07-01-2004, 07:48 PM
Le conte des 12 heures d'Heibetsu (suite)
SHIBA
Dame Soleil descendait lentement dans le ciel, éclairant cette belle après-midi d'automne de sa douce lumière.
Nos héros, lancés à bonne allure sur leurs chevaux à travers la campagne d'Heibetsu, ne partageaient pas la bonne humeur des paysans qu'ils croisaient : ils ne préparaient pas les festivités du lendemain avec la bonne humeur et le souci dans l'attente de ces réjouissances.
Ils ne ménageaient pas leurs montures, sur les routes caillouteuses qui les menaient vers un petit bois au pied des montagnes qui cernaient la vallée.
Avec Kohei en tête sur son grand destrier Shinjo, ils arrivèrent dans un petit village où l'on préparait des guirlandes et des lampions de couleur pour décorer le village. Le chef des yorikis, qui se permettait d'aider la population alla vers nos héros sans inquiétude. Nos samurai ne mirent pas pied à terre : ils demandèrent où se trouvaient les villages de gaijins de la région. Le yoriki leur indiqua le chemin : il fallait traverser la groupe qui grimpait en serpentant à travers le bois.
Les montures furent sommées de repartir au galop. Le tremblement provoqué par le passage des cavaliers avait inquiété les paysans qui pensaient la région paisible. On ne pensa ensuite plus à ces jeunes guerriers qui cravachaient sous le soleil.
Taro-san avait prévenu que dans les montagnes se trouvaient des villages occupés par des organisations de bandits appelés yakuzas. Malandrins des plus féroces, ils s'occupaient de toutes les activités deshonorables qui n'échoyaient pas aux étas, comme le commerce des geishas, les drogues... Akuma-san devait tolérer ce commerce, tant qu'il gardait des mesures raisonnables.
Nos héros auraient sans doute à négocier avec les yakuzas.
Après avoir quitté la forêt, ils croisèrent un chemin qui montait sur la pente de plus en plus dénudée. Au loin, un important soulévement de poussière s'annonçait : c'était trois cavaliers lancés à vive allure.
Les Licornes Moto.
Les samuraï attendirent l'arrivée de ces bushis de sombre réputation. Les deux groupes se saluèrent froidement. Les Motos voulaient régler une dette d'honneur avec les rônins. Ils avaient profité de l'aide de Hida Sotan, resté en arrière avec ses hommes. Maintenant, ils montaient vers le domaine des gaijins. Nos héros déclarèrent qu'ils cherchaient Kazu pour l'interroger. Les Moto voulaient simplement sa tête.
Il ne restait donc plus qu'à faire route ensemble.
Ayamé-san était certaine qu'ils étaient sur la bonne piste. Voici ce que disait la première sentence de son parchemin :
"Des montagnes gaijins viennent
Les faux parchemins menteurs."
Après une montée plus rude, les samurai atteignirent le village des yakuzas. Le chef vint à leur rencontre, s'inclinant bas face à cette troupe impressionnante. Il avait un visage dur, un maintien raide, des expressions coupantes et des gestes nerveux. Derrière lui, de plusieurs bâtisses sortaient des fumeroles de pavot séché ; on entendait aussi le bruit de travailleurs cloîtrés dans leur boutique. Il faisait bien vilain en cet endroit ; d'autant plus que le chef se montrait réticent à aider les samurai. Il ne voulait rien savoir de cette prétendue bande de rônins. Malgré les menaces répétées de Ryu-san, il refusait de parler, se protégeant derrière les traités officieux passés avec Akuma-san, qui assuraient la paix aux yakuzas. Or, le chef prenait cette enquête de nos héros pour une déclaration de guerre.
L'insistance de Ryu-san, aidé de la persuasion de Kakita Hiruya, eut raison de la résistance du bandit. Il murmura que la bande de rônins se terrait dans les écuries, avec des otages.
Sans attendre, les samurai se dirigèrent vers le bâtiment, à la sortie du village et le cernèrent. De l'intérieur, un des rônins cria qu'il avait le couteau sous la gorge des otages, qu'il voulait pour lui et ses hommes des montures pour fuir.
Conditions inacceptales évidemment.
- Laissez au moins sortir les montures, bande de moins que rien, cria Kohei.
La patience des Moto était déjà à bout. D'un commun accord, les samurai décidèrent d'enfumer les canailles dans les écuries. Kohei, les trois Moto et Riobe enflammèrent leurs flèches malgré les protestations des yakuzas. Ils criblèrent l'intérieur du bâtiment ; une abondante fumée de paille se dégagea bientôt des écuries. Plusieurs otages parvinrent à courir au-dehors, pleurant et toussant. Les rônins durent se précipiter à leur tour vers l'air frais.
