CHRONIQUE DE L'EMPIRE D'EMERAUDE : 9e RECIT
MUGEN-JUTSU !
Alors que les défis lancés par Mugen se poursuivaient, Ayame tentait de parler avec le chef des créatures sylvestres. Celles-ci étaient apparus dans Morikage [la forêt des ombres] de nombreuses lunes auparavant. Auparavant – c’est ce qu’Ayame comprit – elles avaient vécu dans Shinomen Mori, où elles avaient fréquenté les Nagas. Mais elles étaient ignorantes de l’existence des humains. Leur esprit collectif se réincarnait selon des cycles. Et maintenant, Morikage était leur nouvelle résidence.
La shugenja essaya patiemment de faire comprendre au chef que la coexistence avec les Rokuganis demanderait de respecter des règles précises. Mais la créature n’y était pas opposé. La vraie difficulté venait plutôt du dénommé Mugen. Il continuait à interpeller Ikky et Riobe. Il les poussa à bout par ses paroles insolentes, blessantes et grossières. C’était à se demander s’il était bien humain, malgré les apparences.
- Bon, vous foutez quoi ? Pffff… on s’ennuie avec vous ! Vous êtes nuls ou quoi !
Il combattait selon une technique parfaitement non-Rokugani. Il esquivait les coups avec une facilité déconcertante, sans même dégainer son étrange épée. Ikky para de sa lame, et d’extrême justesse, un coup porté par Mugen, avant de s’avouer vaincue et de laisser la place à Riobe. Celui-ci se mit cérémonieusement en position de duel devant Mugen. Ce dernier, ignorant des règles honorables du iaijutsu, s’était carrément assis par terre. Il se grattait, baillait, attendant que Riobe dégaine. Il parlait souvent au chef des créatures végétales, qu’il appelait « le Vieux ». Il semblait qu’il tirait son enseignement au combat de ce Vieux.
- Dis-donc le Vieux, ils ne m’ont pas l’air si forts que ça. Regarde comment j’ai battu facilement la fille. Et maintenant, lui [il parlait de Riobe], il n’a pas l’air plus dégourdi.
Dénué d’élégance, rustre au possible, la technique du Mugen-jutsu était pourtant des plus percutantes. Riobe, bouillant d’une colère contenue, priait Mugen de bien vouloir dégainer, mais celui-ci attendait toujours.
- Alors, le p’tit, qu’est-ce que tu fais ? Tu m’avais l’air bien, et là, tu fais plus rien ! Allez, on s’ennuie là…
Riobe finit par faire jaillir son katana. Mugen esquiva rapidement, se releva, et répliqua par un coup de pied dans la joue de Riobe. Celui-ci se mit à saigner légèrement.
Il avait perdu. Mugen n’en tira aucune gloire. Il accepta seulement de laisser passer nos amis. Quand il apprit que très loin vers le sud-est se trouvait un grand mur qui protégeait l’empire de créatures hideuses et très puissantes, il trouva un regain d’intérêt à parler avec nos héros. Ainsi, il y avait des monstres auxquels il pourrait se mesurer… Aussitôt, il demanda le chemin vers cet endroit fabuleux, et promit de se mettre en chemin.
Restait à savoir comment il allait traverser tout Rokugan, et surtout s’il y parviendrait… Mais le mieux que lui souhaitait Ayame, ainsi que Riobe et Ikky, c’était encore de mourir au combat face aux hordes de l’Outremonde !
Mugen s’en alla de ce pas, aussi vite qu’il était venu. Les créatures, toujours curieuses et diplomates, continuaient à entourer nos héros, mais seul le chef parlait. Arrivèrent alors Hiruya et Kohei, qui revenait de la chasse au brigand. Ils avaient rappelé à quelques malfaiteurs de bas-étage des rudiments de savoir-vivre…
Les deux Phénix et Riobe expliquèrent alors en quelques mots qui étaient ces créatures de la forêt, et leur rencontre avec le dénommé Mugen. Ryu restait en retrait, toujours silencieuse et méditative, comme à son habitude. Elle n’avait en tête que la mission confiée par Akuma-san. Le reste lui importait peu.
Apprenant que Mugen se battait à mains nues, Kohei laissa alors sortir de sa grande bouche de Licorne l’interjection la plus malheureuse qui soit :
- Ah ouais, il se battait à mains nues… tu te souviens, Hiruya, comme ces imbéciles du Dragon !
Il y eut un grand silence de mort dans Morikage. Un oiseau s’envola brusquement de sa branche.
Les regards consternés qui tombèrent sur le pauvre Kohei lui firent aussitôt prendre conscience de sa gaffe énorme. Cela eut au moins pour effet de sortir Ryu de sa « méditation ». Brusquement ramenée à la réalité, elle répliqua vertement, mais en direction de Soshu, qui n’avait rien dit, en insultant sans détour son alcoolisme.
On envisageait déjà un duel entre les deux. Du reste, il y avait déjà failli en avoir un, quand Ryu, dans la ferme de Ikoma Yoko, avait insulté les Licornes.
Soshu intervint rapidement avant que la crise ne dégénère. Ses talents de diplomate étaient plus qu’urgemment souhaités.
