29-11-2008, 11:00 AM
(This post was last modified: 29-11-2008, 03:54 PM by Darth Nico.)
DOSSIER #8<!--sizec--><!--/sizec-->
Les brigades auxquelles les deux policiers pouvaient être affectés pour leur stage étaient nombreuses.
Maréchal avait un ami, Pierre-Marie Crimont, qui avait travaillé aux Moeurs et qui était passé à la brigade Financière. C'était bien là que ni lui ni Portzamparc ne souhaitaient être envoyés.
Dans la grande cour du Quai se réunissaient les nouveaux arrivants. Aux fenêtres on voyait fumer les inspecteurs des différents services, en bras de chemises, qui regardaient les "bleus", dans leurs beaux uniformes.
On passa dans le grand salon Sigisbert III, où le directeur fit un petit discours d'accueil, avant que le commissaire Ménard, toujours débonnaire et content de lui, ne se présente. Autant le directeur était respecté simplement pour sa fonction, autant Ménard jouissait d'un vrai charisme parmi les hommes. Qui ne connaissait pas ce bon vivant, souvent mal appris, qui avait pourtant un flair exceptionnel et un dévouement impeccable à son métier ?
C'est lui qui, traditionnellement, rappelait leurs devoirs aux nouveaux policiers puis présentait les différents services ; il termina, comme chaque fois, par "sa" Brigade criminelle, avec une partialité dans le propos tellement outrée qu'elle faisait rire. Il savait en jouer comme il faut. Le directeur, petit homme effacé, ne trouvait rien à redire et jouait son rôle de fonctionnaire gris pour laisser la vedette à Ménard. C'était un duo réglé comme celui d'un numéro de boulevard.
- Nous autres, à la Criminelle, profitons de tous les avantages offerts à SÛRETÉ sans les inconvénients : nous n'avons pas de dossiers ennuyeux comme la Financière, nous pouvons préparer nos enquêtes au chaud, pas comme à la brigade des rues ; nous ne contrôlons pas les billets de train comme à la ferroviaire...
Rires et sifflets.
Puis venait le moment crucial de distribution des enveloppes. Les policiers étaient appelés par ordre alphabétique. Les noms défilèrent :
- Maréchal... Brigade financière !... Portzamparc, Brigade des rues !
Nos deux héros se mordirent la langue !
Pas la Financière ! ni les rues !
L'appel continuait, monotone.
Puis ce fut le vin d'honneur. Tout le monde trinqua en même temps :
- Messieurs ! ordonna Ménard. Mains sur le verre, pour éviter la poussière. Prépareeezz... buvez !
Applaudissements, puis on se précipita au buffet.
Maréchal eut besoin d'un autre verre pour redescendre sur terre. La Financière !
Portzamparc s'approchait de lui. Les deux hommes étaient dans leurs petits souliers.
- Alors, pas brillant ?
- Je vais aller remplir des dossiers, soupira Maréchal. Pendant que tu arrêteras les voleurs de sac à main de vieilles dames !
*
Le soir, après avoir bien bu dans l'après-midi, les policiers se retrouvèrent dans un troquet isolé, réservé à SÛRETÉ où l'ambiance s'échauffa. Les stagiaires s'étaient spontanément regroupés par brigades et aussitôt, l'effet de clan s'était mis en place. On s'insultait copieusement d'un groupe à l'autre, on se défiait et on buvait par-dessus tout ça !
Quelques excités tirèrent avec leurs armes de service et décrochèrent comme ça un lustre ; on renversa des tables, on s'insulta de plus belle, que les flics des MÅ“urs n'étaient que des proxos ! que ceux de la rue faisaient le tapin !
Il y eut un début de bagarre, des concours de boisson et tout cela finit dans le plus grand chaos, tard dans la nuit.
Maréchal et Portzamparc en gardèrent de vagues images, d'eux-mêmes en train de vomir appuyés sur un réverbère et d'autres collègues qui urinaient et chantaient à tue-tête. L'aube pointait quand les deux collègues retrouvèrent le chemin des logements de fonction où ils allaient loger provisoirement. Maréchal s'effondra sur le sommier de sa chambre pleine de cartons, et Portzamparc se fit envoyer par sa femme sous la douche tout habillé.
