09-03-2008, 05:33 PM
CHRONIQUES DE L'EMPIRE D'EMERAUDE
<span style="color:#008000">3ème chapitre : La Cité du Cri Perdu<!--sizec--></span><!--/sizec-->
- N’espérez pas franchir cette porte !
Les deux samuraï Ikoma avaient croisé leurs naginata devant Katon et Manji.
- Derrière ces murs se trouve le quartier noble. Vous ne pouvez y pénétrer.
Les deux rônins s’inclinèrent et firent marche arrière. Ils durent contourner une partie des murs d’enceinte, pour arriver dans les bas quartiers de la Cité, en-dehors des protections de la famille Ikoma.
Il faisait plus frais à l’ombre des bâtiments serrés dans un beau désordre. Il restait à nos deux héros quelques zénis en poche. Ils les utilisèrent pour boire un verre dans la première auberge venue.
- Vous êtes sur le territoire d’un dénommé Rintaro, expliqua un rônin à nos deux héros, qu’il considérait comme tombés de la dernière pluie. Il possède plusieurs établissements dans le quartier. En fait, la basse citée est divisée entre les différents protecteurs.
- Et ce Rintaro, il n’a pas besoin de bras armés comme nous ?
- Peut-être, dit le rônin en finissant son bol de riz. J’ai été à son service, un temps. C’est une fripouille, mais dans l’ensemble, il paye bien. Vous pouvez toujours aller voir s’il a de la place pour vous.
Nos deux héros remercièrent en payant le verre du rônin. Ils n’étaient pas à l’aise avec la monaie, qu’ils n’avaient presque jamais manipulé avant, mais ils savaient que c’était d’usage dans certains milieux, à titre de faveur, de payer à boire.
Le soir tombait lorsque Katon et Manji arrivèrent devant un grand établissement de divertissement, la Fleur du secret. L’entrée était gardée par un colossal obèse torse nu, chauve, boucle à l’oreille, une grande lame à la ceinture.
- Nous nous demandions, mon compagnon et moi, si nous pourrions servir le maître des lieux.
L’obèse éclata de rire.
- Vous, vous venez d’arriver en ville, c’est sûr !
Il se retourna, fit signe à un servant, et se remit face à nos héros, bras croisés, souriant.
Arriva un petit personnage, cheveux rares et filasses, mal rasé, une pipe à la bouche, l’air méfiant.
- Konnichi-wa, fit Manji, en s’inclinant respectueusement.
Le petit homme pouffa de rire.
- C’est qui, ces deux-là ?
L’obèse dit :
- Ils cherchent du travail, patron…
Ledit patron grimaça et dévisagea les deux rônins.
- Vous venez de loin, vous deux, hein ?...
- En effet, nous avons fait un long voyage, mon compagnon et moi, et nous souhaiterions…
- Bon, bon, ça va… Vous savez vous battre ? Manier un peu vos katanas, là ?
- Parfaitement, seigneur.
Le patron tira sur sa pipe et dit au gros :
- Tiens, prends exemple. Tu devrais m’appeler « seigneur », toi aussi, de temps en temps.
- Oui, patron.
Les deux rônins restaient inclinés.
- Bon, vous n’allez pas passer la nuit courbés en deux, si ? Entrez, on va vous donner un bol de riz ! Et vous garderez la porte en début de nuit, ça va ?
- Cela nous convient à la perfection.
- Je m’appelle Rintaro, et ici, le patron c’est moi, compris ? Vous savez obéir, vous les samuraï généralement, pas vrai ? Donc on obéit au patron. D’ailleurs, les gens m’appellent « patron-san », vous voyez…
- Tout à fait.
Le petit homme repartit en crachant dans un pot et maugréa contre ces maudits étrangers.
Manji et Katon mangèrent de bon appétit. Le gros leur expliqua en quelques mots ce qu’on attendait d’eux :
- Si le patron vous a acceptés tout de suite, c’est qu’il vous fait confiance. Il a du flair, mais n’abusez pas de sa gentillesse.
- Loin de nous cette idée.
- Tout ce qu’on veut, c’est que l’ordre règne, entendu ? Vous garderez la porte de derrière. Vous empêchez les casse-pieds d’entrer. Ici, c’est un lieu pour s’amuser. Il y a de l’alcool, des joueurs, des filles… On vient chez patron-san pour passer un bon moment. L’endroit a une certaine réputation, et patron-san veut la conserver. Parfois, il y a des bandes d’autres coins de la ville, qui viennent ici faire du raffût. Patron-san a déjà eu des problèmes avec eux. Il n’aime pas qu’on vienne l’embêter chez lui, ça se comprend.
- Cela se comprend parfaitement, confirma Manji.
- Normalement, vos sayas devraient déjà décourager pas mal de monde. Mais c’est pas impossible que certaines têtes brûlées veuillent vous tester…
- On les recevra comme il faut, sourit Katon.
- Mon nom, c’est Fujio. Je garde la porte de devant. C’est par là qu’entrent les meilleurs clients. Vous, à l’arrière, vous vous occupez des clients ordinaires, d’accord ?
- Tout à fait d’accord.
- On vous donnera à manger et de quoi couvrir quelques frais, et une chambre. Pour ses employés, le patron fait aussi des prix sur les filles.
- C’est très généreux de sa part, dit Manji.
- Alors finissez votre riz et aller monter la garde. Bienvenue dans la maison !
- Merci à toi, Fujio. Et merci à... « patron-san ».
Katon et Manji montèrent donc la garde pendant la moitié de la nuit. Il n’y eut aucun incident. Nos héros repérèrent quelques mauvais garçons en train de les dévisager et partir en courant. De temps en temps, Fujio venait s’assurer que tout allait bien.