- Je crois que nous sommes nous un peu fatigués après cette longue journée, et il est possible d’avoir des mots malheureux et irréfléchis. Cependant, je suis sûr que Kohei-san ne pensait pas à mal, et que Ryu-san a juste eu une réaction un peu brusque face à la saillie inattendu de Kohei-san. Je pense qu’un échange d’excuses mutuelles serait acceptable, et nous pourrions oublier ce fâcheux échange.
Le pauvre Kohei, à cette heure, ne savait plus où mettre sa grande carcasse. Il aurait souhaité être plusieurs lis sous terre, ou très loin d’ici. Il sentait son honneur en prendre un coup…
Il s’avança d’un pas, se pencha bien en avant, et demanda le pardon de Ryu-san. Sa langue avait fourché, et cela ne se reproduirait plus. A son tour, Ryu-san prononça des excuses pour sa réplique insultante.
Ainsi, pour tous, l’affaire était close.
LA VENGEANCE DU CRABE
La discussion avec les créatures de la forêt pouvait reprendre.
- Etes-vous seuls dans cette forêt, ou y a-t-il d’autres créatures comme vous ? avait demandé Ayame.
- Nous pensons qu’il y a d’autres créatures vivantes dans cette forêt… nous en avons croisé une, il y a peu.
Aussitôt sur le pied de guerre, nos héros décidèrent d’un commun accord d’aller chercher cette créature. Qui pouvait bien habiter au cœur de la forêt des Ombres ? C’était pour le moins bizarre…
Ayame-san pria les créatures de les emmener plus vers le cœur de Morikage, là où ils avaient aperçu cette autre créature. Elles acceptèrent, et commencèrent à ouvrir un chemin parmi les buissons épais, les taillis jamais piétinés par l’homme, sous l’épais feuillage noir qui se balançait lentement dans la brise de l’hiver.
Après une bonne heure de marche, nos héros avaient perdu de vue complètement le sentier forestier habituel. Ils ne pouvaient que s’en remettre aux créatures pour se retrouver dans ce labyrinthe inextricable de végétation. Après leur avoir indiqué le chemin à suivre, les habitants de Morikage leur dirent qu’ils n’iraient pas plus loin, mais qu’ils n’étaient plus loin du but. Nos héros arpentèrent encore la forêt, avant d’arriver en haut d’une butte. En contrebas, une clairière s’ouvrait à eux. Ils aperçurent alors une large silhouette, allongée à terre. C’était un homme de forte taille, haletant après une longue course.
Nos héros descendirent prudemment vers lui, la main sur la garde.
Quand ils entrèrent dans la clairière, à la lumière du soleil d’hiver, ils le reconnurent.
C’était Sotan le rônin, qui s’appelait encore Hida Sotan à Heibetsu.
Très surprise, Ayame s’approcha de lui.
- Voyons, Sotan, mais que faites-vous là ?
Aussitôt, le puissant bushi se remit sur ses pieds – et l’on aurait dit un chêne abattu qui se redresse sur ses racines, et assista, médusé, à l’arrivée de tous nos héros, qu’il connaissait bien.
Plutôt affolé que rassuré, il se jeta alors aux pieds d’Ayame, larmoyant, plein de détresse et de remords :
- Pitié ! honorable shugenja ! Pitié, Ayame-sama, laissez-moi vous expliquer tout ! Je ne suis qu’un misérable ! Je ne mérite pas votre attention, et j’ai mille fois mérité mon sort !...
- Que faites-vous donc dans cette forêt, Sotan ?
- Mais je la poursuis, elle ! Je la poursuis depuis Heibetsu !
La colère reprenait le dessus sur les larmes.
- Qui ? Mais elle voyons : cette putain sans honneur de Nahoko ! Elle qui est la cause de ma déchéance, et de la mort de mes compagnons d’armes !
Sotan s’assit par terre, et commença à expliquer son histoire.
A Heibetsu, il avait espéré trouver des œufs de poisson miraculeux, qui auraient permis de guérir la souillure de l’Outremonde parmi le clan du Crabe. On lui avait fait miroiter la possibilité d’élever des poissons et de préparer des cures avec leurs œufs. Mais pour cela, Sotan avait été amené à s’associer avec le sinistre individu surnommé Tsuru Makkuro [la Grue Noire]. Ce dernier, criminel notoire sur les terres de la famille Daidoji, gravissait les montagnes du Dragon jusqu’à Heibetsu, pour accomplir sa basse besogne : faire taire à coups de sabres plusieurs de ses anciens complices, des rônins et des gaijins réfugiés dans les montagnes. Besogne à laquelle Sotan ne répugnait pas de s’associer.
Seulement, la Grue Noire, et sa complice Nahoko, avaient l’âme bien plus noire que leurs victimes. La nuit, peu avant que nos héros n’arrivent au village des deux Temples des Oiseaux, Sotan et ses bushis étaient allés parler en face à la Grue Noire. Ils refusaient de s’associer plus longtemps avec cet assassin. Ils avaient été dupés, et rompaient leur association. Mais Tsuru Makkuro n’était pas décidé à laisser ses complices partir ainsi.
