23-11-2020, 01:13 AM
Feiyan se concentrait pour repérer toutes les traces du passage du fuyard, elle se rappelait des quelques conseils de Yue, cherchait des yeux les tiges hautes des prêles que le cheval avait cassé dans sa course, scrutait le sol sur les zones moins humides pour y trouver les empreintes de ses sabots. Bientôt son regard fut attiré plus loin par une forme étendue sur le sol, elle reconnut le cheval de l'Hujik-Hai.
Quand elle arriva à la hauteur de l'animal, elle vit qu'il s'était cassé une jambe sur une racine enterrée. Il gisait là, affolé et incapable de se relever. Elle aperçut tout près un coffret en bois ouvragé qui avait été abandonné par le fuyard. L'objet semblait ancien et portait sur son pourtour d'étranges décorations. Il avait été fracturé et son contenu avait disparu.
Feiyan savait qu'elle ne devait pas perdre de temps pour rattraper l'homme mais son cœur se serrait devant la souffrance de la pauvre bête. Elle mit pied à terre et s'approcha de lui, elle savait la seule chose à faire. Elle caressa gentiment l'encolure de l'animal en lui parlant d'une voix douce pour l'apaiser.
- Tu seras en paix dans le Chikushudo, laisse moi te libérer de cette vie.
L'animal cessa de s'agiter. Elle lui couvrit les yeux d'un morceau de tissu et sortit son wakizashi, puis fit le geste qui était enseigné à tous les samouraïs de son clan pour abréger les souffrances d'un cheval blessé.
Elle fit une courte prière pour que l'esprit de l'animal trouve le repos, puis se hâta de se remettre en selle pour repartir en chasse.
La forêt se rapprochait à présent, Feiyan se rendait pour la première fois compte de son immensité tangible. Elle cru distinguer brièvement un mouvement à la lisère et lança sa monture aussi vite qu'elle le pouvait sur le sol traitre du marais. Elle finit par arriver au pied des grands arbres et hésita un instant à continuer à cheval mais elle comprit vite que l’entrelacs des branches rendrait la progression impossible. Elle se jeta alors à terre, fit un signe rapide à sa monture pour qu'il l'attende ici puis sans un regard en arrière elle s'engouffra dans la forêt.
Sur les premiers arpents la lumière baignait encore le sous-bois, et Feiyan aurait pu se croire dans une forêt des terres de sa famille, non loin de la petite ville où elle avait grandi. Le sol restait imprégné d'eau mais la marche était plus facile que dans le marécage proche. Tous les sens aux aguets elle entendit plus loin l'envol bruyant d'une foule d'oiseaux et se précipita dans cette direction. Tandis qu'elle s'enfonçait plus avant dans la forêt le décors changea rapidement, comme les panneaux d'une pièce de théâtre.
Au dessus de sa tête les arbres s’élançaient de plus en plus haut et leur cime se perdait dans les ombres. La lumière ne parvenait plus qu'avec difficulté au sol, comme si elle était retenue de toutes leurs forces par les branches contorsionnées. Une brume d'humidité avait fait son apparition insidieuse et nimbait maintenant tout l'atmosphère. Feiyan n'avait jamais vu une forêt aussi impénétrable, mais elle n'avait aucune intention de renoncer. Elle vit soudain une silhouette furtive et se mit à courir en sa direction. Elle sortit son arme et bientôt elle déboucha sur une trouée.
L'homme se tenait là, de l'autre côté d'un ruisseau qui coulait à vive allure vers une dépression toute proche. Il la toisait. Ses vêtements gaijin et son armure était d'un noir de jais et il émanait de lui une sourde menace bien différente de la simple force brutale des autres qu'elle avait affronté. Son masque de cuir lisse lui couvrait tout le visage sous son capuchon et ne laissait percer que son regard froid.
A son flanc pendait son cimeterre d'un métal sombre et dans sa main gauche il tenait un linge noué autour de l'objet qui avait du se trouver dans le coffre en bois.
- Vous êtes obstinée.
Il s'était exprimé en rokugani mais avec un accent et une intonation qu'elle n'avait jamais entendu. Elle hésita alors à lui demander de se rendre pour qu'il réponde de ses crimes à la justice de son clan mais abandonna vite cette idée quand l'homme tira son arme et se mit en garde. Ils restèrent un long moment à s'observer. Les animaux de la foret avaient fait silence et la brume légère qui baignait les combattants leur donnait des airs de fantômes.
