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1er Episode : Sur les routes
#23
CHRONIQUES DE L'EMPIRE D'EMERAUDE

Pendant que Manji et Katon découvraient la vie dans les bas quartiers de la ville, des évènements agitaient le palais de la famille Ikoma.
Le capitaine Otomo Jukeï, envoyé spécial du shinsen-gumi s’était fait annoncer et avait été reçu par le gouverneur de la Cité. Depuis plusieurs jours, les rumeurs couraient, colportées par les marchands et par des courriers officieux de dignitaires locaux, que le Gozoku envoyait un de ses agents. Les nouvelles étaient remontées jusqu’au gouverneur de la Cité du Cri Perdu. On disait que ce seigneur Otomo venu de l’Est était passé par le château ancestral de la famille Akodo, où il avait été fraîchement reçu.
Prévenu de cette visite, le gouverneur Ikoma Mondô avait réuni ses fidèles conseillers. Ceux-ci apprirent à leur seigneur de quoi il retournait :
- La capitale nous envoie un de ses chiens de chasse. Et Otomo Jukeï est l’un des plus féroces dans son domaine.
- Mais que cherche-t-il exactement ? s'inquiétait le Gouverneur.
- C’est un collecteur d’impôts, avant tout mais dans ce champ, il n’a pas moins d’acharnement qu’un Inquisiteur. Le Gozoku a engagé des dépenses formidables, seigneur. Ces dernières années, des emprunts extraordinaires ont dû être faits à certaines familles noble qui sont au mieux avec les corporations de marchands. Les Yasuki entre autres. Emprunts nécessaires pour financer le train de vie somptuaire de la cour impériale. Les caisses impériales sont vides, seigneur. Si cela continuait ainsi, l’Empereur devrait vivre comme un roturier…
- Allons, qu’osez-vous dire ?
- La vérité, Mondô-sama. Les dirigeants du Gozoku mènent la grande vie, sous couvert de lutter pour redresser la situation de leurs clans. Mais il y a bien longtemps que la triade dirigeante a retrouvé sa splendeur d’antan. La sécheresse n’est qu’un mauvais souvenir.
- Maintenant, disait un autre conseiller, ce n’est que débauches de fêtes, luxuriance… Et nous autres, du Lion, sommes considérés comme de grosses vaches à lait. Cet envoyé du Gozoku vient pour nous traire, cela ne fait pas un pli…
- Ils vont fouiller nos comptes, jusqu’au moindre petit papier, la moindre note de teinturier… Pour savoir si nous acquittons bien les sommes exigées. J’ai entendu parler du traitement humiliant réservé aux réfractaires et aux mauvais payeurs.
- Comment un samuraï aurait-il le droit de traiter des membres de l’Ordre Céleste de cette façon ? dit le gouverneur. Pour des histoires d’argent !
- Il le fait, seigneur.
- Et le seigneur Otomo Jukeï est accompagné d’une garde sinistre, de bretteurs d’exception, qui ont le goût du sang. Sur la route, ils aiguisent leurs lames contre de braves villageois ou parfois contre les rônins qui hantent les routes. Certains de ces membres du Gozoku pourraient demain servir dans la garde secrète de l’Empereur…
- Bien, je vois, soupira le Gouverneur. Mais au juste, qu’avons-nous à nous reprocher devant ce percepteur impérial ? Puisque c’est bien de cela dont il s’agit…
- Justement, il y a un bien un problème, seigneur. Et qui risque d’aiguiser les appétits d’Otomo Jukeï-sama. Un problème avec la recette de l’impôt de cette année…
- Un problème ? frémit le Gouverneur. Et pourquoi, pouvez-vous me le dire, ne pas en avoir parlé plus tôt ?
- Nous pensions régler ce « problème » rapidement, seigneur. En douceur… Mais la venue de Jukeï-sama va nous compliquer la tâche, et nous obliger à accélérer.

