21-03-2011, 11:09 PM
(This post was last modified: 22-03-2011, 11:49 AM by Darth Nico.)
CHRONIQUES DE L'EMPIRE D'ÉMERAUDE
Yatsume, inquiète pour l'Inquisiteur, alla au palais avec les Crabes. Elle y prit sa paye. Goemon lui donna sans faire de commentaire. Il ne pensait qu'à son maître, que les chiens du Gozoku s'étaient permis de convoquer -lui, un des Inquisiteurs les plus braves du clan !
- Merci à toi, dit Goemon, tu t'es bien battue, une fois de plus.
Notre héroïne retourna dans la cour des miracles, où sa fille lui sauta au cou.
- Tu vois, je t'avais promis que je serais bientôt de retour.
Elle avait acheté, avec ses belles pièces Hida, des joujoux pour sa fille, des déguisements, à boire, à manger... C'était bombance ! Elle passa la nuit à rire et à boire avec Avishnar et les éclopés de la Cité. Son Altesse Grotesque passa tard dans la nuit, après une représentation devant les Phénix, épuisé, mais heureux de retrouver ses amis les plus crasseux. Tout cela se termina au petit jour.
Yatsume dormit jusque tard, puis alla voir Mitsurugi. L'ambassadeur la fit attendre comme c'était la coutume. La nuit tombait déjà quand il la fit entrer. Il lui fit servir le thé rituel de l'hospitalité. C'était la première fois qu'il la revoyait en face à face depuis son exil dans le désert. Il attendait de voir si elle avait changé, si cette odyssée au bout du monde lui avait mis du plomb dans la cervelle -et surtout, si elle reprenait la voie de l'honneur !
- Tu as vu Sasuke récemment, dit Mitsurugi. Il t'a donné comme mission de retrouver Kokamoru. Es-tu prête à le faire ?
Yatsume n'eut pas une réponse tranchée, et cela se sentit. Elle voulait se convaincre qu'elle pourrait le tuer ! Mais elle n'était pas sure d'elle, elle devait se forcer à le croire ! Elle ne mentait pas, cependant...
Mitsurugi sentit ce changement chez elle, pas encore assez net à son goût.
- Nous ne pouvons pas te faire confiance si tu as un attachement quelconque à ce Kokamoru. C'est un de nos ennemis jurés, Yatsume. Sasuke et moi avons un peu appris à connaître de quel genre de "magie" il use...
- Moi aussi, Mitsurugi-sama.
- Raison de plus pour vouloir le combattre sans hésitation.
Le retour de Yatsume dans le clan des Lions n'était pas pour aujourd'hui ! Yatsume désespérait d'y parvenir. Elle se demandait même si elle le voulait... Elle s'était faite à son destin de rônin. Peut-être que c'était ça qui était le mieux pour elle ? Peut-être qu'elle était "sans-clan" dans l'âme ?... On sentait Mitsurugi tellement à l'aise dans son costume de Matsu que c'était évident qu'il était né dans le mauvais clan et que les dieux avaient corrigé cette petite erreur de départ. Mais Yatsume ?... Se résigner à sa condition de rônin ? Ne plus chercher à se contrarier, à vouloir adhérer à un modèle d'honneur et de vertu dont elle était incapable ?

Mitsurugi, soucieux pour Yatsume, soucieux pour Sasuke, pour Suzume, alla se changer les idées dans une maison de plaisir, en compagnie de Noyuki. Même là, Mitsurugi ne réussit pas à s'alléger les épaules de ses soucis. Plus la cour d'hiver avançait, et moins il était à la fête. Non, vraiment, vivement que le printemps arrive ! Qu'on retourne à la Cité des Apparences -enfin ! Après deux saisons d'exil à proximité de l'enfer froid et boueux de l'Outremonde ! Retour à la lumière, à la civilisation, à la saine vie militaire ! Mitsurugi savait en effet qu'il devrait quitter son poste d'ambassadeur, ce qui était tout à fait pour le réjouir -à ceci près qu'il ignorait où il serait envoyé ensuite.
