De leur côté les cops qui escortaient le maire filèrent vers Downtown toutes sirènes hurlantes et ne s'arrêtèrent qu'une fois arrivés à destination, lorsque que la porte de sécurité du parking souterrain de la mairie se referma. Tous les visages des policiers étaient marqués par la fatigue et aucun n'avait le coeur à discuter. Jen reprenait son souffle adossée à son véhicule, elle venait de passer plusieurs heures en communication permanente et prononcer un simple mot la faisait souffrir. Le maire Kristin Lane s'approcha d'elle avec un air peiné qui semblait sincère.
- Lieutenant ? J'ai entendu qu'un de vos hommes avait été touché, est-ce qu'il est... gravement atteint ?
Jen la fixa dans les yeux sans répondre, en continuant seulement de respirer lentement et profondément. Allen qui s'affairait sur l'ordinateur de la voiture pour se changer les esprits coupa le silence.
- Il a eu la tête arrachée.
- Je... Je suis sincèrement désolée. Reprit le maire à l'attention de Jen. Vous devez comprendre qu'il fallait que j'aille là bas...
- Je n'ai pas très envie de discuter de l'intérêt de cette opération maintenant.
- Oui bien sûr lieutenant. N'hésitez pas à venir me voir plus tard.
Attention sincère ou promesse politicienne, la différence importait peu à ce moment pour Jen. Avec un salut poli elle s'excusa et donna l'ordre de retour au central aux trois voitures restantes.
Il fut lugubre.
- Putain de masque...
La remarque de Costigan sur l'étrange destin qui semblait frapper les porteurs du masque Terminator fut la seule phrase prononcée pendant le court trajet.
Au central la plupart des policiers étaient déjà au courant des évènements. Tous ceux qui croisaient dans le parking ou les ascenseurs la route de l'équipe à la triste allure compatissaient en leur tapant sur l'épaule, dans un rituel au moins aussi vieux que les hommes.
Jen ne cessait de revoir la scène de la mort du détective Gene « Terminator » Corelli. Elle ne le connaissait pas personnellement, il faisait parti des agents qui était déjà dans le groupe Sigma avant qu'elle n'en prenne le commandement. Elle ne l'avait même jamais vu en dehors du travail sauf le soir où peu après sa prise de fonction elle avait invité tout le groupe à l'Opera/Crimson pour fêter sa nomination. Mais c'était un bon agent et un homme bien, de ce qu'elle avait pu en juger. Et enfin surtout c'était un de ses hommes. Sur un plan théorique elle savait bien que la situation se présenterait un jour, comme le Big One avait été certain avant d'arriver. Mais pas si tôt. Et comme les Angelinos, malgré la certitude elle se retrouvait abasourdie par la situation. Condamnée à ressasser ce qu'elle aurait pu faire autrement pour éviter ce drame.
Elle alla se réfugier dans son bureau, s'assit et se prit la tête dans les mains pour en chasser ces images. Sans prendre la peine de frapper le lieutenant Hawkins fit irruption quelques minutes après dans le bureau avec une bouteille de scotch à moitié pleine et deux verres fatigués, si usés qu'ils avaient dû déjà claquer sur les comptoirs à l'époque de la prohibition. Il rempli d'un seul geste les deux verres sur le bureau, en prit un et tendit l'autre à Jen.
- Buvez ça.
Elle regarda un instant dans le verre le liquide ambré tanguer et déborder puis le saisit. Il y avait dans l'injonction d'Hawkins tout à la fois l'impériosité du supérieur qui ordonne, la familiarité du frère qui console et la sagesse du médecin qui prescrit. Et le fait qu'il n'était pour Jen aucun des trois ne gâchait en rien l'offre. Elle but d'un trait son verre en même temps que lui et sentit aussitôt le feu dévaler sa gorge. Plus accoutumée à la fraicheur d'une bière ou au piquant du champagne, elle ne put s'empêcher de tousser sous l'assaut de la force brute du scotch.
Elle se leva et alla se servir un verre d'eau pour calmer l'incendie qui continuait d'embraser sa gorge. Elle souffla ensuite et se détendit un peu. Elle savait que les effets d'une telle consommation n'allaient pas tarder à se faire sentir et elle avait bien l'intention ne pas s'opposer à cette légère perte de contact avec la réalité. En attendant elle nota en reposant sa bouteille d'eau qu'une lumière rouge clignotait sur son fax où s'entassait déjà une petite pile de feuilles noircies d'écriture. Les erreurs de réception étaient courantes avec le vieux matériels dont le LAPD disposait, les renouvellements étaient systématiquement refusés faute de budget. Par pur réflexe elle relança la réception, récupéra la page qui sortit de l'appareil et la lut machinalement
Alors que ses yeux accéléraient leurs va-et-viens, elle commença à parler de plus en plus fort :
- Qu'est-ce que... bordel... mais c'est quoi cette merde !
