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Dossier #8 : L'Inspecteur Fantôme
#3
DOSSIER #8<!--/sizec-->


L'INSPECTEUR FANTÔME<!--/sizec-->

SHC 1 - RUS 4 - IEI 3


La pluie tombait sur Exil depuis des jours. Tout devenait épais et trouble. La vie tournait au ralenti, morose sous cette averse permanente. Dans les bureaux, les gens étaient de mauvaise humeur ; on se pressait dans les cafés pour profiter de la chaleur humaine ; l'ambiance était à la grogne.
Les rigoles crachaient en permanence, les égouts étaient noyés. Les enfants ne s'étaient jamais tant amusé à sauter dans les flaques et leurs mères s'arrachaient les cheveux pour sécher leurs vêtements.

Au commissariat de Mägott-Platz, Maréchal somnolait dans son bureau et regardait la pluie taper à la vitre, au travers du nuage de fumée de sa cigarette.
Il n'arrivait plus à se plonger dans son dossier. Il en avait "avalé" des pages et des pages, que ça en devenait obsédant. Il alla se chercher du café. Portzamparc s'en versait un, brûlant. Dehors, le vent hurlait.
- Alors, ça avance ?
Il était déjà tard et les deux policiers étaient restés les derniers. Rampoix avait pris son service de nuit dans son bureau et venait de s'assoupir. Il ne fallait pas le réveiller...

Depuis deux semaines, Maréchal et Portzamparc se préparaient au concours de la police judiciaire. Encouragés par l'inspecteur-chef Novembre et le commissaire Horson, ils s'étaient inscrits et avaient obtenu une décharge partielle de travail. Ils restaient le soir pour apprendre les codes administratifs régissant TRIBUNAL, tandis que la journée, Novembre se chargeait de leur administrer une formation intensive ! En effet, Novembre avait fait ses débuts à la PJ, avant de décider d'aller mener une vie plus tranquille dans un quartier sans histoire.
Depuis deux semaines, nos héros étaient donc astreints à faire des pompes en récitant les articles du code !
Pour cela, l'inspecteur-chef avait aménagé une salle d'interrogatoire, où nos deux policiers passaient des épreuves blanches, sous l'oeil médusé des quelques détenus, pour la plupart des petits braqueurs ou des ivrognes.
- Fermez-la, leur disait Novembre, les deux pieds sur la table, j'en vois qui essaient de souffler !
Après les épreuves écrites du début d'après-midi et la correction impitoyable assurée par Novembre, c'était l'heure des épreuves physiques : combien de fois ils avaient fini en sueur, le visage contre le sol, les cheveux dégouttant, après une quarantaine de pompes, à réciter les articles relatifs au droit de perquisition !
Maréchal crachait tout son tabac, tandis que Portzamparc retrouvait le vrai goût de la discipline autrellienne !
- C'est mou, Maréchal, c'est mou !...

L'entraînement commençait d'ailleurs le matin, en écoutant à la radio le programme de culture physique. Et on finissait le soir, comme ce soir-là, pour des révisions en vue du lendemain.
Maréchal ne rentrait pas chez lui sans aller s'offrir un petit verre chez l'un ou l'autre troquet des environs, chez Marcelin Lampreux ou chez Gino. Tous l'encourageaient, s'inquiétaient de savoir si ça se passait bien... Portzamparc avait le soutien moral et matériel de sa femme, qui surveillait plus que jamais son alimentation.
- Ne remets pas de fromage dans ta soupe, je t'ai vu !
- Rien que quelques croûtons !
- Tu as de la mauvaise graisse. J'ai lu ça dans mon journal. Tu ne vas jamais faire le poids aux épreuves sportives. Ou plutôt si, tu ne feras que trop le poids ! Alors que tu devrais avoir un mode de vie bien plus sain !

Le lendemain, on recommençait la même vie :
- Maréchal, lançait Novembre, article 349-76, alinéa 3 ?
- "Le prévenu a le droit de..."
- Non, mauvais ! Rien à voir ! Il s'agit du droit de circulation sur les voies privées ! Portzamparc, article 25-56, sections 2 et 3 !