Le soir-même, le shinsen-gumi faisait son entrée dans la Cité du Cri Perdu.
Or, à la réception donnée par le Gouverneur, les regards ne se dirigèrent pas tant sur l’envoyé du Gozoku que sur sa compagne. Une troublante jeune femme tatouée, fort maquillée, richement vêtue. Cette favorite éblouissait par sa beauté simple, que rehaussait son apparat. Cet apparat rendait même cette beauté agressive. Elle parlait peu, comme il convient à une grande dame, et le seigneur Jukeï l’exhibait comme un bijou éclatant. C’était sa conquête, qui l’avait jeté dans une ivresse de bonheur difficilement concevable, et l’avait rendu d'une jalousie aigüe. Il attendait de pouvoir envoyer ses bretteurs contre celui qui aurait regardé avec trop d'insistance sa favorite. Du temps où il était encore marié, Jukeï n’aurait jamais cru qu'on pouvait être à ce point subjugué par une femme.
Maintenant, Maya, cette pauvre novice violée sur le chemin, était devenue sa princesse, l’idole de ses rêves.

Samurai

- Les enfants, branle-bas de combat !
La lettre que Rintaro venait de recevoir lui brûlait les doigts !
- Un ennui, patron ? demanda Fujio, placide.
- Un ennui ? Un ennui ?...
Rintaro ne se contenait plus ! Pourquoi le monde entier n’entrait-il pas en effervescence à l’instant ? Lui, un petit patron d’un établissement honnête et sérieux ! Recevoir une telle demande !...
- Un problème ? demanda Katon, qui finissait son tour de garde à la porte.
- Un problème ? Tu me demandes si j’ai un problème !
Il levait yeux et bras au ciel !
- Qu’Ebisu, fortune du travail honnête, nous protège !
- Mais enfin quoi donc, patron ? demanda Fujio.
- Oui quoi ? dit Manji. Un souci ?
- Regardez ! mais regardez !...
Rintaro brandissait la lettre au cachet de cire.
- L’insigne impérial ! Vous n’avez donc rien entendu ?... De nouveau en ville ?
- Vous savez, dit Fujio, nous, on garde la porte…
- Un important seigneur de l’Est est arrivé en ville, les enfants ! Un envoyé direct de la capitale ! Un émissaire de l’Empereur !
Le patron était dans tous ses états ! Jeté hors de ses gonds !
- Et-il-vient-dî-ner-chez-nous !... Alors branle-bas de combat, vous comprenez !
- Le mot est faible, s’écria Fujio.
De l’histoire de la Fleur du secret, et de l’honorable gang de Rintaro, c’était la première fois qu’un tel hôte de marque se présentait !

La première émotion retombée, Rintaro reprit des airs loustics.
- Ça va en faire du bruit, ça les enfants… Oh, ça va en faire du bruit… « Ils » vont être jaloux… Malades de jalousie…
Il se frottait les mains vigoureusement, tandis que les équipes commençaient à s’agiter en tous sens ; c’était parfaitement stérile, bien sûr, mais il fallait bien montrer qu’on entrait dans le mouvement !
Les nettoyeuses se mettaient à frotter, on changeait les draps des chambres ; Fujio, dans son rôle de souteneur, sortait les verges pour donner un bon coup de sang aux filles.
Et Rintaro entamait la tournée de ses succursales, toujours en se frottant les mains. Il passait brusquement de la satisfaction éhontée à l’inquiétude rageuse.
- Rien n’est prêt ! Vous allez tout me foutre en l’air à être si bordéliques ! Marre de fréquenter des branquignols comme vous !... Qui m’a fichu une telle troupe de bras cassés !... Allez, pressez !
Puis il était pris d’émotion, et il se précipitait au temple de sa fortune tutélaire et il se perdait en prosternation pour cette grâce !
- Un dignitaire du shinsen-gumi !
Il voyait ses Ancêtres lui sourirent ensemble et le désigner de leurs doigts dorés et nuageux.
- Merci, merci…
Ses larmes coulaient à flot.
Il rentrait à la Fleur du secret et il voyait que rien n’était prêt. Il entrait dans une colère noire, criait, distribuait ses coups de bambou, puis se précipitait ensuite dans son bureau pour faire ses comptes…
Cette folle agitation dura deux jours complets.
A la porte arrière, Katon et Manji devaient s’écarter sans cesse pour laisser passer le petit personnel, les filles en pleurs à qui on parlait comme du poisson pourri, les serviteurs guère plus épargnés, les livreurs reçus en urgence ou encore les clients qu’on mettait dehors parce qu’ils gênaient les préparatifs, à occuper la salle !
- Dehors les soulards ! Vous irez vous rincer ailleurs ! Plus une goutte d’alcool pour vous ! Tout pour le shinsen-gumi ! Faites passer le message !... Régime sec jusqu’à demain soir !

