20-04-2008, 12:57 PM
(This post was last modified: 20-04-2008, 01:06 PM by Darth Nico.)
CHRONIQUES DE L'EMPIRE D'EMERAUDE
Résumé : Rintaro envoie ses deux hommes de mains, Manji et Katon, réclamer de l'argent à un chef de gang concurrent...
Une heure plus tard, Katon et Manji étaient de retour chez Patron-san.
- Alors ? demanda celui-ci avec avidité. Vous avez l’argent ?
- Oui, patron. Tenez…
- Magnifique !
Rintaro se précipita sur la bourse remplie de piécettes...
Les deux samuraï avaient suivi le plan laissé par "Patron-san", pour aboutir à l’autre bout des bas quartiers de la Cité du Cri Perdu. C’était le territoire d’un autre gang, celui de Reijiro. L’établissement qu’il tenait ressemblait assez fidèlement à celui de Rintaro, de même que le personnel à l’intérieur et la clientèle... mais puisque Rintaro disait que Reijiro, contrairement à lui, était une fripouille, il n’y avait pas de raison de ne pas le croire…
Poliment, les deux rônins se présentèrent à la porte.
- Nous venons voir votre patron. De la part du seigneur Rintaro.
- Du « seigneur » Rintaro ? dit le garde en grimaçant.
- Tout à fait. Pour une affaire qui paraît urgente.
De nouveaux hommes de mains approchaient.
- Ils disent qu’ils veulent voir le patron.
- Je vais voir, dit l’un d’eux, un borgne édenté.
Il revint peu après et fit signe de faire entrer les deux visiteurs.
Manji et Katon auraient presque pu se repérer les yeux fermés dans la maison, tant elle était bâtie comme celle de Rintaro. Mais attention : ils n’étaient plus chez un honnête chef de gang, mais chez une véritable fripouillle !
Reijiro était un petit homme au teint huileux, grassouillet, avec ses petits doigts replets, en formes de serres.
- Que désirez-vous ? murmura-t-il.
- Hé bien voilà, expliqua Manji, nous venons de la part du seigneur Rintaro. Il nous dit que vous lui devez la somme de…
- Cinq kokus, dit Katon.
- Oui, c’est ça, cinq kokus. Donc nous sommes venus les chercher.
Reijiro les contempla avec un certain étonnement.
- Vous êtes nouveaux à son service, non ?
- Oui.
- Il a dû se tromper. Il y a longtemps que je ne dois rien à personne. Surtout pas à Rintaro.
- Il doit y avoir erreur. « Patron-san » nous a dit que vous lui deviez cinq kokus. Nous ne pouvons pas repartir sans.
C’était dit sur un ton placide, amical.
Reijiro toussota, gêné pour ces deux malheureux naïfs.
- Ecoutez, je vous le redis, je ne dois certainement pas cinq kokus à Rintaro. Je ne sais pas si vous réalisez quelle fortune cela représente.
- Nous savons juste que vous lui devez cinq kokus. Il nous les faut, maintenant.
Manji l’avait dit d’une voix si neutre, si détachée qu’il passait pour un simple d’esprit aux yeux de la bande à Reijiro, qui ricanait dans son coin. Quels ahuris Rintaro avait-il dégottés ?
- Bon, écoutez, mon temps est précieux, alors je vais vous le dire une dernière fois : je ne dois rien à « patron-san », d’accord ?
- Si. Vous lui devez cinq kokus. Nous ne repartirons pas sans.
Les hommes de main s’approchèrent :
- Bon, il va falloir y aller, maintenant.
Les deux samuraï approchèrent la main de leur fourreau.
- Nous ne partirons pas sans cette somme, dit Manji, d’un air bien moins avenant, en fixant soudain Reijiro droit dans les yeux.
Le patron de gang tourna sa petite langue sur sa lèvre, toussota et dit :
- Très bien, très bien… Vous avez peut-être raison… J’ai pu oublier… Cela arrive à tout le monde, n’est-ce pas ? Allons, tenez…
Il sortit de ses amples vêtements une bourse pleine de piécettes.
- Voilà la somme demandée.
Il était tout sourire.
- Très bien, dit Manji.
Le rônin la rangea dans son kimono et se leva, imité par Katon.
- Au plaisir, messieurs, dit Reijiro, prévenant, impatient de mettre à la porte ces deux gogos.
Quand les deux samuraï eurent tournés le dos, Reijiro et ses hommes s’esclaffèrent à s’en taper sur les cuisses.
- Cinq kokus ! Ce fou me réclame cinq kokus ! et il envoie ces deux abrutis ! Il peut bien se les mettre où je pense, ses kokus !
Rintaro prit la bourse des mains de Manji, impatient et l’ouvrit. Il en répandit le contenu à terre. Distraits, les deux samuraï regardaient ailleurs, alors que la perspective de voir une pareille somme aurait fasciné n’importe lequel des habitants des bas quartiers !
En vitesse, Rintaro compta les piécettes, puis dit :
- Vous êtes allés chez Reijiro ?
