11-06-2010, 08:32 PM
(This post was last modified: 17-06-2010, 05:12 AM by Darth Nico.)
CHRONIQUES DES SABLES BRÛLANTS
La tempête de sable se dispersait enfin. Elle laissait le paysage à peu près intact. Les dunes s’étaient peut-être déplacées de quelques mètres. Qu’est-ce que cela changeait ? Les bêtes grognèrent quand on leur dit de se relever. Le chef de la caravane avait encore un mouchoir sur le nez, les yeux lui piquaient comme au reste de ses hommes.
- Longtemps que nous n’avions pas été surpris comme ça par une tempête, disait un soldat en recrachant du sable tant qu’il pouvait.
Le désert était redevenu paisible. Comme si rien ne s’était passé. Le ciel était lavé, le sable épuré, le vent soufflait, serein et majestueux, sur son royaume de douceur dorée.
- Vérifiez les attaches, les sangles ! Les harnais, surtout !... Passez de l’huile sur les essieux ! Resserrez les paquetages !... Allez chercher les caisses qui ont été emportés ! Dépêchons ! Le soleil est déjà haut et nous ne sommes pas encore arrivés.
Il était prévu qu’on s’arrêterait aux abords du ravin de Naren’Lad, où de hauts monticules et d’énormes pierres fourniraient suffisamment d’ombre. Deux jours avant, la caravane trouvé le puits d’Ant-Kashbar presque à sec. Ils n’avaient pu refaire qu’à moitié les provisions d’eau. Ce n’était pas la première fois que cela arrivait aux Ki-Rin, qui faisaient fréquemment le trajet ; pour la saison, c’était tout de même assez inquiétant.
- Bon, alors vous deux, comment supportez-vous le trajet ?
Le chef de la caravane traversait les Sables Brûlants depuis trente ans. C’était malgré cela la première fois qu’il emmenait avec lui des compatriotes de Rokugan, cet empire si lointain dont il ne verrait jamais la moindre parcelle.
Yatsume et Avishnar s’étaient abrités aussi vite qu’ils avaient pu derrière un des chariots quand la tempête s’était abattue sur le convoi. Ils avaient failli être étouffés ; ils avaient lutté contre le sable, vainement. Ils s’étaient enroulés dans les longues étoffes couleur terre, avaient fermé les yeux et, comme tout le monde, avaient attendu que ça se passe, recroquevillés.
- Remettez-vous à vos postes, leur dit-il sans méchanceté, de sa voix monocorde. C’est généralement dans ces moments-là que nous sommes vulnérables. Les saletés de pillards Pej’Neb pourraient bien en profiter pour nous attaquer...
Il cracha par terre.
- D’aucuns disent que ces fils de chiennes invoquent les djinns sur les caravanes qu’ils comptent attaquer.
- On sera là pour les recevoir, affirma Yatsume. Viens, Avish’, on va se mettre en position !
Le prince déchu suivit comme il put sa compagne, qui n’était jamais à bout d’énergie ; elle courait déjà comme une lionne alors que les hommes se tordaient encore de douleur et maudissaient les esprits du désert.
- Taisez-vous, ordonna leur chef, ce n’est pas en les injuriant que vous rendrez les djinns plus favorables !... Priez plutôt Shinjo qu’elle éloigne ces esprits malfaisants ! Et remuez-vous un peu ! Que vont penser nos ambassadeurs de Rokugan de votre comportement ! Qu’iront-ils raconter à l’Empereur à leur retour ?...
Yatsume regardait ailleurs…

Les rochers de Naren’Lad offrirent l’abri esperé. Ils étaient plus ensablés d’habitude. Cependant, l’air qui soufflait du ravin aurait vite fait de les dégager. C’était un gouffre au milieu du désert, de pierres rouges, blanches, rose, orange, avec des motifs de veines qui s’entrelaçaient à perte de vue. Les grognements des chameaux résonnaient dans cette ouverture immense ; des charognards passaient en bande au-dessus de la caravane, puis repartaient dans leurs nids. C’était un monde à part là-dedans, avec au fond une vallée d’herbe qui poussait le long de petits ruisseaux. Des troupeaux de zébus bien gras broutaient paisiblement, alors qu’en haut, c’était la chaleur, l’aridité, la solitude.
Les samuraï regardaient avec envie ce pays si lointain et si proche.
- Allons, se plaignait le chef, c’est chaque fois la même chose ! Vous rêvez d’aller paresser dans ces prairies, de vivre de la cueillette et d’aller danser au clair de lunes avec les esprits de la rivière ! Croyez-vous que Shinjo nous ait emmené à la découverte du monde pour que ses serviteurs se comportent comme des paresseux, des enfants gâtés ?...
Yatsume pouffa de rire en regardant Avishnar, qui n’avait pas compris.
- Allons, remettez-vous en selle ! Poursuivons notre chemin ! Debout, paresseux, debout ! Ohlalaaaa…
La longue plainte du chef était amplifiée par l’écho. Peu à peu, les hommes, découragés un moment, se remettaient au travail. Certains se mettaient à chanter, d’autres allaient en silence. Le crépuscule tombait ; on allait suivre maintenant les ombres qui s’étiraient de plus en plus longuement vers l’est, pour continuer la route de nuit.
Les hommes de peine remontaient sur les bâches ou dans les chariots. La plupart de ceux qui prenaient leur patrouille ne rêvaient que de dormir, tous leurs membres le demandaient et pourtant, non, il fallait y retourner.
- Chantez, si vous voulez ! Ohlalaaaa… Chantez si cela vous donne du courage et ne vous épuise pas !
Les hommes hésitèrent. Certains chantaient déjà. Ils entrainèrent quelques autres ; enfin quand la nuit fut bien noire, tout le monde entonnait une vieille complainte du désert, monotone. Yatsume chantonnait et Avishnar, qui ne comprenait pas les paroles, fredonnait aussi :
- J’ai traversé le désert sur un cheval sans nom. Ca faisait du bien de ne plus être sous la pluie… Dans le désert, tu ne te souviens plus de ton nom… Car il n’y a personne qui ne te fasse pas souffrir… La laaa lalalala lalala laaa la…

