07-02-2009, 12:59 PM
(This post was last modified: 14-02-2009, 07:49 PM by Darth Nico.)
DOSSIER #9<!--sizec--><!--/sizec-->
Les bourgeois dans leurs beaux habits de soirée se pressaient contre le podium. Maréchal avait fait signe au service de sécurité pour avoir une place devant. Portzamparc fendit la foule à son tour et serra la main de son collègue.
- Du nouveau ?
Le détective était encore en nage :
- On a manqué Penthésilée de peu... C'était un androïde !
- Dirigé par qui ?
- Si on le savait...
C'était enfin le clou de la soirée qui était annoncé, par le directeur du magasin en personne, monté sur le podium : la grande collection des androïdes !
Mieux que les bijoux, les robes !
Le public, qui avait bien bu, bien mangé, était houleux, impatient, égrillard au possible. Du fonds de réserve caché derrière un rideau arrivait un grand tapis roulant, le comble de la modernité. Et de gros paquets cadeaux roses enrubannés arrivaient maintenant, sous les applaudissements du public. Il y en eut une quinzaine en tout. Le directeur, échauffé, promettait qu'on allait voir les plus belles mécaniques qu'on avait jamais vues, la superbe collection des androïdes ménagers ; évidemment, les allusions grasses plus ou moins dissimulées ne manquaient pas, envers ces dociles employées bonnes à tout faire...
Le directeur lança le signal et un artificier alluma une mèche qui reliait les paquets entre eux : les uns après les autres, ils éclatèrent dans une gerbe de cotillons, rubans et confettis ; on vit alors apparaître les superbes naïades robotisées, dans leurs costumes de soubrettes, avec le tablier et le plumeau.
Tonnerre d'applaudissement à l'ouverture des paquets, jusqu'au dernier où, surprise, apparaît une androïde délurée, en bas résilles, outrageusement maquillée !
Elle se met à danser lascivement, et lève haut les guiboles, en répétant : "Coucou monsieur le directeur ! coucou monsieur le directeur !"
Éclat de rire général. La sécurité se précipite pour maîtriser le monstre mécanique de lubricité, et la salle est encore secoué d'une hilarité énorme.
Le directeur, mort de honte, vocifère et gesticule pour qu'on escamote l'androïde débauchée. Portzamparc s'en mord les doigts, car il voulait aller vérifier dans la réserve...
La soirée se termine plus sérieusement, par de grosses promesses de vente autour des stands de domotique ménagère. Tous les acheteurs ont passé une excellente soirée et signent de gros chèques pour avoir l'équipement dernier cri et rendre les amis fous de jalousie.
- Allez, je rentre, dit Portzamparc, épuisé, ma femme m'attend.
Maréchal s'éloigne aussi. Le directeur ne comprend toujours pas comment cette androïde détraquée est arrivée là !
Comme promis, Nelly attendait Maréchal à la sortie. Elle prit son bras et ils allèrent à la grande brasserie d'à côté. Ils se commandèrent une bonne bouteille et un copieux plat d'huîtres pour fêter les retrouvailles.
- La soirée s'est bien passée ?...
- Beaucoup de travail, dit Nelly. Les clientes sont comme folles. Elles veulent rafler tout ce qui brille ; elles sont prêtes à faire des enchères quand elles sont plusieurs sur le même article. C'est épuisant !
Ils trinquèrent :
- Au monde de la rue, alors ! dit Maréchal.
- La rue, pour nous, j'ai l'impression que c'est fini. Moi j'ai ma place au magasin, et toi, je vois que tu es passé de l'autre côté de la barrière. Maintenant, tu protèges le bourgeois, alors qu'à l'époque, tu savais comment t'y prendre pour le délester !
Maréchal sourit et finit son verre.
- Tu as revu certains de la bande ? murmura-t-il.
- Non, j'ai rompu... Ce serait trop dangereux si on me voyait avec eux... Les grands magasins fouillent ton passé. Ils ont des détectives privés, qui nous suivent, voient qui on fréquente...
Ils mangèrent en se racontant leur vie, jusqu'à une heure avancée de la nuit.
- On est peut-être plus à la rue, dit Maréchal, mais on n'ira quand même pas se coucher avant les bourgeois !
Il ne savait pas s'il pouvait proposer à Nelly d'aller poursuivre leur conversation ailleurs... Il se serait mal vu lui proposer d'aller à l'hôtel... Elle vit sa gêne et lui dit juste qu'elle avait été heureuse de le revoir et qu'ils se reverraient bientôt. Il n'aurait qu'à repasser au Baz'Mo.