Quand Mitsurugi rentra, l'aube lui était déplaisante, les restes d'ivresses n'étaient pas bien joyeux, le sommeil qui arrivait ne serait pas réparateur. De fait, il se réveilla avec l'impression d'avoir à peine fermé l'oeil. On lui dit que Yojiro était rentré, qu'il demandait à le voir. L'ambassadeur se fit préparer un thé noir bien amer, très fort, et reçut le rônin, qui était dans tous ses états et avait des cernes jusqu'au menton.
- Je reviens de chez les Phénix... Comme vous étiez occupé, j'ai préféré aller chez eux d'abord !
- Attends, je ne comprends rien à ton histoire, dit Mitsurugi, agacé. Où est Sasuke ?
- Il est près d'ici, au temple de la Fortune des chemins. Et il va bien.
- Bon, tu me rassures... Pourquoi n'est-il pas rentré ?
- Il était très fatigué par le voyage... Il faut vous dire que nous avons vu Akuma ! Ce démon est de retour ! Sasuke m'a dit de vous prévenir.
- Je vais en parler à l'Inquisiteur Tadao. Ce démon serait capable de nous attaquer en plein carnaval. Bien, et ensuite, qu'es-tu allé faire chez les Phénix ?
- C'est Sasuke, qui m'a demandé d'aller trouver Isawa Masaakira, le maître du Vide, car Sasuke veut le voir...
- Affaires de shugenja. Je vois... Bien, seulement, quelque chose ne va pas, sinon Sasuke serait rentré avec toi. Soit tu ne me dis pas tout, soit Sasuke ne t'a pas tout dit...
- Il n'est pas blessé. Nous avons échappé par contre à Akuma, à l'effondrement d'une grotte, et marché pendant deux jours sans arrêt !
- Non, il y a autre chose, dit l'ambassadeur, qui connaissait son conseiller.
Il se leva.
- Ce n'est pas l'épuisement qui l'a retenu aux portes de la ville... Allons-y.
- Isawa Masaakira est déjà en route.
- Oh mais je ne crains pas de les déranger !
Ils prirent deux montures ; Mitsurugi utilisa ses autorisations exceptionnelles pour sortir de nuit. Ils galopèrent moins d'une heure. Yojiro reconnut le village où se trouvait le temple des chemins.
Un palanquin Phénix était posé dans la rue, éclairé par trois lanternes ; deux soldats Shiba attendaient dans une auberge, à l'abri du vent mordant.
Dans le petit temple éclairé seulement par quelques bougies, Masaakira s'était assis à côté de son ancien élève. Ils avaient prié ensemble pendant un moment, sans se laisser distraire par le mugissement du vent. Quelques bougies avaient été soufflées. Puis Sasuke avait raconté ce qu'il avait découvert. A son maître, il s'était confié sans détour.
- Il faut que ces conspirateurs disposent d'une magie bien puissante, dit le maître du Vide.
- Je crains que ce ne soit pas de la magie mais de la torture, belle et bien physique, directement...
- Rien dont notre art ne puisse venir à bout, Sasuke... Aucun éta au monde, si habile tortionnaire soit-il, ne peut rien contre nos pouvoirs...
- Pourtant, j'étais à la merci de ce "Rêve".
- Je vais me renseigner, en compulsant les traités relatifs à la manipulation des esprits. Il est déjà évident que ce sont les esprits de l'Air... Aussi je vais t'envoyer Nobuyoshi. Lui saura trouver rapidement un moyen de combattre ces influences nocives.
- Je l'espère...
- Il est improbable qu'il échoue.
Mitsurugi entra, sans faire de politesses, encore moins d'excuses pour le dérangement. Masaakira se leva, salua l'ambassadeur et retourna à son palanquin.
- Hé bien, Sasuke ? dit sévèrement Mitsurugi.
- Tu ne pourras compter sur moi dans les prochains jours, Mitsurugi.
- Puis-je savoir pourquoi ?...
Sasuke avait un air mortifié que l'ambassadeur ne lui connaissait pas.
- Il vaut mieux pour cette Cité que je n'y rentre pas...