C'était le signal de la curée.
L'un des mauvais samurai voulut s'enfuir à toutes jambes. Il fut aussitôt transpercé de 4 flèches Licorne.
Les cinq autres étaient décidés à se battre en duel honorable. Depuis leurs montures, les Moto observaient d'un air goguenard nos jeunes héros se lancer au combat.
La mêlée fut rapide et violente. L'échange de coups commença entre Ryu, Kohei et Riobe : le rônin fut blessé, avant que la bushi Dragon, payant sa dette, n'expédie de ses deux sabres l'adversaire de Riobe. Kohei eut raison de son opposant et acheva les agonisants. Il reçut une éraflure qui n'atteint pas sa puissance.
A leurs côtés, Hiruya se préparait à en découdre selon les règles du iaijutsu. Shiba Ikky, secrêtement jalouse de l'art du sabre de la Grue, se plaça à ses côtés.
Leurs deux adversaires avaient la main sur la garde. Foudroyantes, les lames jaillirent des fourreaux d'Ikky et de son adversaire. Ce dernier s'écroula, mortellemet frappé. Ikky battit l'air de sa lame pour la nettoyer du sang ennemi et rengaina sereinement.
Hiruya n'avait pas eu à sortir sa lame : son adversaire avait reconnu sa supériorité. Il préféra s'avouer vaincu sans coup férir.
Ce rônin fut interrogé et promit de répondre si on lui laissait la permission de mourir dans l'honneur.
Mirumoto Ryu l'accorda, contre l'avis des Moto, pressés d'en finir. Le rônin savait que Kazu avait aidé Hikozaemon à rencontrer un empoisonneur au tournoi des rônins. Kazu se cachait dans un repaire troglodyte de gaijins, où il devait retrouver le chef de toute la bande... Qui était donc ce personnage à la tête de tous les rônins et créatures de l'ombre alliées ?...
BAYUSHI
Pendant que les samurai montaient le sentier malaisé, Ayamé-san demanda à parler à part à Hiruya-san. Elle était inquiète à cause de la seconde phrase dictée par les kamikaze (
eh oui = les divinités du vent
).
"Nemesis a placé le Crabe sur le chemin de la Grue.
Le Crabe vient du sud, riche mais souillé."
La shugenja n'était pourtant pas certaine que cette phrase lui ait été dictée par les esprits : elle craignait que des puissances maho n'aient réussi à pénétrer dans le cercle de méditation, ayant ainsi altéré le message des vents. Cette phrase pouvait être une ruse des démons... Toutefois, il convenait de se méfier, même si, le coupable vraisemblablement désigné, Hida Sotan, n'avait pas fait montre d'hostilité à l'égard de Kakita Hiruya. Il convenait de surveiller les Crabes à tout le moins...
Du coin de l'oeil, Mirumoto Ryu surveillait les trois cavaliers Moto, qui ne le remarquaient pas, montés qu'ils étaient sur leurs grands destriers. Ils désapprouvaient surement le fait que la bushi Dragon ait aidé le rônin à pratiquer son seppuku : ce dernier avait faibli, donc Ryu-san lui avait tranché la tête. Beaucoup d'honneur pour un rônin indigne, pensaient les Moto. Ce qu'ils ignoraient, tout comme les autres samuraï, c'est que le rônin s'était confessé à voix basse : selon lui, les Moto étaient là pour retrouver les oeufs de Jade. Ils venaient expédier les témoins de leurs activités louches. C'était bien, à l'en croire, un réglement de compte avec la bande à laquelle appartenait Kazu...
La course du soleil l'amenait déjà à décliner : Dame Soleil se parait de sa robe de plumes de phénix à mesure qu'elle descendait vers l'est. Le temps accordé par Taro-san était bientôt écoulé. Le chemin montagnard devenait de moins en moins praticable. Nos héros durent descendre de cheval pour s'engager dans un pierrier. Les repaires gaijins se trouvaient, selon les Moto, dans des grottes un peu plus haut. Alors qu'ils s'arrêtaient pour attacher les chevaux, un sifflement aigu retentit et résonna dans tous les alentours.
Plusieurs hommes, semblables à ceux qui attaquaient les caravanes près du col d'Heibetsu, apparurent de derrière des rochers, en surplomb des samurai. L'un d'eux, dans un mauvais Rokugani barbare, leur conseilla de faire demi-tour.