Rintaro mangeait sur le pouce, n’importe comment. Par un invraisemblable effet de ce désordre généralisé, après deux jours de panique, de chaos, il sembla, deux heures avant l’arrivée des invités, que l’on était presque dans un état décent pour recevoir un émissaire du Gozoku !
- En position les enfants ! Chacun à son poste !
- Nous, de toute façon, on ne bouge pas, dit Katon.
Le soir tombait doucement, et les rues commençaient à fraîchir quand une troupe de samuraï de la famille Ikoma fit son entrée dans la basse ville. Cela n’arrivait habituellement pas. Mais ce soir-là, il était clair que les rues devaient être vides. Il régna vite une ambiance de mort. Les gens devaient se claquemurer.
La nuit avança et cette fois, on vit arriver des soldats de la famille Otomo, agressifs, conquérants, qui se dirigèrent directement vers l’entrée principale et, sans ménagement, écartèrent Fujio puis entrèrent sans se présenter.
- Bienvenue, seigneurs, fit Rintaro, courbé jusqu’à terre.
On ne fit même pas attention à lui. Les Otomo firent le tour des pièces, renversèrent des meubles, fouillèrent sous les lits, détachèrent des lattes, cassèrent des vases… Ils bousculèrent sans ménagement des servantes et des domestiques, puis repartirent comme ils étaient venus.
- Que tout soit remis en ordre pour l’arrivée de notre maître, aboyèrent-ils, du bout de la rue.

- Dépêchez-vous les enfants, souffla Rintaro.

Samurai

On rangea en silence l’établissement, comme si on craignait d’être entendu. Les rues demeurèrent inertes pendant presque une heure. La nuit avançait.
- « Ils » dînaient dans un grand restaurant près du palais, soufflait Rintaro. Ils vont prendre leur temps. Et en venant ici, ils auront déjà bien bu. Je connais un serveur là-bas, le beau-frère de mon cousin, qui va s’occuper d’eux ce soir… S’il travaille bien, il risque de repartir avec un joli pourboire, le salaud…
On n’osait plus lever la voix. Si jamais les Otomo rôdaient…

Rintaro, bouillant, fit un dernier tour pour régler les détails de dernière minute.
- Ils arrivent !
On ne sut pas qui le dit, mais ce fut dit… La délégation avait pénétré dans la ville basse et approchait de l’établissement de plaisir. Rintaro trépignait sur le seuil. Ils venaient nombreux : des dignitaires du palais Ikoma et les samuraï de famille impériale, avec leur blason du Gozoku. Rintaro avait demandé à Manji et Katon de se poster à la porte d’entrée, pas trop en vue, pour n’irriter personne.
- Entrez donc, seigneur Jukeï, dit l’un des Ikoma, qui se trouvait être le premier conseiller du gouverneur.
On était entre gens du monde, et tout le monde avait déjà bien bu au restaurant.
« Patron-san » se prosternait plus bas que terre.
- Rintaro est l’un des meilleurs amuseurs de la ville, disait le conseiller.
L’intéressé en avait les larmes aux yeux.
- C’est me faire trop d’honneur !
- Si tu es si amusant, amuse-nous donc, lança le capitaine Jukeï.
On lui parlait ! On lui parlait !