Sotan et les trois Hida s’étaient reculés de quelques pas puis s’étaient mis en garde devant la Grue Noire. Celui-ci, froid et silencieux, avait lentement amené sa main sur la garde son katana, fixant ses quatre adversaires.
Dans une explosion de colère, les quatre Crabes sonnèrent la charge. C’était sans compter sans les réflexes, la rapidité, la souplesse terrifiantes de la Grue Noire. Il évita les quatre sabres qui allaient le terrasser, et répliqua en quelques passes d’armes précises. Une foudre glacée s’abattit sur les Crabes, qui les coupa en deux comme des feuilles de parchemin.
Ils s’écroulèrent lourdement à terre, ensemble.
La Grue Noire rengaina posément, rejoignit sa complice Nahoko et partit avec elle en direction des Temples jumeaux, où nos héros les découvrirent.
Seul Sotan avait survécu d’extrême justesse à la mort.
Mais il était coupable de la mort de ses hommes, et d’avoir aidé un homme sans honneur. Il savait qu’il n’avait même pas droit au seppuku. Il n’était plus digne du clan du Crabe. Pendant de longues semaines, accueillit chez les braves paysans des montagnes d’Heibetsu, il se remit de ses blessures. Heureusement, il savait qu’un peu du sang d’Osano-Wo, fortune du tonnerre et patron des bushis, coulait dans ses veines. La vie reprit le dessus sur ses blessures. Dans le long sommeil douloureux de sa convalescence, il oublia peu à peu la Grue Noire. Il songeait d’abord à vivre. Quand il fut sur pied, il aida les paysans à rebâtir les deux temples calcinés. Un gaillard comme lui ne répugnait pas à la tache : il portait à lui seul des poutres bois que deux paysans ne soulevaient pas.
Alors qu’il vivait paisiblement à Heibetsu, il fut rattrapé déjà par ses actions passés. Un magistrat du nom de Kitsuki Hanbeï – celui-là même qu’Ayame et Ikky avaient croisé sur la route du retour au pays, enquêtait sur les criminels qui avaient sévi avant les fêtes des vendanges. Tenace, imperturbable, pragmatique jusqu’à la dureté, Hanbei-sama était bien décidé à faire toute la lumière sur ce qui s’était passé. A contrecoeur, tiraillé entre son devoir et son désir de vivre paisiblement parmi les paysans, Sotan avait avoué ses fautes au magistrat, puis était parti avec lui à la poursuite de Nahoko et de la Grue Noire. Peu à peu, l’instinct de vengeance reprenait le dessus. La traque reprit dans les montagnes, pendant plusieurs semaines, longues, épuisantes. Le magistrat pensait que les deux criminels allaient passer sur les terres du Phénix. Peu après, venait se superposer à cela les enlèvement d’enfants, et le criminel Hiro entrait en scène.
Une fois, plein de lassitude, Sotan eut un mot déplacé à l’égard du magistrat. Furieux, ce dernier renvoya le rônin comme un malpropre. Il se passerait de lui désormais.
Depuis, Sotan avait patiemment gagné son passage sur les terres du Phénix. Il savait que Nahoko essaierait de fuir par les côtes du Phénix, grâce à un passeur du nom de Gempachi. C’est pourquoi il avait marché jusqu’à Morikage Toshi [Cité de la Forêt des Ombres].
Sotan avait entendu parler de Hiro. Il pensait que lui et Nahoko avaient fait un bout de chemin ensemble. Mais si Nahoko ne tarderait pas à fuir par la mer – si ce n’était déjà fait, Hiro allait se terrer dans les bas-fonds de Morikage Toshi.
Quant à Sotan, implorant de nouveau nos héros, leur promit de tout faire pour les aider, s’ils acceptaient sa présence.
Réfléchissant à ce que Sotan venait de dire, nos héros se concertèrent. Hiruya proposa de se séparer : lui-même, Riobe, avec Sotan, iraient trouver ce Gempachi, puisque c’est déjà ce qu’ils se proposaient de faire en partant d’Heibetsu. Quant aux deux Phénix, ils accompagneraient comme prévu Ide Soshu et Shinjo Kohei à la bibliothèque de Morikage Toshi ; Ryu les accompagnerait, afin d’enquêter sur Hiro, et si possible de le retrouver.
Ide Soshu proposa alors son aide dans la traque du criminel. C’était son devoir d’aider à arrêter une telle canaille. Ses recherches en bibliothèque pouvaient attendre un peu. Lui et Kohei s’arrêteraient à la Cité, puis dans deux ou trois jours, ils se rendraient à leur destination. Isawa Ayame remercia les deux Licornes pour leur aide.
Les deux groupes se séparèrent, l’un pour trouver Nahoko et le passeur Gempachi, l’autre pour mettre la main sur Hiro, le traître de la Cité de la Grenouille Riche.
MORIKAGE TOSHI, CITE DE LA FORET DES OMBRES
Isawa Ayame, sa yojimbo Shiba, accompagnant Ide Soshu et son yojimbo Shinjo Kohei, et accompagnées de Mirumoto Ryu, entrèrent dans Morikage Toshi. Les vols et les cris des mouettes dans le ciel, l’agitation populaire des rues marchandes et des docks des bas quartiers, le ronflement lourd de la mer et des vagues qui s’échouent sur le rivage, les maisons de bois noir, tout cela composait le décor vivant de la Cité de la Forêt des Ombres.
