01-03-2008, 03:48 PM
(This post was last modified: 09-03-2008, 05:26 PM by Darth Nico.)
CHRONIQUES DE L'EMPIRE D'EMERAUDE
Le jour se levait.
Depuis une heure, nos héros marchaient sans faiblir. Ils traversèrent une région incertaine, entre campagne et forêt. Pas de champ, mais pas tellement d’arbres non plus. On ne pouvait ni avancer vite, ni bien se cacher. En plusieurs endroits, le chemin, mauvais, se perdait dans les hautes herbes. C’était l’impression, comme dans un cauchemar de ne pas avancer. Alors qu’ils commençaient à se sentir à l’abri, Katon aperçut, à une centaine de lis, sortant de derrière des arbres, cinq pisteurs portant les couleurs du Lion. Ils n’avaient pu manquer d’apercevoir les rônins.
- Il va falloir accélérer !
Après une heure de marche, on sortit de cette région incertaine. Et les uniformes Lion se rapprochaient. Manji les vit lancer en l’air des séries de flèches, qui produisaient un sifflement aigu.
- Des signaux d’alarme… On va prévenir les autres patrouilles de la région !
Nos héros se trouvaient maintenant en terrain découvert. Au loin, ils aperçurent un bois épais.
- Il faut y aller, dit Manji.
- Mais ils savent que c’est notre seul abri, dit Yojiro. C’est là-bas qu’ils vont nous suivre !
- Tant pis, c’est ça ou être pris comme des lapins !
Ils quittèrent la route principale et descendirent sur les bords d’un petit cours d’eau. Ils avancèrent à marche forcée, pendant le reste de la mâtinée. Ils restaient longtemps sans voir un uniforme, puis brusquement, ils réapparaissaient, jamais bien loin. Leur avance diminuait.
- Il doit y avoir au moins deux groupes sur nos traces, dit Yojiro.
Et il ne pouvait être question de se battre. S’ils touchaient à un seul cheveu d’un bushi du Lion, ils auraient tous les samuraï de la région sur le dos ! Une partie de l’armée la plus puissante de Rokugan !
En milieu d’après-midi, ils atteignirent le bois, harassés. Ils se jetèrent, morts de soif, sur l’eau de la rivière, qu’ils prirent à pleines mains.
Ils s’accordèrent une pause.
- Nous ne tiendrons pas si nous ne prenons pas des forces, dit Yojiro.
- Allons chasser, mais hâtons-nous, dit Manji.
Ils s’enfoncèrent dans les taillis et prirent un lapin, que Katon fit rôtir d’un claquement de doigts. Ils se le partagèrent et l’avalèrent en vitesse.
- A quatre, nous sommes trop repérables, dit Katon. Séparons-nous, et convenons d’un point de rendez-vous.
- Je suis d’accord, dit Manji. Disons que nous nous retrouvons au prochain village vers le sud.
- Entendu, dit Yojiro.
- Vous êtes deux à savoir vous repérer dans la nature, dit Katon. Manji qui sait lire dans les étoiles. Et toi, Yojiro, qui a été éclaireur et navigateur.
- J’irai avec Katon, dit Manji. Yojiro et Maya de votre côté.
- D’accord.
Les deux groupes se séparèrent en se souhaitant bonne chance.

Katon et Manji partirent dans leur direction, d’abord au hasard, puis, alors que la nuit tombait et qu’on ne voyait toujours pas la sortie du bois, ils attendirent, cachés près de la rivière. On entendait un piétinement régulier dans la forêt.
- Ils sont entrés, dit Manji. Ils doivent connaître ces lieux comme leur poche.
La première étoile du soir luisait dans le ciel. Manji avisa un creux moussu.
- Prenons des branches, vite.
Les deux samuraï en cassèrent une dizaine, lourdes de grandes feuilles et s’aplatirent comme ils purent, en se recouvrant de cet abri. Et ils attendirent, de longues heures. Ils entendirent passer des samuraï, pas loin, qui juraient de retrouver les pendards de rônins. Puis ils passèrent et le silence revint dans la forêt. Il faisait nuit noire. Manji osa passer la tête.
- Plus personne, murmura-t-il. Allons-y.
Katon et lui ressortirent. Ils avalèrent quelques baies, remplir leurs gourdes et, aux étoiles, Manji trouva la direction du sud. L’heure du neuvième kami approchait quand ils passèrent l’orée du bois et partirent sur la grande route poussiéreuse.
