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Dossier #20 : Chimères
#5
DOSSIER #20

- Mon cher Mouplin...
Faivre arrivait, affairé, comme un jeune dandy qui va dans le monde.
- Mon cher Fabio, comment allez-vous ?
Les hommes de main des Vicari ricanaient à chaque fois en voyant arriver ce naïf, qui venait dans leur antre avec une confiance insensée. Fabio lui-même ne savait pas sur quel pied danser : il ne savait pas s'il plumerait complètement ce Mouplin, ou si ce dernier avait une carte dans la manche.
- Vous m'amenez de bonnes nouvelles ?
Faivre sentait que Fabio en avait assez de jouer la conversation entre gens bien élevés. Il fallait en venir aux choses sérieuses.
- J'ai là un lot qui devrait vous intéresser...
- Laissez-moi vous présenter un ami à moi, Jopel Basinoc...
C'était un homme corpulent, portant de petites lunettes. Faivre reconnut en lui un obèse maladif, cardiaque, souffrant aussi des nerfs. C'était écrit sur son visage, dans sa posture, ses mouvements lourds. Il ne vivrait pas vieux, tué par une attaque foudroyante. Il avait la chair mauvaise, comme disait à l'époque un des pontes de l'hôpital général.
- Enchanté, Eugène de Mouplin.
- Mon ami Basinoc est un grand amateur d'art, de belles choses...
Faivre sortit de sa poche un mouchoir de soie et le déplia sur la table, révélant les bijoux confiés par Penthésilée.
Le gros Basinoc les inspecta. Il en prit un, le regarda de près. Il suait, respirait fort.
- Cela me semble bien...
- Combien ? demanda sèchement Fabio, que la simple présence de Mouplin irritait de plus en plus.
- Vingt milles.
Basinoc secoua la tête :
- Vous êtes gourmand, vous dites-moi.
- Mon ami Jopel est généreux, mais n'aime pas qu'on se moque de lui.
- Je comprends, dit Faivre, avec l'air de celui qui ne veut pas paraître effarouché. Ce sont tout de même des bijoux de plus d'un siècle, en parfait état. Remarquez le montant en or sur...
- Je vois tout cela, dit le gros acheteur. Je vois aussi que les perles à ce collier sont pour moitié fausses. C'est un vieux truc, de mélanger le toc et le vrai. Seulement, avec moi, ça ne prend pas. Si tout le lot est comme ça, il faut donc diviser votre prix par deux.
- Ah pardon, dit Mouplin, voyez ces bagues et dites-moi un peu si les saphirs sont faux. Voyez ce collier avec son pendentif en sélénium...
Basinoc consentit à un deuxième regard, reposa avec précaution les bagues ; puis il dit, comme on parlerait d'achat en gros :
- Je prends le tout à treize milles. C'est déjà un beau prix.
- Mettons quatorze. En-dessous, c'est de la braderie.
- Vous êtes bien insistants, Mouplin, siffla Fabio.
- Des valeurs pareilles ne se trouvent pas sous le pas d'un âne !
- Je prends à treize milles et demi, tout de suite, ou bien n'en parlons plus, et vous vous arrangerez avec Fabio pour l'avoir fait déranger pour rien.
- D'accord, d'accord...
S'il ne s'était pas retenu, Faivre aurait envoyé son poing dans la figure à ce tas de graisse tremblante ; seulement, Mouplin ne devait pas passer pour un courageux.
- Je vous le laisse à votre prix, qui est vraiment un prix plancher.
- C'est bien ainsi que je l'entends, dit Basinoc en mettant ses grosses mains sur les bijoux et en les raflant comme des jetons.
- J'aimerais voir la couleur de votre argent ?
- Tenez, dit Fabio, en sortant une liasse de sa poche. Je vous paye, car je suis en affaires avec M. Basinoc. Voici douze milles, Mouplin.
- Douze ?
- Je ne me déplace pas gratuitement, sachez-le.
- Bien, bien...
Faivre prit l'argent. Il comprenait qu'il avait intérêt à vite s'en aller.
