14-12-2011, 05:31 PM
(This post was last modified: 15-12-2011, 11:02 AM by Darth Nico.)
Exil #20
¤
Branche : CULTURE
Rapport Intelligences-Mécaniques : Névée - Sutra - Orgon
A l'intention de : M. Jonson - Comité "Arts et fêtes".
Clan Vicari.
Personne visée : Fabio Vicari.
Pseudonyme du fonctionnaire infiltré : Eugène de Mouplin. ERREUR... ERREUR... ERREUR...
Marché noir.
Corruption : quai des Orfèvres.
Agents soupçonnés : ...
Chimères.
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¤
Repères exiléens universels :
SHC : 1
RUS : 0
IEI : 1
ATL : 0
Côte d'alerte : basse.
DOSSIER #20
EXIL
Qu'il fuie Exil
Le fou, la nuit
Quand la nuit brille
Et l'acier luit
La neige scintille
Le grand froid luit
Gel sur les villes
Mondes sans bruit
Forges et Exil
Tristes jumelles
Où s'enfuit-elle
La vie si belle
Qu'il fuie Exil
Le fou, la nuit
Quand la nuit brille
Et l'acier luit
Qu'il fuie Exil
Le fou, la nuit
Quand la nuit brille
Et l'acier luit
La neige scintille
Le grand froid luit
Gel sur les villes
Mondes sans bruit
Forges et Exil
Tristes jumelles
Où s'enfuit-elle
La vie si belle
Qu'il fuie Exil
Le fou, la nuit
Quand la nuit brille
Et l'acier luit
DOSSIER #20
CHIMÈRES
SHC 1 - RUS 0 - IEI 1 - ATL 0
CHIMÈRES
SHC 1 - RUS 0 - IEI 1 - ATL 0
Soulevé par les épaules et jeté violemment contre le mur, Antonievski roula par terre. Il eut le réflexe de se protéger la tête.
Le coup attendu ne vint pas. Il entendit le déclic du chien d'un révolver et sentit qu'on lui pressait l'arme contre le coeur. Il voulut se recroqueviller mais il reçut un coup de pied dans le ventre et fut plaqué sur le dos. Son chapeau en feutre avait roulé dans une flaque sale. Sa pelisse en fourrure d'Autrelles était couverte de boue, sa semelle droite avait craqué quand il avait chuté. Ses guêtres étaient fichues.
Il vit enfin l'homme qui s'était assis sur lui et le tenait en joue, le pistolet appuyé sur son coeur battant.
- Tu fais affaire avec les Vicari ?...
Antonievski ne répondit pas. Il ne voulait pas regarder son agresseur.
- Répond...
Le commissaire-priseur voulait gagner du temps. Les Pandores patrouillaient dans le quartier. L'homme lui attrapa le bras et lui tordit dans le dos :
- Parle...
La douleur devint vite insupportable :
- Encore un peu et je le brise...
- D'accord, d'accord...
L'homme lui intima l'ordre de rester par terre. Qu'on vienne l'attaquer pour le faire parler ne l'étonnait pas. C'était déjà arrivé, cela arriverait encore. Il fallait s'y attendre quand, comme lui, on utilisait ses informations pour organiser un juteux trafic d'oeuvres. Depuis avant la guerre, il avait fourni un nombre considérable de gens et ses affaires avaient pris encore de l'ampleur grâce au marché noir.
Ce qui étonnait Antonievski, c'était qu'on ne soit pas venu lui demander des explications poliment, avant d'en venir à la violence. Il se dit que c'était un jeune voyou, un affilié des Vicari ou un rival, peu importe, qui voulait se faire une place au soleil vite et bien. Le commissaire se dit juste que cet imbécile, imprudent et violent, peu au courant des usages feutrés du monde de l'art, finirait jeté par dessus une passerelle très bientôt.
- Oui, je travaille pour les Vicari... Ce sont de bons clients...
- Bon, alors, voilà ce que tu vas leur dire...
- Tout ce que vous voudrez...
- Que tu as vendu des oeuvres à Eugène de Mouplin.
- A qui ?
L'inspecteur glissa sa fausse carte de visite dans la main du commissaire.
- Retiens bien ce nom. Tu m'as vendu des oeuvres.
