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Dossier #20 : Chimères
#9
DOSSIER #20

On assis Maréchal sur une chaise et on le ligota, entre Petitdieu et Faivre. Le premier restait silencieux, humilié maintenant ; le second avait commencé à s'agiter dès que les hommes étaient sortis.
- Faivre, arrêtez... A quoi voulez-vous que ça serve ?...
L'inspecteur rageait, trépignait, hurlait. Sa voix résonnait dans le hangar froid. Maréchal se demandait s'il ne faisait pas carrément une crise panique à cause de l'enfermement
- Faivre, arrêtez, c'est ridicule...
Petitdieu était abattu. Il baissait la tête. Il se trouvai dans la position de plus d'un suspect passé de longues heures par le bureau de Ménard. Il craquait peu à peu, l'abattement faisait place à la peur...
- Et vous, qu'avez-vous à dire sur tout ça ?...
Maréchal se trouvait vraiment bien entouré !
- Rien, rien... Sinon que vous n'auriez pas dû venir...
Faivre hurlait de plus belle.
La porte s'ouvrit à toute volée et cinq hommes entrèrent. Epais, musclés, dans la force de l'âge, ils avaient tombé la cravate et la veste, relevé les manches de leurs chemises. Ils étaient habillés comme pour une soirée, avec de belles chaussures, des pantalons sans pli. Le premier envoya un coup de pied dans le ventre de Faivre, ce qui le renversa avec sa chaise.
Maréchal ne discernait pas leur visage, dans le soulèvement de poussière bleutée.
- On fait sa mauvaise tête...
Petitdieu transpirait. Peut-être aussi qu'il pleurait ?
On bâillonna Faivre. Maréchal eut la lèvre inférieure qui trembla, de dégoût et de colère.
Les hommes repartirent en baissant leurs manches.
Faivre mordait dans son bâillon, les yeux injectés de sang. Maréchal ne l'avait jamais vu dans un tel état. Il se convulsait au point qu'il allait sans doute finir par briser sa chaise.
- Ces types ne plaisantent pas, murmura Petitdieu.
- Sans blague, tiens !

La porte se rouvrit. On pourra à l'intérieur le jeune homme. Les autres hommes s'étaient mis derrière lui, bras croisés.
- C'est eux qui m'ont vu, oui, dit le jeune homme.
Maréchal releva les yeux, eut un sourire douloureux et s'adressa aux hommes :
- Oui, qui d'autre, hein ? Vous êtes de quel service pour avoir si brillamment réussi à boucler l'enquête ?
Maréchal n'eut pas terminé sa phrase que le jeune homme reçut un coup de batte dans la nuque et s'effondra aux pieds de l'inspecteur. L'homme qui venait de le frapper soufflait comme un boeuf. Son gros bras noueux, sa poigne dangereuse, sa respiration pénible et lourde, il s'avança et retroussa encore ses manches. Il souleva sa batte et frappa. La violence du coup obligea Maréchal à étouffer son cri. L'homme eut les deux épaules brisées, le dos et le crâne, méthodiquement. L'homme à la batte abattait la besogne, comme s'il piochait dans une terre difficile. Il tapait, impitoyable, précis, éclaboussé de sang, comme s'il achevait une bête récalcitrante.
Maréchal et Petitdieu furent aspergés.
Quand il eut fini, il était en nage. Une grosse veine apparaissait sur sa tempe.
Révulsé, Maréchal réussit à reculer sa chaise. De la cervelle dégoulinait sur le plancher.

Même Faivre s'était tétanisé. Petitdieu était écoeuré mais pas surpris.
- Vous n'êtes pas d'OBSIDIENNE, vous, murmura Maréchal.
Pour toute réponse, le bourreau pinça la joue de l'inspecteur et secoua. Puis il partit avec les autres, en traînant le cadavre derrière lui.