Le sang bouillonnant, Feiyan finit par s'élancer, sautant comme un chat sur les rochers glissants elle fut de l'autre côté en un instant, fendant l'air de son arme. L'étranger évita le coup et riposta dans le même geste. A son tour elle échappa avec souplesse à sa lame sombre. Elle poursuivit ses attaques furieuses pour garder l'initiative, mais à chaque fois l'homme réussissait à les éviter ou les dévier légèrement. Il plaçait des contre-attaques tranchantes mais Feiyan parvenait à se dérober.
Elle avait remarqué que l'homme protégeait particulièrement l'objet qu'il serrait contre lui et elle usait de cela à son avantage en l'attaquant sur ce côté, le forçant à faire des mouvements difficiles. Plus agile que lui, elle bondissait en équilibre incertain sur des rochers ou des racines saillantes, décochant des attaques soudaines.
Mais malgré ses efforts elle ne parvenait pas à percer la défense de l'étranger et elle se rendit compte qu'elle ne pourrait pas soutenir pendant longtemps un combat aussi intense. Il reprit peu à peu l'initiative des échanges et elle se trouvait contrainte de reculer. Essoufflée, elle respirait difficilement l'air trop lourd tandis que l'homme ne semblait pas montrer de signe de fatigue.
Une nouvelle charge la força à reculer. Il lançait son arme avec de plus en plus de force. Elle comprit qu'elle devait tenter le tout pour le tout pour renverser le cours du combat. L'idée lui vint en apercevant un arbre à la forme torturée à quelques pas derrière elle. Elle recula en faisant de son mieux pour éviter les coups et lorsqu'elle sentit le tronc dans son dos elle fit semblant de perdre l'équilibre pour un instant. L'homme fit un grand geste pour la faucher mais elle se jeta sur le côté. Le cimeterre fit un bruit sourd en s'enfonçant de plusieurs pouces dans le bois humide, un genou à terre Feiyan lança son attaque en s'étirant aussi loin qu'elle le pouvait. Trop courte pour atteindre un point vital, sa lame entailla cependant le bras gauche de l'homme en profondeur.
Il poussa un feulement de tigre blessé, et la douleur lui fit lâcher son précieux paquetage. En tombant le linge se défit et Feyian aperçu un moreau de cuir vieillissant et des tranches de pages jaunies. Elle reconnut la forme d'un livre gaijin d'après les descriptions des voyageurs de son clan.
Elle avait baissé les yeux une seconde seulement vers l'objet mais cette inattention avait été suffisante, l'homme avait laissé son arme fichée dans l'arbre et d'un bond s'était jeté sur elle. Feiyan essaya de reculer mais de sa main valide il la retint et lui assena un coup de genou qui lui fit craquer les côtes. Elle se dégagea d'un moulinet de son arme et tituba en reculant, le souffle coupé. Elle sentit brusquement son pied qui glissait vers le vide derrière elle. Dans un temps comme suspendu son regard croisa celui de l'homme, indéchiffrable, puis elle bascula en arrière.
---------------------------------------
L'anfractuosité était heureusement peu profonde et végétation dense de la forêt ralentit sa chute. Elle finit par atterrir plusieurs mètres en contrebas sur un épais lit de mousse. Rassemblant ses esprits et ignorant la douleur intense dans ses côtes, elle se releva et observa en surplomb. Elle ne vit que l'eau du ruisseau indifférent coulant de rocher en rocher.
Elle testa les prises pour remonter mais les pierres humides étaient trop glissantes pour l'escalade. Observant les alentours pour trouver une solution, elle remarqua que le terrain remontait en pente douce d'un côté. Elle se mit à longer la paroi dans cette direction. Au bout d'un moment l'à-pic s'était suffisamment réduit et elle parvint à remonter en grimaçant sous la souffrance.
Sur ses gardes elle rejoignit le lieu de leur affrontement à présent d'une quiétude totale. L'homme avait disparu, emportant avec lui le livre gaijin qu'il avait volé dans la caravane. Feiyan entreprit de chercher des traces de sang et ou des empreintes pour le traquer. Elle ne tenait que par sa volonté tant la douleur menaçait de la submerger. Mais toute sa résolution n’empêchait pas ses sens de se troubler peu à peu. La brume lui paraissait plus dense, les arbres semblaient se mouvoir dans le coin de ses yeux. Au sol les traces tremblaient quand elle les regardait et n'importe quel trou prenait la forme d'une empreinte de pas. Ivre de fatique elle progressa vers l'intérieur de la forêt qui se refermait sur elle.
