01-09-2010, 10:16 PM
(This post was last modified: 03-09-2010, 03:35 PM by Darth Nico.)
EXIL #12<!--sizec--><!--/sizec-->
Portzamparc entra dans la pièce nue. Kassan était assis de l’autre côté de la table, une jambe posée à l’horizontale sur l’autre. L’inspecteur s’assit, gêné par le regard gris et perçant du Somnambule. Il était dans la maison d’arrêt de la Cité, en attente de son transfert vers le Château.
Portzamparc alluma une cigarette, tendit son paquet :
- Non, merci, je ne fume pas.
L’inspecteur tira sur sa cigarette et demanda :
- Tu lis dans mes pensées ?
Kassan sourit.
- C’est déjà fait, inspecteur… Dès la première fois où je t’ai vu, où tu es entré dans mon repaire, habillé en Autrellien, j’ai su.
- Pourquoi n’avoir rien fait, alors ?
- J’ai su que tu étais un infiltré, ça oui, immédiatement. J’ai pourtant senti qu’il y avait plus. J’ai donc choisi d’attendre…
Après le procès, Portzamparc avait appelé son réseau :
- Le chef est au courant de ce qui s’est passé, lui avait dit le petit gros. Il est d’avis que Kassan nous envoie, enfin vous envoie, un message.
- Il a une idée derrière la tête, c’est certain.
- Ce qu’il faudrait savoir, c’est comment il a su que vous…
- Il est peut-être bien à la hauteur de sa réputation.
- Vous croyez vraiment qu’il lit dans les pensées des gens ?
- Je m’en assurerai quand j’irai le voir au Château.
- Il est encore dans la Cité pour quelques jours. Le chef est d’avis que vous n’attendiez pas.
Portzamparc avait raccroché, amusé au fond. Ce criminel qui sait tout de lui. Un chef de réseau inconnu. Une femme aimante. Drôle de vie.
- C’est ce qui vous met à part des criminels normaux, Kassan : s’ils avaient découvert qui j’étais, aucun n’aurait manqué de me tuer sur le champ.
- J’ai fini par comprendre… Par mon intuition, ou ma divination, comme tu veux… J’ai fini par dévoiler en toi le capitaine de Portzamparc… Les chasseurs polaires… Ta véritable infiltration…
Portzamparc tira sur sa cigarette, vraiment amusé. Le Somnambule abattait enfin son jeu. Le policier alla dans son sens :
- Et alors ?
- Alors tu vaux mieux que les autres flics de cette Cité, puisque tu n’en es pas vraiment un… Ta première mission comme espion de Sa Majesté a été de récupérer un jeton de Manigance, contenant des micro-films sur les plans d’attaque de la Marine lunaire [voir dossier #3].
- Vous me l’apprenez, j’ignorais ce que contenait ce jeton.
- Ensuite, après la mort de ton ami le capitaine, tu as repris sa mission. Tu as tué l’amiral de Villers-Leclos. [voir dossier #7]
Ce n’était pas une question mais une affirmation, donc Portzamparc ne répondit pas.
- Tu es quelqu’un d’une certaine trempe, « Jeff ». Et tu as un réseau derrière toi.
- La presse populaire n’a pas exagéré vos dons de voyance… A propos, dit le policier en consultant sa montre, nous n’avons pas toute la nuit devant nous. Les visites sont assez courtes.
- J’ai promis au gardien de lui révéler le nom de l’amant de sa femme s’il nous laissait du rab’. Il a topé quand je lui ai dit le nom de son fils et de la première fille avec qui il est sorti.
- Je vois. Donc nous avons le temps.
- Nous avons le temps, oui. Mais venons-en au fait. Je veux quitter cette Lune.
- Vous voulez partir prendre l’air sur Forge ?
- Oui.
- Si vous venez, vous venez sur Autrelles.
- Cela me va. Tant que je ne suis pas chez ces barbares de Kargarliens, et loin de la Cité.