En retrait, Manji et Katon observaient du coin de l’œil les samuraï qui entraient. Leur regard fut tout de suite attiré sur la compagne du Gouverneur, d’une grande et glaciale beauté, dans ses habits d’apparats. Ils croisèrent alors son regard et la reconnurent sans peine. Et elle les reconnut aussi bien !
Pétrifié, Manji en passa par la plupart des tons de l’arc-en-ciel. Maya !...
Manji revit la soirée dans la Cité de la Forêt des Ombres, quand ils regardaient la plage ensemble !
Et maintenant, elle était là, vêtue presque comme une courtisane, aux côtés d’un agent réputé impitoyable du Gozoku, dont le loisir était de découper des rônin !

Déjà la délégation passait dans la grande salle où Rintaro s’affaira comme jamais.
Le rouge aux joues, Manji alla surveiller la porte arrière.
Katon aurait bien eu envie de rire, s’il avait vu Maya aux bras de n’importe quel autre samuraï de clan. Mais là, non !
Manji lui aurait bien craché au visage, à cette soi-disant vertueuse Ize-Zumi sur ses grands principes ! C’était la sagesse qui devait lui conseiller de devenir une poule de luxe !
Mort de dégoût, Manji ne sortit même pas en ville, dans la nuit, alors que Rintaro en avait donné l’autorisation. Il alla se coucher, dans sa chambre bien froide et son lit bien solitaire.
Il entendit les rires pendant une partie de la nuit et à l’aube, il put enfin trouver le sommeil, après avoir maudit des heures entières cette innommable traînée de Maya qui couchait avec l’Ennemi !

Samurai

- Tu t’es bien amusée ?
Le capitaine buvait un dernier verre avant l’aube, content de lui. Les dames de compagnie de Maya lui défaisaient lentement sa coiffure devant le miroir.
- Ce Rintaro doit être une fripouille de premier ordre mais il sait recevoir. Les Ikoma ont bien fait leur devoir… Ce doit être la première fois que tu te rends à une soirée comme celle-ci…
Maya n’arrêtait pas de repenser aux deux rônins, en retrait dans la pénombre. Le regard de Manji, surtout, l’avait transie.
Jukeï fit signe aux servantes de se retirer. Il s’approcha de Maya et lui prit le menton, en l’obligeant à le regarder.
- Tu n’as pas répondu… Moi j’aurais juré que tu ne t’amusais pas… Tu penses que ce n’est pas assez bien pour toi ? Que tu n’as pas encore assez de chance de m’avoir rencontré ?...
Maya ne disait rien et tentait de détourner le regard.
- Tu penses que tu étais mieux en petite novice crotteuse, à courir les chemins après ta prétendue « sagesse » ? La sagesse, c’est moi qui peux te l’apprendre. Ne l’oublie pas.
- Je te suis parce que j’y suis forcée, dit Maya, ferme, en réprimant un sanglot.
- C’est le début de la sagesse, cela, ma petite…
Maya se préparait déjà à passer au lit et à se laisser faire.
Mais Jukeï n’allait pas se coucher.
- Sais-tu pourquoi je suis venue ici ? demanda-t-il à voix basse.
- Non.
- Pour une affaire très grave, vois-tu. Le Gouverneur de cette Cité est en effet accusé de dérober une partie de l’impôt du au Trône d’Emeraude. Te rends-tu compte de ce que cela signifie ? Il peut être amené à pratiquer le seppuku et sa famille peut-être vendue comme esclaves, pour rembourser ses dettes. Je sais bien ce que tu penses de ces pratiques, depuis les hauteurs de ta sagesse pour petites filles… Mais cet argent doit aller à l’Empereur et à nul autre, comprends-tu ?
- Je pourrais t’aider, dit alors Maya, malicieuse, complice.
- M’aider ?
Jukeï, content, se resservit un verre.
- M’aider comment ?
- J’ai du flair pour trouver des indices. J’aime enquêter. Je crois que je connais certaines personnes dans la basse ville…
- Tiens donc, comme ces deux rônins par exemple ?
Maya ne répondit pas.
- Tu te demandes comment je le sais ?... Tu oublies qu’un officier du shinsen-gumi a pour principale qualité de savoir observer. Rien de ton manège ne m’a échappé. Seulement les rônins ne sont que des chiens galeux. Et moi je suis un grand seigneur, puissant, craint, détesté et envié. Tes deux rônins n’inspirent que la pitié, comme tous ceux de leurs espèces. C’est offenser les arbres que de les pendre à leurs branches… Tu comprends ?... Je voulais te rappeler cela, que les choses soient claires. Et maintenant, parle : que proposes-tu ?
- Je peux descendre en ville.
- Toi ?
Jukeï s'étonnait de la facilité de cette petite novice à passer de l'angélisme de sa position de victime, à la complicité la plus franche.
- Je peux éviter de me faire repérer en ville, en reprenant mes vieux habits. Sans mon maquillage, vêtue normalement, je ne serai pas reconnaissable.
- Tu prétends m’aider à prouver qu’il y a fraude ?
- Je sais écouter. Et observer.
Jukeï s’approcha d’elle et la regarda de très près.
- Tu commences à me plaire, toi...
Il la prit par les épaules et l'allongea doucement sur le lit.
Maya déglutit.

