11-12-2008, 07:08 PM
(This post was last modified: 16-12-2008, 12:41 PM by Darth Nico.)
DOSSIER #9<!--/sizec-->
LE RÊVE DU SOMNAMBULE<!--/sizec-->
SHC 6 - RUS 6 - IEI 6
LE RÊVE DU SOMNAMBULE<!--/sizec-->
SHC 6 - RUS 6 - IEI 6
On entendait dans le brouillard épais les cloches des voitures à cheval et le martèlement des sabots sur le pavé.
Portzamparc sortit de l'énorme coton qui enrobait le quartier et passa la porte du Bazar Moderne. Il se frottait les mains, impatient de boire un bon café. Il serra la main du vigile et monta au bureau de la sécurité.
Ce n'était pas désagréable de travailler ici. D'abord, le café était vraiment excellent. Rien à voir avec celui qu'on buvait au quai. Ensuite, le directeur était très prévenant pour les deux fonctionnaires attachés presque exclusivement à son magasin : Portzamparc ramenait presque chaque soir des douceurs à la maison. Sa femme était ravie. En plus, elle avait déjà reçu une invitation pour la grande soirée d'inauguration de la collection d'androïdes. Et pour patienter, elle recevait des bons de réduction, des échantillons de parfums... Elle était traitée comme une reine !
Dans la nuit quasi-perpétuelle d'Exil, tous les divertissements se passaient en intérieur. Le Baz'Mo était une gigantesque caverne aux merveilles, le palais des marchandises éblouissantes. Pour les clients, les produits vendus étaient doués de mille propriétés magiques et ce magasin entier semblait plus précieux qu'un temple.
Le directeur y organisait souvent des spectacles, pendant les grandes saisons commerciales. Il fallait que la fête soit continuelle, qu'il y ait en permanence de la griserie dans l'air.
Ce matin, c'était encore la petite ambiance. On se réveillait doucement. Presque personne dans les immenses rayons. Les vendeuses prenaient le temps de refaire les étalages. Le directeur revoyait les livres avec son comptable. Lanvin arrivait, rasé de frais et passait dire bonjour. Il donnait quelques consignes à Portzamparc et repartait dans le brouillard, tout guilleret. En fait, il avait pris sa journée pour aller faire des achats avec sa femme.
Portzamparc commença son tour du matin par les chapeaux. Il se sentait délicieusement paresseux. Il serait bien allé tester les nouveaux matelas. Surtout qu'à la literie, on constatait finalement peu de vols !
En fait, il attendait avec impatience un appel de Weid.
*
A la Financière, la journée démarrait tout aussi doucement ; c'était le temps qui incitait comme ça à la paresse. Très paternel, Crimont prenait soin de son stagiaire. Maréchal découvrait les différents dossiers dont on peut s'occuper.
- Et là, par exemple, la fraude est avérée à cause de ce retrait-là et parce que l'opération n'a pas été dénoncée à temps...
Maréchal récupérait doucement de la fatigue de leur nuit blanche, deux jours avant.
De retour de l'hôtel de la falaise avec le ballon-taxi de Corben, ils avaient atterri à Névise et avaient déposé le Perce-Pierres. Ce dernier approchait la cinquantaine, avec une très épaisse barbe, une carrure solide mais une allure qui démentait cette robustesse : les épaules rentrées, la tête souvent baissée, il s'affichait lui-même comme quelqu'un de soumis, de timide. Face à lui, le petit commissaire Weid, aux yeux gris, il se renferma sur lui comme... un perce-pierres !
Ces gastéropodes étaient une plaie sur Exil. Protégés par une petite carapace sphérique presque indestructible, les perce-pierres se collaient aux pavés avec les ventouses de leurs petits tentacules et, à l'aide d'un acide, liquéfiaient la pierre pour l'assimiler, afin de régénérer leur carapace.
Mais on sentait que la seule présence de Weid avait suffi à percer à jour le Perce-Pierres.
- Je vous remercie, messieurs. Vous pouvez me le confier.
- Merci, commissaire.