- Tu crains d'attirer Akuma ?
- Non, Akuma n'est rien... Ce que je crains, c'est moi...
Mitsurugi crut comprendre que Sasuke ne parvenait plus à maîtriser ses pouvoirs.
- Il vaut mieux que je reste à méditer ici. Mon ami Nobuyoshi va venir m'assister.
- J'espère qu'il saura soigner tes troubles.
- Je le souhaite aussi, oui, dit Sasuke avec un sourire amer.
Mitsurugi ne pouvait pas comprendre ! Et il ne fallait pas qu'il sache !
L'ambassadeur ressortit, mécontent. Il alla boire un verre à l'auberge avec Yojiro. Les Phénix étaient déjà repartis. Ils repartirent en pleine nuit, affronter ce mauvais froid, pénible, usant, et cette neige qui épaississait tout. Quand ils passèrent la porte ouest de la Cité, ils croisèrent Isawa Nobuyoshi, le tensaï de l'Air.
Mitsurugi le salua à peine.

Les répétitions de la pièce n'arrêtaient pas. Le grand acteur Shosuro Jotaro, qui tenait le rôle principal du général de l'armée combattant les démons, avait pour le moins un caractère difficile. Il faisait souvent des caprices, refusait de sortir de sa loge, de refaire une scène... Ikoma Noyuki devait user de tout son talent de diplomate pour convaincre le sublime artiste de bien vouloir condescendre à jouer sur la même scène que de très mauvais acteurs. Jotaro exigeait qu'on réécrive le texte, que ses danses soient plus éclatantes, qu'il n'y ait, en somme, que pour lui... Ce jour-là, il était encore parti à bouder.
- Rien ne tourne dans cette pièce. Nous allons à la catastrophe ! Ah, si seulement on m'écoutait !...
- Mais vous êtes déjà le héros de la pièce, Maître !
- Tous ces figurants me font de l'ombre !
- On ne voit que vous, ô maître danseur ! Vous resplendissez à chaque pas ! Chaque réplique vous magnifie ! Chaque chant vous porte au pinacle !
- Savez-vous que l'Empereur en personne se déplacera ! Voulez-vous qu'on me confonde avec le Bouffon ? C'est bien pourtant ce qui risque d'arriver si tout mon rôle n'est pas réécrit !
- Nous n'avons plus le temps, divin maître !
- Alors je ne jouerai pas ! Vous engagerez un unijambiste si vous le voulez ! Puisque mon rôle ne vaut pas mieux !
Il fallait le flatter, se montrer doucereux, y aller par des détours... Il adorait cela, et savait que Noyuki -en tant que poète- s'y entendait pour tourner un petit compliment touchant sa vanité profonde.
Pendant ce temps, l'Ize-Zumi Togashi Ojoshi devait avancer les répétitions, coûte que coûte, placer les figurants, diriger les seconds rôles, en espérant que Shosuro Jotaro ne claque pas la porte dans l'heure à venir.
- Il ne le fera jamais, dit Noyuki pendant une pause. Où ailleurs trouverait-il un aussi bon flatteur que moi ?... Il se plait trop ici. Il aime les compliments comme les courtisanes les parfums. Mais que voulez-vous, cet affreux paon sans vergogne est le plus grand acteur de kabuki du monde !
- Je ne demande si nous ne devrions pas lui trouver une doublure, pour le cas où...
- Vous plaisantez ? Jamais il ne laissera quelqu'un d'autre jouer à sa place ! Quel camouflet ce serait pour lui !
- Remarquez, dit Ojoshi, vous devriez essayer cela : lui dire que, voilà, somme toute, ce rôle n'est pas digne de lui. Que c'est lui faire un affront, vous voyez... S'excuser de l'avoir dérangé...
- Hé, ce n'est pas bête, dit Noyuki en regardant vers la loge de son Altesse des Vanités. Je vais aller le voir.
Noyuki finit sa tasse de thé et alla frapper à la porte de l'acteur.
- Voilà, divin danseur et incomparable récitant, j'ai réfléchi, et je me suis dit...