La délégation des samouraïs se rendit chez la plus haute autorité des lieux, le magistrat Shiba Tadamischi. Homme dans la force de l’âge, les traits tirés par la fatigue, le magistrat reçut les nouveaux venus, et s’entretint de la raison de leur présence. Isawa Ayame présenta alors tous les membres du groupe, et expliqua la raison de la venue des Licornes : le magistrat Ide Soshu désirait compulsait des parchemins de droit de la bibliothèque. Tadamischi-sama acquiesça : il avait été prévenu que des Licornes séjourneraient durant tout l’hiver sur ces terres.
En revanche, il n’était pas prévenu de l’arrivée de Mirumoto Ryu –mais qui n’a jamais été surpris par la venue d’un membre du clan du Dragon ?
Celle-ci expliqua alors, avec tout le pathos de la vengeresse, qu’elle poursuivait un terrible criminel nommé Hiro, que ce dernier avait humilié son clan, qu’il l’avait frappé de la manière la plus cruelle qui soit. Et maintenant, elle le poursuivait, sur ordre de son daimyo, Mirumoto Akuma.
Shiba Tadamischi comprit la raison de ce voyage. Il assura à Ryu-san que ce Hiro serait capturé sous peu. La bushi n’avait pas à s’inquiéter.
Ryu-san insista alors, à l’encontre de la politesse et du respect de l’autorité supérieure du magistrat. Hiro était très dangereux, dit-elle d’un air de sombre menace. Tadamischi-sama répéta, cette fois avec une nuance de colère dans la voie, que le clan du Phénix était capable d’assurer la paix sur ses terres. Si ce Hiro se cachait en ville, il serait capturé sous peu.
Et Ryu d’insister à nouveau, sur le danger représenté par Hiro.
De guerre lasse, le magistrat accorda à Ryu l’autorisation de rester en ville le temps de l’enquête. Il se promettait déjà in petto de l’expulser dès qu’Hiro verrait sa tête se désolidariser de ses épaules…
Les deux Phénix et les deux Licornes allèrent prendre leurs quartiers dans le palais du magistrat. Quant à Ryu, elle avait droit à l’hospitalité d’une auberge de la ville.
Elle ne tarda pas à démarrer son enquête. Il ne fallut pas une journée pour que la Cité soit dans son entier au courant que Mirumoto Ryu, bushi de la vallée d’Heibetsu, recherchait le criminel Hiro. Tout le petit peuple murmurait depuis ses échoppes dans le dos de la bushi Dragon. Elle faisait pour le moins sensation dans la paisible Cité, elle qui venait de si loin. Son enquête la mena dans une maison de jeu. Elle attira l’attention d’un petit malin, à côté de qui elle s’assit. Débrouillard et un peu filou (évidemment…), ce dernier entraîna Ryu dans le jeu, lui délestant sa bourses de quelques poignées de zenis. Puis, quand Ryu, dont la beauté fatale aurait frappé un aveugle, eut obtenu du joueur des informations satisfaisantes, elle le planta sur place, en lui conseillant de filer doux.
Le joueur s’en alla, en se maudissant de s’être laissé avoir par une pareille allumeuse !
Mirumoto Ryu, surveillait par des centaines de paires d’yeux, arriva sur le port, où elle discuta avec des samouraï du clan de la Mante, qui surveillaient des chargements et déchargements de leur bateau. Eux aussi firent un brin de causette à cette jolie bushi. Ils revinrent vite de leurs illusions : c’est tout juste si Ryu ne les soupçonnait pas de dissimuler Hiro !
Elle ne fut pas plus chanceuse avec un brave pêcheur, le premier venu, quand ce dernier fondit en larmes, insulté que Ryu lui pose des questions sur Hiro –comme s’il s’associait à ce genre de criminels, lui qui n’avait jamais volé le moindre zeni !
Ce soir-là, Shiba Ikky rejoignit le Temple des Vagues Blanches, un asile paisible, dans une région presque sauvage sur la côte, où l’on entendait que le rouleau des vagues et la sérénité profonde du grand océan sans fin. Accueillie par les braves moines, Ikky-san passa une heureuse nuit grâce à l’hospitalité sans fard des bons moines. Au matin, elle retourna au palais, en paix avec elle-même.
Ayame-san avait passé une nuit moins pieuse. Travaillée par le besoin de drogue, la shugenja, privée depuis plus d’une semaine, se rendit dans le « meilleur » établissement de la ville : « Le pays des Merveilles ».
Elle fut discrètement accueillie, et on lui offrit un tatami, une pipe et la résine qu’elle attendait tant. Elle partit doucement en direction du pays des merveilles, dans les épaisses vapeurs apaisantes et traîtresses de l’opium. Tandis qu’elle voyageait comme dans les délires continuels du rêve, il lui sembla entendre distinctement le nom de Hiro.
Etait-ce un effet de l’opium ? Il lui semblait pourtant que ce nom avait réellement était prononcé près d’elle.
Par acquit de conscience, elle tenta de glisser le nom à la patronne des lieux. Si ce Hiro revenait, qu’il sache qu’Ayame désirerait le rencontrer.
