08-12-2007, 07:20 PM
(This post was last modified: 08-12-2007, 07:47 PM by Darth Nico.)
DOSSIER #5<!--sizec--><!--/sizec-->
Maréchal descendit sur la rive. Le bassin n’était pas complètement enclos. Il y avait un barrage de retenue, qui ne laissait passer aucun courant. Le long de ce barrage, qui mesurait presque dix mètres de haut, descendait un petit sentier de terre sur une pente broussailleuse, qui disparaissait dans un brouillard lumineux.
En face du barrage, un chemin passait entre les deux murailles noires. L’air était bien plus sec que dans son quartier, épargné aussi par les fumées industrielles. Maréchal vit une plaque :
Bassin de Pantion
Maréchal commença le tour du bassin. Sur un chemin en hauteur, encastré sur la muraille, il aperçut trois silhouettes, appuyées à une rambarde, qui l’observaient. Trois hommes pâles, chauves, en costumes noirs, chapeaux gibus et cols montants.
Maréchal continua son chemin, alors que les trois hommes prenaient une cage d’ascenseur qui les amena sur la rive.
Maintenant, ils venaient vers lui.
L’inspecteur ne pouvait éviter de les croiser. Ils ressemblaient à des caricatures d'employés de pompes funèbres.
- Bonsoir, messieurs, dit carrément Maréchal. J’aurais une question à vous poser.
Il n’en avait normalement pas le droit ici, mais il savait aussi que la veine favorise les gens culottés.
- Auriez-vous vu cet homme ?
Les trois personnages n’avaient pas un poil sur le crâne. Pas de sourcils. Des yeux vitreux. Des cannes à pommeaux en selenium.
Maréchal fit semblant d’avoir une quinte de toux, pour déglutir.
- Non, je ne crois pas, dit l’homme du milieu, après avoir jeté un bref mais incisif coup d'oeil au chromato.
Maréchal, en tendant le chromato au second, lui permit de le prendre, et effleura sa main, qui était tiède, voire même froide.
En fait, si l’inspecteur avait bien, comme tout un chacun, une image de ce que devait être le parfait Scientiste, il n’aurait pu en trouver meilleurs exemples que ces trois individus !
Les mains dans les poches, il sifflota tranquillement, pendant que les deux autres acolytes observaient avec attention le chromato.
- Non, pas vu.
- Non plus.
Maréchal soupira, comme si ses interlocuteurs étaient un peu en tort :
- Dommage, messieurs.
- Dites-moi, il se fait déjà tard, monsieur le policier. Désireriez-vous un abri pour la nuit ?...
Maréchal serra les poings dans ses poches. C'était celui du milieu qui avait parlé : il ressemblait fort à ses deux comparses, mais en plus grand,
Un instant, Maréchal eut une vision fulgurante : il se vit emmené, ligoté, hurlant, dans un laboratoire d’expérimentations souterrains. Puis attaché, voire cloué et ensuite vrillé, vissé, scié, éviscéré, noyé et dépecé en bien plus de temps qu’il n’en faut pour atteindre les limites de la douleur !
Il refusa donc l’invitation. Poliment, mais il refusa.
- SÛRETÉ vous remercie quand même de votre collaboration, dit-il, fanfaron. Au revoir, messieurs !
Il repartit d’où il venait. Tant pis ! Au lieu de trouver un transport dans le quartier, il referait tout le chemin à pied en sens inverse ! Mais en ayant préservé son intégrité physique !
Il marcha sans se retourner ; il sentait le regard pesant des trois Scientistes sur lui. Il les entendit rouvrir la cage d’ascenseur.
A ce moment, quelqu’un déboula en courant du passage entre les murailles, et heurta Maréchal.
Un petit chauve, l’air ahuri.
Maréchal recula. C’était Vilnius !
Kaupang Vilnius !
- Pardon, pardon, bredouilla-t-il.
Et il reconnut, effaré, l’inspecteur. Qui allait dire quelques mots.