Elle n'aurait su dire combien de temps elle marchait ainsi, suivant des traces à la réalité incertaines. Tout autour d'elle les animaux avaient reprit leur bavardage incessant, les cris des oiseaux résonnaient et se mélangeait au croassements permanent de crapauds invisibles. Elle arriva enfin en haletant dans un endroit plus calme, une petite mare peu profonde dont l'eau était si immobile qu'elle était comme un miroir laissé là par un dieu oublieux. Mais ce n'était pas la mare qui attirait le regard de Feiyan, c'était l'animal qui s'y désaltérait en son centre.
Un cerf d'une blancheur immaculée se tenait là, la tête baissée pour boire. Au bruit de l'arrivée de la jeune femme il se releva et la regarda. Il y avait dans ses yeux la même sérénité que celle des immenses plaines de l'Ouest. Feiyan resta figée au bord de l'eau, subjuguée par la beauté de l'animal. Elle oublia pour un temps tout ce qu'elle savait et tout ce qu'elle cherchait. L'homme en noir s'était dissout dans ses pensées comme une ombre chassée par un soleil resplendissant. Au pied du cerf, son reflet parfait se tenait là, à l'envers du monde, assombri par la terre noire qui affleurait sous l'eau. Le temps avait interrompu sa course autour d'eux.
Puis un bruit vint rompre le charme, Feiyan tourna la tête et devina un mouvement fugace entre les arbres plus loin. Elle jeta un dernier regard vers l'animal mais il avait déjà disparu et ne restait que la mare stagnante. Reprenant pleinement ses esprits Feiyan se remit en route en direction du mouvement qu'elle avait cru voir. Arrivée non loin de l'endroit, elle se fit plus discrète et s'accroupit derrière un arbre pour essayer d'observer, mais de là elle ne vit rien d'autres que des arbres, encore plus sombres et menaçants que tout ceux qu'elle avait déjà vu.
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Feiyan se figea au contact de la lame froide sur son cou. Presque surprise de ne pas être morte, elle baissa lentement les yeux et vit que l'arme qui la menaçait était un katana effilé et non le cimeterre de l'homme masqué. Rassurée, elle tourna la tête, tandis que la lame restait suspendue à un souffle de sa gorge.
La samouraï-ko qui se tenait là devait avoir seulement quelques années de plus qu'elle, son visage élégant ne trahissait aucune émotion. Son kimono était d'un vert si sombre qu'il semblait absorber le peu de lumière qui perçait encore la cime des arbres. Sans prévenir, elle écarta son katana et le replaça avec soin dans le saya à sa ceinture. L'ébauche d'un sourire apparu sur ses lèvres.
- Pardonnez-moi Licorne-san, je ne vous avais pas reconnu, dit-elle d'une voix douce.
Feiyan baissa la tête et s'aperçut qu'elle était à présent si recouverte de terre et de poussière que ses couleurs de son clan n'étaient presque plus visibles. Elle aurait pu passer pour une sauvage.
- Je m'appelle Utaku Feiyan, dit-elle en se relevant difficilement, excusez mon aspect.
- Toritaka Rin, c'est un honneur de rencontrer une prestigieuse Shiotome. Un honneur inattendu je dois dire.
- Je poursuis un homme dangereux Rin-san, un barbare gaijin qui s'est enfuit dans la forêt, je dois le retrouver.
Feiyan s'attendait à ce que la samouraï-ko propose de l'aider dans son entreprise et elle commençait déjà à repartir quand elle sentit sa main sur son épaule.
- Utaku Feiyan vous ne pouvez pas aller plus loin, lui dit-elle avec assurance.
- Que voulez-vous dire ? fit Feiyan, en se retournant, incrédule.
- Permettez-moi de vous demander, que savez-vous de cette forêt ?
- Ce qu'en raconte les histoires, comme tous les samouraïs de mon clan, dit-elle irritée.
- Alors vous en connaissez bien peu. Au delà de l'endroit où nous nous trouvons c'est la terre des esprits Feiyan-san.
