouver.
Les policiers, dans le jour gris d’Exil, se retrouvèrent rue du canal bleu, sur le quai.
On avait repêché l'inspecteur disparu. Tout le monde se recueillait.
Le gros corps rondouillard de Boncousin était là, gorgé d’eau, défiguré.
C’était bien lui. Et pourtant, il était méconnaissable.
Novembre, plein de dégoût, devait partir. Rampoix, les poings serrés, jura qu’il n’aurait aucun repos avant d’avoir trouvé le tueur.
L’homme à la tête de rat ?...
Rampoix cracha dans l’eau et regarda les cercles s’élargirent et disparaître.
*
Les deux policiers descendirent la volée de marche et Maréchal poussa la porte vitrée de chez Gino. La bande des virtuoses du banditisme à la petite semaine était attablée, à jouer aux cartes. Les deux policiers allèrent tout de suite s’asseoir.
- Aujourd’hui, messieurs, annonça Maréchal, on va faire bref…
- Qu’avez-vous à dire sur la Dentelle Rose ? demanda Portzamparc.
- On y est déjà allés…
- La nuit dernière, par exemple ?
- Ah non…
- J’imagine que vous êtes un peu au courant ?
- Sale histoire pour vous, dit Jojo les Ratiches, de son air le plus compatissant.
- Arrête ton numéro, fit Maréchal, cassant. Dis-nous plutôt ce que tu sais sur l’usine Vanstrupp.
- Jamais travaillé là-bas.
- Rien à dire à ce sujet ?
- Vous savez, nous, on était partis prendre l’air, ces derniers temps…
Ils étaient fermés comme des huîtres.
- Les prolos comme nous ne vont pas souvent à la Dentelle Rose. On est mieux ici à taper le carton.
- Un type à tête de rat, ça vous dit rien ?
- Ah si, fit Riri la Balafre, on a entendu parler d’un type de ce nom, il y a sept ou huit ans. « Gueule de rat », on le surnommait.
Il ne disait pas ça pour se moquer du monde. Il voulait sincèrement aider les policiers
- Gueule de rat, hein… Il pourrait être notre homme.
- Donc vous allez vous renseigner dessus, hein, suggéra Portzamparc. Et nous donner rapidement les résultats de vos recherches, qui seront, j’en suis sûr, fructueuses…
Maréchal finit le verre de Gros Louis « Barre de Fer » et les policiers levèrent la séance.
Le matin, les recherches au commissariat avaient donné une piste : la seule famille la danseuse morte consistait en une vieille tante.
- Je vais aller fouiller chez « Juliana », dit l’inspecteur. Toi tu iras présenter les condoléances de SURETÉ à cette dame.
- Entendu.
Maréchal montra à la concierge la photo dédicacée.
- Cette femme loge bien ici ?
- Oh oui, certainement…
- Comment s’appelle-t-elle ?
- Noémie. Noémie Ranaud.
La grosse concierge perdait contenance devant le policier.
- Il lui est arrivé quelque chose ?
Maréchal ne répondit pas et se fit conduire à l’appartement. La concierge ouvrit la porte. C’était un petit deux pièces, avec une cuisinière, un coin douche, une petite chambre.
- Noémie Ranaud, vous dites...
Au mur, une affiche d’elle, que Maréchal avait vue également au cabaret. Maréchal n’aimait pas les affiches de danseuses…
- Elle voyait du monde ?
- Non, pas trop, pas que je sache…
Elle mentait mal.
- Vous feriez mieux de répondre…
Maréchal la fixa droit dans les yeux.
- Si, c’est vrai, occasionnellement…
- Elle voyait quelqu’un ?
- Un monsieur très bien.
- Comment "très bien" ?
- La trentaine, , dit rapidement la concierge, il est très bien habillé. Des gants, une serviette sous le bras. De beaux souliers vernis. Un monsieur comme on n’en voit pas par ici..
- Comment s’appelait-il ?
- Je n’ai jamais parlé avec lui !... Je sais juste que c’était le genre romantique. Il venait souvent avec des fleurs. Il était très élégant. Bien parfumé…
- Vous n’avez rien noté de particulier à son sujet ?
- Mais non…
- Mais moi je vous dis que si, ou que ça va se continuer au commissariat, cette conversation !
- D’accord, d’accord…
- Il vous a donné combien pour vous taire ?
Elle était atteinte dans son honneur. Les larmes lui vinrent aux yeux. Seulement, Maréchal n’avait pas de temps à perdre.
- Alors, j’attends…
- Je crois bien qu’il travaillait pour une grosse entreprise…
- Laquelle ?
Toute concierge qu’elle était, à essayer de passer pour plus ignorante qu’elle était, elle savait des choses.
