20-03-2011, 02:45 PM
(This post was last modified: 20-03-2011, 10:54 PM by Darth Nico.)
CHRONIQUES DE L'EMPIRE D'ÉMERAUDE
La terre grasse et humide grouillait de vermines blanches. Il était impossible de la brûler à cause d'une bruine persistante qui trempait tout. Par certains endroits, le sol gonflait, semblait vivre d'une vie monstrueuse ; des cloques étaient prêtes à exploser. A tout moment, les samuraï pouvaient être engloutis dans un nid de ces vermines et mourir étouffés, dépecés par des myriades de créatures innommables.
L'Inquisiteur Tadao passait le premier, devant les rônins volontaires, les paysans armés à la va-vite et un contingent de vétérans Crabes.
Un hurlement retentit dans le dos du groupe : les Crabes se mirent en défense, face à une sortie de zombies. Ils surgirssaient de terres, aveugles et assoiffés de sang, guidés par leur odorat et sautèrent sur les humains, avides de leur ouvrir le crâne. L'Inquisiteur courut à l'arrière avec Goemon et Yasashiro. Yatsume fut chargée de prendre la tête des rônins. D'autres zombies sortaient devant eux. Notre héroïne montra l'exemple en tranchant dans les chairs putréfiées et son exemple galvanisa ses hommes. En hurlant le nom de l'Empereur, ils enfoncèrent la troupe de morts-vivants. L'Inquisiteur déchaînait le pouvoir du feu et du jade pour abattre ces hordes.
A une centaine de pas, une dépression apparaissait : c'était le nid de monstres signalé par les pisteurs, qui avait convaincu Tadao de lancer cette nouvelle attaque.
Yatsume cria à ses troupes de la suivre au pas de charge. Derrière, les Crabes tranchaient les zombies qui voulaient prendre les rônins par derrière. Plusieurs paysans armés de torches jetèrent celles-ci dans le nid : aussitôt, cette matière purulente et vomissante s'enflamma et un geyser d'insectes jaillit, affolé, dévoré en vol par les flammes. Un tourbillon de poussière s'agglutinait de l'autre côté du nid : un gigantesque guerrier, haut comme trois hommes, se formait, carcasse d'os, de bras et de jambes grotesque, équipé d'une armure d'os et de lames aiguisées. Yasashiro monta à l'attaque pour épauler Yatsume : nos deux héros s'attaquèrent au guerrier en os mais durent reculer devant l'avalanche de coups. Plusieurs paysans furent mutilés, certains tranchés en deux par les cotes, les lames et les griffes que ce monstre faisait pousser en tous sens. Alors que l'Inquisiteur ordonnait le retrait, un rônin fut attrapé par un bras démesuré du monstre et entraîné vers la gueule aux dizaines de dents de sabres. Yatsume se précipita pour le sauver, mais un autre bras du monstre abattit sur elle une énorme lame. Notre héroïne dut plonger sur le côté. Elle s'enfonça dans le sol meuble, assailli par quatre zombies. Yasashiro accourut avec son tetsubo et leur fracassa le crâne. Yatsume se releva ; le rônin pris par le monstre se faisait démembrer.
Nos deux héros aidèrent à la retraite. Tout le monde fit cercle autour de l'Inquisiteur. Celui-ci prépara un rituel de purification, pendant que les combattants repoussaient d'autres squelettes et des zombies rapides comme des fauves. L'Inquisiteur lança alors une vague enflammée qui emporta les monstres et les carbonisa. Tadao invoqua ensuite un tetsubo de jade pur et fit face au monstre en os. Avec l'aide des meilleurs, Yatsume, Yasashiro et les vétérans, ils brisèrent ses membres et l'achevèrent en le martelant impitoyablement.
Les guerriers étaient à bout de souffle et transpiraient abondamment. Ils avaient fait éclater le monstre en mille morceaux !
- Il a son compte, souffla Tadao. Rentrons.