Le lendemain matin, démaquillée, la compagne du Gouverneur revêtait ses habits ordinaires. Elle ne ressemblait plus en rien à la radieuse et glaciale présence aux côtés du capitaine. Elle était redevenue l’étrange petite disciple des Ize Zumi.
Jukeï lui avait précisé ce qu’il attendait d’elle : « Le Gouverneur m’affirme que les kokus lui ont été dérobés alors que le coffre où ils sont collectés revenait d’une Cité voisine. Il dit qu’il met tout en œuvre pour les retrouver, mais je ne le crois pas capable de bousculer assez le demi-peuple pour cela. C’est un mou, qui a peur de sa populace. Toi, tu vas aller dans la basse ville, écouter les rumeurs et comprendre où les kokus peuvent se trouver. Alors nous serons en position de force face à ce Gouverneur, pour lui faire payer une lourde amende de retard. Il faut briser l’orgueil des Lions. Et les Ikoma ne sont que des faibles, en somme. Ils paieront les premiers. »

Maya partait enquêter dans les auberges de la basse ville. Le capitaine Jukeï lui avait laissé un koku impérial.
L’Ize-Zumi, encore peu rompue aux procédures d’enquête du shinsen-gumi, n’y alla pas par quatre chemins : elle rentra dans les auberges et montra sa belle plaque aux couleurs de la lignée Hanteï. Elle provoqua un certain malaise chez les patrons interrogés, qui la renvoyaient chez le voisin et se dépêchaient ensuite de fermer leur boutique. On la regarda bientôt avec des yeux ahuris : qui était cette folle, sortie de nulle part, qui se promenait avec une telle fortune en main ?
Et une fortune dont personne n’aurait voulu. Les kokus n’étant pas utilisables hors de la région où ils avaient été frappés. Et personne ne voulant être pris en possession d’un koku impérial !

Le premier soir de sa descente en ville, Maya créa une belle agitation. On savait désormais que le shinsen-gumi était prêt à descendre en ville s’il le fallait ! Dès qu’on eut compris au service de qui était Maya – et cela ne prit pas longtemps – on lui tourna poliment le dos.
Manji et Katon apprirent aussi qui était en ville et prirent bien garde de ne pas croiser le phénomène ambulant.
L’Ize-Zumi alla dormir dans la dernière auberge qui avait eu le malheur de ne pas fermer assez tôt. Elle déposa négligemment une certaine somme, donnée par Otomo Jukeï et monta dormir sans presque dire un mot.