Ainsi, Maréchal repartit, alors que le soleil malade se levait et que Forge apparaissait dans le ciel, sans le numéro ni l'adresse de Nelly. Il avait déjà les épaules lourdes, car la journée qui allait commencer dans quelques heures serait chargée.
Il rentra dans son appartement de fonction, s'accorda un rapide somme, prit une douche, se rasa, avala un rapide déjeuner avec beaucoup de café très noir et brûlant.
Et quand il ressortit dans le vent crispé du matin, à l'heure de la première cigarette, il retrouva Portzamparc qui l'attendait, un gros sac sur l'épaule. Tout allait si vite.
Ils se saluèrent et partirent ensemble au funiculaire. Le quai des Oiseleurs émergeait de la brume de l'aube, dégagé de son allure fantomatique nocturne.
- Tu as dit à ta femme de quoi il s'agissait ?
- Je lui ai parlé d'un stage de formation, dit Portzamparc. Que je serais absent plusieurs jours. Je lui ai dit d'aller chez sa mère pendant ce temps.
Les deux policiers virent arriver le funiculaire, grinçant dans le matin frisquet, et le chauffeur, grognon, qui monta dans sa cabine, alluma une cigarette et démarra son engin.
La cabine descendit sur le rail en pente abrupte, entre deux trottoirs pavés, le long de petits immeubles aux fenêtres à barreaux, qui donnaient sur la cuisine où les gens allumaient le gaz et faisaient bouillir leur eau.
Après un premier arrêt à une station déserte, le funiculaire repartit et prit de la vitesse : il passa au travers d'une épaisse nappe de brouillard verdâtre, tout à fait opaque, à tel point qu'on aurait pu se croire entraîné vers des fonds sous-marins. Puis on arriva en-dessous, dans Névise, où il faisait encore grande nuit et où les seules lumières étaient celles des algues et lentilles phosphorescentes qui envahissaient les canaux, et les rares réverbères grâce auxquels on discernait les rues étroites.
- Terminus, grogna le chauffeur, qui sortit fumer une cigarette avec les collègues, au café du coin.
Maréchal consulta sa montre : son SHC n'était qu'à 2. Il priait les divinités de la machine que son syndrome veuille bien l'oublier dans les jours à venir !
Les deux policiers prirent le bac qui traversait le grand canal verdâtre. Passer sur ces eaux profondes, dans cette nuit qui devait rarement finir, dans ce quartier splendide et oublié, c'était comme revenir aux premiers temps d'Exil, avant les machines modernes quand les Anciens, dit-on, utilisaient les humains comme esclaves pour construire leurs tombeaux. Parfois, à la lumière des algues, on discernait le quartier inondé sous le canal, et d'autres palais, envahis par les plantes, les poissons, les éponges, lentement digérés et transformés en corail.
*
Les deux policiers montèrent l'escalier qui grinçait du bâtiment de la brigade spéciale. Weid était seul dans son étroit bureau froid. Il avait préparé du café. Il consulta sa montre et remit de l'eau à bouillir.
Le Perce-Pierres arriva dix minutes après, sa grosse barbe pleine de neige.
Portzamparc prit son gros sac et alla se changer : il revint dans le costume du parfait chasseur forgien. De grosses bottes, une forte ceinture, un manteau épais en poil de prédateur et une chapka, ainsi qu'un sabre forgien à la ceinture.
- Vous êtes splendide, dit Weid, sans esquisser le moindre sourire.
- C'est carnaval, nota Maréchal en soufflant sur son café.
Personne n'avait vraiment envie de rire. On parlait peu et on voulait juste se réchauffer.
Weid prit son imper, enroula son écharpe, mit son chapeau et les quatre hommes prirent les rues de Névise. Ils n'y croisèrent que quelques rares passants, emmitouflés, battant le pavé ou transportés en gondole, quelques livreurs. Les commerçants ouvraient leurs boutiques, frileux et un Pandore s'ennuyait à faire le planton à un coin de rue.