Un disciple de l'Inquisiteur mit le feu au nid et amplifia encore les flammes, qui passèrent sous terre et ravagèrent plusieurs taupinières. Les humains reculèrent pour ne pas être pris par un retour de flammes. Plusieurs geysers jaillirent, expulsant des monstres noircis et bientôt, le lieu de la bataille se transforma en marmite infernale.
Les guerriers revinrent à la Muraille à marche forcée. Une fois à l'abri derrière le rempart invincible, ils retirèrent leurs casques. Les femmes arrivaient avec de l'eau et des onguents. L'Inquisiteur se fit enlever son armure et but à un cruchon de vin.
- Ceux-là n'y reviendront pas de sitôt...
On emmenait les blessés sur des civières. L'incendie s'éteignait doucement dans l'Outremonde, étouffé par l'effondrement du terrain.
Tadao se renversa un plein baquet d'eau tiède pour se nettoyer et se rafraichir. Il était couvert de secrétions démoniaques et la chaleur était devenue intenable près du nid.
La neige avait fondu de l'autre côté de la Muraille, mais dès qu'on s'en éloignait, on revenait dans l'air froid d'hiver. Les hommes se rhabillaient. Tadao veillait à ce que tout le monde puisse avoir une fourrure sur le dos.
- Nous avons bien mérité une bière, dit Goemon.
- Comme tu dis, soupira Tadao.
Par la porte sud de la ville, ils virent arriver une troupe du shinsen-gumi. L'Inquisiteur était décidé à les ignorer.
- Sales fouinards...
Il était évident qu'ils ne venaient pas pour se battre sur la Muraille !
Seulement, c'était bel et bien pour lui qu'ils venaient :
- Inquisiteur, vous êtes demandé immédiatement. Nous sommes chargés de vous escorter.
- M'escorter dans ma propre ville !
- Ce sont les ordres.
- Et où ça je vous prie ?
- Devant notre commandant.
Humilié, rouge de colère, Tadao serra les poings. Il dit à Goemon :
- Tu t'occuperas de faire payer les hommes.
- Seigneur, dit le garde du corps, faut-il vous accompagner ?
- Non, ce ne sera pas utile, grogna l'Inquisiteur. Fais comme je t'ai dit.
- D'accord, dit Goemon, qui était prêt à étrangler les soldats du shinsen-gumi.
Ceux-ci, mal à l'aise devant ce féroce et marmoréen garde du corps, demandèrent à Tadao de se dépêcher.
Yatsume arriva et demanda à Goemon ce qui se passait :
- Rien de bon je le crains, dit le Crabe en crachant par terre. Si mon maître n'est pas ressorti ce soir, j'irai le chercher moi-même. Et je crois que je ne serai pas le seul à vouloir le délivrer.
- Tu pourras compter sur moi, dit Yasashiro.
D'autres Hida approchaient, pour marquer leur solidarité. Ils n'attendaient qu'une petite erreur du shinsen-gumi pour investir leurs quartiers et leur tomber dessus comme la misère sur le monde.

La neige tombait, molle, monotone, en rideaux épais de mouches blanches. Chaque pas s'enfonçait profondément dans l'épaisseur qui était tombée depuis la veille. Quelques rares oiseaux passaient dans le ciel entièrement gris.
Yojiro et Sasuke; avec l'éclaireur Hiruma et les deux soldats Matsu, entraient dans le plus haut village de ces montagnes, à peine quelques maisons et un gros cabanon pour les chèvres. C'était une grande famille qui vivait ici, entre cinq maisons collées les unes aux autres, comme si les bâtiments eux-mêmes se blottissaient pour se protéger du grand air.
Nos deux héros entrèrent se réchauffer. La famille les accueillit humblement. Sasuke fit quelques gestes et le feu timide prit de la vigueur. Le mauvais air humide fut chassé et une bonne chaleur sèche emplit la maison. Les paysans se mirent à genoux, ne sachant comment remercier.
Sasuke récita une petite prière pour le village. Ils burent de la grosse soupe et se renseignèrent sur les sentiers vers les sommets.
- Bien peu sont praticables en cette saison, seigneur. Nous n'irons pas avant la grande fonte... La montagne est habitée par les esprits en cette saison. Nous ne pouvons pas les déranger.