Cela ne fit bien sûr que renforcer la détermination de nos héros. Plusieurs flèches s'écrasèrent à leurs pieds ; puis, alors qu'ils avaient commencé à monter dans le pierrier, les gaijins déclenchèrent un éboulis. Hiruyan et Ryu avaient eu le temps de se mettre à couvert d'un rocher, ainsi qu'Ayamé et Ikky. Mais Riobe, blessé lors du dernier combat, peinait à rejoindre une roche derrière laquelle s'abriter. Un des montagnards allait déclencher un ébboulis sur lui : Kohei se jeta devant lui, décocha une flèche au brigand qui l'abattit net. Les trois Moto mirent un genou à terre, visèrent : leurs trois flèches partirent dans un bel ensemble, mais ratèrent leur cible.
Kohei et Riobe visèrent aussi ; vexés de leur échec, les Moto armèrent à nouveau. Cinq flèches partirent à l'unisson, perçant les gorges des gaijins. D'autres pierres roulèrent encore, mais cette fois, tout le monde était à l'abri. Les derniers opposant, voyant six des leurs à terre, se dispersèrent dans la montagne.
Les neuf samuraï grimpèrent la côte : à l'avant, les Licorne, la Grue et le Dragon ; les deux Phénix et le rônin montaient au pas.
Dans la paroi de la montagne était creusée une grotte : une habitation troglodyte, renforcée par des poutres, avec des torches accrochées aux murs. A l'intérieur, plusieurs rônins se mirent en travers de la route des samuraï. Cette fois, il n'y eut pas de quartier. Kazu se nichait au fond de la grotte, bleu de peur face à la troupe qui arrivait. L'air glacée des hauteurs sifflait en s'engouffrant dans la grotte.
Les Moto voulaient en finir avec Kazu immédiatement. Ryu et Hiruya demandèrent à l'interroger auparavant. Il savait trop de choses. Dos au mur, main sur le sabre, Kazu tremblait comme une feuillle dans le vent. Riobe le regardait avec désapprobation : la veille, il pensait parler avec un samurai un peu perdu, mais honnête, pas avec le complice d'une bande de criminels.
Les Moto ricanèrent en voyant Kazu se liquéfier de peur. Ils tournèrent le dos et ressortirent de la grotte. Ils savaient que nos héros le tueraient après l'avoir interrogé. Riobe lui aussi ressortit, pour s'asseoir au calme, afin de soulager ses douleurs.
Ayamé-san voyait en Kazu l'unique espoir de prouver son innocence à Taro-san. De plus, elle savait que la quatrième phrase du parchemin était celle-ci :
"Un Dragon aux écailles noirs
Se niche au palais."
Elle l'avait lue à ses compagnons, qui comprirent qu'un traître se trouvait au palais d'Akuma-san.
Kazu implorait nos héros de lui laisser la vie sauve s'il parlait. Condition inacceptable : il pourrait plutôt faire seppuku s'il donnait des informations précises. En particulier, qui était le chef de toute la bande ? Quand viendrait-il ?
Kazu l'ignorait, car ce mystérieux personnage portait toujours un masque de samuraï. Nos héros pensaient qu'il avait d'ailleurs abandonné Kazu : il ne viendrait jamais le retrouver ici...
Le rônin reculait tant qu'il pouvait, devant le cercle menaçant qui se formait devant lui. Il savait que la Grue pouvait dégainer et le frapper aussitôt. Il regardait affolé tous les samuraï. Il se savait perdu. Avisant l'entrée de la grotte, il vit que les Moto étaient partis.
Il cria alors que ces Licornes étaient complices de la bande ! Ryu répondit qu'elle savait déjà ça : cela correspondait à la confession du rônin au village. Affolé, Kazu répété que les Moto avaient besoin des oeufs de jade pour guérir leur souillure ! Mais les oeufs avaient été emportés par le sombre maître de Kazu.
Cette révélation ne surprit pas outre mesure : la facheuse réputation des Moto n'allait pas contre elle. Kazu lâcha soudain que les Crabes de Hida Sotan étaient également complices ! Souillés eux aussi, ils étaient alliés des Moto depuis longtemps. Tous venaient récupérer les oeufs de jade et tuer les rônins. De plus, Hida Sotan connaissait Hikozaemon (un ancien Hida ne l'oublions pas) et l'avait aidé à monter la troupe des rônins qui avaient attaqué le village aux poissons précieux. C'était pour cela que Hida Sotan était allé chez les Libellules : car le village était à proximité. Mais comme nos héros étaient à la poursuite de Hikozaemon, il n'avait pu le rencontrer avant sa mort, chez les Lions.