A l’heure d’Akodo, les deux Phénix retrouvèrent les deux Licornes et Mirumoto Ryu dans une excellente auberge. Avec autant d’amabilité que d’ironie, Ayame demande à Kohei-san s’il n’était pas trop privé de viande depuis son départ des terres de la Licorne. Il soupira qu’il essayait de s’acclimater à nouveau au régime alimentaire du nord de Rokugan, mais qu’un excellent poisson valait bien une bonne viande rouge bien rôtie.
Pendant qu’ils mangeaient, les samouraï ne purent manquer de parler de Hiro. Mirumoto Ryu n’avait pour le moment aucune piste. Elle piétinait, et pourtant les ordres de son daimyo ne pourraient souffrir de retard. Tant les Licornes que les Phénix se proposaient de l’aider, mais eux non plus ne pouvaient user de divination pour détecter le criminel.
Le repas terminé, un marchand ambulant vint proposer des biscuits aux honorables samouraï. Ils contenaient tous des billets avec une petite prédiction dessus. Nos héros se prêtèrent au jeu.
Les deux Licornes lirent avec amusement leurs billets ; celui de Ryu faisait allusion à Hiro ; celui d’Ikky lui suggéra une piste.
Quant à celui d’Ayame, il ne lui avait pas été donné par hasard : « La vérité dort parfois au pays des merveilles… » La shugenja sut où elle irait passer la nuit…
Elle ne souffla mot de son billet à ses camarades.
Tous se quittèrent, et la journée passa, chacun vaquant à ses occupations.
Shiba Ikky demanda à parler au magistrat Tadamischi-sama. Elle demanda s’il y avait des membres du clan du Crabe en ville. Le magistrat réfléchit : à sa connaissance, il y avait bien un marchand de la famille Yasuki, qui venait traiter avec le clan de la Mante. Ikky-san demanda humblement à pouvoir l’interroger.
Le magistrat n’y vit pas d’inconvénient et fit convoquer sur l’heure le marchand.
Celui-ci fut amené rudement par deux samouraï. C’était un honorable commerçant du nom de Yasuki Mitsuhirato, qui avait dans les manières tout ce qu’il faut de souplesse, de ruse, de tromperie, pour faire un bon marchand. Cette honorable crapule était bien sûr disposé à répondre à toutes les questions des nobles Phénix.
Ikky lui demanda, sans trop user de détours, s’il n’avait pas, de temps en temps, à traiter avec des individus peu recommandables. Après tout, le commerce étant ce qu’il est… Et puis, cela ne mettait en rien en cause son honneur, lui assura Ikky.
Pressé de répondre par le magistrat, Mitsuhirato finit par avouer qu’il avait à traiter avec les Frères de la Côte, une honorable organisation de contrebandiers qui sévissait sur toute la côte de Rokugan. On ne pouvait rêver meilleure fréquentation…
Quand le marchand eut prononcer le nom des Frères de la Côte, Tadamischi-sama intervint, puis décida qu’il en avait assez entendu.
- Tu peux disposer, Mitsuhirato. Tu ne seras plus dérangé dans tes occupations !
Et il fut renvoyé aussi vite qu’on l’avait convoqué.
AYAME AU PAYS DES MERVEILLES
Le soir, la shugenja retournait vers le quartier des fumeries. Elle toqua à la porte du Pays des Merveilles. La patronne lui ouvrit, puis lui annonça qu’on l’attendait pour lui parler de Hiro. Elle fut poliment guidée vers le jardin intérieur. Cela avait de quoi surprendre dans ce quartier de la ville, mais il était plutôt élégamment conçu. Un style austère, toutefois. Austérité rendue plus sensible par la présence de deux samouraï agenouillés devant un grand kiosque, le daisho bien disposé à la ceinture.
Ayame s’assit en tailleur là où on lui indiqua, sur une natte juste à l’endroit où un rayon pâle de seigneur Lune venait frapper l’herbe.
Un homme sortit du bâtiment face à Ayame, et passa sous le kiosque disposé juste devant. Il portait un kimono noir et blanc. Il s’assit à la limite de l’ombre. L’obscurité ne dissimulait que son visage. Elle laissait voir de longs cheveux noirs qui tombaient jusqu’aux épaules.
L’homme parlait d’une voix qui laissait deviner son jeune âge. Il pouvait être né la même année qu’Ayame, ou à peu près.
- Bienvenue au Pays des Merveilles, Ayame. Je me nomme Emmon.

Aussitôt, ce nom sonna familier aux oreilles d’Ayame. Emmon : c’est de lui qu’avait parlé la vieille Kitabakate.
Kitabakate, 7e récit Wrote:Il y a plusieurs années, du temps du 38e Empereur, j'ai connu un jeune acteur talentueux du clan loyal. Il se nommait Emmon, et avait un frère du nom de Takashi. Ce frère eut le visage effacé par l'Ombre Vivante. Mais Emmon résista à l'appel lancinant de cette chose sans nom. Takashi mourut, et Emmon disparut peu avant le coup d'Etat. J'ignore à présent ce qu'il est devenu, mais s'il est encore en vivant, je suis sûr qu'il pourrait nous en apprendre beaucoup sur cette entité.
