Thread Rating:
  • 0 Vote(s) - 0 Average
  • 1
  • 2
  • 3
  • 4
  • 5
Dossier #9 : Le rêve du Somnambule
#6
DOSSIER #9<!--sizec--><!--/sizec-->

Le soir de l'inauguration au Baz'Mo était arrivé. Madame de Portzamparc avait obtenu une invitation par son mari. A l'entrée, les vigiles, que Portzamparc connaissaient bien maintenant, vérifiaient les sacs et des maîtres d'hôtel en gants blancs accueillaient les meilleures clientes. Dans la grande salle qui brillait de tous ses feux, les coupes de champagne brillaient, dans ce grand temple des marchandises. Les meilleurs décorateurs avaient été engagés pour décorer somptueusement le grand hall, pour en faire un palais exotique, une demeure princière. Et parmi les corpolitains, les nobles, les bourgeois et les pique-assiettes, il y avait un invité qui arrivait les mains dans les poches et qui passait tranquillement en montrant sa plaque de SÛRETÉ : Antonin Maréchal !
Il n'allait pas rater cet événement !
Rien que pour le plaisir de voir Portzamparc s'agiter comme un diable avec Lanvin, il tenait à venir. Il partit en sifflotant faire le tour des rayons. C'était bien joli, tout ça, bien fait, beaucoup de goût. Épatant, vraiment. Ces dames avaient de quoi trouver leur bonheur.
Parmi elles, madame de Portzamparc était ravie : elle essayait des bottines, elle regardait des sacs, elle comparait des chapeaux. Elle était introduite dans le cercle des reines de la soirée. Ces demoiselles de bonne famille la prenaient sans doute pour une grande femme du monde. Elle riait, elle s'amusait beaucoup et reprenait des petits fours et du champagne pendant que son mari courait en tous sens. Maréchal la salua et continua d'évoluer parmi les beautés en toilettes étincelantes qui arrivaient à flots dans le magasin.
C'était vraiment le paradis ! Elles étaient toutes plus belles, plus charmantes, plus drôles, les unes que les autres ! Elles avaient eu des entrées par leurs maris et maintenant, elles s'ébattaient dans les rayons comme des élèves qui se ruent dans la cour de récréation.
Toujours sifflotant, Maréchal s'approcha du buffet et dégusta les canapés. Puis, il entendit dire qu'au sous-sol était organisée l'heure d'après une dégustation de vins. Il décida donc de s'y rendre pour inspecter les lieux en détails. Pas de vacances pour la police !

*

L'inspecteur refit un tour du côté des rayons lingeries. C'est à peine si ces dames, bien égayées, fermaient les rideaux des cabines. Certaines se promenaient dans les coins des essayages en négligé et se jetaient, effrayés, derrière une tenture quand elles voyaient arriver Maréchal, l'air innocent.
- Pardon, je cherchais le rayon bricolage, ce n'est pas par ici ?...

Maréchal continuait son petit tour. Il aperçut une vendeuse dont le visage lui rappela quelqu'un. Il continua son tour, troublé, en essayant de ne plus y penser. Puis d'un coup le visage lui revint, et son coeur se mit à battre la chamade. Cette fois, c'était bien sérieux, bien réel.
C'était Nelly !
Il y avait dix, douze ans ! Et depuis ce temps, elle n'avait pas changé. Elle était juste plus belle, plus épanouie mais Maréchal s'en voulut d'avoir hésité.
D'un coup, il se sentit tout timide. Il retourna prendre un verre pour se donner du courage. Nelly, une des grandes affaires de sa vie.