- Vous comprenez que je dois en parler à mes supérieurs.
- Ils accepteront.
- Si vous le dites…
- Je serai transféré au Château dans trois jours. Je vais vous dire approximativement l’itinéraire que suivra mon convoi jusqu’au port…
- Vous allez vite en besogne.
- J’aime avoir quelques coups d’avance. A la Manigance, c’est comme ça qu’on fait, non ?
- Oui. Mais moi aussi, j’aime avoir au moins un coup d’avance.
Portzamparc nota l'itinéraire.
- Je vais voir ce qu’on peut faire pour toi…
Il prit sa veste et frappa sur la porte. Le gardien le laissa sortir, puis entra dans la cellule. Le cocu allait savoir !
L’inspecteur rentra chez lui. Il descendit au parlophone de l’immeuble.
- Il veut partir avec nous…
- Je vais en parler au chef, dit le petit gros. Sauf que c’est dangereux.
- Je vous rappelle qu’il sait presque tout sur nous.
- Vous êtes prêt à repartir sur Forge ?
- Vous voulez que j’escorte Kassan ?
- Il faudra commencer par le délivrer.
- Il m’a donné quelques indications…
- Je note.
- Il sera transféré dans deux jours, dit Portzamparc. Ce sera court.
- Il faudra bien que ce soit suffisant.
Le policier monta se coucher.
*
La passerelle était recouverte de grandes herbes jaunes.
- Saleté de perruque, hein, dit le mitier.
Maréchal avança de quelques pas, sans marcher sur les plantes. Le corps de l’ouvrier était adossé à la rambarde. Il avait été étranglé par les herbes qui lui avaient presque brisé la nuque.
- Surtout, dit le mitier, c’est à se demander comment on va le sortir de là. Faut pas toucher au corps mais faudra bien détruire ces saloperies au lance-flammes.
Maréchal approuva de façon impersonnelle.
Il avait reçu le matin un appel du Quai, de la part de la Crim’, qui demandait l’intervention de la Brigade Spéciale sur cette mort suspecte.
- Mort comment ?
- Etranglé par des « cheveux d’anges ».
- Pas de suspect ?
- Non, je me suis mal exprimé, avait dit son collègue, on ne s’en est pas servi pour l’étrangler. Ce sont les « cheveux d’anges » qui l’ont attaqué.
- Oui, c’est différent… Quel quartier ?
- Sélène.
- Je vais aller voir, avait promis Maréchal.
Des plantes tueuses, pourtant pas carnivores.
L’ouvrier avait voulu traverser la passerelle, il avait été attrapé à la cheville. Il était tombé puis les plantes l’avaient proprement tué.
Elles avaient débordé de la passerelle. Au matin, les mitiers avaient brûlé ce qui dépassait.
- Qui a bien pu traiter ces plantes pour en faire des tueuses ?...
Maréchal regarda sa montre : le SHC était faible (2), mais l’IEI était monté à 7, et surtout le Remodelage Urbain Scientiste était à 6 !
L’inspecteur referma sa montra, pris d’une haine sourde. Il y avait quelque part dans l’acier et la brume, un Scientiste, le professeur Heindrich, son tortionnaire, qui avait le pouvoir de jouer avec la Cité.
- Je fais une affaire personnelle de ce meurtre.
Le mitier, surpris par la détermination rageuse de l’inspecteur, se contenta de hausser les sourcils et d’approuver, intimidé.
« De ce meurtre et des autres à venir si je ne te retrouve pas bientôt, salopard… »
L’inspecteur quitta le quartier. Les plantes n’étaient pas enracinées sur la passerelle. Elles étaient montées d’un quartier inférieur. Une grande volée de marche permit à Maréchal d’y accéder. La plaque indiquait : « Tiléon – quartier désaffecté . Vous entrez à vos risques et périls.»