La porte claqua. Le verrou tourna.
Maréchal put se tourner vers Faivre : il se demanda si ce dernier n'avait pas tourné de l'oeil.
- Jamais entendu parler de la Chimère, Maréchal ?...
L'inspecteur ne dit rien.
- C'est le nom de cette amicale de joyeux compères ?
- La guerre a permis un développement sans précédent du marché noir, dit Petitdieu. Encouragé, ou au moins toléré dans une certaine mesure par TRIBUNAL pour soutenir le moral de la Cité... La Chimère est née à ce moment. Un regroupement de pontes du banditisme, mais aussi des notables très en vue, des politiciens ambitieux, qui ont pris la direction du trafic.
"Ce qui n'était pas pour déplaire à TRIBUNAL, qui aime mieux toujours traiter avec des institutions organisées qu'avec des groupes dispersés. La Chimère est l'hydre du crime, Maréchal, la bête nourrie au sein de la Cité.
- Epargne-moi ta poésie, tu veux... Tu es en train de me dire qu'ADMINISTRATION a mis en place ces types?
- Pas mis en place, mais toléré, oui... Il fallait bien occuper le populo avec de la bibine, des jeux, des filles, pendant que vous preniez une derrouillée sur Forge... Tant que la Concorde Sociale est préservée...
- Et toi, tu trempes dans ce trafic ?
- Je les surveille, Maréchal.
- Tu es devenu l'un des leurs, Petitdieu... Ils t'ont offert quoi ?...
- Je ne suis pas un vendu ! Je fais mon devoir de fonctionnaire...
- Tu vas faire un rapport sur la mort de ton espion ?... Et d'abord, pourquoi vous m'espionniez ?
- Ne me mets pas dans le même sac, Maréchal.
- Ben tiens donc !
- La Chimère veut la tête des Vicari... Ils voulaient suivre votre enquête...
- C'est OBSIDIENNE qui m'espionne aux dernières nouvelles, pas ta chimère ! Quel rapport avec les Vicari ?
- La Chimère veut la tête des Vicari ! Ne me demande pas pourquoi !
- En sorte que, toi et Lehors, vous nous avez recruté pour faire le boulot qui arrange la Chimère, c'est ça ?... Magnifique...
- La tête de Fabio ne tient déjà plus sur ses épaules, Maréchal... Tu ne comprends pas que sa chute sera le cadeau de départ pour le patron ?
- Le cul de Fabio sur la commode de Ménard ? Beau cadeau, ouais... Et la tête sur le guéridon... Quel dévouement, Petitidieu ! Tu te mouilles pour que Ménard ne soit pas éclaboussé ! Tu auras la médaille, bravo !
Faivre était parti d'un rire nerveux. Il ne pouvait plus arrêter...
- Et Lehors ?
- Lehors ne sait rien ! On ne l'a pas affranchi !
- Tu ramasses tout seul la merde ! Ils te payent cher, Petitdieu ?
Jamais Maréchal n'avait éprouvé un mépris si profond pour quelqu'un. Du mépris, du dégoût, de la haine. Il se disait que c'est lui, Petitdieu, qui aurait dû finir le crâne ouvert sur le sol.

- Maintenant, c'est trop tard, dit Petitdieu. Ils vont prévenir le patron...
- Ah ah, ricana Maréchal, parce que tu crois que Ménard va se déplacer pour toi ? Ça me ferait bien mal qu'il vienne nettoyer ta merde ! Et compte pas sur moi pour t'aider, vieux !
Faivre maugréa une approbation.
- Tu ne sais pas ce que c'est, Maréchal. Arrivé à un certain niveau, tu dois te salir les mains... C'est facile de chasser les fantômes. Mais quand tu es dans la maison depuis un moment, comme moi, tu dois apprendre à passer des compromis, pour le bien de la Cité. La sécurité des gens passe avant tout.
- Qui a laissé prospérer ces gens-là ?
- TRIBUNAL, que veux-tu que je te dise !
- Et l'arrestation de Winclaz, c'était du flan ? Il était censé balancer tout le marché noir...
- Je ne sais pas, Maréchal, je ne sais pas...

Le verrou joua, la porte s'ouvrit doucement. Une silhouette enrobée, posée, familière, mais effrayante ici, apparut dans l’entrebâillement.
- Oh non...
Il écrasa sa cigarette sous son talon et entra, le chapeau à la main.
- Bonsoir les enfants...
- Bonsoir, commissaire...
Maréchal n'avait jamais été plus haineux, Ménard plus dépité. Ses grosses moustaches accentuaient son expression, qui n'exprimait finalement qu'un seul sentiment : la tristesse.
Maréchal avait tout de suite vu le regard échangé par le commissaire et Petitdieu, et c'était peut-être le pire : ce regard disait que les deux hommes étaient de mèche ! Ménard savait pour Petitdieu ! Ce regard avait voulu dire que, inévitablement, un jour, cela devait se produire, et que cela se produisait de la pire façon possible.

Ménard sortit un canif et coupa les liens de Maréchal. L'inspecteur hésita à se lever. L'habitude de la discipline de la police le fit lever quand Ménard lui en intima l'ordre. Il détacha aussi Petitdieu mais hésita en voyant Faivre, comme un fauve ligoté mais prêt à bondir.

C'est Petitdieu qui aida Faivre à se mettre sur la chaise. Faivre l'aurait tué !