Au lever du jour, les jambes tiraillées de douleur, ils s’arrêtèrent, pour dormir à l’abri d’un cabanon. Il y avait un village à quelques minutes de là. La région était vraiment déserte. Il faisait brumeux. Au matin, ils allèrent à la pêche et firent griller leurs prises. Ils dévorèrent à belles dents deux anguilles. Dans le village, presque personne ne remuait. Ils passèrent la journée, à guetter une venue, mais personne n’approcha. Les avait-on repéré ? Rien ne l’indiquait.
Les deux samuraï se reposèrent pendant la journée. Le soir, Maya et Yojiro n’étaient toujours pas là.
- Nous ne pouvons pas les attendre plus longtemps, dit Manji.
- Je sais bien, dit Katon.
Maintenant qu’ils n’étaient plus liés par les règles d’hospitalité entre clans, ils étaient forcés de convenir qu’à un certain moment, c’était chacun pour soi.
- Continuons vers le sud. Peut-être qu’on ne pourchasse pas les rônins partout dans l’Empire !
- Je l’espère bien, dit Katon.
Les deux hommes reprirent leur route de nuit, dans ces régions d’eux inconnues.

Maya et Yojiro étaient ressortis du bois, eux aussi, par une autre route. Ils ignoraient la direction qu’ils prenaient, en pleine nuit. L’attente dans le bois avait été longue. Ils s’étaient cachés dans un repli des sous-bois, derrière une grosse butte pleine de fourmis.
Ils partirent sur le chemin, à la lumière des étoiles. Ils n’entendaient que le bruit de leur marche, et n’y voyaient pas à quelques pas devant eux. C’était la nuit horrible, infinie, impénétrable, la véritable nuit du monde.
- Si c’est bien la route du sud, dit Yojiro, nous devrions retrouver bientôt nos amis. Ils n’ont pas pu prendre beaucoup d’avance sur nous.
A l’aube, cependant, il n’y avait toujours pas de village en vue. Les deux voyageurs durent s’arrêter et s’accorder du repos. Yojiro était même trop fatigué, et dégoûté de cette vie, qu’il ne pensait pas aux attraits de Maya. Il était pourtant seul avec elle depuis des heures, dans ces contrées perdues.
Ils dormirent la matinée entière. Alors que le soleil était haut dans le ciel, ils reprirent leur marche. Ils avaient les traits tirés et paraissaient traîner leurs ombres comme des boulets. Ils marchèrent jusqu’au soir, sans rencontrer âme qui vive.
Enfin, ils arrivèrent en vue de grandes collines boisées. Après avoir traversé des régions inhabitées, ils aperçurent des feux qui s’élevaient en plusieurs endroits, au-dessus du faîte des arbres.
- Nous irons demander l’hospitalité là-haut. Méfiance avec ces bois, dit Yojiro, ils peuvent être hantés par des esprits.
De la journée, Maya avait à peine dit un mot. Yojiro n’était pas bavard non plus. Il fumait de temps à autre, pour se distraire de la faim. Il serait bientôt à bout de tabac.
En sueur, nos deux héros furent accueillis par la fraîcheur de la forêt. Un chemin était tracé, qui serpentait dans la côte. Ils virent un peu plus haut un village, presque bâti à même les arbres.
Yojiro s’assit :
- Ecoute, dit-il, tu ferais mieux d’y aller voir seule. Depuis le dernier village, je me méfie. Toi au moins, ils ne se méfieront pas. Pas d’un Ize-Zumi. Tandis que moi…
Il savait bien l’air hirsute, peu avenant qui était le sien. Il avait l’air d’un mauvais chien fiévreux.
Maya finit la côte et entra dans le village. Yojiro attendit, auprès d’un ruisselet qui dévalait la pente en chantant.

L’Ize-Zumi fut accueillie avec une stupeur pleine de respect par les villageois. Ils s’inclinèrent devant elle et lui offrirent sans attendre à boire et à manger. Ils passaient justement à table. Maya reconnut en eux des gens simples, timides, doux, qui ne demandaient qu’à vivre dans leur petite communauté, sans rien demander à personne.
- Je veux vous aider, dit Maya, car je ne veux pas manger sans donner en retour.
- Vous pourrez nous aider aux travaux demain, dit un vieil homme au crâne rasé, le guide spirituel de ce village.
Maya accepta. Elle dit qu’elle aurait souhaité retourner dans la forêt, avant de dormir, mais on lui dit que c’était trop dangereux. Il y avait des esprits frappeurs, la nuit. Inutile d’aller attraper un mauvais coup.