- Je vois, dit Sasuke en soufflant sur sa cuillère.
Comme le soir tombait, les deux samuraï s'installèrent dans la plus petite maison du village, dont la famille déménagea et se répartit entre les autres. L'éclaireur et les Matsu se répartirent entre les familles. Sasuke refit du feu, traça une rune de protection puis s'endormit d'un coup. Yojiro ne tarda pas à l'imiter.
Au réveil, il faisait un ciel bleu magnifique qui faisait briller la neige parfaitement plane. Sasuke demanda à Yojiro de sortir pendant qu'il préparait un rituel pour les esprits de l'Air.
Le rônin alla faire des exercices dehors avec les soldats. Un vent violent s'engouffra dans la bicoque où ils avaient dormi, fit claquer le volet et grincer le toit et les murs. Soudain, un mur gonfla, se tordit et toutes les planches éclatèrent vers l'extérieur.
Sasuke sortit, les cheveux en bataille. Il tapait sur ses manches :
- Bon, ce n'est pas tout à fait ce que j'attendais...
Yojiro ne fit pas de commentaire. On sentait que le shugenja n'avait pas tout à fait réussi son rituel ! Il ne parlait pas souvent aux esprits de l'Air...
- Je leur ai demandé où pouvait se trouver une grotte dans les sommets... J'ai eu quelques visions floues. Je vais demander aux gens s'ils savent, dit Sasuke.
Il décrit aux paysans ses visions. Ceux-ci hochèrent la tête et dirent qu'ils connaissaient la grotte en question.
- Mais en cette saison, il n'y a personne là-haut. Que des esprits et des animaux féroces. Et les animaux féroces ne sont pas les plus dangereux !
Sasuke récita une autre bénédiction pour le village puis on se mit en route.
La pente était raide, l'ascension était encore plus difficile à cause de l'épaisse nuage. Une brume persistante nimbait ces hauteurs. Des plaques verglacées brillaient sous le soleil pâle, de lourds craquements résonnaient dans ces solitudes figées. De gros paquets de neige se détachaient de temps en temps.
Un sifflement strident partit d'un rocher : un des Matsu reçut une flèche en pleine gorge et s'effondra. Nos héros tirèrent leurs sabres et coururent vers un rocher. Un rônin jaillit de la neige et frappa dans le dos l'éclaireur Hiruma. Sasuke, Yojiro et le dernier Matsu se retournèrent et le Matsu abattit le meurtrier de son camarade.
Les trois samuraï s'adossèrent au rocher et regardèrent les corps de leurs deux compagnons. Ils haletaient, frémissants de rage. Il y avait un archer embusqué quelque part, et ils pouvaient faire, en ce moment même, de parfaites cibles. Yojiro entendit des pas derrière un rocher plus haut. Il fit signe qu'il allait courir débusquer le tireur. Le Matsu encocha son arme, et Sasuke enflamma son poing. Yojiro jaillit à découvert et monta la pente comme un loup féroce ; l'archer surgit, voulut tirer, mais vit qu'il n'aurait pas le temps. Il lâcha son arc et tenta de détaler. Yojiro était presque sur lui. Sasuke projeta une boule de feu qui frappa le rônin au coeur. Yojiro s'arrêta au rocher. Deux rônins sortirent de la neige : le rônin en attaqua un ; l'autre allait le frapper. Yojiro se jeta dans la neige, roula, dégringola une partie de la pente. Quand il se releva, dix mètres plus bas, étourdi, il vit que son second ennemi avait été abattu d'une flèche du Matsu.
Les trois samuraï se rejoignirent, à l'abri d'un rocher. Ils continuèrent à monter, de couvert en couvert. Plus rien ne remuait.
- Là-haut, dit Yojiro, essoufflé, la grotte...
L'entrée était en partie bouchée par la neige. Sasuke dit que lui et Yojiro entreraient, tandis que le Matsu attendrait à l'extérieur. Il restait quarante pas à monter. Ils coururent et arrivèrent devant l'entrée.