Une bordée de gamins déboulait soudain de la rue, s'arrêtait, surprise par les quatre hommes, et repartait en criant vers l'école. Weid s'y retrouvait sans problème dans le dédale à trois étages des rues de Névise. Ils passèrent par des palais effondrés, des ponts aux esclaves, des ruines d'églises, sans ralentir. Ils passèrent une cour où quelques clochards s'étaient faits des abris de fortune, à l'ombre des antiques colonnes, et entrèrent dans un grand bâtiment archaïque, qui pouvait bien être un ancien tombeau, mais vidé comme on vide un œuf. Les murs étaient à nus ; ne restaient d'anciennes tentures que des morceaux dilacérés. Une silhouette en robe de bure, sur la planche d'un échafaudage d'une dizaine d'étages de haut, griffonnait des signes sur le mur. Malgré la pénombre, on pouvait deviner qu'il avait déjà recouvert près de six étages, et qu'il continuerait tant qu'il pourrait.
Weid fit signe d'attendre et fit signe au moine. Celui-ci, encapuchonné, salua le policier et tira sur un levier. Un système compliqué, et effrayant car presque invisible, se mit en marche et un pan de mur pivota. Un souffle d'air glacé s'infiltra, et un rayon de lumière crue. Les quatre hommes passèrent, éblouis, et entendirent le mur se refermer derrière eux.
Ils avancèrent dans un couloir sombre, au plafond gorgé d'humidité puis arrivèrent sur une plateforme métallique. Une plaque murale indiquait : Rotor 17.
Maréchal connaissait ces quartiers amovibles. Quand il poursuivait le clown, il avait traversé Rotor 24, à la verticale au-dessus de Mägott Platz. Les Rotor étaient construits par des corpoles et des ingénieurs d'ADMINISTRATION : c'était des blocs urbains expérimentaux, conçus comme une nouvelle génération d'"immeubles mobiles".
Rotor 17 était relativement automatisé, selon les nouvelles conceptions ingénieriques et idéologiques de la Cité : déléguer au maximum les travaux aux machines et libérer de ce fait les travailleurs des tâches les plus pénibles.
Maréchal partit de son côté, incognito. Il n'avait pas son pareil pour se fondre dans l'architecture de la Cité. En peu de temps, il pouvait connaître un quartier comme sa poche. Il avait serré la main à Portzamparc.
Les deux hommes avaient vraiment le sentiment qu'ils allaient basculer dans un autre monde.
Weid ne fit que quelques pas dans le quartier, restant prudemment hors de vue :
- Je vais vous laisser là. Vous continuez avec le Perce-Pierres. Tenez-moi au courant dès que vous pourrez. Bon courage.
- Merci, je vais en avoir besoin.
Portzamparc n'avait pas été aussi mal depuis longtemps. Il ne savait vraiment pas dans quoi il se lançait. La gorge serrée, il ordonna au Perce-Pierre de passer devant. Il s'assura que son révolver était chargé.
Maréchal avait déjà pris place sur les hauteurs du quartier.
*
Perce-Pierres frappa à la porte d'un gros hangar défraîchi, aux fenêtres murées. Il y avait encore ce matin une mauvaise brume, peu de monde dans les rues.
Un œil regarda par le judas et la porte s'ouvrit.
A l'intérieur, il faisait presque aussi froid qu'à l'extérieur. C'était un entrepôt poussiéreux, très grand, où s'étaient réunis une dizaine d'hommes. Certains jouaient aux cartes, d'autres essayaient d'attraper des rats au lancer de couteaux. Il y en avait quatre, penchés sur une grande carte. Tous s'arrêtèrent quand Perce-Pierres, mal assuré, entra.
Par une mauvaise vitre entrait un rayon de lumière crue, plein de poussière.
- Alors, Perce-Pierres, dit un des hommes, assez âgé, le crâne bosselé, tu nous amènes un clown ?...
Tous regardaient Portzamparc, dans son costume forgien. Celui-ci ne dit rien, gardant cet air buté et martial du bon officier autrellien.
Un de ceux qui regardait la carte releva la tête, sans rien dire. Il avait le yeux gris, les cheveux aussi couleur cendres, les traits tirés, un regard glaçant. Portzamparc comprit que c'était lui, le Somnambule.
- Tu peux dire à ton ami de repartir, lança-t-il. Nous sommes déjà assez...
Le vieux cabossé regardait Portzamparc d'un air goguenard. Il avait un gros menton recourbé, un nez aplati, un air de fripouille et des mains d'égorgeur.
Portzamparc le regarda sans rien ajouter.
Le vieux cracha par terre :
- Tu peux t'en aller, espèce de clown... Ici, on n'a pas besoin de guignols de ton espèce...