Le lendemain, c'était jour de congé. Soi-disant que c'était une journée pour se préparer matériellement pour son nouveau travail. Mais dans les couloirs du quai, on nommait cette journée "la décuve". De fait, nos deux valeureux défenseurs de la loi et de l'ordre n'en eurent pas trop pour se remettre sur pied.
Le lendemain, à la première heure, ils traversaient le pont Karlov le Grand, et entraient au "36".
*
Maréchal monta au quatrième. Il maudit la cigarette à partir du deuxième étage. Il avait passé le premier, bruissant de l'agitation matinale de la Crim' et de la brigade des rues, puis le second où se trouvaient les services administratifs ; le troisième, réservé aux locaux de la police scientifique (on n'y entrait qu'avec des diplômes spéciaux). Enfin, dans les hauteurs crépusculaires, des couloirs étroits qui ressemblaient à un quelconque service comptable. C'était en fait "le nid de l'ange", le repaire d'une vingtaine de policiers qui, en quelques dizaines années, s'étaient fait une réputation des plus noires auprès des corpoles. Ils étaient connus pour convoquer de hauts responsables et des nobles comme de simples malfaiteurs, en les tutoyant à l'occasion.
- Ton bilan comptable là, il est pourri jusqu'à la moelle, tu entends !
Quand Maréchal entra, le calme régnait. Une odeur de tabac froid. Des secrétaires passaient dans les couloirs ou tapaient à la machine, consciencieusement. Des vitres opaques et des rayons de dossiers bien serrés.
Sifflotement au bout du couloir. C'était l'inspecteur Crimont, qui fumait la pipe du matin.
- Ah, Maréchal !
Il alla vers lui et lui serra la main. Il était en bras de chemise et se faisait apporter un café.
- Viens, entre. Bienvenue chez nous !
Il le reçut dans son bureau. Il dut faire de la place pour que Maréchal puisse s'asseoir. Le sol disparaissait sous les liasses de papiers.
- Alors, content d'être ici ?
Maréchal essaya d'avoir l'air enthousiaste. Crimont se mit à rire :
- Allez, ne fais pas cette tête d'enterrement. Tu vas voir, tu te sentiras bien ici. Quand j'ai appris qu'on nous envoyait un stagiaire et que j'ai vu ton nom, j'ai demandé à m'occuper de toi !
Crimont avait une quinzaine d'années de plus que son stagiaire. Indirectement, c'était un ami de la famille. Il avait connu le père Maréchal, et il connaissait un peu Myrtille.
- Écoute, pour le moment, je dois te dire c'est plutôt calme. On ira voir le commissaire tout à l'heure. Ce matin, je vais te confier quelques dossiers, que tu te familiarises avec le travail. Ils t'ont appris à lire, au moins à Mägott Platz ? Au fait, comment va l'inspecteur Novembre ?
- Très bien.
- Excellent. Tiens, tu vas prendre ce dossier, tu le consultes et tu m'en reparles à mon retour.
Où Crimont partait-il ? Mystère.
Maréchal marina une partie de la mâtinée, vite perdu dans les méandres d'une affaire d'escroquerie à l'assurance. Il comprit qu'il y avait beaucoup d'argent en jeu et faillit s'endormir plusieurs fois. Au fait, pendant qu'il était dans la tiédeur de ce bureau, dans quel coin de rue Portzamparc était-il en train de se geler ?
*
Le nouveau stagiaire de la brigade des rues avait déjà le nez rouge de froid et se frottait les bras en rentrant dans le bistro du coin du boulevard.
- Un café...
Tôt le matin, Portzamparc avait fait connaissance avec son supérieur, l'inspecteur Lanvin.
- Salut petit. Ça me fait plaisir de travailler avec toi. J'ai parcouru ton dossier, tu as de sacrées références !
- On fait de notre mieux, inspecteur.
- Écoute, on n'est pas à la brigade financière ici, alors je ne vais pas te faire de longs discours. Notre travail, c'est directement sur place. On part sans attendre. Je vais te faire découvrir notre terrain de jeu !