Tôt le lendemain, une sinistre nouvelle se répandait en ville. Pendant la nuit, il y avait eu une tuerie dans l’un des gangs de ville, celui de Hotori. Rintaro fut stupéfait d’apprendre la nouvelle. Il connaissait Hotori depuis longtemps. C’était un chef yakuza qui ne provoquait pas de vagues. Un type bien.
Des témoins avaient vu une bande d’hommes rentrer, tard le soir chez Hotori et en ressortir peu après.
Manji et Katon se rendirent sur place.
- Il faut qu’ils aient été bons et rapides, pour tuer si rapidement…
Il y avait une dizaine de morts : Hotori, sa famille, et plusieurs hommes de mains.
- Les hommes de mains de Hotori n’étaient pas des petits rigolos, dit un témoin. Ceux qui se sont attaqués à eux devaient avoir du cran.
- Ils ont été tués à coups de katanas, dit Manji. Vous avez vu des rônins ?
- Nous n’avons pas vu grand’chose. Il faisait nuit. Ils portaient des manteaux. Ils sont repartis aussi vite qu’ils sont venus.

Maya passa un peu plus tard et fit sa petite inspection personnelle. Elle ne trouva pas de traces ni d’indices. Déçue, elle repartit, après avoir interrogé le voisinage. Le soir, elle informa le capitaine Jukeï de la tuerie.
- Hier, dit le capitaine, un membre de ce gang s’est présenté à l’entrée du palais, pour me dire qu’il avait des informations sur les kokus. J’étais absent. On ne l’a pas laissé rentrer… D’autres se sont vengés de lui. Ceux que cet homme venait dénoncer. Les coupables de la tuerie et du vol des kokus…
Maya écouta respectueusement. Elle dit qu’elle ferait de son mieux pour retrouver les coupables.

Dans la basse-ville, Rintaro écouta le rapport que lui firent Katon et Manji.
- C’est invraisemblable, répétait "Patron-san"… Nous ne pouvons pas laisser un tel crime impuni. C’est invraisemblable…

En fin de journée, il se retira dans sa chambre et en ressortit avec ses meilleurs habits.
- Les enfants, vous me suivez… Fujio, tu gardes la boutique.
Manji et Katon escortèrent leur patron à travers la ville, sans apprendre où ils se rendaient. Sur le chemin, beaucoup de gens reconnaissaient "Patron-san" et les regards qu’on lui lançaient étaient de natures diverses : parfois hostiles, parfois respectueux. Il laissait peu de monde indifférent, tout en affectant de ne pas voir ce qui se passait autour de lui. La mort de Hotori lui en avait quand même mis un coup !
On arriva devant une grande boutique, gardée par trois solides gaillards.
- Je viens en paix, dit Rintaro, sans aménité, mais d’un ton qui montrait qu’il n’avait pas de temps à perdre.
Manji dut laisser ses armes à l’entrée.
Ils furent reçus par un gros homme en kimono, entouré de deux charmantes filles peu vêtues.
- Salut à toi, Rintaro… Pourquoi viens-tu donc traîner tes socques chez moi ?
- Salut, Toshikondo. Je viens parler en paix, comme j’ai dit à tes hommes… Je pense qu’il est urgent de laisser de côté nos petites querelles…
- Je vois de quoi tu veux parler, vieux renard. Allons, suis-moi.
- Attendez-moi là, dit Rintaro à ses deux hommes.
Manji et Katon attendirent dans la grande pièce pendant que les deux chefs discutaient à côté, derrière un panneau.
L’endroit était luxueux et respirait le nouveau riche. De la décoration tape-à-l’œil : des vases et des tapisseries aux couleurs clinquantes.
Rintaro passa peu de temps en conversation avec Toshikondo. Les deux vieux grigous ressortirent, l’air content.
- Très bien, vieux renard, tu m’as convaincu…
- Merci, vieux singe, je savais que je pouvais compter sur toi.
Ils se saluèrent et Rintaro, rassuré, fit signe à ses deux gardes du corps qu’on pouvait rentrer.
- J’ai passé un accord avec Toshikondo, expliqua-t-il en rentrant. C’est indispensable, à présent. Après ce qui s’est passé… Il faut retrouver les fumiers qui ont fait ça. Entre dirigeants d’établissements de plaisirs, on va être obligés de se serrer les coudes…
« Dirigeants d’établissements de plaisirs… », C’était si bien dit…
- Après-demain ou dans trois jours, dit Rintaro à voix basse, avec des airs de conspirateur, on va organiser une grande rencontre entre tous les dirigeants de la basse ville. On trouvera le moyen de s’associer et on fera la peau à ceux qui ont tué Hotori… J’espère qu’il y aura du monde qui répondra à notre invitation !