Les autres ne mâchonnaient plus leur cure-dent et laissaient leur cigarette se consumer. Perce-Pierres voulait se faire de plus en plus petit. Portzamparc ne bougeait pas. Le vieux le regardait toujours et commençait à comprendre qu'il ne partirait pas. Le Somnambule les regardait sans cligner des yeux, l'air plus mort que vif.
Il y avait un gourdin posé contre le mur, juste à côté du vieux. Celui-ci avait fixement regardé l'arme, et Portzamparc juste après. L'un des hommes toussota, un autre venait de se brûler les doigts avec son mégot.
Sur les toits, Maréchal approchait le plus près possible du hangar. Il ne pouvait rien voir de ce qui se passait à l'intérieur. Il se déplaçait, souple et silencieux comme un chat. Il descendit sur la petite terrasse d'un immeuble abandonné et s'accroupit derrière la rambarde. Il avait vue sur la porte arrière du bâtiment. Personne qui gardait. Il escalada la rambarde et sauta sur la terrasse d'à côté. La dernière fois qu'il avait essayé le saut depuis une rambarde, ça avait failli mal finir !
Maintenant, il voyait mieux l'arrière du grand hangar.
Par un trou du toit, il apercevait l'intérieur. Quelques hommes sur des banquettes, immobiles. Il ne voyait pas son collègue.
Portzamparc restait, solidement campé sur ses pieds, face au vieux, qui n'appréciait plus du tout que ce jeune soutienne son regard et ne lui obéisse pas. Le Perce-Pierres, contrit, n'osait rien dire. Il savait que ça allait se terminer mal. Le Somnambule ne travaillait jamais avec plus de douze hommes. Portzamparc approchait la main de son sabre.
- Tu vas sortir d'ici bien vite, dit le vieux tueur, sinon tu vas découvrir comment on traite les imbéciles de ton genre.
Le vieux jeta encore un coup d'oeil au gourdin. Il n'était plus si rassuré. Il sentait la détermination sans faille de ce gros Forgien borné. Il s'approcha du gourdin, et ne vit pas que Portzamparc avait mis la main sur son sabre -ce qui n'avait pas échappé aux autres. Mais le Somnambule, d'un regard, avait ordonné à ses hommes de se taire. Il faisait les gros yeux, fasciné et plein de colère qu'il était envers cet intrus.
Le vieux attrapa brusquement le gourdin et vit alors le Forgien dégainer et le trancher en deux au niveau de l'estomac. Une puissante giclée de sang partit en tous sens, le vieux poussa un bref cri et s'effondra en deux morceaux par terre.
Portzamparc resta un instant, immobile, dans la position de la fin de son coup, puis il donna un coup de sabre vers le sol en fixant le Somnambule. Le sang qui souillait la lame se répandit par terre et le Forgien rengaina.
Deux hommes rallumèrent leur cigarette et un autre lança son couteau par terre. Le Somnambule dit juste :
- Tu nous fais perdre notre temps, Perce-Pierres, et tu es déjà en retard.
- Pardon, mais je voulais...
- Suffit. Nous sommes le nombre qu'il faut. Emballez Karadjic dans un sac et allez le jeter par-dessus une passerelle. Dépêchons.
Perce-Pierres alla à la table des cartes, suivi de Portzamparc, qui faisait de son mieux pour garder un air borné et insensible, et il sortit de son sac ses précieux instruments de travail.
- J'ai amené les nouvelles mèches que j'ai fabriquées...
A ce moment, quelqu'un sortait en douce par l'arrière, salué ironiquement par l'homme qui gardait l'arrière.
Cet homme, Maréchal le vit nettement, depuis sa terrasse : petit, chauve, l'air d'un Scientiste du pauvre, frileux dans son long manteau...
- Herbert...
Tout d'un coup, Maréchal retrouva son instinct de prédateur. Herbert ! Il souriait méchamment. Il se dépêcha de passer sur un toit voisin, d'où il put descendre dans la rue par un escalier métallique.
Herbert sifflotait pour se rassurer, content d'avoir pu partir de chez le Somnambule. Qu'est-ce qu'il était fort, quand même ! Encore une brillante réussite !... Il avait gagné la confiance d'un des plus durs criminels de la lune !
Il s'apprêtait à rentrer vers son petit quartier, dans sa nouvelle maison. Il arrivait à la station du tramway C, pressé de se faire un bon repas et d'aller au lit. Le temps se couvrait. De gros nuages noirs roulaient au-dessus des flèches de la Cité. C'était la nuit en plein jour. La rame arrivait à quai lentement, sans personne à l'intérieur. Quelqu'un tapota l'épaule de notre petit chauve et dit, d'un air amical et sinistre :
- Bonjour Herbert...