Les deux policiers avaient le tramway depuis le quai en direction des hauteurs de la Cité. A sept heures, ils étaient sur les grands boulevards, déjà encombrés par les voitures à cheval et les chariots des livreurs, ainsi que par la foule matinale des employés qui battait le pavé.
De grands immeubles bourgeois, des hôtels avec les portiers qui prenaient leur place et des grands magasins au milieu des galeries sur plusieurs étages. D'importants corpolitains allumaient leurs cigares en passant les portes à tambour ; les serveurs accueillaient les premiers clients.
- On y est, petit. Le cœur de la Cité.
C'était un sentiment extraordinaire de vie que l'on ressentait face à ce quartier aux rues gigantesque, et compris néanmoins dans un périmètre restreint. La perspective fuyante des boulevards était étourdissante, et les grands monuments à la gloire du progrès et de l'avenir. Des théâtres, des musées, tout ça d'un coup, c'était enivrant !
- Je vais te laisser opérer dans cette rue une petite heure, qu'on voit comment tu te débrouilles, et ensuite, je te retrouve au bistrot là-bas.
C'était l'apprentissage sur le tas !
Portzamparc se sentit aussitôt étranger en ces lieux. Les quelques milliers de personnes qui habitaient ou travaillaient ici devaient plus ou moins se connaître et garder jalousement leur place dans ce paradis du commerce et de la finance. C'était un quartier qui ruisselait d'argent. Ces chasseurs d'hôtel ou ces garçons de recettes qui sortaient des banques devaient gagner bien plus que Portzamparc, et mépriser les policiers chargés de veiller à leur sécurité.
Le stagiaire commença à arpenter le trottoir, l'oeil aux aguets. De fait, c'est aussi lui qui devait être surveillé, repéré, par les gens du coin qui avaient repéré le petit nouveau.
C'était à croire que les gens avaient du liquide dans leurs poches, et ne se souciaient pas de perdre quelques billets, ou leurs bijoux. L'endroit était une tentation permanente pour les pick-pickpockets. Portzamparc prenait juste ses marques quand on cria "au voleur". Il attrapa un petit gaillard, souple comme un singe, après un début de bousculade dans la foule. Il le ceintura, le fit s'agenouiller et lui passa les menottes, car l'autre se débattait. Un mauvais joueur !
- Allez, c'est terminé !
Les gens ne faisaient pas tellement attention. Cette arrestation était une gêne, un incident, un désagrément ! Pourquoi ce policier n'était-il pas plus discret !
Portzamparc emmena son "client" au commissariat au coin.
- Nouveau ?
- Oui, voilà une première prise !
- Bon début, dit l'agent derrière son guichet, lui on le recherche depuis quelques temps.
- Il est à vous !
- Bonjour à Lanvin !
A peine le temps de profiter de la chaleur du commissariat ! Portzamparc repartait dans la rue. Il y avait encore plus de monde. Un flot continu, un bruissement, une foule empressée d'aller travailler et de voir la fin de la journée. Portzamparc remarqua quelques amateurs qui essayaient d'opérer. Combien y en avait-il ? A croire qu'il n'y avait qu'à se baisser pour en ramasser !
Il en arrêta encore deux, en laissa échapper un. Enervé de se débattre, il en attacha un à un réverbère pendant qu'il repartait en chercher un autre !
Résultat, une belle brochette de quatre d'un coup ! Retour au commissariat :
- Vous faites collection ?
- Je vous laisse le lot !
- Treize à la douzaine ?
- C'est négociable !
Petit café en vitesse et il repartait.
La foule se clarifiait maintenant. Le coup de feu du matin était passé. La grande horloge de la banque Pham'Velker affichait déjà huit heurs et demi. C'était une banque grande comme quatre fois celle de Mägott Platz ! A cette heure-ci, Novembre devait paresseusement prendre son service et relayer Sampieri qui avait fait la nuit.
Portzamparc avait repéré le bistrot dont parlait Lanvin et s'y attabla. Quel exercice matinal !
L'inspecteur le rejoignit une demi-heure.
- Salut, désolé du retard, j'ai été retenu pour une affaire urgente. Comment ça s'est passé ce matin ? Allez viens, il te reste à découvrir le meilleur dans ce quartier.
A suivre...