- Au plaisir de vous revoir pour d'autres affaires.
- Ceci n'était qu'un premier lot. La prochaine fois, j'aurai bien plus.
- Je suis preneur de tout ce que vous pourrez me proposer, dit Basinoc en se versant un verre.
- Au plaisir, messieurs.
Faivre salua de son chapeau melon et partit, de l'air distingué de celui qu'on a humilié.
Dès qu'il fut sorti, Faivre ragea en tant que Mouplin, mais sourit en tant que policier. Il avait joué son rôle. Les Vicari le prendraient pour une vache à lait, un mauvais négociateur, le pigeon dodu idéal !

Il y avait une fille, qui s'appuyait d'un pied sur le mur :
- Tu m'offres un verre ?
- Je n'ai pas vraiment le temps...
Elle le prit par le bras :
- Allez, sois chou. Un beau garçon comme toi...
Elle aussi était en mauvaise santé. Alcool, opium, tout cela était gravé sur son visage. Elle devait se piquer à l'occasion. Faivre trouvait parfois effrayante cette capacité à voir au premier coup d'oeil les pathologies des gens. En tant que policier, cela lui était utile ; humainement, c'était éprouvant. Il cherchait la petite bête chez tout le monde, comme le vers dans le fruit.
- Juste un verre...
Elle tremblait. Elle en avait besoin.
- D'accord, viens.
Ils entrèrent dans un café au parquet constellé de crachats. Faivre commanda un alcool fort pour elle. Il allait l'assommer rapidement. Il ne voulait pas monter avec elle. Il repensait à Sélène, entre la vie et la mort, branchée à ses tuyaux.
- Tu es un ami de Fabio ?
- Tu es une curieuse, toi.
- Je vous ai vus ensemble.
- Tu vois trop de choses.
- Ça m'embêterait qu'un joli garçon comme toi se mette dans des ennuis...
Elle lui parlait comme une femme d'expérience, une protectrice, alors que c'était encore une gamine. A peine si elle avait vingt ans, quand Faivre en avait plus de dix de plus !
- Tiens, bois...
Il ne trinquait pas, il lui disait de boire comme un médecin.
Elle vida son verre et devint vite rouge. Elle tenait quand même le coup, assise sur le tabouret du comptoir. D'autres auraient vu en elle une fille dont on use et abuse. Faivre voyait un être arrivé précocement au bout du rouleau, jeune bien trop jeune pour la déchéance.
- Tu es gentil, toi...
Elle était fine comme un clou. Un verre ou deux et elle serait cuite. Faivre en était quitte pour régler les consommations. Le serveur devait la connaître. L'inspecteur désigna le verre du pouce et il resservit.
- On monte, après ?
- Tout à l'heure, oui... Pour le moment, on boit...
Elle fut prise de hoquet et dut sortir en vitesse. Faivre soupira. Il la laissa vomir tant qu'elle voulut et s'approcha quand elle eut finie. Elle s'épongeait le visage de son mouchoir. Faivre vit alors les traces de piqûre à ses bras. Il fut pris d'une sainte colère, comme il lui arrivait rarement d'en éprouver, quand l'idéalisme de sa jeunesse refaisait surface par-dessus son cynisme d'adulte :
- Tu en es déjà là...
Il lui envoya une bonne gifle.
C'est comme si la fille avait failli s'écrouler, comme un squelette de laboratoire. Faivre la retint. Son poignet était maigre, facile à briser.
- Pauvre idiote, tu... tu...
C'était la crise de nerfs. Elle pleurait. Le serveur sortit.
- Tout va bien, dit Faivre, qui ne jouait plus à Mouplin.
Il montra le canon de son arme. Le serveur, qui avait une batte près du comptoir, tout bien réfléchir, préféra rentrer.
- Tu viens avec moi.
Il la tira énergiquement. Il la traînerait s'il fallait !
- Attends, attends, je ne peux plus...
Elle venait de casser un de ses talons.
- Tu dois m'écouter...