Les deux candidats récitaient un peu à la façon des acteurs qui disent un texte dans une langue étrangère, car, sur Exil, le sabir administratif était comme une langue à part. Il était compris des fonctionnaires de la Cité, mais pas tellement au-delà. Les ordres qui émanaient de la Cité, rédigés dans ce dialectique étrange, étaient d'autant plus effrayants, parfois, qu'on ne les comprenaient pas. On comprenait juste que quelque chose de terrible venait de vous être intimé.
Un citoyen dévoué, Casper Volapük, avait tenté un dictionnaire exiléen - administratif, mais il n'avait pas dépassé la lettre G. Il avait été victime d'une crise de démence. On l'avait retrouvé chez lui, pendu à son lustre, auquel il s'était acrroché en montant sur les piles de papier de son dictionnaire.

Novembre retrouvait les accents martiaux de sa jeunesse, à l'armée, quand il s'était hissé au grade de maréchal des logis.
- Qu'est-ce que c'est que ce tas de fainéants que j'ai sous mes ordres ! Qu'est-ce que j'ai fait pour mériter ça ! Vous allez lécher le parquet mes gaillards, si vous ne pouvez pas me faire une quarantaine de pompes ! Et vous allez en bouffer du code administratif, c'est moi qui vous le dis !
Il se laissait emporter, à l'hilarité de Rampoix et Sampieri, qui continuaient leur petite vie tranquille, à "relever les compteurs" près des hôtels mal famés et chez Gino, entre deux rondes dans les bistrots des galeries Dédale.

*


Il pleuvait donc depuis des jours, à tel point que la nuit devenait un soulagement, car elle masquait l'attristant ciel lourd et gorgé d'eaux. C'était comme une fin du monde qui ne commence pas.
C'était dans cette ambiance humide, enfumée, réchauffée au café, que les deux candidats de Mägott Platz préparèrent leur concours.
Enfin, par une journée sèche et venteuse, ils montèrent au quai des Oiseleurs, accompagnés de leur famille. Madame de Portzamparc accompagnait son mari, et tante Myrtille son neveu.
Pendant la mâtinée, les deux femmes attendirent dans un café de l'autre côté du quai, le retour des deux hommes. Ceux-ci retrouvaient l'odeur du parquet ciré de la grande salle de réception du quai. Ils y furent brièvement accueillis par un huissier, qui les mena, eux et une cinquantaine d'autres candidats, dans un petit couloir banal, dans une salle fermée par une vitre fumée, où ils s'assirent, comme de bons écoliers.
Cette première journée était consacrée aux épreuves théoriques : d'abord la composition générale. Le sujet qui "tomba" portait sur les devoirs du policier. C'était une question classique, mais néanmoins une hantise pour nos deux candidats. Portzamparc avait bien potassé pour les références et il mit du cœur pour exprimer ses convictions, tout en faisant preuve d'esprit critique.
Maréchal tirait la langue sur sa copie. Il s'ennuyait à essayer de trouver des bonnes raisons d'entrer dans la PJ, en dehors du traitement.
Ce fut ensuite la terrible épreuve de connaissance du code administratif. C'est là qu'on allait voir si l'entraînement intensif de Novembre avait payé !
Portzamparc se jeta sur l'épreuve comme un mort de faim, pressé de remplir les cases. Il en voyait un, petit gros, qui devait se retrouver dans la position du cancre qu'il avait été, et qui transpirait devant sa copie. Maréchal n'était pas bien fier : les souvenirs entassés dans sa tête se volatilisaient, comme emportés par un courant d'air ! C'était rageant...

A un moment on vit la silhouette débonnaire du commissaire Ménard passer dans le couloir et jeter un oeil dans la salle, paternel devant ces collègues volontaires.

Les candidats ressortirent, après quatre heures passées à mariner dans cette salle. On respirait enfin ! Maréchal alluma une cigarette. Le ciel était dégagé, les deux femmes attendaient à l'intérieur du café. Elles avaient passé la mâtinée à discuter et à s'échanger des "trucs" de couture. Elles riaient comme de vieilles amies.
- Elle est très sympathique, disait Myrtille au retour, alors que Maréchal la raccompagnait en tram chez elle. Il serait temps que tu te trouves quelqu'un comme elle...

- Tu penses que ça s'est bien passé ?
- Je ne préfère rien dire, répondit de Portzamparc à sa femme. Cela porte malheur. Enfin ! Le pire est passé ! Fini de gratter du papier !
Le couple avait réservé une chambre dans un hôtel pas loin du quai.
- C'est la première fois depuis longtemps que tu m'emmènes à l'hôtel, dit madame de Portzamparc en rougissant.
Cela leur rappelait inévitablement les premières semaines de leurs rencontres, quand Portzamparc finissait son service militaire et profitait de ses permissions pour aller dans la première chambre venue avec son amie, comme des voleurs...