Bien sûr, il y avait peut-être d’autres Emmon dans l’Empire, mais dans le cas présent, Ayame se refusait à croire à une coïncidence. Non, l’homme qui se tenait à moitié dans l’Ombre, dans le jardin de cette fumerie, c’était bien lui. Emmon, celui qui avait eut un contact direct avec l’Ombre et était encore en vie pour le raconter.
- C’est étrange, commença Ayame, il y a peu de temps, une vieille femme m’a parlée d’un samouraï nommé Emmon…
En peu de paroles, la shugenja eut la confirmation de son intuition. Le Emmon qui se tenait assis devant elle essaya de biaiser : il y avait d’autres Emmon, il ne connaissait pas de Kitabakate… Il finit par admettre que son frère avait bien été Takashi, avant de –c’est le cas de le dire – perdre la face…
Pour un début de conversation, Ayame frappait fort. Emmon l’avoua. Quoique visiblement atteint, il ne perdit pourtant pas contenance. Mais il ignorait que Kitabakate était encore en vie. Et surtout, il se demandait bien pourquoi la vieille samouraï de l’école Shosuro avait cru bon de révéler l’histoire d'Emmon à une petite shugenja du Phénix.
Il avait peine à croire que la vieille femme soit devenue gâteuse, qu’elle perde la tête. Non, elle avait parlé intentionnellement à Ayame.
Emmon proposa alors d’inviter Ikky et Ryu. Qu’ils puissent discuter ensemble du sujet initial qui amenait Ayame au Pays des Merveilles : le traître et criminel Hiro.
Un serviteur fut dépêché au palais et à l’auberge. Poliment, il pria Ikky et Ryu d’accepter l’invitation d’Ayame, qui les attendait sur l’heure.
Les deux samouraï-ko ne tardèrent pas à venir s’asseoir autour d’Ayame.
Ryu mit peu de temps à déballer son histoire à Emmon. Or, comme on l’avait deviné, le maître des Frères de la Côte était d’une autre trempe, et d’une autre politesse qu’un magistrat Phénix.
Il accueillit avec un rire contenu l’histoire pitoyable du clan du Dragon se faisant humilier sur ses propres terres par une bande de crapules manipulés par l’Ombre. Ryu en avait vraiment gros sur le cœur après Hiro. Sans parler de Kichidayû, un impitoyable Scorpion qui avait assassiné le mari de Ryu, Matsu Isamu.
Derrière le fin rideau d’ombre qui masquait son visage, on put deviner le sourire d’Emmon :
- Voulez-vous que je vous aide à retrouver ce Kishidayû, Ryu ? Je ne le connais pas, mais qui sait ? En me renseignant, je peux peut-être découvrir quelque chose sur lui. Je vous le dirai, et je vous donnerai alors mon prix. Il vous en coûterait… disons une somme raisonnable. Je ne vais pas accabler le malheureux clan du Dragon. Disons 20 kokus.
- Hélas, je ne possède pas cette somme d’argent.
- Qui sait si votre daimyo n’accepterait pas de payer cette somme pour retrouver un ennemi de la famille...
Autant il ne connaissait pas ce Kishidayû, autant Emmon était disposé à mettre la main sur Hiro, ce pantin au service de l’Ombre Vivante. Il était sans doute venu à Morikage Toshi par défi pour Emmon. Pourquoi n’avait-il pas tenté de fuir ailleurs ?
Mais Hiro n’était qu’un assassin sans cervelle, et il a commis une erreur fatale en s’attaquant à moi, dit Emmon.
- Qu’est-ce qui vous fait croire que vous êtes supérieur à lui, Emmon ? demanda Ayame.
Au cours de la conversation, la voix du samouraï tapi dans l’ombre s’était alterée. Elle laissait maintenant transparaître une colère contenue, noire, comme celle d’un prisonnier reclus qui n’a pas vu le jour depuis des lustres, et que la captivité rend fou. Une colère froide et tranchante, qui ne demandait qu’à se consumer de haine. Seul un mince filet d’honneur devait séparer Emmon de Hiro.
Emmon répéta qu’il mettrait la main sur le serviteur de l’Ombre et lui ferait payer cher de servir l’entité sans nom.
Il se leva, souhaita une bonne fin de nuit aux samouraï-ko. Ils ne tarderaient pas à se revoir. Et c’était plus qu’une intuition. Emmon se retira dans ses ténèbres. La patronne de la maison vint, toujours avec la politesse de rigueur, raccompagner les visiteuses à la porte.
Les deux Phénix rentrèrent au palais, et Ryu-san à l’auberge.
Les samouraï-ko ignoraient seulement que la nuit n’était pas finie, et que leur sommeil allait être troublé par cette mystérieuse chose dont l’absence de nom pétrifie de terreur…
LES HABITANTS DE LA TERREUR
"A savoir si c'est Tchouang-Tseu qui rêve qu'il est un papillon, ou si c'est le papillon qui rêve qu'il est Tchouang-Tseu..."