- Vous êtes un sacré bon client.
- Très bon, pauvre cloche...
Faivre l'assomma.
Il ressortit de la ruelle, en essayant de garder la contenance d'un paisible jeune bourgeois, oisif sur les boulevards. Les gouvernantes faisaient les boutiques, les livreurs déchargeaient les carrioles. Ce peuple affairé ne se doutait pas de l'agression crapuleuse qui venait d'avoir lieu, à deux pas des trottoirs propres et des boutiques parfumées.
Deux minutes après, Antonievski surgissait de la ruelle, en beuglant comme un animal. Les Pandores accouraient, moins pressés de secourir une victime que d'empêcher un scandale dans le quartier. Le Boulevard des Mauves était connu pour ses crimes passionnels entre gens du monde, pour des malversations financières de haut vol, mais pas pour des délits à la petite semaine.
Faivre pressa le pas, en faisant semblant de s'intéresser aux vitrines de jouets. Il souriait aux jolis gardes d'enfants et aux braves vieilles commerçantes sur le seuil de leurs portes. Il pressa le pas, entra dans des toilettes publics, s'y changea en un tournemain, pour repasser ses solides vêtements de flic arpenteur de rues. Il fourra les beaux habits de Mouplin dans un sac, ressortit et alla au devant des Pandores.
Il exhiba sa plaque sous leur nez :
- Besoin d'aide ?
- Ah, bonjour lieutenant...
- Une agression ?
- Oui, c'est bon, on le tient presque...
Faivre indiqua qu'une personne suspecte venait de traverser le boulevard. Embêtés d'avoir une piste, les Pandores durent traverser l'artère, en sifflant violemment pour arrêter les voitures. Faivre quitta le quartier, sûr que les Pandores ne se fatigueraient pas longtemps, une fois qu'aucun homme de SÛRETÉ ne serait plus là pour les surveiller...
Il se pressa et fut à peine en retard au bureau.
- On vous attendait pour commencer, dit Maréchal.
Il avait déplié une grosse carte sur son bureau. Le quartier des Vicari et le plan de la maison qui leur servait de quartier général.
- Je ne laisse rien au hasard. Je veux que nous ayons tous en tête ce plan, par coeur, pour sortir Turov de là sans heurt le moment venu. Si ces Vicari sont un peu malins -ce qui n'est pas certain -ils ont pu prévoir quelques sorties dissimulées. Faivre, vous allez me secouer les puces de vos indics, qu'ils nous ramènent des informations sur ce trou à rats.
- Entendu chef.
Faivre demanda à Clarine d'appeler la brigade Financière.
- J'ai une piste, chef, expliqua l'inspecteur. Les Vicari sont dans le trafic d'art. Je pense qu'on peut trouver d'autres points d'entrée chez eux en passant par des receleurs et autres.
- A voir, dit Maréchal, mais ne multiplions pas les pistes. Nous travaillons en effectifs réduits. Pour le moment, on reste sur la boxe.
- Je vérifie juste.
- Quand vous aurez la ligne, vous me passerez l'inspecteur Crimont, dit Maréchal.
- Entendu.
Faivre ne s'attendait pas à ce que Maréchal s'en mêle. Il se souvint que ce dernier avait fait un stage à la Financière. C'est donc l'inspecteur-chef qui prit la ligne dès que Clarine les appela :
- Salut, vieux.
- Tiens, qui voilà ?
Maréchal devinait Crimont dans son bureau minuscule, plein à craquer de piles de papiers.
- Figure-toi que j'ai un inspecteur qui fait du zèle...
- C'est suspect ! Inflige-lui un blâme.
- Et il a besoin de tes services.
- Et quoi encore ! Je vais vous envoyer la troupe, hein, contre votre cambuse à tire-au-flanc !
- Je te revaudrai ça...
- Si j'avais arrêté un spéculateur à chaque fois que j'ai entendu cette phrase, l'économie exiléenne serait en ruines !
- Je te l'envoie ou bien je peux t'expliquer au parlophone ?
- Dis toujours...
- Le trafic d'art.
- Monsieur veut acquérir des pièces de collection pour son gourbi ? Un investissement pour les vieux jours ?
- Qui sait... Je vais surtout faire de la place dans ton bureau. Te débarrasser de quelques dossiers.