- A propos, avait dit Maréchal, il y a un petit souci.
Et l'inspecteur raconta comment il avait dû, indirectement, faire appel à CONTRÔLE pour identifier un appel, et comment ils avaient devancé de peu les membres du Quai (il s'avérait que c'était des "urbains", des inspecteurs de la brigade des rues).
- Je comprends, avait dit "l'Inspecteur Fantôme". Ne vous inquiétez pas, j'arrangerai cela.
Le lendemain, Maréchal recevait un appel de Névise. En deux mots, Weid lui assurait qu'il n'y aurait pas de souci avec CONTRÔLE, que l'on ne pourrait pas remonter jusqu'à eux.
- Même l'inspecteur Rampoix n'aura pas d'ennuis.
- Merci, commissaire.
Ils devaient avoir le bras long, à la Brigade Spéciale, pour effacer une requête passée à CONTRÔLE... Portzamparc avait entendu deux inspecteurs de sa brigade, pester, incapables de comprendre ce qui s'était passé :
- A deux doigts, mon vieux ! On était à deux doigts de le coincer !... Le réceptionniste de l'hôtel a seulement pu nous dire qu'il avait vu une plaque de SÛRETÉ. Tu parles ! Comme il avait la tête dans le cul, ça pouvait bien être la carte d'invitation d'un bordel, c'était la même chose !...
Ils ne décoléraient pas.
Portzamparc avait laissé traîner son oreille et s'était renseigné ingénument auprès de Lanvin : il en ressortait que le ballon-taxi n'avait pas été vu. La nuit noire, beaucoup de vent, le ronflement continu de l'océan : la fuite du dirigeable était assurée.
- On finira forcément par mettre la main sur ces gars-là...
- Sans doute, dit Portzamparc en ayant l'air de penser à autre chose.
- On va déjeuner ? Je t'invite dans un petit restaurant à côté.
C'était de l'autre côté du pont, sur le quai, en descendant quelques marches. Un restaurant de sportifs, avec un beau comptoir en bois.
Le patron vint serrer la main de Lanvin et lui offrit l'apéritif, ainsi qu'à Portzamparc. D'autres hommes, de la brigade des stups, arrivèrent peu après et s'installèrent au comptoir. Lanvin commanda au chef ses spécialités et une bonne bouteille.
- Allez tiens, à la bijouterie !
Les deux hommes trinquèrent. D'autres fonctionnaires du quai entraient. On fut vite serré mais l'ambiance était cordiale.
- Merci.
- Tu t'es bien débrouillé sur ce coup-là. Et ça s'est su en haut lieu, du reste, dit Lanvin en allumant une cigarette. Là, tu as marqué un point pour ta carrière, crois-moi.
- Merci.
- Écoute, je voulais te dire...
Lanvin prit un air contrarié.
- J'ai vu ton dossier... Tu as demandé la Crim'... Bon. Tu espères peut-être devenir une vedette, résoudre des crimes palpitants. Tu t'imagines que tu vas devenir un génie de la déduction. Détrompe-toi. La Crim' a bonne presse, en bonne partie grâce à Ménard...
Lanvin baissait la voix et comptait sur le brouhaha pour le couvrir.
- Seulement, Ménard a réussi à se mettre bien avec les journaleux, avec sa hiérarchie, avec les juges... Voilà le secret ! Il a pigé qui il fallait gratter dans le sens du poil et pour ça, il sait y faire... Tout le monde te dira qu'il est malpoli, qu'il ne sait pas se tenir à table... Mon œil ! Quand il s'agit de défendre son service ou de rendre service, il n'est plus celui qu'on connaît ! Note que c'est un pas un vice. Seulement, je te dis, moi, que la Crim', c'est pas palpitant comme les feuilletons dans les journaux. Tu travailles dans le cadavre, là. Des morts, des morts, c'est tout ce que tu vois. Et de plus en plus, la Crim' est dépendante de la Brigade scientifique. A terme, tout se fera en laboratoire. On aura des fiches pour prévoir quels individus sont susceptibles de commettre un crime, et on les arrêtera avant, préventivement !... Alors que nous, à "l'urbaine", on court après des gens bien vivants, comme tu as pu t'en rendre compte. Nous, on est sur le terrain. Nous, on arrive avant que le délit ne soit commis ! On aide les gens au quotidien. Et je signale que nous, on bénéficiera à terme de moyens accrus. On parle d'une fusion des services : une grande brigade des rues, réunissant Pandores et nous. Pour lutter contre le développement des syndicats du crime, de mieux en mieux équipés... Demain, on aura encore plus besoin de nous...