- Oui, lui-même, patron.
- Reijiro le chef de gang ?
- Oui, un petit grassouillet.
- C’est bien ça. Et vous lui avez demandé combien ?
- Cinq kokus, dit Manji.
- Cinq kokus, d’accord…
Rintaro recompta précisément les pièces.
- Et il vous a dit qu’il vous donnait cinq kokus ?
- Il a accepté de nous donner l’argent qu’il vous devait.
- C’est bien cette bourse-là qu’il vous a donnée ?
- Sûr et certain, patron.
- Bien, bien, bien… Rappelez-moi une chose… Les samuraï comme vous, ils ont un certain code… Enfin, un sens de l’honneur, quelque chose comme ça ?
- Oui, tout à fait. Le code du bushido et ses sept vertus définissent le samuraï.
- D’accord, très bien. Donc ce code d’honneur, entre autres, vous ordonne d’obéir à votre supérieur ?
- Oui.
- Et aussi de vous venger de ceux qui vous ont fait un affront ?
- Oui. Il peut arriver qu’un samuraï en tue un autre parce qu’il l’a insulté.
- Insulté, par exemple ?
- Par exemple en diffamant ses Ancêtres, ou sa famille…
- D’accord, fit Rintaro. Alors maintenant, imaginons que la somme que vous a donnée Reijiro n’est pas exactement celle que je demandais… Vous en diriez quoi ?
- Que cela ressemble fort à une insulte. S’il n’a pas rendu ce qu’il devait, c’est déshonorable.
- Il y en a en tout et pour tout pour 1 bu et 38 zénis. En petites piécettes...
- Ce n’est pas pareil que cinq kokus, admit Manji. Ca ne les vaut pas ?
- Non, pas tout à fait, dit Rintaro. Pas tout à fait… Disons même que Reijiro s’est bien moqué de vous, et donc de moi, en vous donnant moins du centième de ce que je lui réclamais !
- Il s’est moqué de nous tous ?
- Oui, fit Rintaro, qui n’y tenait plus, et c’est une telle insulte que vous devriez penser aux pires insultes qu’un samuraï peut faire à un autre et vous dire que c’est la même chose que cette fripouille vient de faire à un honnête commerçant tel que moi !
Il avait fini par hurler !
- Vu sous cet angle, admit Manji, c’est assez grave…
- Donc vous savez ce que vous allez faire ? Vous allez retourner voir Reijiro, en utilisant s’il le faut vos jolis sabres pour vous tailler un passage jusqu’à lui, et vous allez me ramener pour de bon cinq kokus ! Cinq ! Compris !...
Il se leva, ouvrit un coffret et en sortit une plaquette métallique gravée de motifs complexes :
- Vous voyez, ça c’est un koku ! Un beau koku bien de chez nous, gravé par les forges des Ikoma ! Hé bien il m’en faut cinq comme celui-ci !... Alors vous allez prendre celui-ci comme exemple et vous en servir pour comparer avec l’argent de Reijiro ! Et vous allez donc me ramener cinq kokus en plus de celui-ci ! Compris !
- Haï, Rintaro-san !
Les deux samuraï s’inclinèrent ensemble, se levèrent et repartirent. Rouge, le front en sueur, Rintaro alluma sa pipe et se raassit. Fujio, son gros vigile arriva, avec un briquet et l’aida à allumer sa pipe.
- La peste de ce Reijiro ! Qu’il crache au bassinet maintenant !
- J’ai entendu la discussion, patron, dit Fujio. Je me demande, après tout, si ces deux-là sont bien capables de vous servir. Ils n’y connaissent rien au monde de la rue. Ils se sont fait blouser comme des fillettes par Reijiro, qui doit bien rire de vous, maintenant.
- Tu as raison, Fujio, mais deux rônins qui ne se font payer qu’en bol de riz, ça ne court pas non plus les rues.
- Franchement, s’ils sont aussi habiles au sabre que fins en affaires, ils vont se faire rosser par la bande à Reijiro. Ces types-là ne sont pas des rigolos…
- Tu as peut-être encore raison, mais après tout, tant pis ! S’ils sont trop stupides, ces deux rônins, je n’y peux rien !
- D’autant que Reijiro les attend de pied ferme…
- Que veux-tu que je te dise ? On ne va pas pleurer sur leur sort, hein… C’est pas pour les trois bols de riz qu’ils m’ont coûté que je vais regretter de les avoir engagés… J’ai peut-être eu tort de les renvoyer là-bas sans renfort, mais tant pis… On va mettre leur visite là-bas à profit pour réunir, ici, quelques hommes de confiance, et organiser un rendez-vous avec la bande à Reijiro. J’ai quand même envie de revoir mon argent ! Mais avant ça, allons manger ! Cette histoire m’a fatigué !

Rintaro se fit servir par Fujio dans sa salle de restaurant vide. Il mangea plusieurs copieuses tranches de saumon au vinaigre, avec des légumes à la vapeur, des crevettes dans la friture, le tout arrosé d’un petit saké de derrière les fagots.