Maya, gênée, accepta et monta dans la chambre qu’on lui offrit. Elle comprit qu’on avait un grand respect pour elle, pour une sainte femme comme elle. Mais on s’en méfiait. On la considérait comme sacrée. Elle n’était pas entièrement libre de ses mouvements tant qu’elle choisirait de rester.
- Non, rien de bon dans la forêt, la nuit… Des esprits du monde des animaux…
Maya se coucha, en songeant qu’en fait d’esprits diaboliques, il y avait surtout un rônin affamé, qui n’allait pas attendre des heures, assis dans la terre humide !
Le village était surveillé toute la nuit. Maya n’aurait pas pu partir sans user de violence. Ces gens doux et hospitaliers avaient des règles de vie pour le moins strictes…
Le lendemain, Maya fut réveillée à l’aube pour les exercices matinaux. Puis une rapide collation et on se mit aux champs, après que le guide spirituel ait demandé la bénédiction des Fortunes. Devant lui, les gens étaient pleins de crainte et d’admiration. Ils riaient quand il riait, ils tremblaient quand il s’inquiétait, il baissait la tête s’il faisait un reproche…
Maya se mit au travail. On lui donna des outils pour remuer la terre et on lui attribua un lopin à l’écart. Elle sentait qu’elle perturbait la vie de ces gens. Et aussi l’autorité de leur guide qui, maintenant, ne serait plus le seul homme extraordinaire qu’auraient connu les villageois.
Tout en bêchant, Maya craignait de voir débouler un Yojiro affamé, puant, katana à la main. Pour le coup, il aurait semé la terreur parmi ces gens !
Que devenait-il ?...
Régulièrement, on venait voir comment Maya avançait dans sa tâche. On s’inquiétait pour elle et on la surveillait en permanence. Le guide passait voir chacun, prodiguait un mot d’encouragement ou une petite réprimande.
A la tombée du jour, on vint remercier Maya de son aide et on l’invita à passer à table.
Non, décidément, Yojiro ne serait pas content.
- Je ne peux pas rester plus longtemps, dit Maya. Je dois repartir chercher la sagesse ailleurs.
- C’est une magnifique parole de sagesse, dit le guide, un sourire radieux aux lèvres.
Et tout le monde était émerveillé.

Le voyage de Katon et Manji les amenait vers le centre des terres du Lion. Ils avançaient vers cette région du cœur des domaines Matsu, dont ils savaient juste qu’elle recélait plusieurs de leurs villes les plus prestigieuses.
- Là-bas, nous trouverons bien un protecteur, dit Manji. Beaucoup de marchands ont besoin qu’on protège leurs convois. Ce ne sera pas une tâche trop déshonorable. Surtout si ces marchands sont au service des Lions.
- Oui mais dans ce cas, les Lions vont les protéger eux-mêmes, dit Katon.
- Nous verrons bien. Plus nous pourrons rencontrer de monde et mieux ce sera. Malgré les risques d’un nouvel édit impérial contre les samuraï sans clan…
Ils croisèrent une petite cité fortifiée, arborant les couleurs de la famille Ikoma.
- Ces gens passent pour être les plus pacifiques des Lions, dit Manji. Ce sont des diplomates, des lettrés, pas des foudres de guerre…
- Allons toujours demander…
A l’entrée, l’accueil fut glacial :
- Désolés, samuraï, nous n’avons pas besoin de vos services…
- Nous pouvons servir, nous battre…
- Les Lions savent se battre par leurs propres moyens.
Nos deux héros repartirent. Le lendemain, après une étape au clair de lune, ils arrivèrent en vue d’un monastère isolé. Ils furent reçus aimablement ; personne ne leur posa de questions. Ils s’apprêtaient à demander le gîte.
- Désolés, samuraï, leur dit le père supérieur, nous ne pouvons vous garder. Vous devez repartir.
Il était navré. On sentait que cette décision ne dépendait pas de lui. Ce soir-là encore, Manji et Katon dormirent en pleine campagne. Cette vie dura encore trois jours : ils péchèrent pour manger, marchèrent, dormirent une fois dans une cabane branlante, exposée à tous les vents.
Deux jours plus tard, dans un village, ils apprenaient qu’ils n’étaient plus loin d’une cité fortifiée de la famille Ikoma, la cité du Cri Perdu.
- Il y a beaucoup de marchands là-bas, leur dirent deux rônins, plein de convois. Ils ont avec eux beaucoup de gens armés pour garder leurs richesses.