- On dirait bien que nous sommes venus à bout de tous les tueurs de Nuage, dit Yojiro.
- Méfiance, dit Sasuke, cette grotte ne doit pas être inhabitée... J'en mettrais ma main... à l'eau !
Le Matsu se posta devant l'entrée, son arc à la main.
Sasuke passa le premier dans la grotte, une flamme dans la main. Yojiro marchait à reculons, en garde.
Ils parcoururent un boyau étroit, tortueux. Une lueur bleutée nimbait ces murs humides et tout lisses. Des gouttes d'eau tombaient de centaines de stalactites qui hérissaient le plafond.
Le boyau s'élargissait peu à peu, et la lueur bleue devenait une lumière aussi brillante que la lune. Ils entrèrent dans une large caverne, où se tenait la chose la plus surprenante que nos héros aient vu.
Un énorme diamant, gros comme une table, aux milliers de facettes, qui luisait -nul besoin d'être shugenja pour le deviner - d'une puissante magie. Fasciné, Sasuke s'approcha. Yojiro, qui n'avait nulle confiance dans un artefact d'une taille démesurée se trouvant dans des montagnes perdues, à un jet de pierre de l'Outremonde, lui tourna le dos et surveilla l'entrée.
Le shugenja, lui, ne pouvait résister à la magie toute puissante qui se dégageait de cette pierre. Il sentait que c'était les esprits de la Terre qui animait ce diamant. Frémissant, il mit les mains au-dessus de la pierre. Des reflets changèrent de couleur, passèrent au blanc ou au mauve. Notre héros se concentra pour parler aux esprits qui grondaient. Il était pris d'un vertige irrépressible.
Il regarda dans la pierre et discerna un paysage, recomposé en une vision kaléidoscopique par les innombrables facettes. Bientôt, en se concentrant, en regardant dans le vague, la vision fragmentée lui apparut parfaitement nette. Il voyait un paysage de neige, vu à vol d'oiseau, si réel que notre héros crut qu'il allait tomber.
Il vit le sol se rapprocher, et vit le Matsu en garde devant la grotte ! Etourdi, Sasuke recula, sortit de cette vision. Il voyait flou, brillant. Il se frotta les yeux. Il devait continuer ! C'était ça, il comprenait !... Les pendentifs en cristal qu'utilisent les conspirateurs, ils viennent de là ! Ils voient et communiquent grâce à ces pierres magiques ! Et elles viennent de cet énorme diamant, qui par conséquent permet de tout, tout voir !
Sasuke se replongea dans la vision : le Matsu veillait devant la porte. Sasuke se concentra pour penser au village : la vision se modifia, et le village apparut, avec les paysans qui reconstruisaient la bicoque à moitié soufflée par sa faute !
Il continua son voyage, regarda le village précédent. Il se promenait dans les montagnes, pris d'une ivresse des sommets. Ce n'était pas assez : Sasuke se concentra encore, et vit sa chambre au palais Hida. La servante faisait le ménage. Et lui voyait cela comme s'il était un insecte au plafond ! Mitsurugi était dans le jardin, en train de faire des exercices au bokken ! Sasuke ne pouvait pas lui parler mais il pouvait le voir !
Noyuki en train d'écrire dans sa chambre, Kokatsu dans son bain !...
Sasuke recula, terrifié et ravi.
- Tout va bien ? demanda Yojiro.
- Oui, tout va très bien...
Sasuke respira profondément. Il fallait emmener ce diamant, il fallait faire monter des mules, un attelage, des...
Il se rapprocha et regarda encore : le palais Hida, bruissant de vie. Des courtisans qui discutaient... Maintenant il comprenait un peu comment manipuler la vision, avec des gestes, comme on déplacerait des panneaux laqués en tous sens.
Il voyait la Muraille, les soldats qui faisaient leur ronde. Il essaya de regarder l'Outremonde mais la vision se brouilla complètement. Il crut alors avoir "abîmé" le précieux diamant. Affolé, il le "manipula" maladroitement et, d'un coup, fut de retour "sur" une rue de la capitale Crabe. Rassuré, il revint sur la cour principale du palais.