- Plus tard, plus tard...
- C'est Fabio, je t'en supplie !
- Quoi, tu travailles pour lui ? Tu crois me l'apprendre ?
- C'est pas ça, c'est Inès, ta soeur...
- Quoi ?
Ils rentrèrent dans un autre bistrot. Cette fois, Faivre commanda du café et de la soupe.
- Tu vas commencer par manger...
La patronne avait un chaudron qui mijotait en permanence. Elle était habituée à nourrir la faune qui hantait le quartier.
La fille se jeta sur son assiette comme une morte de faim.
Faivre mangea posément, en disposant les croûtons dans sa soupe. Il sirota son café pendant qu'elle attaquait la deuxième assiette.
La fille retrouvait des couleurs. Elle connaissait manifestement la patronne et lui commanda, à voix basse, en minaudant, un remontant. La patronne attendit d'avoir l'accord de Faivre. Celui-ci accepta d'un hochement.
La patronne prit sa bouteille de liqueur et servit un fond de verre. La fille but, en redemanda. Faivre prit la bouteille :
- D'abord, tu as des choses à me dire...
- C'est Fabio... Inès, ta soeur ou je ne sais pas qui...
- Oui, ma soeur...
- Fabio la veut... Mais l'autre soir, je discutais avec Inès. Elle m'a dit qu'elle avait peur. Peur que Fabio la mette sur le trottoir.
Faivre alluma une cigarette.
- Elle disait qu'elle trouverait le moyen de vraiment épouser Fabio, de se refaire une situation... Elle tapine déjà ta soeur, hein...
Faivre lui serra violemment le poignet. Elle poussa un petit cri.
- Continue ton histoire...
- Inès a dit qu'elle voulait rompre avec son passé, finit-elle rapidement.
- Comment tu t'appelles ?
- Moi ?
- Oui.
- Marja.
- Ecoute, Marja, tu en sais trop pour une fille de ton âge. Trop sur Fabio, sur le monde de la nuit, sur l'existence... Maintenant, tu viens avec moi.
Marja croyait qu'il se décidait enfin à l'emmener à l'hôtel. Elle marcha, juste assez ivre pour ne plus avoir d'hésitation. Ils passèrent sous une porte cochère.
- Entre-là...
Elle retrouvait ses manières de professionnelle, le côté aguicheur, comme les grandes !
Elle vit un comptoir et deux hommes en blanc venir à elle :
- Vous lui donnez une bonne chambre, hein...
Faivre sortait des liasses de velles qu'il mettait dans la poche des infirmiers.
- Non, non !
Marja se mit à crier. Les deux gaillards lui passèrent une camisole.
- Elle a surtout besoin de manger, dit Faivre.
Il connaissait bien ce dispensaire, pour y avoir travaillé pendant ses études.
- Comptez sur nous, docteur. On s'occupera d'elle.
- Vous me tenez au courant.
Marja était déjà emmenée dans une autre pièce. Faivre s'était épargné les protestations et les adieux déchirants. L'argent de Basinoc servirait à une bonne cause !
Resterait à faire patienter Penthésilée pour le remboursement !
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Dossier #20 : Chimères - by Darth Nico - 14-12-2011, 05:31 PM
RE: Dossier #20 : Chimères - by Darth Nico - 15-12-2011, 10:29 PM
RE: Dossier #20 : Chimères - by sdm - 17-12-2011, 08:26 PM
RE: Dossier #20 : Chimères - by Darth Nico - 24-12-2011, 04:03 PM
RE: Dossier #20 : Chimères - by Darth Nico - 26-12-2011, 01:42 PM
RE: Dossier #20 : Chimères - by Darth Nico - 28-12-2011, 03:34 PM
RE: Dossier #20 : Chimères - by Darth Nico - 28-12-2011, 10:25 PM
RE: Dossier #20 : Chimères - by sdm - 02-01-2012, 02:45 AM
RE: Dossier #20 : Chimères - by Darth Nico - 06-01-2012, 05:38 PM

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