*

Le lendemain était le jour des épreuves sportives. Les candidats étaient réunies sur un grande stade militaire, tôt le matin, sous de grands projecteurs aveuglants. On faisait des assouplissements, pendant que des gradés consultaient leurs papiers, avant l'épreuve de course à pied.
Portzamparc se sentait en forme : il faisait jouer ses muscles et se concentrait sur le terrain. Maréchal, lui, était aussi à l'aise que s'il avait dû filer un suspect en faisant la course en sac. Il avait de ces souvenirs du cours de culture physique, à l'école...
C'était une épreuve de demi-fond. Et rien qu'à voir la longueur du tour de piste, Maréchal avait le vertige...
Le sifflet retentit et les candidats partirent en petite foulée. Peu à peu, on accélérait le rythme de la course. Portzamparc tint bon jusqu'au bout, s'accrochant au peloton de tête. Quant à Maréchal, après huit tours, les poumons réclamant d'urgence du tabac, il finit épuisé, tremblant.
- Allez, on se traîne ! lui criait un grand costaud. Tu crois que c'est comme ça que tu vas les attraper, les criminels !
Maréchal allait répondre qu'en leur logeant dès le début une balle dans la jambe... Mais il n'avait plus assez d'air pour parler !

On passa à la douche, puis il y eut une collation. Maréchal détestait retrouver cette ambiance de garnison, avec tous ces muscles rutilants et luisants, et ces blagues de corps de garde. Évidemment, Portzamparc, lui, était très à son aise, parmi ces dieux du stade !
Maréchal se jeta sur le café, sa drogue quotidienne. Là où l'inspecteur retrouvait sa solidarité perdue avec son collègue Portzamparc, c'était quand on se mit à raconter des anecdotes du travail. Là, nos héros auraient eu de quoi raconter, mais ils n'en firent rien. Ils se contentèrent de se regarder d'un air entendu...

On passait au sous-sol, pour les épreuves de tir.
Les hommes s'alignèrent devant leur ligne et jaugeaient de leurs armes. Maréchal se sentait enfin à son aise. De la main gauche, les yeux fermés, il pouvait réussir un meilleur carton que tous les autres !
Les coups de pistolets éclatèrent dans la grande salle, sous l'oeil vigilant des instructeurs, qui prenaient des notes derrière.
Il réussit une belle performance, mais constata qu'il ne faisait pas mieux que Portzamparc. C'était rageant !
- Terminé, messieurs. Merci à tous.

On était en milieu d'après-midi : les deux hommes allèrent boire une bonne bière pour fêter ça ! D'habitude, ils n'allaient jamais au café ensemble, Portzamparc pour retrouver sa femme et Maréchal par goût de la solitude.

Le lendemain, retour au commissariat où nos deux héros racontèrent leurs exploits. Maréchal revenait quand même déçu.
- Bah, il ne faut préjuger de rien, dit Novembre, on ne sait jamais !
- Allons, ne pensons plus à ça, dit le commissaire Horson. D'ailleurs, venez plutôt voir le cadeau que nous envoie le cousin de Maréchal.
Le cadeau promis par Gérald !
Un beau tonneau de bière. Et de la meilleure, Maréchal pouvait le confirmer. Priscilla remplissait les verres et on trinqua à la famille Maréchal.
- Voilà un citoyen honorable ! nota Rampoix.

*

Il se passa ensuite un mois, où la routine reprit le dessus. Portzamparc et Maréchal redevenaient de banals policiers de quartiers. Quelques arrestations, un ou deux interrogatoires difficiles, des affaires de mœurs dans la bonne société. Le train-train quotidien.

La veille des résultats, les deux hommes eurent du mal à dormir. Penser que soudain, leur vie pourrait changer ! Fini de prendre Mägott Platz pour le centre du monde...
Ils se précipitèrent au commissariat et se connectèrent aussitôt au réseau de TRIBUNAL. Le chromatographe peinait à afficher la page des résultats, car ce canal était saturé. Des messages de CONTROLE arrivaient pour signaler des problèmes techniques sur la ligne.
Enfin, les aiguilles finirent d'afficher la liste des reçus : et nos héros y étaient tous les deux !
Novembre leur tapa dans le dos :
- Bravo, les petits gars !
Pour le coup, on finit le tonneau de Gérald et à midi, le commissaire offrit à ses hommes un formidable gueuleton pour fêter ça. Là encore, c'était une première.