Son coeur tapait fort, il avait des suées. Il déglutit et tenta la plus audacieuse recherche, comme un gamin qui va tenter la plus grosse bêtise imaginable : la Cité des Mensonges ! La bibliothèque du palais Bayushi !
Sasuke prit une profonde inspiration, se concentra. Il repensa à la Cité, où il était passé brièvement avec Mitsurugi du temps de l'affaire du pot aux mille kokus. Cela suffisait, c'était simple, trop simple ! La ville des Scorpions apparaissait, ses rues grouillantes, les ponts, la baie... Le palais Bayushi et bientôt, une bibliothèque, dans laquelle lisaient plusieurs vieillards. Il y était, l'endroit le plus sacré, le sanctuaire, le rêve de tout shugenja ! La citadelle de tous les savoirs ! La grande bibliothèque Bayushi !
A ce moment, il dut reculer, pris de nausée. Il crut qu'il n'allait pouvoir se retenir. Il s'assit. Yojiro courut :
- Qu'avez-vous !
Il grelottait et suait.
Yojiro écouta ses palpitations, toucha son front.
- La fièvre... Mauvais ça... C'était à prévoir ! Il va falloir rentrer, Sasuke-sama, vous soigner !
Sasuke se releva :
- Non, non, ça va passer... Moi la fièvre, je la brûle, sourit-il...
- Il faut aller voir un guérisseur. Il y en a dans tous les villages par ici.
- Ça ira je te dis !... Ecoute, tu vas aller chercher de quoi emmener ce... ce diamant ! Moi je vais rester, le protéger !
- Vous voulez l'emmener !
- Un attelage, des mules... Tu vas tout trouver !... Hâte-toi !
Yojiro s'inclina et partit en courant. Sasuke voulut retourner voir le diamant. Ses jambes ne le portaient plus. La paralysie remontait. Il ne sentait plus ses membres, la tête lui tournait. Il avait la gorge serrée, il sentait la mort monter en lui, fulgurante.
Un cri -c'était Yojiro !
Sasuke fit un suprême effort pour se relever. Un vieillard entrait, un vilain vieillard aux petits yeux presque blancs. Le shugenja tremblait, tendait la main vers lui.
- Dans quel état te voilà, ricana le petit vieux au regard dénué d'humanité.
Le malaise de Sasuke se dissipait mais il ne tenait pas sur ses jambes.
- Tu n'as pas l'entraînement requis pour jouer avec cela, dit le vieillard en tendant sa canne en grosse racine vers le diamant. Il faut des années avant de pouvoir utiliser l'Oeil de l'Oni, jeune homme...
- Qui es-tu ? qui... es-tu ?...
Les lèvres de Sasuke tremblaient, ses yeux roulaient dans ses orbites. Il tremblait de plus en plus fort. Il tomba, pris de convulsions irrépressibles.
Le vieillard s'approcha tout près de lui et murmura :
- Je m'appelle Rêve. Et toi, Sasuke, tu es ma créature...

Horrifié, Sasuke essaya de se relever. Le petit vieux alluma une pipe, moqueur face aux efforts désespérés du shugenja.
- Toute ta magie ne peut rien contre ce que je t'ai fait, mon petit...
Il alluma sa longue pipe et s'assit sur une grosse pierre.
- Allons cela, suffit.
Il prononça un mot dans une langue inconnue, claqua des doigts. D'un coup, les tremblements de Sasuke s'arrêtèrent. La fièvre retomba, le vertige disparaissait, mais il ne pouvait plus se relever. Il restait adossé à la paroi, entièrement sous le contrôle de ce vieillard.
Celui-ci considéra le shugenja :
- Tu ne te souviens pas de moi, car j'ai tout fait pour. Ta mémoire n'est que celle que je veux bien que tu aies... Sache que je possède un langage secret, qui me permet de manipuler comme je veux ton esprit, comme je le ferais d'une partie de go ou d'une pièce de théâtre. Tu ne comprends pas ces signes, mais ton esprit profond, lui, y obéit, malgré toute ta volonté. Aucun sort ne peut rien contre cela.