Il devait avoir douze ou treize ans. A cette époque, son père était parti en prison ; sa mère avait été emmenée dans un établissement spécialisé et lui, Antonin, s'était échappé de chez Myriam-Annabelle Maréchal, alias tante Myrtille. Il portait la casquette et les godillots des gamins des rues. Il avait observé longtemps l'étal du chocolatier, en planque dans une ruelle. Il avait très faim.
Au bout d'une heure de surveillance, il s'était décidé. Il s'était avancé, il avait saisi les grosses poules en chocolat, il avait couru, sans respirer. Le marchand était sorti de sa boutique, avait hurlé. Il y avait un agent de police au coin de la rue. Coups de sifflet. Les gens à la fenêtre, scandalisés ! qui dénonçait le chapardeur !
Un Pandore essayait de l'attraper mais Maréchal se glissait entre ses jambes, abandonnant une partie de son trésor en chocolat !
Il avait la moitié du quartier après lui. Soudain, un soupirail s'était ouvert. Il faisait chaud à l'intérieur.
- Hep, viens par là !
L'agent arrivait en brandissant son bâton. Le jeune Antonin avait sauté ; le soupirail s'était refermé. Ensuite, les choses avaient été confuses : la cave d'une boutique, une autre sortie, qui donnait sur les égouts. Une cavalcade avec quatre autres gamins de son âge. Des cris dans la rue. Nouvelle sortie, qui donnait sur un autre quartier.
Antonin voulut remercier ses bienfaiteurs. Leur chef était une fille, une "grande" (elle avait quatorze ou quinze ans), l'air farouche. Elle devait mener ses jeunes recrues manu militari, ça se sentait.
- Merci de m'avoir aidé, commença Antonin, les yeux pleins de reconnaissance.
Deux gamins lui saisirent les bras, deux autres prirent tout son chocolat et le donnèrent à leur chef. Antonin se débattait. La fille croqua dans la poule :
- De rien. En échange, on prend ta prise du jour. Mais maintenant, tu fais partie de la bande. La prochaine fois, tu viens avec nous. On a un gros coup en préparation...
Elle parlait bien ! Elle devait avoir de l'éducation...
Et on ne discutait pas avec elle !
Les autres se jetaient sur le chocolat.

- Au fait, je m'appelle Nelly. Voici ma bande, les Rats magiques. On te tatouera notre signe de guerre. Nous, on partage nos provisions, on est solidaires. Tu as un abri où dormir ? Oui ? Tu nous l'indiqueras. S'il est assez grand, il sera rattaché à notre territoire... Les membres de notre bande sont solidaires entre eux, tu comprends ? Chacun fait ce qu'il veut à côté, si ça ne nuit pas aux autres. Nous sommes fiers d'être les Rats magiques. On fréquente d'autres bandes, quand ils suivent les mêmes règles que nous. Par contre, on ne s'approche jamais, ô grand jamais, tu m'entends, de la bande des Chasseurs noirs !... C'est tout.
Antonin n'avait rien à ajouter !
Évidemment, il était déjà un peu amoureux de Nelly, et ça ne s'était pas arrangé par la suite.

*

Maréchal finit son verre et repartit aux rayons des chapeaux. C'est là-bas que Nelly travaillait. Elle devait avoir un petit grade. Elle était là, et bien là. Charmante avec les bonnes clientes, cassantes avec les casse-pieds... En ce moment, elle rembarrait proprement une vieille bourgeoise mémère qui faisait enrager les vendeuses pour le seul plaisir de les voir apporter et remporter les cartons de chapeaux.
- C'est un scandale, glapissait-elle, jamais on ne m'a traitée comme ça.
- Je peux vous offrir notre catalogue, madame. Ainsi, vous pourrez choisir à votre aise chez vous.
L'autre s'en allait en fulminant.
A dégager la vieille peau !

On sentait de la reconnaissance dans les yeux des vendeuses envers Nelly. Toujours cela : de la gratitude envers cette femme si généreuse !
Maréchal s'approcha et regarda quelques articles au hasard. Tout de suite, il se faisait remarquer, étant le seul client homme à des lieux à la ronde !
- Je peux vous aider, monsieur ?
- Pourquoi pas, sourit l'inspecteur.
Il se retourna vers elle, en essayant de ne pas rougir. Il n'avait plus douze ans, que diable !...
Elle se troubla, réfléchit... Maréchal était aux anges ! Il adorait quand elle prenait cet air-là !
- An.. Antonin ?
- Comment vas-tu, Nelly ?...
- Bien, et toi ?...