Noyuki referma la porte.
Ojoshi continua les répétitions. Matsu Mitsurugi entrait, comme un chien dans un jeu de quille.
- Seigneur, quel honneur de vous avoir, commença Ojoshi.
Mitsurugi fit un petit signe poli :
- Ne vous en faites pas, ne faites même pas attention à moi.
- Ah, bien...
Ce n'était pas l'art lyrique qui attirait l'ambassadeur ici, alors quoi ?
Noyuki ressortait de la loge de Jotaro :
- Il est vexé comme un pou, murmura-t-il à l'oreille d'Ojoshi. Je ne l'ai jamais vu dans un état pareil.
Les deux dramaturges pouffèrent de rire. Les acteurs avaient compris qu'une bonne blague se préparait. Shosuro Jotaro arrivait, maquillé à outrance, dans un énorme kimono deux fois plus large que lui :
- Pardon, pardon, monseigneur ! dit-il en s'écartant avec prestance de Mitsurugi qui passait près de lui. Or ça, mes seigneurs ! Y sommes-nous ! J'ai eu quelques idées dont je voudrais vous faire part, qui, j'en suis sûr, vont dans le sens de votre prosodie !
Ojoshi et Noyuki échangèrent un clin d'oeil : Sa Majesté allait se mettre sérieusement au travail.

Mitsurugi parcourait les couloirs du théâtre. Il devait enjamber les morceaux de décors, les coffres de costumes, éviter de faire tomber les panneaux en trompe-l'oeil. Il cherchait les sorties, les recoins, tout pour connaître parfaitement le lieu, en vue de cette attaque des conspirateurs annoncée par Geki. Il reconnaissait les loges, les placards, n'importe quel endroit où un tueur pourrait se cacher ; il prévoyait où poster des gardes, quelle issue laisser libre pour mieux piéger dehors un assassin qui s'enfuirait.
Il sentit quelqu'un dans son dos, se retourna, la main sur son sabre. C'était un Scorpion, un Bayushi, qui ne pouvait être là l'instant d'avant. Mitsurugi frissonna :
- Kokamoru...
Mitsurugi prit en main le pendentif donné par Cristal :
- Il fallait que je vous rencontre.
- Que veux-tu ?
- Nous avons un ennemi commun, seigneur. Cristal. Je viens vous proposer une alliance.
Du tac au tac, Mitsurugi répliqua :
- Tu te trompes. Si mon ennemi a le même ennemi que moi, cela ne fait pas de lui mon allié.
- Cristal a juré votre mort, et la mienne. Unissons-nous le temps de l'éliminer.
- Cristal n'est pas le conspirateur que je veux en premier. Pour tout te dire, je ne lui en veux même pas de ce qu'il m'a fait. Il y a plus important que moi. Et c'est l'Empereur. C'est pourquoi j'en ai d'abord après Nuage et Lotus. Cristal viendra après.
- Il vous a corrompu.
- Non. Je ne ferai rien pour l'aider à te trouver, mais je ne le gênerai pas non plus. Tu te trompes lourdement si tu crois que je vais m'allier avec toi et ta magie diabolique pour abattre ces conspirateurs.
- Il n'y a que ce moyen-là.
- Non, je leur passerai mon sabre en travers de la poitrine. Je n'ai pas besoin de toi. Et je jure ici de tout faire pour te tuer...
- J'aimerais encore mieux que ce vous qui me tuiez, oui, murmura le Scorpion.
- Cela peut se faire sur le champ...
- Nous ne sommes pas encore au dernier acte, ambassadeur. Espérons que le dénouement ne soit pas votre assassinat par ces conspirateurs.
- Je sais garder mes arrières.
Kokamoru ne dit rien. Il entra dans une loge inoccupée et referma le panneau. Mitsurugi alla le rouvrir, mais il n'y avait plus personne.
L'ambassadeur rentra au palais. Il tira de sa poche un pendentif en diamant donné par Sasuke. Ce dernier avait eu le temps de décrocher deux fragments de roche qui perlaient de l'Oeil de l'Oni. A présent, nos héros pouvaient eux aussi utiliser ce moyen de communication, comme les conspirateurs !