Hawkins se leva inquiet.
- Qu'est-ce qui se passe Jade ?
Elle lui tendit la feuille et récupéra en toute hâte son portable dans son blouson.
- Je ne sais pas, un malade parle de s'en prendre à Anita.
Elle composa le numéro de son amie et attendit anxieuse une réponse.
- Allo ? Alicia ? Fit enfin une voix enjouée.
Peu de gens connaissait l'existence de son deuxième prénom si typiquement Américain, héritage de la volonté d'intégration de ses parents, et seule son amie s'amusait à l'appeler ainsi.
- Anita, est-ce que tout va bien ?
- Pourquoi tu me demandes ça ? Oui tout va bien. Et c'est toi qui devais m'appeler pour me dire comment s'était passée ton opération.
- Où es-tu ?
- Et bien je sors de chez moi, je vais à la voiture et je viens prendre mon service. Tu te rappelles que j'avais eu droit à quelques heures de congé pour service rendu à l'image de la police.
- Ecoute, dépêche toi de venir ici.
- Mais enfin qu'est-ce qui...
Au bout du fil Jen entendit un bruit sourd au moment où son amie s'interrompit, suivi presque aussitôt par le claquement de la chute du téléphone sur le trottoir.
- Anita ! Anita !
Les heures suivantes ne furent dans la mémoire de Jen qu'une succession d'images et de sons sans liens logiques. Déjà ébranlé par le choc de la mort de l'agent Corelli, l'équilibre biochimique de son cerveau sortit des normes lorsqu'elle comprit ce qui venait de se passer et il cessa brusquement d'ordonner les informations. Elle vit le lieutenant Hawkins l'entrainer hors du bureau, et les précipiter vers les ascenseurs. Elle l'entendit appeler Jet Allen. Elle vit les hommes en blanc affairés autour de la silhouette étendue de son amie avec à leur pied une marre de son sang s'écoulant dans le caniveau. Elle vit une femme se précipiter et le lieutenant Hawkins la retenir, elle entendit la femme crier. Il devait surement s'agir d'elle. Elle entendit le lieutenant Hawkins charger Jet Allen de diriger l'équipe et de retrouver le tireur. Elle entendit la femme pleurer dans le couloir du bloc opératoire. Elle vit le médecin à la blouse d'opération tachée de sang. Elle l'entendit qui parlait à la femme alors que le soleil était déjà couché. Elle vit son amie dans son lit, criblée de tuyaux. Elle entendit le souffle mécanique du respirateur artificiel. Elle vit le noir de ses paupières alors que le sommeil venait arrêter cette folie.
- Lieutenant ? J'ai entendu qu'un de vos hommes avait été touché, est-ce qu'il est... gravement atteint ?
Jen la fixa dans les yeux sans répondre, en continuant seulement de respirer lentement et profondément. Allen qui s'affairait sur l'ordinateur de la voiture pour se changer les esprits coupa le silence.
- Il a eu la tête arrachée.
- Je... Je suis sincèrement désolée. Reprit le maire à l'attention de Jen. Vous devez comprendre qu'il fallait que j'aille là bas...
- Je n'ai pas très envie de discuter de l'intérêt de cette opération maintenant.
- Oui bien sûr lieutenant. N'hésitez pas à venir me voir plus tard.
Attention sincère ou promesse politicienne, la différence importait peu à ce moment pour Jen. Avec un salut poli elle s'excusa et donna l'ordre de retour au central aux trois voitures restantes.
Il fut lugubre.
- Putain de masque...
La remarque de Costigan sur l'étrange destin qui semblait frapper les porteurs du masque Terminator fut la seule phrase prononcée pendant le court trajet.
Au central la plupart des policiers étaient déjà au courant des évènements. Tous ceux qui croisaient dans le parking ou les ascenseurs la route de l'équipe à la triste allure compatissaient en leur tapant sur l'épaule, dans un rituel au moins aussi vieux que les hommes.
Jen ne cessait de revoir la scène de la mort du détective Gene « Terminator » Corelli. Elle ne le connaissait pas personnellement, il faisait parti des agents qui était déjà dans le groupe Sigma avant qu'elle n'en prenne le commandement. Elle ne l'avait même jamais vu en dehors du travail sauf le soir où peu après sa prise de fonction elle avait invité tout le groupe à l'Opera/Crimson pour fêter sa nomination. Mais c'était un bon agent et un homme bien, de ce qu'elle avait pu en juger. Et enfin surtout c'était un de ses hommes. Sur un plan théorique elle savait bien que la situation se présenterait un jour, comme le Big One avait été certain avant d'arriver. Mais pas si tôt. Et comme les Angelinos, malgré la certitude elle se retrouvait abasourdie par la situation. Condamnée à ressasser ce qu'elle aurait pu faire autrement pour éviter ce drame.