Rin leva la main pour prévenir ses protestations.
- Comprenez-moi bien, en disant cela je n'use pas du langage énigmatique des moines des montagnes, ni des belles images des poètes Asahina, cet endroit appartient aussi réellement aux esprits que la Muraille appartient aux Hida.
- Mais je veux pas offenser les esprits, je cherche simplement ce gaijin, dit-elle excédée. Nous le pourchassons lui et ses complices depuis des jours, ils ont attaqué une caravane non loin d'ici.
- Je suis sûr que votre traque est juste Feiyan-san, mais considérez là comme achevée. Cet homme est comme mort s'il s'est aventuré dans cette direction. Même les gens de mon clan ne pénètrent dans ces parties de la forêt qu'avec de grande précaution. Particulièrement depuis quelques temps, les esprits sont en colère.
Feiyan observa les environs, tentant vainement de vérifier les dires de Rin.
- Vous ne pourrez pas les voir, un long entrainement auprès des maitres de mon clan est nécessaire pour développer ce sens. Vous devez me faire confiance Feiyan-san, ils sont plus proches que vous ne le pensez et bien plus dangereux.
Les paroles la jeune femme étaient amicales mais fermes. Feiyan admettait que Rin devait connaitre infiniment mieux qu'elle la foret de Shinomen, et elle savait aussi que ceux du Faucon en avait la responsabilité tacite dans cette région. Passer outre son avertissement et s'entêter pouvait placer ses supérieurs de la Horde dans l'embarras. Enfin elle devait bien convenir que si jamais elle avait besoin de repousser la samouraï-ko par la force, elle n'aurait peut-être pas le dessus, surtout dans son état.
La frustration lui fit se mordre les lèvres jusqu'au sang mais avec la lucidité qui lui restait elle finit par admettre qu'elle ne pouvait continuer. Poussant un soupir elle se tourna vers le ciel invisible derrière les hautes frondaisons. Les yeux clos, elle se délesta peu à peu de la tension qui l'habitait depuis des heures. Le poids de la fatigue et la douleur lancinante vinrent occuper la place maintenant vacante. Rin attendit patiemment à quelques pas qu'elle termine d'accepter la situation.
- Je dois retourner auprès de mes compagnons, fini-t-elle par dire en rouvrant les yeux, je crains de devoir solliciter votre aide Rin-san, je serais bien incapable de retrouver mon chemin.
La samouraï-ko sourit et l'invita à la suivre.
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Quand elle arriva à la hauteur de l'animal, elle vit qu'il s'était cassé une jambe sur une racine enterrée. Il gisait là, affolé et incapable de se relever. Elle aperçut tout près un coffret en bois ouvragé qui avait été abandonné par le fuyard. L'objet semblait ancien et portait sur son pourtour d'étranges décorations. Il avait été fracturé et son contenu avait disparu.
Feiyan savait qu'elle ne devait pas perdre de temps pour rattraper l'homme mais son cœur se serrait devant la souffrance de la pauvre bête. Elle mit pied à terre et s'approcha de lui, elle savait la seule chose à faire. Elle caressa gentiment l'encolure de l'animal en lui parlant d'une voix douce pour l'apaiser.
- Tu seras en paix dans le Chikushudo, laisse moi te libérer de cette vie.
L'animal cessa de s'agiter. Elle lui couvrit les yeux d'un morceau de tissu et sortit son wakizashi, puis fit le geste qui était enseigné à tous les samouraïs de son clan pour abréger les souffrances d'un cheval blessé.
Elle fit une courte prière pour que l'esprit de l'animal trouve le repos, puis se hâta de se remettre en selle pour repartir en chasse.
La forêt se rapprochait à présent, Feiyan se rendait pour la première fois compte de son immensité tangible. Elle cru distinguer brièvement un mouvement à la lisère et lança sa monture aussi vite qu'elle le pouvait sur le sol traitre du marais. Elle finit par arriver au pied des grands arbres et hésita un instant à continuer à cheval mais elle comprit vite que l’entrelacs des branches rendrait la progression impossible. Elle se jeta alors à terre, fit un signe rapide à sa monture pour qu'il l'attende ici puis sans un regard en arrière elle s'engouffra dans la forêt.