Arrivait à ce moment un groupe de clientes vêtues de fourrures et d'or, qui martelaient le parquet de leurs talons. Elles étaient guidées par un des directeurs-adjoints.
- Oh la la, dit Nelly, avis de tempête !... Écoute, retrouve-moi après mon service, d'accord ? A une heure du matin, à la porte de service, derrière... Bonne soirée !

Grisé, étourdi, Maréchal se dirigea vers le sous-sol, montra sa carte, un grand sourire sur le visage ; il écouta distraitement le sommelier présenter ses crus et dégusta la cave du Baz'Mo, trinquant à la santé de Portzamparc !:ahah:

Celui-ci tournait au troisième étage, autour de la pièce qui avait été aménagée pour l'exposition de bijoux. Les escaliers mécaniques et les ascenseurs en bois amenaient des flots de clients, impatients de contempler ces trésors. Le Baz'Mo en avait pour une fortune en assurance. Portzamparc avait vu les papiers avec Lanvin.
La salle était gardée par deux solides vigiles, anciens Pandores. Ils filtraient sévérement l'entrée. A l'intérieur, on était ébloui. Les gens mangeaient du regard ces parures qui ruisselaient de diamants.
Portzamparc avisa le directeur, près du balcon, qui lui fit un petit signe.
- Vous savez, détective, dit-il à voix basse, j'ai repensé à votre proposition de l'autre jour. Changer le système de sécurité... Etant donné ce qu'il y a en jeu, je me suis dit finalement "pourquoi pas". Si nous pouvons arrêter cette Penthésilée...
- Vous avez eu de nouvelles menaces de sa part ?
- Non, détective, mais elle viendra, c'est sûr !...
Le directeur regarda le grand hall d'entrée :
- Regardez, elle est sans doute déjà parmi nos clientes. Nous ne pouvons pas vérifier les invitations de tout le monde. Du reste, il ne doit pas être si difficile de s'en faire une. Croyez-moi, Penthésilée est déjà chez nous. Elle regarde, elle observe. Peut-être qu'elle NOUS observe...
- A quoi pensez-vous ?
- J'ai fait changé les bijoux de place, souffla le directeur. Ceux qui sont dans cette pièce sont tous faux !...
Il arrivait encore du monde. Le directeur serra la main de plusieurs personnalités et revint vers le détective :
- Tous faux ! Peu à peu, je vais relâcher la sécurité ici. Pas complètement, mais la dégarnir au moins. Nous verrons bien. Je vous propose de rester là.
- Si la sécurité est trop faible, dit Portzamparc, d'autres que Penthésilée pourraient en profiter.
- C'est à voir, dit le directeur, c'est à voir...
- Bien, je resterai là.
- C'était votre proposition, après tout...
Portzamparc acquiesça. Le directeur partit. Le policier n'aurait peut-être pas mené les choses ainsi. Il n'aimait pas trop cette idée.
Il se concentra sur le premier étage. Du deuxième, Lanvin lui fit un petit signe. Il en avait encore coffré deux. La soirée se passait bien. Il y avait foule, les rayons se vidaient ; on devait aller dans les réserves. L'alcool coulait à flots, prélude pour certains à d'autres débauches plus tard dans la soirée. Il y avait des actrices, des comédiens, des jeunes nobles dévoyés, des gens pourris-gâtés par leur argent.
C'était une vraie fête exiléenne, bien décadente comme il faut.
Portzamparc repassa devant la salle des bijoux. Il n'y avait presque plus de visiteurs et un seul vigile. Il faut dire que l'on venait d'annoncer le clou de la soirée : l'exposition d'androïdes, dans le grand hall du rez-de-chaussée. Les étages se vidaient.
Le directeur était encore là, qui fit un clin d'œil au policier. Portzamparc regarda l'installation du podium où défileraient les mannequins mécaniques. Les gens se pressaient autour. Maréchal et les fins œnologues remontaient du sous-sol, le rouge aux joues.
Portzamparc se retourna : le directeur chancelait. Le policier se précipita pour le rattraper. Il se serait écroulé à terre... Dans la salle, une vitrine brisée !
- Vite, vite...
Le directeur s'assit contre un pilier. Une femme en grande robe courait !
Portzamparc partit à toute vitesse. Elle courait avec des bottines, et pourtant, elle maintenait la distance ! Elle prit le grand escalier ; c'est à peine si on y croisa cinq personnes, le temps d'arriver... au 5e !
Portzamparc n'en revenait pas ! Elle courait comme une athlète ! C'était forcément Penthésilée !
Au 5e, elle emprunta le petit escalier en fer qui menait sur la terrasse. Au 3e, on avait croisé deux vigiles qui avaient pris eux aussi en chasse la voleuse.
Celle-ci bondissait sur le toit du grand magasin, battue par le vent de la nuit. Les milliers de lumières de la Cité d'Acier.
- Halte !
Une bourrasque encore plus forte. La voleuse n'arrêtait pas, elle se dirigeait vers le parapet. Portzamparc, essoufflé, sortait son révolver et se mettait en position :
- Halte, j'ai dit !
Elle soulevait sa jupe, jetait son chapeau et s'apprêtait à sauter.
- Halte, dernière fois !
Elle se mit debout sur le rebord. Mais elle comptait faire quoi ?? Il y avait au moins vingt mètres de vide en-dessous !
Portzamparc tira : il lui logea la balle dans la jambe !
Par chance, elle tomba en arrière et roula, les quatre fers en l'air ! On avait évité le pire !
Les deux vigiles arrivaient.
- Occupez-vous d'elle !
C'était trop facile ! Portzamparc redescendit au premier, en nage. Le directeur était soutenu par un autre vigile, qui lui donnait un verre d'eau. Il avait pris un coup mais ne saignait pas. Il en serait quitte pour une belle bosse.
- Allons, il faut que je descende, on m'attend...
- Rien de plus ici ?
- Non, détective. Vous l'avez eue ?
- Oui.
- Mes félicitations... C'était bien Penthésilée ?
- Je ne sais pas !
Comment l'aurait-il su !