Ils avaient redouté pendant trois jours une attaque des pillards. Il n’y eut rien. Que des nuits et des nuits de paysages identiques ; l’impression décourageante de faire du surplace. Qu’est-ce que cela changeait d’être ici ou à une journée de marche plus loin ? Cette dune-ci ou les centaines qui suivaient ? Ces montagnes lointaines, nimbés de nuages, qui ne bougeaient pas. Elles ne s’approchaient ni ne s’éloignaient. Yatsume se souvenait d’avoir assisté petite à une pièce de no. Elle avait duré des heures. Une après-midi, qui avait paru des jours à la fillette. Elle retrouvait ces impressions, cette fixité mortelle, ces danses extrêmement lentes qui se distinguaient à peine de poses de statues. Les pierriers, les anciens lacs asséchés formaient ce même genre de ballets qui pourraient durer pour l’éternité. Les dieux avaient sculpté ce paysage et personne ne le changerait plus. Il était figé.

Les tours de Berr-eg-keber apparurent d’abord comme un mirage, un de ces mirages de montagnes qui apparaissaient au milieu du désert et ces illusions de dunes comme seul horizon après une étendue plate comme la main ! Des fausses dunes se mêlant aux vraies !
- Nous y sommes enfin, soupira le chef.
Sa voix était trainante, il avait toujours l’air de se plaindre. Il avait un visage triste, des yeux las de chien battu. En réalité, c’était sa manière d’être. Ses soldats ne le prenaient pas pour quelqu’un de geignard. Simplement, il épousait les plaintes de ses hommes, il les amplifiait et c’était sa manière à lui de leur redonner du courage. Il ne riait pas beaucoup ; quand il avait un petit sourire, les soldats savaient que c’était comme s’il s’esclaffait.
- Ohlalaaa, par Shinjo, donnez-nous à boire, gémit-il aux soldats de la famille Iuchi qui arrivaient à leur rencontre. Nous mourons de soif !
On ne savait pas bien s’il caricaturait les plaintes des autres pour se moquer d’eux ou s’il était sincère. En tous cas, il fut accueilli avec plaisir par les Iuchi.
- Nous espérons que vous avez fait bon voyage.
- Ohlalalaaa, oui, ouiiii…
Il s’étira et prit la tête du convoi. Il tenait son dromadaire par la bride, dit à Yatsume de venir.
Berr-eg-keber était un village de petites maisons en pierre au pied d’une petite falaise. Il pouvait y avoir quelques centaines de personnes qui vivaient dans cette région de terre noire, de hautes herbes sèches et de marécages au bord duquel broutait un maigre bétail.
Les Iuchi avaient construit quatre tours en pierre sur le terrain le plus sec. La caravane arrivait à leur campement, un village de tentes qui accueillait les visiteurs. De jeunes novices faisaient les fous avec des fils de bergers de la région.
Le doyen accueillit le chef de la caravane.
- Attends-moi dehors, Avishnou, j’ai à parler, fit Yatsume, empressée.
Le prince faillit s’énerver d’être laissé à l’écart ; il se souvint qu’il avait promis d’être gentil et patient avec celle qui lui avait sauvé la vie... Mais quand même ! Il vit un groupe de gamins qui riaient aux éclats en jouant avec des osselets. Il se souvint qu’il y jouait quand il avait leur âge. Il se dit que ce n’était pas plus bête qu’une autre occupation, que personne ne s’occupait de lui !... Il s’approcha des gamins, baragouina comme il put qu’il voulait se joindre à eux. On le regarda, méfiant ; le plus jeune du groupe, qui devait avoir quatre ans, le regarda et se mit à pleurer. Une mère arrivait, affolée. Les autres gamins lui lançaient des regards noirs. Avishnar tapa dans un caillou, dépité. Il maudissait les dix milles avatars et réincarnations de lui réserver un sort aussi ingrat !
A suivre...