Sur les premiers arpents la lumière baignait encore le sous-bois, et Feiyan aurait pu se croire dans une forêt des terres de sa famille, non loin de la petite ville où elle avait grandi. Le sol restait imprégné d'eau mais la marche était plus facile que dans le marécage proche. Tous les sens aux aguets elle entendit plus loin l'envol bruyant d'une foule d'oiseaux et se précipita dans cette direction. Tandis qu'elle s'enfonçait plus avant dans la forêt le décors changea rapidement, comme les panneaux d'une pièce de théâtre.
Au dessus de sa tête les arbres s’élançaient de plus en plus haut et leur cime se perdait dans les ombres. La lumière ne parvenait plus qu'avec difficulté au sol, comme si elle était retenue de toutes leurs forces par les branches contorsionnées. Une brume d'humidité avait fait son apparition insidieuse et nimbait maintenant tout l'atmosphère. Feiyan n'avait jamais vu une forêt aussi impénétrable, mais elle n'avait aucune intention de renoncer. Elle vit soudain une silhouette furtive et se mit à courir en sa direction. Elle sortit son arme et bientôt elle déboucha sur une trouée.
L'homme se tenait là, de l'autre côté d'un ruisseau qui coulait à vive allure vers une dépression toute proche. Il la toisait. Ses vêtements gaijin et son armure était d'un noir de jais et il émanait de lui une sourde menace bien différente de la simple force brutale des autres qu'elle avait affronté. Son masque de cuir lisse lui couvrait tout le visage sous son capuchon et ne laissait percer que son regard froid.
A son flanc pendait son cimeterre d'un métal sombre et dans sa main gauche il tenait un linge noué autour de l'objet qui avait du se trouver dans le coffre en bois.
- Vous êtes obstinée.
Il s'était exprimé en rokugani mais avec un accent et une intonation qu'elle n'avait jamais entendu. Elle hésita alors à lui demander de se rendre pour qu'il réponde de ses crimes à la justice de son clan mais abandonna vite cette idée quand l'homme tira son arme et se mit en garde. Ils restèrent un long moment à s'observer. Les animaux de la foret avaient fait silence et la brume légère qui baignait les combattants leur donnait des airs de fantômes.
Le sang bouillonnant, Feiyan finit par s'élancer, sautant comme un chat sur les rochers glissants elle fut de l'autre côté en un instant, fendant l'air de son arme. L'étranger évita le coup et riposta dans le même geste. A son tour elle échappa avec souplesse à sa lame sombre. Elle poursuivit ses attaques furieuses pour garder l'initiative, mais à chaque fois l'homme réussissait à les éviter ou les dévier légèrement. Il plaçait des contre-attaques tranchantes mais Feiyan parvenait à se dérober.
Elle avait remarqué que l'homme protégeait particulièrement l'objet qu'il serrait contre lui et elle usait de cela à son avantage en l'attaquant sur ce côté, le forçant à faire des mouvements difficiles. Plus agile que lui, elle bondissait en équilibre incertain sur des rochers ou des racines saillantes, décochant des attaques soudaines.
Mais malgré ses efforts elle ne parvenait pas à percer la défense de l'étranger et elle se rendit compte qu'elle ne pourrait pas soutenir pendant longtemps un combat aussi intense. Il reprit peu à peu l'initiative des échanges et elle se trouvait contrainte de reculer. Essoufflée, elle respirait difficilement l'air trop lourd tandis que l'homme ne semblait pas montrer de signe de fatigue.
Une nouvelle charge la força à reculer. Il lançait son arme avec de plus en plus de force. Elle comprit qu'elle devait tenter le tout pour le tout pour renverser le cours du combat. L'idée lui vint en apercevant un arbre à la forme torturée à quelques pas derrière elle. Elle recula en faisant de son mieux pour éviter les coups et lorsqu'elle sentit le tronc dans son dos elle fit semblant de perdre l'équilibre pour un instant. L'homme fit un grand geste pour la faucher mais elle se jeta sur le côté. Le cimeterre fit un bruit sourd en s'enfonçant de plusieurs pouces dans le bois humide, un genou à terre Feiyan lança son attaque en s'étirant aussi loin qu'elle le pouvait. Trop courte pour atteindre un point vital, sa lame entailla cependant le bras gauche de l'homme en profondeur.
Il poussa un feulement de tigre blessé, et la douleur lui fit lâcher son précieux paquetage. En tombant le linge se défit et Feyian aperçu un moreau de cuir vieillissant et des tranches de pages jaunies. Elle reconnut la forme d'un livre gaijin d'après les descriptions des voyageurs de son clan.