Et il y en eut, du monde !
Il y en eut plus même que le nombre de personnes invités !

Alors que les chefs de gangs arrivaient avec leurs hommes chez Toshikondo, dans une ambiance très tendue, presque à couteaux tirés (tant il y avait d’inimitiés anciennes que tous s’efforçaient de laisser de côté), des guetteurs, dispersés dans la ville, affluèrent dans le bâtiment de la réunion en criant que les troupes du shinsen-gumi arrivaient !
Le shinsen-gumi ! Ces mots embrasèrent l’atmosphère !
Si encore il s’était agi des troupes du gouverneur Ikoma… Mais non, c’était directement la milice impériale qui arrivait en force !

Samurai

Les gardes du corps, réunis dans une même pièce, se précipitèrent pour chercher leur patron respectif. Ce fut une belle cohue : il y avait une dizaine de dirigeants, chacun venu avec deux ou trois hommes !
Dans la mêlée, Manji et Katon parvinrent à récupérer Rintaro.
- Barrons-nous, les enfants !
Déjà, on entendait le piétinement de la milice, qui se répandait comme une nuée de terreur dans le quartier. Des portes furent enfoncées, plusieurs commerçants arrêtés et trois exécutés sur place pour des gestes considérés insultants.
Katon resta auprès de Rintaro et l’emmena au pas de course vers la Fleur du secret. Manji surveillait les arrières. A un coin de rue, il fut interpellé : deux samuraï aux couleurs de la famille Otomo !
- Arrête-toi ! Rônin !
Manji hésita. Un autre samuraï Otomo arrivait dans l’autre direction. Katon, qui poussait son patron dans le dos, se retourna. Il hésita à préparer un de ses sorts.
- Arrête ! dit Rintaro. C’est de la folie ! Touche à un seul de leurs cheveux, et ils embrasent le quartier ! Ils n’attendent que ça !
Manji s’agenouilla, écarta les bras. Les deux hommes du capitaine Jukeï le soulevèrent et lui ordonnèrent d’avancer. Le rônin fut regroupé avec une vingtaine d’autres « hommes de la vague ».
- Ils sont venus nous rafler, grogna l’un d’eux.
- Silence, cria l’officier de la troupe. Et en avant !
En rang par deux, mains sur la tête, les rônins furent conduits vers le palais.
- Le premier qui baisse les bras se fera trancher les mains, compris ?
Il n’y en eut qu’un, ce jour-là pour essayer, et il se fit plaquer au sol, avant qu’on ne lui applique la sentence ! Il hurla en se retrouvant avec deux moignons sanglants et suivit à l’arrière du groupe. Manji ne vit pas bien, mais il saignait abondamment et s’écroula au bord de la route. On l’abandonna à son sort, après l’avoir copieusement tabassé.
- Allons, avançons !