- Les Donasserne, je crois bien.
- Très bien. Vous voyez quand vous voulez...
La concierge tremblait.
- Vous pouvez aller nettoyer l’escalier.
Maréchal sentait qu’il battait des records de galanterie. Il continuerait comme ça tant que l’assassin de Boncousin ne serait pas retrouvé ! Qu'on se le dise !
Il retourna l’appartement.
Maintenant qu’elle était morte !
Il se passa les nerfs sur les tiroirs, les affaires, la vaisselle… Au palier d’au-dessus, la concierge était effrayée.
A la fin, il mit la main sur une lettre glissée dans une enveloppe au papier parfumé. Avec le cachet des Donasserne.
Il l'ouvrit. Une belle écriture, avec une encre d'un bleu roi.
Une lettre d’amour enflammée, avec plein de vocabulaire sensuel, lyrique, érotique… Un chef d’œuvre.
C’était comme ça, Maréchal en voulait à tout le monde, et ses collègues étaient dans le même état. Oui, qu’on se le dise !
La concierge, devenue plus conciliante, se permit de revenir dans l’appartement et dit :
- Inspecteur, il y a le monsieur du troisième, monsieur Dupoule, qui dit qu’il a des révélations à faire.
Pour commencer, Maréchal aurait bien embarqué ce Dupoule, pour délit de nom de famille ridicule. Ensuite, il découvrit un petit vieux, assis avec un plaid sur les jambes. Il lui fit pitié. Ce qui l’énerva.
- Il y a deux jours, dit-il de sa voix chevrotante, je l’ai entendue crier. Elle était effrayée.
- Quelqu’un était avec elle ?
- Oui, je crois bien.
- Quand a-t-elle reçu de la visite pour la dernière fois ?
- Je crois qu’il y a eu quelqu’un la nuit dernière.
- En début de nuit ?
- Oui.
- C’était le monsieur élégant, dit la concierge.
- Et il y a deux jours ? demanda Maréchal.
- C’était un autre, dit la concierge.
Elle avait les larmes aux yeux.
- Il était comment ?
- Oh, une sale tête… Un monsieur vraiment vilain… Une tête de, comment dire ?...
- Une gueule de rat ?
- Voilà !
Elle était soulagée de l’avoir dit.
- Bon, dit Maréchal, à cette heure-ci, les gens sont au travail. Mais vous les préviendrez ce soir que SÛRETÉ enquête. Donc s’ils savent quoi que ce soit…
- Compris !
*
Portzamparc sonna à la grille. La maison des camélias.
On était dans un quartier résidentiel, Leclos-Villers, pas loin de la rue Verte. Que des belles demeures fleuries, habitées par des rentiers, et surtout des rentières, le genre chipie à jouer au loto en discutant chiffons et œuvres de charité.
- Je voudrais voir madame Ranaud, dit Portzamparc au gardien.
Ce dernier lui ouvrit la grille.
Dans le grand parc jonché de feuilles mortes, des dames en blanc promenaient de petites vieilles en fauteuil. On y sentait le propre, le calme.
- A cette heure-ci, expliqua solennellement l’infirmière chef, une forte femme qui devait mener ses troupes à la baguette, madame Ranaud boit son thé et coud des napperons pour la fille d’une autre de nos pensionnaires, madame Golivier.
Justine Ranaud était ravie de recevoir de la visite. Mais un peu surprise quand même.
- Madame Ranaud, dit Portzamparc, je viens vous voir au sujet de votre nièce, Noémie…
Une heure plus tard, Portzamparc repartait les mains dans les poches. Il s’arrêta boire un verre au troquet le plus proche, qui était désert à cette heure-ci. Il était contrarié.
- Visite à une vieille tante malade ?
- Pas tout à fait, dit le policier.
Justine Ranaud n’était pas aussi gâteuse et niaise qu’elle le laissait paraître. Elle était bouleversée par la mort de sa nièce, mais elle ne tombait pas des nues.
- Mon dieu, c’est horrible…
Elle avait pleuré tout son saoul devant ses amies et l’infirmière-chef, qui avaient eu des mots attendrissants pour elle. Et elle en avait sans doute besoin. Puis elle avait proposé à Portzamparc de l’emmener respirer dans le parc. Le détective l’avait alors conduite sur sa chaise roulante.
- Je ne suis pas si surprise, en réalité, de ce qui est arrivé à Noémie. C’est malheureux à dire, car c’était la meilleure fille du monde. Mais voilà… Elle vivait dans un tel milieu…
- Je lui disais qu’elle valait que mieux que cela… Elle avait passé l’âge. Il était temps pour elle de se trouver une situation.