- Sasuke...
Depuis le temple des chemins, le shugenja put lui parler :
- Ecoute, dit l'ambassadeur, j'étais au théâtre. J'ai croisé Kokamoru...
- S'il vient ici, je lui ferai un sort à ma façon.
- Méfie-toi. Il est plus discret qu'Akuma.
Sasuke revint dans le temple où Nobuyoshi finissait de mettre au point le rituel de délivrance pour son ami.
- Le carnaval commence ce soir, avait ajouté Mitsurugi. La liesse va s'emparer de la ville. Et cela va être un joyeux carnaval, entre Akuma, les conspirateurs et Kokamoru, et tout le monde déguisé.
- C'est aussi le moment où les masques vont tomber, dit Sasuke.
- Reviens dès que tu peux. Je vais avoir bien besoin de toi. La pièce de théâtre est après-demain.
- Je serai là avant, sois sans crainte.

Mitsurugi rentra se préparer pour les festivités. Il y passa le reste de l'après-midi. Des pétards explosaient de plus en plus fréquemment. Les gens arrêtaient le travail, des Hida revenaient de la Muraille, déjà ivres, avant même la tombée de la nuit. Les gueux remontaient vers les beaux quartiers, toute une populace hétéroclite habituellement confinée dans les rues les plus insalubres.
L'Inquisiteur Tadao, qui attendait depuis des heures dans une salle de réception du Gozoku, était prisonnier dans le palais de son propre clan !
A la tour des Inquisiteurs, Goemon avait réuni plusieurs hommes très sûrs, pour préparer un assaut contre le shinsen-gumi.
- La farce a assez duré, disait le garde du corps. Nous ne laisserons pas ces mercenaires faire la loi chez nous. Nous leur montrerons qu'on ne s'en prend pas à un Inquisiteur !
- Bien dit, Goemon-san.
Les hommes s'armaient, enfilaient leurs armures.
Dans les souterrains de la tour, Hida Yasashiro, isolé, commençait le rituel à la Fortune du Secret. Il revêtait le costume et le masque de Geki, le frappeur nocturne.
A la tombée de la nuit, Mitsurugi reçut un message :
- C'était un quelconque gueux à la peau très sombre, dit le soldat. Il devait être noir de crasse...
L'ambassadeur reconnut là Avishnar, cet étranger des Royaumes d'Ivoire... Mitsurugi déplia le billet et faillit en faire une syncope. C'était de la main de Yatsume : elle disait que le Bouffon voulait le voir et qu'il avait des informations capitales à lui fournir sur un certain Cristal !
Au milieu de la cour des miracles, le Bouffon finissait de se préparer pour devenir l'Empereur d'un soir, le maître de la fête, le grand intendant des pitreries et des fêtes les plus exubérantes. Yatsume et Avishnar se grimaient en même temps que lui, pour faire partie de la grande parade grotesque qui célébrerait la mise sens-dessus-dessous de l'ordre social.
Suzume, seul dans une cellule du temple de Shingon, méditait sur sa colère, sa vanité, ses regrets. Son père, seul dans sa chambre, méditait aussi, sur sa famille déchirée, sur ses échecs.
Sur un chemin de ronde du palais, Cristal et Nuage contemplaient la cité qui s'animait, les feux d'artifice.
- Demain, nous aurons enfin notre revanche, disait Cristal. Enfin nous détruirons les Hanteï.
Alors que les douze coups annonciateurs du début officiel des festivités retentissaient, Geki sortait par les toits. La ville toute entière entrait en ébullition. Les lanternes multicolores dansaient dans la nuit, les feux d'artifices redoublaient, partaient vers les étoiles, les tambours battaient, assez fort pour remuer les cieux, pour que même les dieux dansent.