Au palais, les rônins rentrèrent dans la cour, toujours les mains sur la tête. On leur fit enlever leurs daishos et on les emmena dans une grande salle vide, dans une aile à l’écart du palais.
Les officiers les firent se mettre à genoux, encore mains sur la tête. Peu après, arrivait le capitaine Otomo Jukeï. Sa réputation de tueur de rônins n’était plus à faire. En toisant les hommes pouilleux et crasseux qu’il avait devant lui, l’envie le prenait de les faire brancher avant la nuit, pour l’exemple.
Il se retint toutefois et dit :
- Vous savez pourquoi je vous ai fait venir ici, n’est-ce pas ?
Il prenait une voix suave, exaspérante. Il aurait tant aimé voir l’un des prisonniers tenter de lui sauter à la gorge !
- Vous savez ce qui se passe, dans votre ville de merde… Des espèces de sous-vermines ont dérobé des kokus appartenant au divin fils du Ciel !... Ces kokus circulent dans votre quartier, votre basse ville… Vous, les hommes de la vague, vous habitez là-bas... Vous allez et vous venez… Vous entendez des choses… Certains d'entre vous savent forcément où se trouvent ces kokus… Alors je vous conseille de me les amener rapidement. Sans quoi, vous serez tenus pour responsables de leur disparition. Et je commencerai à m’occuper de vous, pour accélérer les recherches, compris ?
Personne ne répondit.
Le bras droit du capitaine répéta en hurlant :
- Compris ?
Tous maugréèrent en chœur :
- Compris, Jukeï-sama…
- Bien, j’aime mieux cela…
Il savourait déjà son triomphe.
- Soyez honorés, du fond de votre déchéance, de pouvoir encore servir le divin Empereur !
- Oui, Jukeï-sama…
- Allez !
On fit ressortir la troupe et on la dispersa devant le palais.
- Ne restez pas là, bande de pouilleux ! Allez ! Vite !...

Encore étourdi de ce traitement, Manji regarda autour de lui. Il cherchait son chemin. Il aperçut alors un visage qui lui était connu.
- Yojiro ! Hé, Yojiro-san !
C’était bien l’ancien Crabe ! On l'avait perdu de vue, depuis le bois après le village qui avait voulu les piéger. Surpris, Yojiro salua Manji. L'ancien Crabe était agité, nerveux, mais content, vraiment content.
- Alors, que deviens-tu ?
- Ma foi, Manji-san… Tu vois, j’ai fait le même chemin que vous…
- Je suis en ville, avec Katon et Maya… Nous travaillons pour un certain Rintaro.
- Allez, dispersez-vous ! Allez ! hurlait les soldats.
- J’en suis bien content pour vous, dit Yojiro, sincèrement content de revoir Manji. Moi, je suis un peu occupé… Mais bientôt, très bientôt, je vous retrouve…
- Entendu, et toi où es-tu ?
- A droite, à gauche… Rintaro, tu m’as dit ?
- Oui, c’est ça…
- Allons, je dois partir… A bientôt, Manji, à bientôt !
C’était la cohue aux abords du palais. Yojiro salua et se fondit dans la foule. Manji, fatigué, ne chercha pas à le rattraper : il avait l’air si pressé.

Quand il rentra chez "Patron-san", la nuit était tombée.
- Le voilà, cria Fujio.
Rintaro sortit de table, du riz plein la bouche.
- Alors ?
- Ça va, dit Manji. Je suis entier.
- Tant mieux.

On servit un bon repas au rônin.
- Content de te revoir en forme, dit le gros Fujio. On a eu peur pour toi.
- Ce n’était rien...
- Le gouverneur ne vous a pas trop maltraités ? demanda Katon.
- Il n’aurait pas fallu qu’il essaye.
- Ici, par contre, dit Rintaro, on a eu un petit pépin.
- Quoi donc ?

Manji craignait le pire.
C’était encore trop optimiste.
- On a reçu des ordres, fit le patron, navré. Mais je n’ai pas le choix…
Manji tourna la tête et vit alors, qui descendait l’escalier, la petite préférée du capitaine Jukeï… Maya !
- Elle s’installe ici. Pour son enquête… On me prie de l’héberger, dit Rintaro, et c’est pour servir l’Empereur !

A suivre...Samurai
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