- Elle avait quelqu’un dans sa vie ?
- Oui, elle me l’avait dit. Quelqu’un de très bien, très élégant. Avec une bonne situation. Vous ne pouvez pas savoir ce que j’étais heureuse… Je lui ai dis que pour elle, c’était le bout du tunnel.
Les arbres perdaient de grandes brassées de feuilles. Des oiseaux chantaient.
- Elle était heureuse ?
- Oui, je crois. Elle avait enfin une porte de sortie. Finis les amants d’un soir… Oh, je sais bien comment ça se passe, allez…
- Ils voulaient se marier ?
- Peut-être. Elle en a eu l’intention, un moment. Et puis, ces derniers temps, elle semblait moins y croire.
- Pourquoi ?
- Je ne sais pas. Elle disait que finalement, c’était un bellâtre, un prétentieux. Je n’ai pas compris ce revirement, mais c’est vrai que les hommes peuvent tellement tromper les femmes… Je m’excuse, monsieur…
- Il n’y a pas de mal, dit Portzamparc.
- En fait, dit la vieille dame, je crois que ce « bellâtre » en question avait des ennuis dernièrement. Noémie ne l’a pas exposé comme ça, mais j’ai cru comprendre…
- Des ennuis au travail ?
- Oui, quelque chose qui faisait dire à ma pauvre nièce que sa situation, à cet amant, n’était pas si brillante.
- Mais pourquoi la tuer, elle, si c’était son amant qui avait des ennuis ?
- Oh, je ne sais pas, détective, je ne sais pas… Rentrons, voulez-vous. L’air fraîchit.
C’est une pauvre femme éplorée que Portzamparc avait quittée. Pas si bête, mais bouleversée.
- Que vais-je devenir, maintenant ? Elle était pour ainsi dire ma seule famille… J’en ai connu, d’autres pensionnaires d’ici… Le jour où leur dernier parent a disparu, elles n’ont pas mis longtemps à partir…
Portzamparc prit le tramway pour retourner à Mägott Platz. Il tirait de cette entrevue qu’il fallait se concentrer sur l’amant. La rame se mit en marche dans un bruit de grincement. Quitter ces rues fleuries pour retrouver la brume industrielle, les rues populeuses...
*
Au commissariat régnait une activité fébrile.
Rampoix avait interrogé le vigile de la Dentelle Rose, un physionomiste. Il avait permis d’établir un portrait-robot précis du bel amant de Juliana.
On entrevoyait déjà une rivalité potentielle entre lui et… Boncousin. Le bellâtre et le brave flic. On allait maintenant s’intéresser aux employés de la corpole Donasserne pour mettre un nom sur l’amant. Dans les dossiers de Boncousin, on n’avait rien trouvé sur la Tête de Rat ni sur Juliana, alias Noémie Ranaud.
Mais comme on savait qu’il existait un lien entre le policier et les Donasserne, on continuait à chercher : pourquoi ceux-ci avaient-ils invité Boncousin à un vin d’honneur ?
Le bel amant, jaloux, serait-il allé jusqu’à embaucher un tueur (la Gueule de Rat) pour éliminer un prétendant ? Pour les beaux yeux de Juliana ? Sampieri était retourné interroger la concierge. Elle n’avait rien dit de plus mais son mari, en pleurs, avait fini par avouer que l’homme à tête de rat, lors de sa première visite, avait menacé de tuer la femme d’abord, devant le mari, avant de s’occuper de lui.
- "Je te ferai crever lentement", qu’il m’a dit…
Mort de peur, le couple n’avait rien dit lorsque Gueule de Rat était revenu, deux jours après.
- Portzamparc, un appel pour toi !
C’était Rampoix. Il le disait d’un ton convenu, que tout le commissariat reconnaissait. Gêné, Portzamparc alla prendre le combiné en tâchant de s’isoler. Pendant que Sampieri disait :
- Ah, l’amour…
- C’est toi ? fit Portzamparc. Non, je ne rentre pas encore… Oui, tu sais avec ce qui est arrivé… J’en ai pour une partie de la nuit… Ne m’attend pas… Non…
Il revint, les joues empourprées, travailler à son bureau.
Lui et Maréchal firent le bilan de la journée. Ils avaient bien avancé. Ils allaient attraper sous peu la Gueule de Rat, ils le sentaient.
Portzamparc se jurait déjà de s’en occuper.
- Je vais rester ici, en attendant les réponses d’ADMINISTRATION…
Rampoix, aussi, qui n’avait pas arrêté depuis la mort de Boncousin, allait faire la nuit.
- Alors bon courage, dit Maréchal en enfilant son manteau.