La troupe enivrée du Bouffon atteignait les murs du palais, sous la surveillance de Geki. Mitsurugi sortait avec Noyuki et le général Kokatsu. Bientôt les trois Lions masqués se séparèrent, emportés chacun par un groupe de danseurs. Un rythme endiablé agitait la Cité. Quelque part dans la foule, le divin Fils du Ciel devait lui aussi danser, méconnaissable avec ou sans son masque. Yojiro partait avec un groupe de marchands hilares vers une maison de jeux.
- Il faut que tu saches une chose, avait dit Sasuke à Mitsurugi, c'est que les conspirateurs ne peuvent plus utiliser l'Oeil de l'Oni ! Ils ont encore leurs amulettes, mais ils ne peuvent plus tout voir et tout entendre n'importe où...
- Tu crois qu'ils vont encore tenter leur attaque ?
- Je les en crois capable. Mais leur principale arme est détruite... Les revoilà redevenus de banals conspirateurs.
- Alors, crois-moi, ils ne passeront pas le carnaval !
Le Bouffon menait sa troupe tambours battants, sous un grand dragon de papier, avec des naseaux fumants.
- Il faut trouver Mitsurugi ! hurla Yoriku à Yatsume pour couvrir le bruit des pétards et des flûtes.
- Oui, dit Avishnar, il viendra avec nous !
Ils avançaient, applaudis partout où ils passaient. Le cortège ne cessait de grossir, la foule reconnaissait le Bouffon et partait à sa suite.
- Hélas, pauvre Yoriku, se dit le Bouffon à voix basse, en parlant à ce Mitsurugi, tu vas peut-être faire la bouffonnerie de trop...
Ils passèrent avec le dragon dans les grandes rues. Yatsume sortait de temps en temps demander si quelqu'un avait vu Mitsurugi. Elle aperçut Yojiro au milieu d'une salle de jeux :
- Tu sais où est Mitsurugi ?
- Mitsurugi ?
- Oui, Mitsurugi !
- Mitsurugi ? Il est parti vers le temple de Shingon !
- Ah d'accord merci !
Il fallait hurler toujours plus fort !
Le dragon continuait son chemin. Un autre dragon de papier, animé par de jeunes Grues, arrivait et faisait mine de le combattre.
- Sus à l'ennemi ! cria Yoriku.
La foule aida son Empereur bien aimé à repousser les arrogants nobles, qui furent culbutés, et finirent le derrière dans la boue, à l'hilarité générale. Les soldats en faction devant le palais étaient entraînés à leur tour. Le juge Kempô était jeté dans un tonneau de bière, le maître de cérémonie Tokugawa recouvert d'oeufs et de peinture.
Seul le shinsen-gumi se gardait de se joindre à la fête. Les soldats Crabes réunis autour de Goemon marchaient vers l'aile qui leur était réservé.
- Il faudra agir vite, dit Goemon.
- Nous te suivons.
Geki descendit de son toit, emprunta un autre masque et se mit sous le dragon de Yoriku, sans se faire remarquer de Yatsume ni d'Avishnar. Mitsurugi se trouvait devant le temple de Shingon. Il voulait voir Suzume mais les moines lui opposèrent un refus ferme mais poli.
- Qu'il vienne faire la fête ! dit Mitsurugi, la pénitence a assez duré !
- Je regrette, il a insisté pour rester seul. Il ne veut pas du tout être dérangé !
Des paysans, qui avaient entendu le nom, se mirent à crier le nom de Suzume.
Les moines poussèrent gentiment les festifs rustres loin de l'entrée du temple. Le dragon du bouffon approchait, précédé de gamins peinturlurés :
- C'est le bouffon ! s'écrièrent plusieurs buveurs, notre Empereur bien aimé !
- A propos où est-il, le vrai Empereur ? dit un autre.
- Bah, sûrement déguisé en tanneur de peau ! Ou bien derrière toi !
- Ce ne serait pas toi, par hasard ?
- Si c'était moi l'Empereur, alors je peux te dire que c'est l'Impératrice qui dirigerait le monde !
- Elle est où ta femme justement ?...
Yatsume sortit pour faire de grands gestes à l'ambassadeur.
- Venez que je vous présente le roi de la fête !