Elle avait baissé les yeux une seconde seulement vers l'objet mais cette inattention avait été suffisante, l'homme avait laissé son arme fichée dans l'arbre et d'un bond s'était jeté sur elle. Feiyan essaya de reculer mais de sa main valide il la retint et lui assena un coup de genou qui lui fit craquer les côtes. Elle se dégagea d'un moulinet de son arme et tituba en reculant, le souffle coupé. Elle sentit brusquement son pied qui glissait vers le vide derrière elle. Dans un temps comme suspendu son regard croisa celui de l'homme, indéchiffrable, puis elle bascula en arrière.
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L'anfractuosité était heureusement peu profonde et végétation dense de la forêt ralentit sa chute. Elle finit par atterrir plusieurs mètres en contrebas sur un épais lit de mousse. Rassemblant ses esprits et ignorant la douleur intense dans ses côtes, elle se releva et observa en surplomb. Elle ne vit que l'eau du ruisseau indifférent coulant de rocher en rocher.
Elle testa les prises pour remonter mais les pierres humides étaient trop glissantes pour l'escalade. Observant les alentours pour trouver une solution, elle remarqua que le terrain remontait en pente douce d'un côté. Elle se mit à longer la paroi dans cette direction. Au bout d'un moment l'à-pic s'était suffisamment réduit et elle parvint à remonter en grimaçant sous la souffrance.
Sur ses gardes elle rejoignit le lieu de leur affrontement à présent d'une quiétude totale. L'homme avait disparu, emportant avec lui le livre gaijin qu'il avait volé dans la caravane. Feiyan entreprit de chercher des traces de sang et ou des empreintes pour le traquer. Elle ne tenait que par sa volonté tant la douleur menaçait de la submerger. Mais toute sa résolution n’empêchait pas ses sens de se troubler peu à peu. La brume lui paraissait plus dense, les arbres semblaient se mouvoir dans le coin de ses yeux. Au sol les traces tremblaient quand elle les regardait et n'importe quel trou prenait la forme d'une empreinte de pas. Ivre de fatique elle progressa vers l'intérieur de la forêt qui se refermait sur elle.
Elle n'aurait su dire combien de temps elle marchait ainsi, suivant des traces à la réalité incertaines. Tout autour d'elle les animaux avaient reprit leur bavardage incessant, les cris des oiseaux résonnaient et se mélangeait au croassements permanent de crapauds invisibles. Elle arriva enfin en haletant dans un endroit plus calme, une petite mare peu profonde dont l'eau était si immobile qu'elle était comme un miroir laissé là par un dieu oublieux. Mais ce n'était pas la mare qui attirait le regard de Feiyan, c'était l'animal qui s'y désaltérait en son centre.
Un cerf d'une blancheur immaculée se tenait là, la tête baissée pour boire. Au bruit de l'arrivée de la jeune femme il se releva et la regarda. Il y avait dans ses yeux la même sérénité que celle des immenses plaines de l'Ouest. Feiyan resta figée au bord de l'eau, subjuguée par la beauté de l'animal. Elle oublia pour un temps tout ce qu'elle savait et tout ce qu'elle cherchait. L'homme en noir s'était dissout dans ses pensées comme une ombre chassée par un soleil resplendissant. Au pied du cerf, son reflet parfait se tenait là, à l'envers du monde, assombri par la terre noire qui affleurait sous l'eau. Le temps avait interrompu sa course autour d'eux.
Puis un bruit vint rompre le charme, Feiyan tourna la tête et devina un mouvement fugace entre les arbres plus loin. Elle jeta un dernier regard vers l'animal mais il avait déjà disparu et ne restait que la mare stagnante. Reprenant pleinement ses esprits Feiyan se remit en route en direction du mouvement qu'elle avait cru voir. Arrivée non loin de l'endroit, elle se fit plus discrète et s'accroupit derrière un arbre pour essayer d'observer, mais de là elle ne vit rien d'autres que des arbres, encore plus sombres et menaçants que tout ceux qu'elle avait déjà vu.
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Feiyan se figea au contact de la lame froide sur son cou. Presque surprise de ne pas être morte, elle baissa lentement les yeux et vit que l'arme qui la menaçait était un katana effilé et non le cimeterre de l'homme masqué. Rassurée, elle tourna la tête, tandis que la lame restait suspendue à un souffle de sa gorge.