"C'est la raison pour laquelle tu ne peux invoquer aucun pouvoir contre moi, Sasuke...
- Qui êtes-vous ?
- Ton éducateur. Ton professeur. Ta conscience. Ton père adoptif. Ton maître. Choisis le mot qui te convient le mieux.
"Je t'ai "adopté" alors que tu n'avais pas trois ans...
Sasuke voulut protester, n'y parvint pas.
- Ton destin était écrit dans les étoiles. C'était le maître Nuage de l'époque qui l'avait lu. Il est mort en voyant l'espoir que tu représentais pour "nous".
- Votre conspiration... jamais je ne...
- Tais-toi. C'est trop tard pour toi.
Je parlais du vieux Nuage. Il m'a transmis le secret -ton secret. Un enfant béni entre tous, appelé à devenir le plus puissant des shugenjas de son temps. Le maître du feu, capable de renverser une armée à lui seul... Et pourquoi pas l'Empereur...
- Non, non...
- Je t'ai donc fait prendre à ton dojo, où tes dons comme tensaï ne seraient pas découverts avant au moins trois ans. Et tu as séjourné chez moi. Je devrais dire chez nous.

Le petit vieux rebourra sa pipe, tira dessus patiemment et continua :
- Mon ami Nuage ne s'était pas trompé. Quand tu es arrivé dans notre temple secret, tes dons prodigieux nous sont apparus immédiatement. C'est alors que j'ai modelé ton esprit pour que tu deviennes, le moment venu, un agent parfaitement obéissant, plus obéissant que le plus dévoué des Scorpions. C'est ainsi que j'ai planté en toi certains mots d'ordre, destinés à te "réveiller" au moment venu... Au moment de frapper l'Empereur. Qu'en dis-tu ?...
Rêve tira sur sa pipe, un éclair de cruauté dans l'oeil.
Sasuke ne pouvait rien dire. Les mots restaient coincés dans sa gorge.
- Ce que tu as devant toi est, tu l'as compris, l'Oeil de l'Oni. L'artefact antique qui nous permet d'espionner à notre guise n'importe quel endroit au monde. Nous voyons, nous entendons, tout ce qui nous plait. Rien n'échappe à notre vigilance, rien ne passe inaperçu. Mais il faut de l'entraînement pour regarder dedans sans dommage. L'actuel maître Nuage est celui qui maîtrise le mieux l'Oeil, mais moi-même, je ne m'en sors pas mal -car il n'y a même pas besoin d'être éveillé à la magie pour l'utiliser, tant son pouvoir est puissant ! C'est un Oeil véritablement divin. Les superstitions anciennes l'ont nommé "oeil de l'oni" mais son pouvoir n'est en rien lié à l'Outremonde. Par contre, il était impensable qu'un trésor unique comme celui-là tombe entre les mains grossières des Crabes. Quand "nous" avons appris que Hida Osano-Wo avait trouvé cet objet, "nous" avons" décidé de le soustraire. Et pour cela, nous l'avons fait assassiner.
"Les Crabes y ont gagné une fortune, les bushis une divinité protectrice, et nous, l'arme la plus puissante qui soit. Tu écoutes encore ?... Je crois que oui. Je vais parler de ce qui t'est arrivé à présent, depuis ce jour où toi et tes amis avez fort imprudemment mis le pied sur l'île de mon bon ami Cristal...
"Ce jour a scellé votre destin. Cristal a organisé dans l'urgence votre déchéance. Sur le moment, j'ai trouvé sa décision précipitée mais, ma foi, avec le recul, je pense qu'il a eu raison... Vous êtes très bien, Mitsurugi et toi, chez les Lions -ainsi l'a voulu le hasard, ou le destin, comme on veut -car l'Empereur n'a confiance en aucun clan plus que dans celui-là. Dès lors, tu seras le mieux placé pour approcher ce cher Hanteï. Un Lion pour frapper ! Comme tout se résout bien finalement, c'est admirable !
- Quand j'étais petit, articula Sasuke, tu n'a pas pu me faire enlever...