- Ah, par Ebisu, ça fait du bien par où ça passe !
Il avala deux autres petits verres de saké pour faire descendre ce bon repas et il vit alors qu’on soulevait le rideau d’entrée de la porte. Dans la lumière, il vit entrer les deux rônins, Manji et Katon.
- Nous revoilà, patron.
Eberlué, Rintaro repoussa sa bouteille de saké.
- Vous êtes allés chez Reijiro ?
- Oui.
Chacun des rônins portait un sac. Manji déposa le sien devant Rintaro en s’inclinant : le patron plongea les mains dedans et en ressortit cinq belles plaquettes gravées. Il eut de l’or dans les yeux :
- Mon argent ! Cinq kokus !
- Et voici le koku prêté.
- Merveilleux, les enfants ! Merveilleux ! Mais comment avez-vous fait ?
- La réponse est dans ce second sac, dit Katon.
Encore plus de kokus ?...
Rintaro le dénoua et y plongea aussi avidement les mains. A l’intérieur, il y avait du mou tiède. Rintaro hurla en découvrant ce que c’était.
Manji et Katon étaient repartis par le même chemin, remontés par ce que leur avait leur patron. On s’était donc bien moqué d’eux !
Quand ils arrivèrent dans le quartier de Reijiro, il faisait étrangement calme. Personne dehors.
Le vent grinçait en passant entre les panneaux mal fermés. Les volets claquaient. De la poussière passait à travers la rue.
Pas à pas, les deux samuraï avancèrent, leur regard se promenant sur tout le voisinage. Les gens s’étaient claquemurés chez eux. Soudain, une flèche passa juste devant les samuraï. Manji s’était reculé à temps et Katon s’était plaqué contre le mur.
Manji tira son katana et se fit une ouverture dans la mince cloison de la bâtisse. Il entra dans la pièce, où le tireur venait de lâcher son arc et tentait de sortir une machette. Manji lui trancha la gorge sans attendre. Un assassin embusqué derrière un meuble surgit, mais le rônin lui perça le ventre et ressortit sa lame par la gauche du cœur.
Dehors, Katon avait invoqué dans sa main son katana de feu. Avec le bruit d’une torche qu’on balance, il trancha un assaillant, puis un second. Sur un toit, un archer encochait. Katon le visa de son index gauche et une boule de feu partit en sifflant, frappa le tireur et l’embrasa. Hurlant, il alla s’écraser à terre.
Manji ressortait et continua sa marche aux côtés de Katon. Plus personne ne respirait dans le quartier. Ni ceux qui agonisaient ni ceux qui se cachaient.
Les deux rônins arrivèrent devant la maison de Reijiro, fracassèrent le panneau et se précipitèrent à l’intérieur. Katon n’aperçut pas un tueur dissimulé dans un recoin, qui lui sauta dessus. Mais Manji l’avait vu venir et lui asséner un coup mortel. Katon l’acheva proprement.
Les deux rônins firent le tour du bâtiment. Ils virent une porte de derrière, encore ouverte. Ils coururent au-dehors.
- Il n’a pas pu aller bien loin, dit Manji.
- Cette fripouille ! ricana Katon.
Les samuraï inspectèrent quelques rues. Soudain, ils entendirent quelqu’un détaler. Comme un lapin.
C’était le gros Reijiro, les bras chargés d’un sac. Posément, Manji et Katon le suivirent, pendant qu’il courait, suait, se prenait les pieds dans ses affaires, trébuchait et s’effondrait.
- Non, non, pitié…
Les deux samuraï avançaient. Manji dégaina son arme.
- Tu t’es moqué de nous, Reijiro-san…
- Ça va, ça va, prenez l’argent ! Prenez tout… Il y en a pour bien plus de cinq kokus ! Tout est à vous !
- Ce n’est pas la question, dit Katon en hochant la tête, l’air désolé.
- Il y a que tu nous a insultés, dit Manji. Et ça, nous ne le pardonnons à aucun prix.
Katon se pencha vers le sac de Reijiro. C’est vrai que c’était plein de kokus là-dedans. Il devait y en avoir des dizaines. Dédaigneux, le rônin en prit cinq et les glissa dans sa manche. Pendant que Manji faisait mine de rengainer son sabre, doucement et que Reijiro, soudain, devinait. Et Manji lui trancha la gorge au moment où le chef de gang allait se mettre à hurler.
Rintaro hurla en sortant la tête du sac ! La tête de Reijiro, figée dans son dernier cri !
La tête roula par terre et Rintaro avala deux coupes de saké. Il en eut les larmes aux yeux !
- Par Ebisu !
Il toussa et cracha.
- Asseyez-vous !...
Il n’en croyait pas ses yeux. Cinq kokus et la tête de Reijiro !
- Je savais bien que je ne me trompais pas en vous engageant, tiens ! Fujio, amène la bouteille de soshu ! Nous allons fêter ça ! A la santé de cette andouille de Reijiro !
Et on trinqua plusieurs fois devant la tête qui, en saignant, prenait une mine contrite.
A suivre...