Herbert poussa un cri en reconnaissant la silhouette de Maréchal sous la lueur du réverbère !
- Ins... inspecteur...
Le signal de départ sonnait. Maréchal prit Herbert par le bras et monta avec lui dans la rame :
- Je sens que nous avons plein de choses passionnantes à nous dire, tu ne crois pas ?...
Jamais le trajet ne parut si long à Herbert...
Maréchal l'accompagna jusqu'à chez lui. Il avait déménagé : il avait quitté Rainure Saint-Polska et ses rues tortueuses ; l'endroit devenait trop malsain... Il fallut que l'inspecteur attende que Herbet ait fini ses courses à l'épicerie, et ressorte les bras chargés, pour aller l'interroger chez lui. Herbert suait dans l'escalier, pendant que Maréchal montait, les mains dans les poches. Il s'assit aussitôt dans un des fauteuils, les pieds sur une chaise, et pendant que son hôte rangeait ses provisions, il lui posa quelques questions.
- Que faisiez-vous à Rotor 17, dans ce hangar ?
Herbert, honteux et confus, vint s'asseoir.
- Je suis un peu de la bande au Somnambule, c'est vrai... Mais ce dernier ne veut plus me quitter, depuis que...
- Depuis quoi ?
- Depuis que nous l'avons sorti de son trou...
- Comment ça "nous" ?
L'inspecteur avait peur de comprendre.
- Bah, vous et moi... Du laboratoire...
- Du laboratoire Scientiste !
- Chuuuttt... ça ne se dit pas !
- Vous voulez dire que le Somnambule !...
- ... était le prisonnier de Rainure, oui...
Herbert se sentait terriblement gêné.
Mais pour une fois, peut-être pas autant que Maréchal, qui avait, pour retrouver la piste du "clown", fait libérer l'actuel ennemi n°1 de SÛRETÉ !
- Que faisait-il là-bas ?
Les mains de l'inspecteur tremblaient. Herbert lui servit un verre.
- Il était détenu... Je ne sais pas bien pourquoi... Il était seul dans ces geôles... Il avait réussi à accéder à une machine très perfectionnée.
- Depuis sa cellule ? Avant ?
- Non, il avait un terminal dans sa cellule... Il regardait dans cette machine. Il voyait des choses.
- Comment savait-il qui était le tireur du cirque ? Comment savait-il où je pouvais le trouver ?
- Je ne sais pas !... Enfin, si !... C'était en partie grâce à cette machine... Et aussi parce que le Somnambule a développé des talents hors du commun... On dit qu'il dort très peu, et surtout qu'il aurait comme des "visions". Des flashs de l'avenir !
Un voyant insomniaque braqueur ! De mieux en mieux !
- Tout ça, c'est vos délires, dit Maréchal en remettant son chapeau. Nous verrons bien si votre chef de bande va échapper longtemps à SÛRETÉ ! Je vous dis qu'il ne va pas voir venir sa chute...
Maréchal reprit le tram en direction de Rotor 17. La journée touchait à sa fin.
Avec Portzamparc, ils avaient convenu d'un système pour communiquer. L'inspecteur trouva une grande épicerie et y acheta une bouteille de bière. Il trouva un papier laissé par son collègue. Il paya, sortit et repartit au tram. Il se demandait franchement où, en ce moment, Portzamparc et Perce-Pierres se trouvaient. Il ne savait même pas comment s'était terminé la rencontre avec le Somnambule. Il n'y avait plus de lumière dans le hangar. Il était tard quand Maréchal arriva chez lui, dans les bâtiments de fonction en face du Quai des Oiseleurs. La journée avait été longue.
Le mot de Portzamparc signalait que le prochain braquage était prévu pour dans trois jours. D'ici là, ils allaient, lui et Perce-Pierres, trouver une planque et attendre, sachant qu'ils seraient surveillés par les hommes du Somnambule.
L'inspecteur descendit dans la loge de sa concierge, au chromatographe, et envoya un message à Weid. Il sentait la concierge qui essayait de lire par-dessus son épaule. Fatigué, inquiet pour Portzamparc, pour lui, pour le Somnambule, il alla se coucher et passa une nuit agitée. Et il n'y avait plus le bar chez Emma pour le consoler !