- Intéressant, dit Katon. Ils pourraient avoir besoin de nous, qu’en penses-tu ?
- Oui, dit Manji. Je crois que c’est ce qu’il nous faut.
Le lendemain, en début d’après-midi, les deux rônins apercevaient les murs de la cité et la grande route qui y menait, encombrée par des dizaines de chariots et de gros attelages.

Maya avait repris sa route, seule. Comme elle pouvait s’y attendre, Yojiro n’avait pas attendu. Elle ignorait où il avait pu partir ; il n’avait laissé aucune indication.
Le lendemain, elle arriva sur une grande route, qu’elle décida de suivre, car elle la mènerait inévitablement vers une important cité.
Elle marchait seul depuis des heures quand elle vit arriver dans son dos un groupe de cavaliers au trot. Elle vit qu’ils portaient le mon des Otomo. Des dignitaires impériaux ! De la même famille que celle du juge qui avait prononcé la dégradation de ses amis !
L’Ize-Zumi trembla, sous l’ardent soleil ; la troupe ralentit en la voyant, perdue au milieu du chemin.
- Olà, cria leur capitaine, arrêtons !
La troupe s’immobilisa, les chevaux frémissant encore, le cuir chaud et la crinière en désordre. Le capitaine, derrière son masque, désigna Maya du doigt :
- Que fais-tu sur ces routes, seule ?
Maya s’inclina et se présenta.
- Tu viens du clan du Dragon ? Alors, tu as fait du chemin depuis tes montagnes, par Otomo ! Où te rends-tu ?
- Là où la sagesse me porte, répondit Maya, avec bon sens et résignation.
- Ma foi, j’ignore si nous allons au même endroit, mais pourquoi ne ferais-tu pas un bout de chemin en notre compagnie ?... Mon nom est Otomo Jukeï. Sais-tu bien à quelle compagnie nous appartenons ?
- Non, seigneur, je l’ignore.
- Je vais te l’apprendre. Nous sommes des serviteurs du shinsen-gumi.
C’est à peine si Maya avait déjà entendu ce nom. Elle l’associait spontanément au Gozoku.
- Allons, viens, suis-nous. Nous ne trouverons une monture au prochain relais.
- Merci, seigneur, mais je préfère marcher.
La vérité était que Maya n’était jamais monté sur un cheval !
- Je prendrai une plus grande monture, dit le capitaine, et tu monteras derrière moi.
Maya suivit le groupe. Ils passèrent dans deux villages et à chaque fois, l’ensemble de la population, du dernier des etas aux petits samuraï, se prosternait aussi bas que possible.
- En mon nom, répétait Otomo Jukeï, le gouvernement du peuple vous salue et vous adresse sa bénédiction. Que les nobles serviteurs du trône d’Emeraude soient récompensés, et ses ennemis punis avec célérité.
Le respect était mêlé de crainte, voire de véritable terreur. On s’empressait pour le shinsen-gumi plus que pour de simples samuraï de clans.
- A propos, pas de rônins dans la région ?
- Non, seigneur…
- Tant mieux, car il faudrait alors les pourchasser sans relâche, nous les livrer ou bien les pendre aussitôt !
- Oui, seigneur.
Le voyage se poursuivait. Maya était maintenant en selle derrière le capitaine, qui ne lui permettait plus de la quitter. Ils dormirent dans une petite ville, mise en effervescence par l’arrivée des Otomo. Et Jukeï ne quittait pas Maya des yeux. Celle-ci faisait semblant de rien.
Le lendemain, après une mâtinée déjà chaude, on fit halte dans un village. Jukeï envoya ses hommes manger et leur annonça qu’ils pouvaient prendre leur temps.
- Viens, dit-il à Maya, allons nous promener…
L’Ize-Zumi ne vit pas les regards apeurés que lui jetaient les villageois.
- D’où viens-tu exactement ? demanda-t-il à voix basse, en lui caressant le menton.
- Du temple du Campanule…
- Cet endroit ne me dit rien.
Jukeï s’approchait toujours plus d’elle.
- Toutes les femmes là-bas sont-elles aussi belles que toi ?
- Je ne sais pas, seigneur…
Maya baissait la tête, gênée.
Peu à peu, Jukeï la prenait dans ses bras.
- Tu es timide… Pourtant, tu es partie de chez toi pour voir le monde… pour découvrir la vie…
Il l’avait amené près d’une petite auberge. Il lui découvrait doucement les épaules.