La samouraï-ko qui se tenait là devait avoir seulement quelques années de plus qu'elle, son visage élégant ne trahissait aucune émotion. Son kimono était d'un vert si sombre qu'il semblait absorber le peu de lumière qui perçait encore la cime des arbres. Sans prévenir, elle écarta son katana et le replaça avec soin dans le saya à sa ceinture. L'ébauche d'un sourire apparu sur ses lèvres.
- Pardonnez-moi Licorne-san, je ne vous avais pas reconnu, dit-elle d'une voix douce.
Feiyan baissa la tête et s'aperçut qu'elle était à présent si recouverte de terre et de poussière que ses couleurs de son clan n'étaient presque plus visibles. Elle aurait pu passer pour une sauvage.
- Je m'appelle Utaku Feiyan, dit-elle en se relevant difficilement, excusez mon aspect.
- Toritaka Rin, c'est un honneur de rencontrer une prestigieuse Shiotome. Un honneur inattendu je dois dire.
- Je poursuis un homme dangereux Rin-san, un barbare gaijin qui s'est enfuit dans la forêt, je dois le retrouver.
Feiyan s'attendait à ce que la samouraï-ko propose de l'aider dans son entreprise et elle commençait déjà à repartir quand elle sentit sa main sur son épaule.
- Utaku Feiyan vous ne pouvez pas aller plus loin, lui dit-elle avec assurance.
- Que voulez-vous dire ? fit Feiyan, en se retournant, incrédule.
- Permettez-moi de vous demander, que savez-vous de cette forêt ?
- Ce qu'en raconte les histoires, comme tous les samouraïs de mon clan, dit-elle irritée.
- Alors vous en connaissez bien peu. Au delà de l'endroit où nous nous trouvons c'est la terre des esprits Feiyan-san.
Rin leva la main pour prévenir ses protestations.
- Comprenez-moi bien, en disant cela je n'use pas du langage énigmatique des moines des montagnes, ni des belles images des poètes Asahina, cet endroit appartient aussi réellement aux esprits que la Muraille appartient aux Hida.
- Mais je veux pas offenser les esprits, je cherche simplement ce gaijin, dit-elle excédée. Nous le pourchassons lui et ses complices depuis des jours, ils ont attaqué une caravane non loin d'ici.
- Je suis sûr que votre traque est juste Feiyan-san, mais considérez là comme achevée. Cet homme est comme mort s'il s'est aventuré dans cette direction. Même les gens de mon clan ne pénètrent dans ces parties de la forêt qu'avec de grande précaution. Particulièrement depuis quelques temps, les esprits sont en colère.
Feiyan observa les environs, tentant vainement de vérifier les dires de Rin.
- Vous ne pourrez pas les voir, un long entrainement auprès des maitres de mon clan est nécessaire pour développer ce sens. Vous devez me faire confiance Feiyan-san, ils sont plus proches que vous ne le pensez et bien plus dangereux.
Les paroles la jeune femme étaient amicales mais fermes. Feiyan admettait que Rin devait connaitre infiniment mieux qu'elle la foret de Shinomen, et elle savait aussi que ceux du Faucon en avait la responsabilité tacite dans cette région. Passer outre son avertissement et s'entêter pouvait placer ses supérieurs de la Horde dans l'embarras. Enfin elle devait bien convenir que si jamais elle avait besoin de repousser la samouraï-ko par la force, elle n'aurait peut-être pas le dessus, surtout dans son état.
La frustration lui fit se mordre les lèvres jusqu'au sang mais avec la lucidité qui lui restait elle finit par admettre qu'elle ne pouvait continuer. Poussant un soupir elle se tourna vers le ciel invisible derrière les hautes frondaisons. Les yeux clos, elle se délesta peu à peu de la tension qui l'habitait depuis des heures. Le poids de la fatigue et la douleur lancinante vinrent occuper la place maintenant vacante. Rin attendit patiemment à quelques pas qu'elle termine d'accepter la situation.
- Je dois retourner auprès de mes compagnons, fini-t-elle par dire en rouvrant les yeux, je crains de devoir solliciter votre aide Rin-san, je serais bien incapable de retrouver mon chemin.
La samouraï-ko sourit et l'invita à la suivre.
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