- Cela n'a duré que quelques jours. On a juste cru que tu avais une mauvaise fièvre. Qu'un bon grand-oncle guérisseur t'avait remis sur pied. Ce n'était pas faux en un sens.
- Tous les senseï du clan Phénix sont complices ?...
- Non, ce serait trop visible. Trop grossier. Nous sommes plus subtils tout de même. Par contre, nous avons eu besoin, par le passé, d'en éliminer certains. En fait, nous avons, comme tu t'en doutes, l'oreille de nombreux membres du Gozoku, qui nous croient juste un peu plus zélés qu'eux pour diminuer les prérogatives de l'Empereur. Tout cela pour te dire qu'à une occasion, nous n'avons pas eu de mal à t'utiliser pour détruire certains senseï Phénix récalcitrants face au Gozoku.
- Ils étaient... contaminés par l'Outremonde...
Rêve ricana doucement, vida sa pipe par terre.
- A présent, tu vas retourner en ville, et jouer gentiment au courtisan, boire et t'amuser tant que tu veux, et oublier tout ce qui s'est passé. Tes camarades sont morts dans une avalanche, tu en as réchappé de peu. Et dans quelques jours, le dernier soir du carnaval, dernier soir de la cour d'hiver, tu accompliras enfin ce pour quoi je t'ai formé : tu assassineras enfin ce petit Hanteï qui se croit divin, et qui rôtira comme un poulet quand tu le frapperas !
- Non, non...
- C'est écrit, Sasuke. Et pas écrit dans les étoiles, non... Ecrit dans ta tête !
Rêve ricana.
La terre se mit à trembler. Le vieillard se leva, inquiet. Sasuke retrouvait peu à peu l'usage de ses membres. Le grondement s'amplifia. La caverne trembla. On entendit des stalactites se décrocher, tomber en tintinnabulant.
- Cette région n'a jamais été sujette aux tremblements de terre.
Sasuke pouvait tenir debout. Il était encore engourdi mais il sentait les esprits du Feu revenir à lui. Il allait se concentrer et frapper mortellement, au bon moment. Il fit semblait d'être pris de mollesse, se rassit.
Un tremblement plus puissant secoua la montagne. Un fracas énorme, une avalanche au-dehors. Rêve regarda vers l'entrée. Une traînée de feu partit du boyau et le frappa au ventre. Le petit vieux fut jeté par terre.
Akuma entrait, ses cheveux en flammes, ses yeux palpitant de grosses gouttes de sang qui ne coulaient pas, sa peau cuivrée comme chauffée de l'intérieur.
- Sasuke, gronda l'ancien maître Lotus.
- Que fais-tu là ?...
- Les démons sont faits pour revenir, mon ami.
A terre, Rêve se tordait de douleur. Akuma regarda Sasuke qui souffrait et regarda Rêve avec mépris :
- C'est ce sac d'os qui te met dans cet état ?
Il prit le vieillard par les cheveux :
- Ce cher vieux Rêve, hein...
Sasuke se sentait parfaitement bien. Il invoqua posément son katana de feu. Akuma recula de quelques pas. Il était méfiant, mais comprit :
- Je te le laisse... J'ai l'impression que vous avez une querelle à vider. Moi j'ai mieux à faire... M'occuper de ce bijou que ces salauds n'ont jamais voulu me laisser approcher...
Akuma se frotta les mains et approcha de l'Oeil.
Sasuke, tout de haine et de mépris, avança vers Rêve :
- C'est trop tard, gémit le vieux, je t'ai conditionné, tu es mon chef d'oeuvre, Sasuke !... Le tueur le plus dangereux que j'ai jamais formé... Quand un mot d'ordre te "réveillera", tu seras en notre pouvoir. Les autres connaissent le mot... Et tu abattras la famille impériale !
- Je surmonterai le conditionnement, dit Sasuke, dur comme la pierre.
- Tu ne pourras pas...
- Je peux déjà faire ça !
Et il lui trancha la tête.
Akuma regardait dans l'Oeil. Sasuke se mit face à lui. Il allait en finir avec ce deuxième ennemi aujourd'hui même !