- Quel joli tatouage tu as là… Est-il magique ?
- Oui, seigneur…
Les hommes de Jukeï entraient dans l’auberge et en firent sortir les clients.
- Entrons, j’ai soif…
Il n’y avait plus que le patron et sa femme, blancs comme des linges.
- A boire, et au plus vite !
Jukeï s’assit avec Maya dans le fond de la salle, à la plus grande table. Les sbires du capitaine s’étaient plantés devant la porte, bras croisés.
- Voilà, seigneur, dit le patron, tremblant.
- Bien, file…
Jukeï jeta négligemment quelques pièces que le patron ramassa à quatre pattes.
- Tu as beaucoup de chance, ma petite, de m’avoir rencontré, sais-tu ? Un officier du shinsen-gumi est une malédiction pour les rônins et autres rebelles, mais pour une sage et belle femme comme toi, c’est une bénédiction…
Maya se recula, vivement et dit à Jukeï, en face :
- Je ne me fais d’illusions sur vos intentions…
Estomaqué, le capitaine prit le parti d’en rire. Il se resservit à boire. Il avait déjà vidé plusieurs verres. Il en but encore quelques-uns, à la suite, sans rien dire. Il cria au patron de venir le resservir à l’instant. L’homme se précipita et manqua se prendre les pieds dans la table.
Jukeï but encore, et ordonna à Maya de ne pas bouger.
- Alors, je ne te plais pas ? dit-il, l’air mauvais.
- Je ne m’intéresse pas à ces choses-là, répondit Maya, avec une sincérité désarmante et qui mit Jukeï en fureur.
Il l’attrapa par le bras.
- Tu n’y connais rien, je vais te montrer, moi…
- Je n’ai pas envie…
Maya le disait comme une évidence, comme si son désir pouvait être souverain par rapport aux envies d’un capitaine du shinsen-gumi…
Il la gifla violemment. Les samuraï à l’entrée ne bougèrent pas. Leurs nuques rigides ne remuaient pas. Le patron courut se réfugier à la cuisine et sa femme se blottit contre lui. Terrifiés, ils fermèrent presque entièrement le panneau, et regardèrent par l’interstice.
Maya était tombée sur le dos. Jukeï se jeta sur elle et entreprit de la déshabiller. Il empoigna ses seins et murmura, satisfait :
- Voilà qui est mieux…
Maya se débattit, mais la force de l’officier était trop écrasante. Elle s’agrippa au tapis, serrant la bouche. Des larmes coulèrent sur ses genoux pendant que le capitaine s’acharnait sur elle. Il ahanait, râlait, s’essoufflait.
Il s’arrêta. Maya, suffoquée, se demanda si son supplice était terminé. Jukeï se releva et remit son kimono, en rage. Les samuraï à l’entrée ne bougeaient toujours pas. Le patron et sa femme pleuraient en silence.
Maya se rassit et tira à elle ses vêtements. Elle avait compris.
- Tu as été faible, mou, cracha-t-elle.
Humilié, Jukeï se rua sur elle et la gifla encore plus fort que la première fois…
- Tu vas voir comment un officier du shinsen-gumi s’occupe des filles comme toi !
Dehors, les paysans essayaient de regarder, au passage, ce qui se passait à l’intérieur. L’un des samuraï cracha à terre et mit la main sur son sabre :
- Dégagez…
On entendait à l’intérieur les râles et les plaintes mêlées de Maya et Jukeï.
Le capitaine se rassit et prit la bouteille. Cette fois, il avait réussi ! Il n’avait pas l’habitude des pucelles, c’était tout !
Maya pleurait dans son coin.
- Tais-toi, tu me fatigues !
Il se releva en titubant. Ses soldats entrèrent et l’aidèrent à monter les marches puis l’allongèrent dans sa chambre.
Maya resta longtemps seule. Elle entendit au bout d’un moment un soldat s’approcher et lui jeter un paquet :
- Tu t’habilleras avec ça, lança-t-il, et dépêche-toi, nous repartons avant la tombée de la nuit.
Au crépuscule, Maya, le visage défait, pâle comme une morte, remontait à cheval derrière Otomo Jukeï, vêtue d’un kimono aux couleurs du shinsen-gumi.
- Hâtons-nous, dit le capitaine, je veux que nous arrivions avant la nuit à notre prochaine étape !
Les samuraï frappèrent les flancs de leurs chevaux et lorsque le soleil disparut, la brigade du Gozoku passait la porte principale de la Cité du Cri Perdu.
A suivre...