- Juste. Le trafic d'arts, ça marche bien ces derniers temps. Il y en a pour lourd, tu sais.
- Envoie-le par nohodahak.
- C'est toi qui payes. Qui c'est votre comptable, à Névise ?
- Le comptable, c'est moi, dit Maréchal, son tampon à la main.
- Il faudra qu'un jour, je passe commissaire de cette brigade. Avoir enfin le temps de me reposer.
- On n'est pas dans les chiffres, nous. On travaille sur de l'humain !
- Je croyais que vous chassiez les fantômes...
Maréchal raccrocha :
- Vous allez avoir de la lecture, Faivre.
- Tant mieux, j'aime bien ça.
- Ce n'est pas du roman, hein. Vous allez avoir des pages et des pages de rapports d'experts pour identification chimique de pigments. C'est pas la visite du musée d'art municipal !
Le colis arriva en milieu de journée, quand les policiers revenaient de chez Gronski. L'énorme nohodahak plongeait sa gueule monstrueuse dans le canal pour se rafraîchir, pendant que le porteur et les policiers montaient les cartons de dossiers.
- Belle bête, dit Morand.
- Elle fête ses cent cinquante ans aujourd'hui ! Elle en a vu ! Elle est dans la famille depuis quatre générations.
Faivre laissa un bon pourboire au livreur.
- Bonne journée.
La visite d'un nohodahak faisait toujours sensation, d'autant que celui-ci était particulièrement grand.
- Il a fait la guerre... Il a porté des caisses d'obus et monté des cantines sanitaires sur le front. Il a vu du pays, ça c'est sûr !
Le cavalier enfourcha sa fière monture, claqua des éperons. L'énorme calamar se redressa, s'ébroua puis grimpa sur les toits.
- J'ai étudié la psychologie de ces bêtes-là, dit Morand. La coordination de ses trois cerveaux lui permet...
On remontait se réchauffer dans les bureaux.
- Un petit café, Clarine, dit Faivre.
- Pour moi aussi, je veux bien, dit Turov.
Maréchal dit qu'il examinerait rapidement les dossiers avant de les passer à Faivre. Celui-ci ne dit rien pour ne pas paraître suspect. De son côté, Maréchal espérait que Faivre ne soupçonnerait rien non plus.
Il ferma la porte de son bureau et sortit les classeurs poussiéreux de Crimont. Il parcourut en hâte les sommaires, cherchant à chaque fois le nom de Penthésilée. Il trouva un classeur consacré à la célèbre voleuse gynoïde, encore dans les mémoires pour le vol de la collection de bijoux du Bazar Moderne. Maréchal le mit dans son tiroir. Il ouvrit sa porte :
- Tenez, Faivre. Je jetais un oeil par curiosité. Je vous laisse le lot entier.
- Rien trouvé d'intéressant, chef ?
- Non.
Morand tapait ses rapports. Turov était à l'entraînement avec Gronski. Maréchal épluchait le dossier Penthésilée, Faivre cherchait comment se faire des contacts respectables dans le milieu du trafic d'art. En fin de journée, il rappela l'hôpital : Sélène était dans un coma stable.
Maréchal rentra tôt chez lui : il avait deux mots à dire à Nelly !
¤
Faivre passa chez lui, prit une douche et remit les habits d'Eugène de Mouplin. Il retrouva Fabio à la salle de boxe.
- Mon cher ami, comment allez-vous ?
Les Vicari étaient là, de jeunes gens aux mains décorés de bagues, des chemises aux couleurs criardes. Faivre avait repéré les agents de la Brigade des Moeurs au comptoir. Inès était assise à côté de Fabio :
- J'avais invité votre soeur ce soir, j'espère que vous ne m'en voudrez pas.
- Inès est une femme libre, dit Faivre en tirant sur son cigare.
- Très libre, oui, ricana Fabio.
Le serveur amenait des alcools.
- Parlons peu, parlons bien, dit Fabio, où en sommes-nous de nos transactions ?
- Ma foi, comme me l'a confirmé ce cher Antonievski, commença Faivre.
- Antonievski ? Vous le connaissez ?
- C'est un bon ami à moi.
Les Vicari ricanèrent de plus belle.