Un Pandore gardait l’entrée. C’était le cas de dire qu’il prenait racine : le bloc entier était recouvert des cheveux d’anges. Le Pandore avait un lance-flammes à ses côtés en permanence.
- Heureusement, elles n’avancent plus, dit-il. Au moindre mouvement, je les crame ! Mais le pire c’est qu’elles repoussent vite ! Et je crois que plus vous les brûlez , plus elles prennent de la vigueur… Donc l’un dans l’autre, autant les laisser dormir hein…
RUS 8 ! Du beau travail…
Des familles avaient vécu dans ce bloc, des commerçants, des ouvriers. Aujourd’hui, c’était une jungle jaune, épaisse et mortelle. Les plantes étaient remontées à Sélène par une colonne centenaire et s'étaient accrochées à la passerelle.
On devinait combien le Pandore pouvait avoir peur. Des heures face à cet endroit inhumain, c’était comme se mettre la tête dans la gueule du fauve.
Maréchal s’arrêta dans le bloc voisin, appela d'un bistrot. Il appela Nelly :
- Je ne pourrai pas te voir ce soir… Non, je suis désolé, j’ai beaucoup de travail…
Il n’était pas d’humeur à se plier en quatre pour s’excuser. Il avait besoin d’être seul. Il marcha dans les rues, en essayant de se souvenir où, par le passé, il avait déjà rencontré ces plantes. Ce n’était pas dans les profondeurs de la Cité...
il entra dans le premier bureau de poste.
- Vous avez un plan intégral ?
La jeune postière, qui lisait un magazine de mode, lui apporta les trois volumes du chef-d’œuvre de CADASTRE : le plan complet de la Cité, remis à jour chaque année.
Maréchal s’assit, se plongea dans les milliers de cartes, plans et schémas du volume 2. Il cherchait du doigt, impatient et sûr de lui à la fois. Le plan intégral, il l’avait pour ainsi dire dans la tête depuis ses jeunes années ! Il feuilletait, affairé, allait et venait dans le grand index, prenait quelques notes à la volée. Il corrigeait même mentalement les quelques imprécisions qu’il rencontrait.
- La station secondaire Granar-Léonski a ouvert en 193, messieurs, pas en 190.
Il transmettrait ses critiques à Svensson ! Que ces ingénieurs se remuent un peu pour corriger leurs plans !
Il referma le volume.
- Non, ça ne va pas.. Mademoiselle, ce volume est trop récent ! Vous n’en avez pas un plus ancien ?
C’était la première fois qu’elle entendait cela. D'habitude, ce sont les clients qui se plaignent sans arrêt que c’est l’édition de l’an passé et qu’il y a un escalier qui a changé !...
Elle passa dans la remise, où s’entassaient les vieux volumes :
- J’ai 205 si vous voulez. Ou celui d’il y a 4 ans, 204…
Maréchal arriva dans la petite pièce arrière et la poussa gentiment. Il se mit à fouiller dans la pile poussiéreuse. Puisque c’était comme ça, elle retourna lire !
Elle feuilleta avec empressement pour se donner une contenance, pendant que l’inspecteur remuait les gros blocs de papier.
- ...là !
Il avait dû aller au fond du tas mais il avait trouvé l’antiquité qu’il cherchait : le volume de l’année 168, il y a quarante ans !
- Dites donc, je croyais pas qu’il existait encore celui-là, dit employée.
- Il vaut de l’or !
On avait du mal à le croire, en voyant ce vieux volume rongé et moisi par l’humidité. Maréchal s’humecta le doigt. Il tourna fébrilement les pages.
- Voilà !
Elle le prenait pour un toqué d’architecture. Ce n’était pas tout à fait faux.
- Je ne sais pas si vous pouvez l’emprunter, hein… Ce n’est pas une bibliothèque ici…
- Je vous le laisse.
L’inspecteur avait discrètement arraché une page. Il la glissa dans sa poche, partit.