Les hommes de la Chimère fumaient à une table, toujours dans leurs habits de ville. Ils avaient remis vestes, manteaux et chapeaux. Maréchal avait mal aux poignets. Il sortit du hangar. Ménard lui tendit sa blague à tabac. Machinalement, l'inspecteur se roula une cigarette. Il regarda la fumée prendre du volume, se déchirer et disparaître follement dans l'air. Ménard finissait de bourrer sa pipe.
Maréchal releva la tête et dit, droit dans les yeux, à ce gros grand-père brisé :
( Vous, commissaire, l'officier le plus prestigieux de la police judiciaire, le modèle de tout le Quai des Oiseleurs, vous avez pactisé avec le crime organisé ? Vous avez accepté de tremper dans l'ignoble corruption qui ronge cette Cité ?... Vous avez trahi tous vos précepts de fonctionnaire de SÛRETÉ, vous avez...
Ménard l'avait toléré un moment, mais il mit le holà :
- Ça y est, vous avez terminé votre discours ?
Maréchal aurait pu aussi bien lui envoyer son poing dans la figure. Et il se faisait encore gronder comme un petit-enfant ! Mais c'était trop tard, commissaire, trop tard, votre statue venait de s'écrouler ! Et les lambeaux d'autorité qui vous restaient ne pourraient cacher votre déchéance !
- Je vais bougrement avoir besoin de vous, Maréchal... Bougrement besoin de vous...
- Vous avez besoin d'un remplaçant pour Petitdieu, c'est ça ? Besoin d'un autre fusible pour remplacer celui qui vient de griller ?
- Non, non...
Il y a de la colère dans votre voix, mais pas une colère simulée pour effrayer les petits truands ; non la colère de l'homme rendu impuissant, la colère du coupable qui n'a plus que le choix d'avouer !
- Je devrais vous féliciter de n'avoir pas laissé Petitdieu se mouiller seul, peut-être ?... Comment vous l'avez choisi pour servir de relais entre vous et la Chimère ? Vous avez tiré au sort entre lui et Lehors ?
- Ces affaires nous dépassent, Maréchal. C'est politique... Nous, nous sommes là pour empêcher la marmite de bouillir...
- On dirait que le couvercle vient de sauter, commissaire. Il y a un mort dans ce hangar. Ils ne vous l'ont pas montré ? A quelques mètres de sa cervelle, cherchez bien...
- Écoutez, inspecteur, si vous avez une grande âme, il va falloir arrêter les Vicari rapidement. Soit c'est nous, et ça se passera dans la légalité, ou bien ce sera eux et ça finira en bain de sang...
- Sans blague ? J'y penserai en passant les menottes à Fabio Vicari. Il sera heureux de l'apprendre...

Petitdieu et Faivre sortaient du bâtiment. Les deux policiers de la brigade criminelle partirent ensemble. Maréchal et Faivre redescendirent au quai des Orfèvres. Ils s'arrêtèrent dans une brasserie de nuit, burent un verre et ne réussirent pas à se dire un mot. Faivre partit le premier. A cette heure-ci, il n'y avait plus de funiculaire. Les deux hommes descendirent dans la légère brume mouillée, les marches interminables qui menaient aux quais de Névise.
Nelly dormait déjà, et se contenta de prendre la main de Maréchal quand ce dernier s'assit sur le lit.
Dès le lendemain, il faudrait redoubler d'effort, étudier en détails le plan de la maison des Vicari. Introduire Turov à l'intérieur, mettre la main sur quelques preuves et donner l'assaut en vitesse.

Faivre arriva à la salle de boxe alors que le jour se levait. Une femme lui prit le bras alors qu'il allait entrer : c'était la fille perdue qu'il avait confié au dispensaire.
- Tu es fou d'être ici ! Va t-en !
- Qu'est-ce que tu fais-là ?
- Je me suis enfuie... Je ne pouvais pas rester là-bas !
- Je t'y ramène immédiatement !
Elle ne voulait pas se décrocher de lui.
- Je ne sais pas qui tu es, Mouplin, mais ce quartier sent la mort pour toi... Ta soeur, ou qui elle est, je ne sais pas, elle va te trahir ! Te trahir, tu entends ! Elle va parler à Fabio, pour sauver sa peau !
Faivre enleva son bras et lui serra les poignets. Elle eut un petit cri :
- Si tu hurles, je te casse le bras. Tu vas me suivre, toi...
Il la traîna jusqu'au dispensaire et la confia aux infirmiers.
- On est désolés, elle a filé...
- Ça va...
Faivre était déjà ressorti. Il rentra chez lui à pied ; il aurait à peine le temps de prendre une douche qu'il faudrait repartir au bureau. Il vit l'hôtel particulier des Vicari : il y avait de la lumière, des rires en sortaient. On entendait sauter des bouchons, des filles, plein de fumée de cigares.
- Je vais te faire tomber, Fabio... T'humilier, plus bas que terre ! Un cauchemar pire que la Chimère !...

A cette heure, il ignorait encore si Sélène avait passé la nuit.





FIN DU DOSSIER


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Dossier #20 : Chimères - by Darth Nico - 14-12-2011, 05:31 PM
RE: Dossier #20 : Chimères - by Darth Nico - 15-12-2011, 10:29 PM
RE: Dossier #20 : Chimères - by sdm - 17-12-2011, 08:26 PM
RE: Dossier #20 : Chimères - by Darth Nico - 24-12-2011, 04:03 PM
RE: Dossier #20 : Chimères - by Darth Nico - 26-12-2011, 01:42 PM
RE: Dossier #20 : Chimères - by Darth Nico - 28-12-2011, 03:34 PM
RE: Dossier #20 : Chimères - by Darth Nico - 28-12-2011, 10:25 PM
RE: Dossier #20 : Chimères - by sdm - 02-01-2012, 02:45 AM
RE: Dossier #20 : Chimères - by Darth Nico - 06-01-2012, 05:38 PM

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