- Ce vieux pédéraste a su se rendre indispensable à pas mal de gens, oui, dit Fabio.
- Un homme très charmant. Notre dernière discussion a été très plaisante.
- J'attache beaucoup d'importance aux gens comme Antonievski, dit Fabio. Mais entre nous, mon cher Mouplin, ne vous laissez pas avoir par cet escroc. Et puis évitez de vous retrouver seul chez lui...
Les Vicari échangèrent des regards entendus, égrillards.
- Il ne m'a jamais fait de proposition indécente.
- Cela viendra si vous continuez à le fréquenter...
- C'est un homme qui sait se tenir.
- Ouais, ça dépend des circonstances, dit Fabio.
Comme Inès partait aux toilettes, le truand dit plus bas :
- Entre nous, votre soeur est très avenante, hein... Elle a déjà eu pas mal d'hommes, hein ? Elle aime ça, ça se sent.
- Je vous l'ai dit, Inès est une femme libre.
- C'est bien ce que je pensais, ouais. Sachez que pour ma part, je suis très attaché à la fidélité de mon entourage. Il faudra qu'Inès comprenne cela. Je n'ai pas l'intention de la laisser fricoter à droite à gauche... Une femme à moi est à moi.
- Non, bien sûr, dit Faivre. Elle sait ce qu'elle fait.
- Tant mieux. Il faut être clair sur ce point. Nous autres Vicari avons l'esprit de famille.
- Je ne vous savais pas si revanchard. Voilà un sentiment qui m'est inconnu...
- Quand je veux, je prends, Mouplin. Et quand je prends, je garde. Souvenez-vous en. Et glissez-en un mot à Inès.
- Je n'y manquerai pas.
On trinqua.
- Bien, ceci étant dit, qu'avez-vous à me proposer ?
- Comme je vous l'ai dit, Antonievski a de jolies pièces à me proposer. Mais il a besoin d'un intermédiaire.
- Cette lopette n'a jamais voulu se salir les mains. Tous ces bourgeois sont les mêmes. Ils laissent aux autres les basses oeuvres. Et c'est là qu'il a besoin de gens comme vous, Mouplin.
- Bien sûr, mais que voulez-vous...
- Je veux dire que nous ne serons pas toujours dépendants de cette vieille tante.
- J'espère ne plus avoir à passer par lui très bientôt, oui.
- Nous allons y travailler... Bon, que proposez-vous ?
- Des statuettes à la feuille d'or, diverses babioles coloniales... Un joli lot. Je l'ai inspecté et cela plaira. Des pièces rares, ramenées d'Autrelles.
- Combien ?
- Dix milles.
- Dix briques ? Antonievski a intérêt à fournir une sacrée marchandise, sinon on ira lui faire la peau !
- Les pièces valent ce prix.
- J'ai des amis qui peuvent en juger aussi bien que vous.
- J'ajoute qu'il me faut le quart tout de suite.
- Doucement, Gégène, tu m'as l'air bien gourmand.
- Ce sont pour mes frais.
- Tu es un malin. Antonievski t'a bien dressé. Tu es sûr qu'il ne t'a pas invité à visiter son édredon, hein, le vieux salaud...
- Un quart, cela paraît normal pour ce genre d'affaires.
- Tu t'imagines que je peux te filer deux plaques et demi, comme ça, en souriant ? Mettons deux.
- Le quart du prix, cela me semble très raisonnable.
Il fallut insister un peu et ne pas perdre ses moyens face aux surineurs professionnels entourant Fabio. Celui-ci, après avoir roulé des mécaniques pour la forme, se fit remettre l'argent et le passa à Faivre, l'air crâne, défiant ostensiblement les hommes des Moeurs.
- J'espère que tu es ami avec ces gens-là, dit Fabio, car ils ont déjà un dossier sur toi, sois-en sûr.
- Oh mais j'en suis certain, sourit Faivre.
Il avait reconnu les deux génies de la Mondaine, Vico et Pinelli, plus truands que les truands, qui, eux, jamais ne reconnaîtraient l'inspecteur sous le déguisement du bourgeois déclassé Mouplin.
Faivre partit en sueur. Il dormit profondément le reste de la nuit. Il n'avait pas de nouvelles d'Inès.