Ayame se réveilla, après une série de pénibles cauchemars, agité d'une peur froide. Elle frissonnait et transpirait à la fois. Qui plus est, elle eut l'impression très vive, et c'était extrêmement désagréable, qu'il y avait quelqu'un d'autre dans la pièce. Elle ne pouvait chasser cette idée. A côté d'elle, Ikky respirait régulièrement, légérement agitée, comme quelqu'un en train de rêver.
Mais il y avait une troisième personne dans la pièce. Quelqu'un de trop, quelqu'un présent et obsédant. Par la fenêtre, Onnontangu le Seigneur Lune faisait passer ses rayons pâles, qui ne perçait que peu l'obscurité de la chambre. Ayame se leva, tout en chuchotant à Ikky de se réveiller. Elle fit quelques pas. Soudain, elle recula.
Devant elle, une forme apparaissait sur le mur. Une forme en train de se matérialiser dans la pièce. Une lueur très légère passait par dessous le panneau de la porte. La peur gagnait de plus en plus Ayame. Elle secoua Ikky, qui se réveilla.
Maintenant, c'était le sol qui prenait forme. Il devenait mou sous la pression de quelque chose qui passait au travers. Ayame se plaqua dos au mur, à côté d'Ikky, qui avait perçu l'affolement contenu de la shugenja. Devant les deux Phénix, une silhouette de forme humaine traversait le mur. Pas en le déchirant. Non : en passant au travers. Et sur le sol de même. La forme d'une tête, puis une épaule, apparurent.
Et soudain, le mur derrière les deux femmes commença à remuer à son tour. Il se déforma et une main au bout d'un bras tendu se créa entre elles d'eux.
- Sortons d'ici, dit Ayame d'une voix blanche.
Elles se précipitèrent vers le panneau, l'ouvrirent, et sortirent de la pièce, l'abandonnant aux horreurs qui s'y matérialisaient.
Les deux femmes regardèrent des deux côtés du couloir. Pas un bruit, tout le monde dormait. Détail troublant : le couloir leur paraissait plus long qu'à l'habitude. Effet de nuit sans doute... Soudain, elles entendirent une exclamation : "Teyandee !"
C'était la voix de Kohei, "teyandee" étant une expression typiquement Licorne... "Teyandee", "Teyandee"... Kohei le répétait. Du moins c'était sa voix.
Les deux Phénix virent le panneau de la chambre des Licornes, contiguë à la leur, ouvert. Soshu ronflait très fort. Très très fort, à un point inhabituel, inquiétant. Kohei était debout, près de la fenêtre. Il venait de se couper le bout de l'index, il le suçait pour arrêter le sang.
- Kohei-san, dit Ayame, qui ne masquait pas sa peur, il se passe des choses bizarres ici. Voulez-vous venir avec nous ? C'est plus prudent...
- Venir avec vous, Ayame-san. Mais c'est impossible voyons, dit-il, sur le ton de l'évidence.
- Pourquoi donc, Kohei-san ? dit la shugenja, la lèvre tremblante.
- Mais parce que Soshu-san est en train de dormir.
Le Licorne ne parlait pas tout à fait de sa voix habituelle. Pas tout à fait. Puis, avec le sang qui coulait de son doigt, Kohei se mit soudain à tracer sur le mur plusieurs signes.
Ces signes rougeoyants et dégoulinants disaient : Gozoku !
Effrayée, Ayame recula.
- Vous vous intéressez au Gozoku, Ayame-san ? demanda alors Kohei, la fixant d'un regard sombre, inhabituel. Kohei d'habitude si amical, si grand enfant, si simple, il apparaissait sombre, agressif.
Les deux Phénix reculèrent dans le couloir. Ikky non plus ne comprenait pas ce qui arrivait à Kohei. Elle ne le reconnaissait plus.
Soudain, elles sentirent un frisson dans leur nuque. Il y avait quelqu'un derrière elle.
Elles se retournèrent : Emmon était là.
Mais elles ne discernaient pas sa tête, pas plus que dans le jardin du palais des merveilles. La même ombre qui le dissimulait le dissimulait encore. Il était immobile, presque fantomatique. Ikky se mit devant la shugenja et toisa Emmon. Ce dernier parlait avec la même voix assurée et inquiétante. La yojimbo lui sauta brusquement dessus. Elle le plaqua au sol.
- Vous êtes folle, Ikky-san, dit Emmon, sans vraiment se débattre.
Lentement, il s'enfonça dans le sol et passa au travers... A ce moment, les deux Licornes sortirent enfin de leurs chambres.
C'était bien leur corps, mais ils avaient maintenant la tête d'Emmon. Plus exactement : le même rayon d'ombre qui lui couvrait sa tête. C'était comme irréel. Les deux Phénix reculèrent, et s'enfuir dans le couloir. Couloir qui leur parut long, très long. Elles arrivèrent à l'escalier qui descendait. Une grande lumière de lune baignait les marches, très brillantes. En bas, Ayame et Ikky virent une affreuse vieille qui commençait à grimper les marches. Et la vieille grinçait autant que les marches, des colifichets nombreux cliquetant comme des machoires de squelette à chaque pas. Ikky voulut aider la vieille femme. Celle-ci, tremblant comme un pendu par grand vent, répondit qu'elle n'avait pas besoin d'aide. Ses phrases étaient disloquées par le tremblement qui la secouait. Par l'autre bout du couloir, arriva alors la bushi du Dragon.