L'après-midi, alors qu'on digérait le repas et les quelques pousse-cafés avalés en sus du vin et de l'alcool en apéritif, le commissaire reçut les deux héros du jour dans son bureau.
- Bien, messieurs...
Son bureau était toujours mal éclairé, et dans un état de désordre incroyable. Il était envahi de colonnes de papiers. C'était une partie du capharnaüm laissé par son prédécesseur.
- Je tenais à vous recevoir avant votre départ. Je voulais vous dire que j'ai été très content de travailler avec vous pendant ces quelques mois...
En apparence, c'était un discours convenu, mais une sourde émotion perçait dans la voix du commissaire. Il y avait quand même eu cette prise d'otage...
- Vous avez accompli un travail remarquable, chers collègues, tout le temps où vous avez été là. Je sais que la police judiciaire a beaucoup de chance de compter désormais deux hommes comme vous dans ses rangs.
- Merci, commissaire.
C'était quand même émouvant. Ce gros commissaire, avec ses allures pataudes... Il se reprit, plus professionnel :
- Je sais que vous commencerez par un stage dans un des services du quai. Vous serez affectés selon les besoins du service. Ensuite, vous pourrez faire des demandes pour vos affectations définitives. A ce sujet, savez-vous ce que vous comptez demander ?
- Oh, cela ne fait guère de doute pour nous deux, dit Portzamparc.
- Nous demanderons le meilleur, commissaire, la crim' !
La crim' !
La brigade criminelle, dirigée par le commissaire Ménard, était en effet la branche la plus prestigieuse et la plus courue, du quai des Oiseleurs. C'était elle qui faisait la couverture des journaux, parce qu'elle traitait des affaires de meurtre qui passionnaient l'opinion publique.
- Je crois que vous y serez bien, oui, dit le commissaire en souriant de ses grosses babines.

Nos héros avaient rendez-vous dans trois jours au Quai. Le jour d'avant leur départ, ils firent leur dernière patrouille dans le quartier, salués par les Pandores et quelques "bons" citoyens, et même par les prostituées et leur accent gouailleur :
- Vous nous manquerez, les chéris !
Gino était vraiment triste :
- Ahlala, sans vous, ce ne sera plus la même chose... Avec vous, il y avait des règles, c'est vrai, c'était strict... Mais surtout, il y avait un style, une façon de faire...
- Allons, Gino, s'exclama Maréchal, je suis certain que nos successeurs sauront trouver leurs marques dans ce quartier. Grâce à toi en particulier !
- Ahalala...
Il leur resservait un petit verre d'adieu.

Depuis que nos deux héros avaient débarrassé le quartier de Gueule de Rat, ils jouissaient d'une aura incroyable. Les petits truands filaient doux, pour ne pas avoir affaire aux deux hommes qui étaient aller chercher un tueur sanguinaire au fond des égouts. On se racontait déjà leurs exploits.
C'était donc l'émotion dans le monde interlope du quartier, ce jour-là.
- Après eux, ce ne sera plus pareil...
- Mange ta soupe, disaient les mamans, sinon les policiers viendront te mettre en prison.
Pris par ces nouvelles occupations, Maréchal en oubliait ses problèmes personnels et oublia même d'aller dire au revoir chez Emma. Il était trop heureux de ne pas se sentir poussé à y aller. Il oubliait même Herbert. Il avait le sentiment de tourner la page, de prendre un nouveau départ.

Madame de Portzamparc cherchait déjà un nouvel appartement. Ils loueraient, voire ils achèteraient. Sans doute un trois pièces, pour prévoir une chambre d'enfant.

Après des semaines de temps maussade, le ciel se dégagea enfin et quand les deux policiers arrivèrent au quai des Oiseleurs y découvrir leurs affectations, il y eut même un timide rayon de ciel qui tomba du ciel pâlot.

A suivre...

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Dossier #8 : L'Inspecteur Fantôme - by Darth Nico - 23-11-2008, 05:22 PM
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