Elle alla se réfugier dans son bureau, s'assit et se prit la tête dans les mains pour en chasser ces images. Sans prendre la peine de frapper le lieutenant Hawkins fit irruption quelques minutes après dans le bureau avec une bouteille de scotch à moitié pleine et deux verres fatigués, si usés qu'ils avaient dû déjà claquer sur les comptoirs à l'époque de la prohibition. Il rempli d'un seul geste les deux verres sur le bureau, en prit un et tendit l'autre à Jen.
- Buvez ça.
Elle regarda un instant dans le verre le liquide ambré tanguer et déborder puis le saisit. Il y avait dans l'injonction d'Hawkins tout à la fois l'impériosité du supérieur qui ordonne, la familiarité du frère qui console et la sagesse du médecin qui prescrit. Et le fait qu'il n'était pour Jen aucun des trois ne gâchait en rien l'offre. Elle but d'un trait son verre en même temps que lui et sentit aussitôt le feu dévaler sa gorge. Plus accoutumée à la fraicheur d'une bière ou au piquant du champagne, elle ne put s'empêcher de tousser sous l'assaut de la force brute du scotch.
Elle se leva et alla se servir un verre d'eau pour calmer l'incendie qui continuait d'embraser sa gorge. Elle souffla ensuite et se détendit un peu. Elle savait que les effets d'une telle consommation n'allaient pas tarder à se faire sentir et elle avait bien l'intention ne pas s'opposer à cette légère perte de contact avec la réalité. En attendant elle nota en reposant sa bouteille d'eau qu'une lumière rouge clignotait sur son fax où s'entassait déjà une petite pile de feuilles noircies d'écriture. Les erreurs de réception étaient courantes avec le vieux matériels dont le LAPD disposait, les renouvellements étaient systématiquement refusés faute de budget. Par pur réflexe elle relança la réception, récupéra la page qui sortit de l'appareil et la lut machinalement
Alors que ses yeux accéléraient leurs va-et-viens, elle commença à parler de plus en plus fort :
- Qu'est-ce que... bordel... mais c'est quoi cette merde !
Hawkins se leva inquiet.
- Qu'est-ce qui se passe Jade ?
Elle lui tendit la feuille et récupéra en toute hâte son portable dans son blouson.
- Je ne sais pas, un malade parle de s'en prendre à Anita.
Elle composa le numéro de son amie et attendit anxieuse une réponse.
- Allo ? Alicia ? Fit enfin une voix enjouée.
Peu de gens connaissait l'existence de son deuxième prénom si typiquement Américain, héritage de la volonté d'intégration de ses parents, et seule son amie s'amusait à l'appeler ainsi.
- Anita, est-ce que tout va bien ?
- Pourquoi tu me demandes ça ? Oui tout va bien. Et c'est toi qui devais m'appeler pour me dire comment s'était passée ton opération.
- Où es-tu ?
- Et bien je sors de chez moi, je vais à la voiture et je viens prendre mon service. Tu te rappelles que j'avais eu droit à quelques heures de congé pour service rendu à l'image de la police.
- Ecoute, dépêche toi de venir ici.
- Mais enfin qu'est-ce qui...
Au bout du fil Jen entendit un bruit sourd au moment où son amie s'interrompit, suivi presque aussitôt par le claquement de la chute du téléphone sur le trottoir.
- Anita ! Anita !
Les heures suivantes ne furent dans la mémoire de Jen qu'une succession d'images et de sons sans liens logiques. Déjà ébranlé par le choc de la mort de l'agent Corelli, l'équilibre biochimique de son cerveau sortit des normes lorsqu'elle comprit ce qui venait de se passer et il cessa brusquement d'ordonner les informations. Elle vit le lieutenant Hawkins l'entrainer hors du bureau, et les précipiter vers les ascenseurs. Elle l'entendit appeler Jet Allen. Elle vit les hommes en blanc affairés autour de la silhouette étendue de son amie avec à leur pied une marre de son sang s'écoulant dans le caniveau. Elle vit une femme se précipiter et le lieutenant Hawkins la retenir, elle entendit la femme crier. Il devait surement s'agir d'elle. Elle entendit le lieutenant Hawkins charger Jet Allen de diriger l'équipe et de retrouver le tireur. Elle entendit la femme pleurer dans le couloir du bloc opératoire. Elle vit le médecin à la blouse d'opération tachée de sang. Elle l'entendit qui parlait à la femme alors que le soleil était déjà couché. Elle vit son amie dans son lit, criblée de tuyaux. Elle entendit le souffle mécanique du respirateur artificiel. Elle vit le noir de ses paupières alors que le sommeil venait arrêter cette folie.