- C'est trop d'honneur, dit Mitsurugi, de m'introduire dans le grand monde !
Mitsurugi passa sous le dragon de papier.
Au temple des chemins, Nobuyoshi répétait en silence le rituel de purification spirituelle.
- Ceci devrait chasser tous les esprits manipulateurs.
Ils virent de grandes flammes jaillirent dehors et sortirent en vitesse. Les habitants refluaient vers le temple en hurlant.
Sasuke et Nobuyoshi leur demandèrent ce qui se passait.
- Le démon ! le démon !
Les shugenjas n'eurent pas tort de craindre le pire : Akuma arrivait à la tête d'une troupe de ses guerriers des Limbes.
- Sasuke !
Ivre de rage, le démon brûlait de flammes violacées.
- Sasuke, je viens t'offrir une dernière chance !
- Tiens donc !
- Associons-nous et retrouvons l'Oeil de l'Oni ensemble ! A nous deux, nous pouvons diriger cet empire décadent et le redresser !
- Je ne m'associerai jamais avec toi !
- Alors tu finiras parmi les poussières de toutes les poussières que je laisserai derrière moi ! Et tu n'auras jamais l'Oeil !
- Je préfère le retrouver sans toi !
- Pitoyable vanité ! Tu n'es déjà plus rien ! Sinon tu t'agenouillerais devant moi ! Ce soir, je serai l'Empereur et toi, tu agoniseras parmi ceux que je sacrifierai à mes dieux !
- C'est ce qu'on va voir !
Sasuke invoqua autour de lui les plus déchaînés des esprits du Feu et Nobuyoshi s'entoura d'un tourbillon d'air strident. La colère d'Akuma décupla :
- Pauvres, pauvres petits humains...
Mitsurugi se joignit au cortège de Yoriku.
- Il fallait que je vous parle, seigneur... Quel honneur de vous accueillir chez moi !
- Tout l'honneur est pour moi, cria Mitsurugi.
- Nous avons à parler, mon cher...
- Cela ira vite...
Geki s'approcha prudemment, méconnaissable. Il comprenait que c'était sérieux.
- Je prends beaucoup de risques...
- J'espère que ce n'est pas une de vos farces !
- Que mes Ancêtres me fassent perdre toute ma graisse si je mens !
- Dites-moi, dépêchez-vous...
Mitsurugi craignait que la Grue Noire ne rôde.
Le dragon repartit vers les palais.
- Et vous me direz aussi comment vous avez appris cela...
- Ah, pauvre Yoriku, hélas, dit le Bouffon, tu n'as pas toujours été l'amuseur des grands et des humbles...
Au milieu de la cohue, Mitsurugi, qui n'y tenait plus, plaqua sa Grosseur contre un mur :
- Cela suffit ! Plus de simagrées ! Qui est Cristal ?...
Yojiro approchait du dragon de papier ; il avait reconnu, parmi des échassiers, Kokamoru ! Il devait prévenir Mitsurugi au plus vite. Sur les toits, embusqué au coin d'une cheminée, la Grue Noire avait vu aussi le Scorpion déchu.
- Hélas, pauvre Yoriku...
- Parle où tu vas maigrir avant d'avoir menti !
- Cristal, Cristal, c'est... l'homme aux cent masques -Shosuro Jotaro !
Une troupe d'enfants passait en hurlant.
L'homme aux cent masques... Un acteur... Mitsurugi fut pris de vertige.
- Il faut le trouver, et toi, tu viens avec moi !
- Mais je ne peux pas ! dit Yoriku, ce n'est pas prévu !
- C'est fête ce soir ! Rien n'est prévu ! Je te guide et toi, tu fais semblant d'y aller pour le plaisir. Surtout que personne ne se doute de rien !
Le cortège, fantastique et improbable, s'engagea dans la grande rue en pente courbe qui descendait vers le théâtre, alors que seules quelques-uns des participants voyaient venir la tragédie qui couvait depuis si longtemps, souci de tous leurs jours et toutes leurs nuits.
OMBRE ET POUSSIÈRE, SAMURAI...
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