- Herbert, cria un des Scientistes, tu te dépêches !
- J’arrive, oui, j’arrive !
Le petit chauve regarda l’inspecteur, comme pour s’excuser de devoir partir. L’inspecteur qui n’en revenait pas. Et qui reprit sa marche, d’un pas alerte.
Vilnius entra dans la cage d’ascenseur, qu'on referma d'un coup sec et qui remonta le long de la muraille. Maréchal, tournant dos au bassin lumineux et à son étrange machine, fit face au long tunnel noir qui ramenait aux entrailles des égouts…
Des heures plus tard, il était de retour dans son quartier. Sans savoir comment, il était monté trop haut, après avoir repris la cheminée et il sortait sur les toits des logements ouvriers.
Le jour allait se lever. Les cheminées commençaient à fumer. On apercevait, dans la gaze épaisse du matin, le vieux soleil d'Exil.
Le clair de Forge se levait, projetant son halo blanc sur la cité industrielle.
Maréchal, épuisé, les larmes aux yeux, s’assit sur le toit. Des chats qui rodaient alentour, en apercevant cet intrus sur leur territoire, se mirent à cracher et s'en allèrent par les toits incertains, haineux.
L’inspecteur imaginait la tête de ses collègues s’ils apprenaient ses escapades nocturnes. Il préférait en rire. Même quand il était adolescent, il n’en aurait pas fait autant ! Qu'arriverait-il si on apprenait où il se promenait la nuit ?... Les gens seraient-ils effrayés ? Le prendrait-on pour un fou ?...
Non, décidément, si on apprenait ce qu’il faisait de ses nuits, les gens seraient déçus, mais déçus…
Déçus d'apprendre qu'il descendait plus bas que terre.
Maréchal imaginait Novembre et Portzamparc, dans le bureau de l'inspecteur, consternés en apprenant la nouvelle. Déçus...
- Oui, on est déçus... Un collègue qu'on appréciait tellement...
Et Portzamparc allant le rapporter à sa femme :
- Tu sais, Maréchal... c'est terrible... dans les égoûts, il se promène...
Madame de Portzamparc éclatant en sanglots dans son tablier de cuisine. Pareil chez les Novembre.
- Oh mon Dieu ! Antonin !...
- Déçus, mais déçus !... diraient aussi Rampoix et Sampieri...
Ses commerçants, son propriétaire, la concierge...
- On comprend pas... C'est la consternation... Un homme si poli... Vous savez, bonjour bonsoir... Non, je ne pourrai plus aller nettoyer son palier.
Son percepteur, le Juge Tolin, le commissaire Ménard :
- Un policier si scrupuleux... Un citoyen irréprochable... Et là, on apprend la nouvelle... Quelle déchéance...
Et les truands de chez Gino, Fufu Carambouille et les autres :
- Déçus, mais déçus... Voilà notre sentiment...
Gino lui-même :
- Non, avant, je le respectais... Il venait boire un verre... Mais à présent, impossible... impossible, hélas...
Les clients de chez Emma, alcooliques :
- On est vraiment... mais vraiment... ah !... On est... on est déçus, voilà !... Maréchal...
Sobotka, depuis sa tombe, pleurant dans les bras de Horo et Radik :
- Ah, un flic comme lui... un coriace !... Si on est là, c'est à cause de lui... Et là... le drame... On ne sait pas quoi vous dire... On est déçus, c'est tout...
Sur Forge, aussi, dans les dîners en ville...
- On a lu la nouvelle dans les journaux... Quelle tristesse, quelle déception...
Même les barbares de Kargarl, occupés à se trancher la chair et la tête à coups de cimeterres, s'arrêtant, dépités, au beau milieu de la bataille :
- Doçovski, moltö doçovski...
Et la police d'Etat ! Les Scientistes !... Les Stalytes, les Anciens !... depuis leurs repaires secrets... soudain dégoûtés de leurs petites conspirations...
- A quoi bon, maintenant... On est tellement déçus par l'inspecteur Maréchal...