- D'où venez-vous, Ryu-san ?
- Nous sommes à l'auberge là.
- Non, nous sommes au palais.
- Ah non, c'est le couloir de l'auberge où je dors.
Les trois femmes ne pourraient pas se mettre d'accord. Du reste, ce n'était pas l'heure. Kohei était à côté d'elles. Son doigt saignait de même. Il était appuyé nonchalamment sur le mur. Il traça soudain sur le mûr d'autres signes ensanglantés : "Kishidayû".
- Vous le connaissez ! s'exclama Ryu.
- Bien sûr, c'est l'assassin de votre mari. C'est l'homme que vous poursuivez. Tout le monde connaît Kishidayû à Rokugan, voyons...
Ayame, Ikky et Ryu en avaient assez entendu. Elles dévalèrent les escaliers, sans plus se soucier de la vieille qui n'en finissait pas de monter les marches. Elles arrivèrent dans la cour d'honneur du palais. Là, Ikky s'empara prestement d'un yari, le prit à deux mains, et se tint prête à défendre la shugenja. Il y avait dans la cour plusieurs ashigaru de veille. Ils n'étaient que des silhouettes dans un coin du palais. C'est alors qu'ils se mirent à avancer vers les trois samuraï-ko. Ou plutôt à ramper. Ils tombèrent à plat ventre, et avancèrent dans une lente reptation, comme des salamandres, resserrant un cercle autour des trois samuraï. C'étaient plus que des ombres, car ils étaient plus épais, mais moins que des hommes, car ils n'avaient ni visage, ni peau. Ce n'était que des épaisseurs d'ombres, coagulés dans une forme rappelant les humains. Ils étaient de la nuit agglutinée.
Surgissant d'un des couloirs, pourfendant plusieurs ennemis de leurs katanas aux coups cinglants, Hiruya -san et Riobe arrivèrent en courant au milieu de l'assemblée des ombres, en soutien pour les samuraï-ko. Dos à dos, les deux bushi, assurés et fiers, se préparèrent à affronter les ennemi. Ryu prêta le concours de son sabre : frappés par ses deux lames, les adversaires rampants disparaissaient en silence dans le sol. Mais quand Hiruya et Riobe frappaient, les horreurs nocturnes poussaient des cris de douleurs inhumains, des cris comme échappés du pays des morts, et s'évaporaient rapidement.
On entendait, venu de nulle part, le bruit d'une troupe de cavaliers au galop qui approchaient. Une armée pénétrant dans la ville aurait produit le même bruit. Guidés par la Grue et le rônin, les trois samuraï-ko revinrent vers l'escalier qui menait à l'étage. Accoudés à la balustrade de l'escalier, se tenaient là Kohei, et Nahoko... Tous deux, baignés par l'intense lumière d'Onnontangu, ricanaient comme des Scorpions, en considérant nos héros. Hiruya ne se laissa pas impressionner. Suivi de Riobe, il commença à remonter les marches, sans se soucier des deux complices. Dans le couloir, Emmon était encore; sa tête appartenant encore à l'Ombre. A côté de lui, se tenait un autre homme. Sur un ton déclamatoire, Emmon dit :
- Et alors Takashi eut le visage dévoré par l'Ombre Vivante.
Et Emmon arracha le visage de l'autre silhouette, comme on arrache un papier.
A l'étage, ils montèrent encore un escalier qui menait sur une grande terrasse.
Là, à l'air libre, la terreur qui avait grandi en Ayame, comme une plante-vampire, achevait de se réaliser. La shugenja retrouvait hors d'elle la peur qu'elle avait nourri. Une silhouette humaine se tenait debout, agité de tremblements compulsifs. Perçant la nuit, un soleil noir darda ses rayons tout puissant, tandis que le ciel blanchissait. Ciel blanc, couleur de mort, soleil d'ombre, le monde où se meuvaient nos héros leur étaient parfaitement étrangers. Eux qui avaient toujours eu confiance en Rokugan, en l'Empereur, ils réalisaient soudain qu'ils vivaient dans un pays inconnu -et cette contrée inexplorée, c'était Rokugan, c'était ces terres qu'ils croyaient familières depuis toujours.
Hiruya osa s'approcher de la silhouette tremblante. Son visage changeait en permanence. Chacun de nos héros y reconnut plusieurs personnes. Ikoma Akira, Kakita Yobe, Isawa Kanera, Nahoko, Isawa Akitoki, Iuchi Shizuka, Honzo, Mirumoto Akuma et d'autres encore... Puis Hiruya plaqua sa main sur le visage. Alors, à travers le visage maintenant dévoré par l'Ombre passa un rayon doré, merveilleux, un rayon de Dame Soleil.
Et Ayame se réveilla, en sueur, le visage baigné par la douce lumière du matin.
« ... ou si c'est le papillon qui rêve de Tchouang-Tseu rêvant qu'il est un papillon, ou encore Tchouang-Tseu rêvant d'un papillon qui rêve qu'il est Tchouang-Tseu ?... »
COURAGE ET HONNEUR, SAMURAI !