Lanvin ne se trompait pas quant à cette fusion : elle produisit, quelques décennies plus tard, la brigade de répression du banditisme.
Pour l'heure, Portzamparc écoutait, incrédule et amusé, Lanvin lui "vendre" sa brigade. Il ne laissait rien paraître, mais il se considérait maintenant comme membre de la Brigade Spéciale... L'Urbaine ou la Crim' ne seraient que de simples couvertures !
- Je vous remercie. Je vais considérer votre demande.
- Mais tu as la carrure pour ça, petit ! Tu es taillé pour faire carrière chez nous ! Regarde comment tu es rentré dans le lard de ses braqueurs !
- Ce sont mes années à Pandore...
- Réfléchis à ce que je t'ai dit. Crois-moi : la Crim' fait rêver le grand public, mais si tu veux l'excitation, le jus, c'est à l'Urbaine que tu te plairas !
Lanvin salua le patron, qui entouré d'une dizaine de consommateurs pressé.
L'après-midi, Portzamparc était de service au Baz'Mo. Il avait vraiment bien mangé et se serait
allongé dans un hamac, en ordonnant aux voleuses de se passer elles-mêmes les menottes. Il passa le voir le directeur, et lui reparla de son idée de changer le système de sécurité.
- Niet, dit le directeur (niet était un mot kargarlien pour dire "non"), nous savons que cette Penthésilée va s'attaquer à nous. Donc j'ai fait renforcé les effectifs pour l'inauguration et nous procéderons selon les bonnes vieilles méthodes.
- Entendu.
Du coup, notre policier fit paresseusement ses rondes dans le magasin et discuta le coup avec le responsable du rayon bricolage et regarda des meubles pour son salon. Mme de Portzamparc passa dans l'après-midi, papillonna entre les rayons pendant que son mari soupirait de devoir encore courir après un voleur, un gamin !, qui s'échappait par l'escalier de service !
Il repassa à la parfumerie avec le gamin, menotté, et n'eut pas le temps de sentir les échantillons que lui présentait sa femme !
A la Financière, Maréchal assistait Crimont pour l'interrogatoire de trois autres comptables de la Donasserne, en sus de celui qu'on avait arrêté. On ne tirait rien de ces griffonneurs de chiffres et de leurs bilans d'exercice !
Le soir, nos deux héros se retrouvèrent au café.
- Ahlala, soupirait Portzamparc, Lanvin m'a fait la propagande de sa brigade...
- Il veut te garder pour courir après les garnements qui volent à la boulangerie ?
Le soir, Maréchal reçut un appel chez lui : les appartements de fonction étaient en effet chacun équipé d'un terminal de parlophone.
- Weid à l'appareil... J'ai parlé avec notre ami... Il rencontrera le Somnambule d'ici cinq jours. C'est à ce moment-là que nous débuterons notre opération.
Maréchal alla frapper à la porte des Portzamparc et dit à son collègue de venir. Ce dernier prit l'écouteur :
- Maréchal de retour. Vous disiez cinq jours ?
- Oui. Si monsieur de Portzamparc est toujours d'accord ?
Sans hésitation, celui-ci dit oui.
- Alors rendez-vous dans quatre jours pour en parler. Officiellement, vous serez en stage. Maréchal aussi, car j'aurai besoin de vous pour assurer les arrières de votre collègue.
- Bien sûr.
- A bientôt, messieurs.
Maréchal raccrocha, et les deux hommes se regardèrent : maintenant, les choses sérieuses commençaient.