- Akuma, cet Oeil est à moi.
Le démon n'écoutait pas, déjà perdu dans sa contemplation. Sasuke répugnait à attaquer si l'autre ne pouvait se défendre. Mais ce n'était pas un humain, c'était purement et simplement un démon. Les règles du combat honorable ne pouvaient s'appliquer.
- Akuma, défends-toi.
Le démon n'écoutait pas. Il cherchait à se plonger dans l'Oeil. D'un coup, ses yeux prirent feu et il se rejeta en arrière en hurlant. Il se tordit de douleur, la tête dans les mains.
- Ah, ce ne doit pas être fait pour les démons, dit Sasuke.
Akuma poussa un hurlement qui fit trembler la terre. Sasuke fut jeté à terre. Yojiro arrivait en titubant. Il eut à peine le temps de voir Akuma se précipiter vers lui, comme un buffle lancé à plein galop. Le rônin se plaqua sur le mur. Akuma sortit en hurlant de la grotte et roula dans la pente enneigée.
La caverne tremblait de plus en plus fort. C'était comme si elle allait se fendre à la façon d'une noix. Yojiro releva Sasuke et le chargea sur son épaule. Le shugenja jeta un regard à l'Oeil.
- On va venir le chercher, dit Yojiro.
Le rônin courut dans le boyau et sortit à l'air libre. Le soldat Matsu avait été tué d'un coup à la gorge par Rêve, dont il ne s'était pas méfié.
- Moi il m'a juste assommé, dit Yojiro. Je me méfierai désormais de tous les petits vieux ! Il vous fiche un coup à la gorge et c'est parti pour le pays des songes ! Saleté de petit vieux !
La terre tremblait de plus en plus fort. C'était Akuma, qui venait de plonger sous terre, qui provoquait ces secousses.
- Il va tout casser, dit Yojiro.
Sasuke dit qu'il pouvait marcher. Nos héros se jetèrent dans la pente, et descendirent sur le dos, alors que la grotte s'effondrait, victime de la colère irrépressible d'Akuma.
Alors qu'ils arrivaient en bas, Sasuke vit le démon, en haut qui hurlait :
- Si je ne peux pas l'avoir, personne ne l'aura, Sasuke ! Personne !
Et il tombait par terre, vaincu par la douleur.
Nos héros finirent la pente et arrivèrent au village, où les paysans, terrifiés, se terraient chez eux.
- Nous n'allons pas traîner ici, dit Sasuke, qui essayait de ne pas penser à la perte de l'Oeil -il se jura de revenir et de remuer la montagne pierre par pierre pour le retrouver !
Le jour tombait déjà. Ils partirent à marche forcée au village suivant, où ils arrivèrent en pleine nuit. Ils s'accordèrent quelques heures de repos et repartirent au petit jour. Encore une journée de marche et ils arrivaient, à bout de force, dans les faubourgs de Kyuden Hida. Un petit temple de la Fortune des chemins sembla une excellente halte pour Sasuke.
- Ecoute, Yojiro, tu vas retourner au palais rapidement. Akuma va certainement venir ici. Tu vas prévenir d'abord Mitsurugi de ce qui s'est passé. Tu lui diras que je me suis arrêté ici pour éviter d'attirer Akuma jusqu'en ville. Ensuite, tu iras voir les Phénix. Tu demanderas à parler à Isawa Masaakira, le tensaï du Vide. Qu'il vienne ici pour moi. Tu lui diras que c'est urgent. Isawa Nobuyoshi te connaît de vue, il pourra certifier que tu viens bien de ma part.
- J'ai compris. Je pars.
- Fais vite. Que seul Masaakira vienne, compris ? Dis à Mitsurugi que j'ai besoin de repos. Qu'il mette la Cité en alerte contre Akuma.
- D'accord.
Yojiro termina les dernières lis qui le séparaient de la capitale et courut au palais. Resté seul avec lui-même, Sasuke tremblait devant son reflet, il croyait y voir le tueur qui pourrait, implacablement, assassiner le fils du Ciel.
A suivre...