- Forcément, expliqua-t-il, on va parler de vous dans le quartier. Le patron recrute souvent des rônins et à chaque fois, on veut voir de quel bois ils se chauffent. Ca ne gêne pas le patron, tant que ses rônins s’en tirent la tête haute, vous voyez ? Question de prestige. Parfois, des petits merdeux doivent finir la tête la première dans la boue, pour apprendre qu’on ne vient pas déranger patron-san et ses employés…
Les deux rônins accusèrent le coup dans la dernière heure. Ils piquaient du nez. Un employé vint leur servir du thé brûlant. Ils se réchauffèrent mais furent contents d’entendre Fujio leur dire qu’ils pouvaient aller dormir.

Manji et Katon passèrent une courte nuit et se remirent à leur poste, tôt le lendemain matin, après avoir avalé leur riz et du lait. Il y avait de plus en plus de monde dans la rue, dès les premières heures du jour. On stationnait pour observer les deux nouveaux gardes de chez Rintaro. Poliment, les deux rônins rendaient leur salut à ceux qui croisaient leur regard. Leurs bonnes manières détonnaient pour le moins dans le quartier, de même que leur accent aristocratique.
- Passez donc, je vous en prie, disaient-ils aux individus louches que Rintaro recevait dans son établissement.
En milieu de mâtinée, Fujio accompagna plusieurs filles dehors et les posta dans la rue.
- Dépêchons, dépêchons, le patron n’était pas content de vos dernières journées, alors il va falloir en mettre un coup !
Tout aussi polis, Manji et Katon saluèrent les gagneuses, qui se demandaient si on ne se fichait pas d’elles.
- Elles emmènent leurs clients dans l’hôtel en face, dit Fujio, et pas ailleurs, d’accord ? Vous jetez un œil sur elle de temps en temps… Qu’elles ne se laissent pas emmener plus loin.
- D’accord.
Vers l’heure d’Akodo, la plus chaude de la journée, nos héros attendaient qu’on les appelle pour manger. C’est à ce moment qu’il se forma un attroupement d’une dizaine de personnes, Ils portaient de longs habits, qui ne dissimulaient pas totalement les tatouages qui leur recouvraient presque le corps. Il leur manquait à chacun un doigt, une dent, un tatouage ou une partie de la chevelure. Des yakuzas. Ils avaient l’air bien pleins. Ils avaient dû passer la mâtinée à boire avant de sortir.
Katon les regardait en souriant placidement. Manji toussota : ils portaient des armes de poings. Katon continuait à les fixer sans discontinuer. Il les défiait silencieusement de venir. La bande s’agitait, se consultait. Deux firent un pas en avant, reculèrent. Ils hésitaient, et puis leurs camarades les poussèrent en avant. Katon les fixait toujours, amusé.
Soudain, deux d’entre eux se décidèrent : ils approchèrent, résolus. Alors qu’il arrivait à quatre pas des deux rônins, il se retrouva avec deux lames pointées sur sa gorge. L’un des gardes avait dégainé à la vitesse de l’éclair et l’autre avait carrément fait apparaître un sabre brillant dans sa main !
- Tututu, dit Manji, du calme…
Dégrisé, le yakuza recula, trébucha, se reprit et fit signe à ses comparses de quitter la partie. Ils décampèrent sans demander leur reste.
Rintaro arrivait alors. Il avait assisté à la scène :
- Bon, ils ont vu que vous ne vous laissiez pas faire, marmonna-t-il, la pipe à la bouche. C’est bien. Mais c’est possible qu’ils reviennent.
- On aura plaisir à les recevoir, affirma Katon.
- Pour le moment, rentrez. Le repas vous attend et j’ai à vous parler.
Aux cuisines, on s’affairait au milieu d’un gros nuage de vapeur et de friture. La salle était pleine et Rintaro dut courir à droite et à gauche pour mettre de l’ordre dans ses troupes.
- Pressons, pressons, la table là-bas n’est toujours pas servie…
Manji et Katon mangeaient dans une salle à part. Rintaro, essoufflé, vint les rejoindre.
- Bon, que je trouve un moment pour moi, quand même… Mais avec ce soleil, les gens meurent de soif, et il s’agit de les recevoir comme il faut, pas vrai !
- Parfaitement.
Rintaro était déjà agacé par cette manie de ses deux rônins : pourquoi fallait-il qu’ils approuvent si poliment à chacune de ses paroles ?...
- Bon, je vais vous envoyer faire une course pour moi … Il faut que vous alliez chez une fripouille appelé Reijiro, qui tient un autre établissement comme celui-ci (sauf que le sien est mal famé) et que vous lui demandiez de me rendre l’argent qu’il me doit depuis des lustres…
- D’accord.
Les deux rônins se levaient déjà.
- Attendez ! Je ne vous ai même pas dit combien il me devait.
- On lui demandera l’argent qu’il vous doit, non ?
Rintaro soupira : d’où venaient ces deux énergumènes ?
- Bon, il me doit cinq kokus, d’accord ? Vous vous souviendrez ? Cinq !
Il faisait signe avec ses doigts.
- Très bien, dit Manji. Cinq kokus.
- C’est une sacrée somme, vous vous rendez compte.
- Si vous le dites, patron…
Il n’y avait aucune ironie dans la voie de Manji.
- Ne repartez pas sans mon argent, hein…
- Bien sûr que non…
Les deux rônins passèrent la porte. Rintaro les toisa, stupéfait :
- Mais attendez, bon sang ! Je ne vous ai même pas dit où il habitait !
A suivre...