Les deux vigiles revenaient du toit avec leur voleuse : une androïde !
Elle avait le pied à moitié détaché du corps, les circuits à l'air libre et elle n'opposait aucune résistance. Le vigile avait réussi à désactiver la plupart de ses fonctions moteurs. Elle était lourde à porter !
- La voilà !
Portzamparc sentait que ce n'était pas fini. Cette androïde ne pouvait pas être Penthésilée. Trop facile, bien trop facile !
Le directeur-adjoint était là :
- Où sont les vrais bijoux ?
- Dans le coffre du directeur.
- Gardé par qui ce coffre ?
- Deux de nos vigiles et par l'inspecteur Lanvin en personne !
- Je vais aller voir !
- Monsieur le détective, le défilé des androïdes va commencer...
- Pour moi, il a déjà commencé...
- Nous aurons besoin de vous. Avec tout ce monde, des pick-pockets vont...
- Merci, j'arrive. Inutile de m'apprendre mon métier.
Agacé, Portzamparc descendit d'un étage.
Il vit Maréchal, qui s'était trouvé une bonne place en bout de podium et prit le temps de venir le saluer.
Reply


Messages In This Thread
Dossier #9 : Le rêve du Somnambule - by Gaeriel - 18-12-2008, 02:21 PM
Dossier #9 : Le rêve du Somnambule - by Darth Nico - 25-12-2008, 06:17 PM
Dossier #9 : Le rêve du Somnambule - by sdm - 16-03-2009, 01:23 PM

Forum Jump:


Users browsing this thread: 1 Guest(s)