Et c'était bien lui, Kazu qui avait aidé Hikozaemon à trouver un empoisonneur au tournoi des rônins, et qui avait conseillé d'éliminer Honzo, le rônin qui avait parlé à Riobe.
Tout se tenait.
SHINJO
Dame Soleil disparaitraît bientôt derrière les montagnes. Et la parole donnée par les samuraï à Mirumoto Taro ne pourrait être tenue.
Malgré toutes les révélations qu'il venait de faire, nos héros ne voulaient pas laisser repartir Kazu. De fait, il appartenait à la même bande de rônins dont Akuma-san avait exigé toutes les têtes. Le laisser partir, c'était ne pas respecter son devoir, donc se condamner au deshonneur. Il fallait donc tuer Kazu. Kakita Hiruya allait brandir son sabre, de même que Mirumoto Ryu, quand le rônin tomba à genoux et supplia les samurai de l'écouter encore.
Il demandait la parole d'honneur des samurai de pouvoir partir, en échange d'une dernière information qui sauverait l'honneur d'Ayamé-san. C'était à Mirumoto Ryu que revenait la décision : Kazu répéta qu'elle devait jurer sur l'honneur de laisser la vie sauve au rônin. Celui-ci s'enfuirait chez les gaijins et sa route ne croiserait plus celle d'Heibetsu, ni de nos héros.
Grave décision à prendre. Fallait-il faire une entorse au serment prêté à Akuma-san pour sauveur l'honneur de la shugenja Isawa ?
Mirumoto Ryu accepta, en jurant qu'elle truciderait Kazu si jamais elle le retrouvait. Celui-ci implora sa pitié, la remercia à genoux de sa bonté.
Nos héros attendaient la dernière révélation.
Elle était terrible en effet : il y avait un traître au palais d'Akuma-san, et c'était Agasha Nahoko, la shugenja du feu qui accusait Ayamé. Elle était l'âme damnée du maître de Kazu. Elle seulement avait pu glisser des parchemins de maho dans le coffre d'Ayamé...
Jusqu'où croire la parole d'un rônin ? Pendant que, étonnés, les samurai réflechissaient à cette révélation, Kazu partit en courant sans demander son reste. Il grimpa vers les hauteurs gaijins, aussi vite que si les démons le poursuivaient.
Il était plus que temps de redescendre vers le palais Mirumoto, car l'heure de Shinjo avançait dangereusement. Riobe avait redescendu la pente : il attendait à côté des montures. Les Moto étaient déjà bien loin. Ils avaient salué Riobe puis étaient partis. Une intuition suggérait à nos héros qu'ils ne les reverrait pas de sitôt. Ils avaient éliminé les rônins trop génants. Maintenant, ils allaient sans doute rentrer au pays, ou chercher ailleurs un remède à leur souillure...
Comme le temps pressait, Shinjo Kohei, monté sur son rapide destrier, offrit à Isawa Ayamé de la porter sur les ailes du vent jusqu'au palais. Shiba Ikky, quoique l'offre fut bonne, ne pouvait vraiment l'accepter. Elle galoperait à dos de poney à côté de la Licorne. Quant à Riobe, blessé, il assura qu'il rentrerait plus lentement : on avait pas d'inquiétude à se faire pour lui, il serait bientôt au palais.
Ayamé monta derrière Kohei, sur le haut destrier et la Licorne lança sa monture au galop. La shugenja s'agrippait comme elle pouvait, tandis que les poneys de Ryu, Hiruya et Ikky peinaient à suivre. La Licorne passait dans la forêt comme un coup de vent violent, les branches craquants de toutes parts sur son passage, dans le bruit du sol martelé par les sabots fougueux.
Au village que les paysans décoraient, les cavaliers eurent une mauvaise surprise : des hommes armés les attendaient en travers de la route. C'étaient les yakuzas, armés de lames et de serpes de paysans. L'ignoble valetaille ! Alors que ses compagnons arrivaient sur leurs poneys, Kohei demanda poliment à la shugenja de descendre. Les autres samurai mirent aussi pied à terre. Les yakuzas attendaient, faisant tournoyer leurs nunchakus.
Kohei les défia du regard en ricanant, pendant que Ryu, Ikky et Hiruya avançaient pas à pas, menaçants.
La Licorne sortit alors, avec délectation, d'un grand fourreau attaché à son cheval, un magnifique no-daichi, long katana de bataille.
Puis il frappa les flancs de son cheval et le lança à l'assaut des yakuzas !
La charge en jeta un à terre, pendant que la lame du no-daichi fendait le crâne d'un deuxième. La Grue, le Phénix et le Dragon étaient arrivés au combat : les sabres jaillirent vivement, taillant bientôt en travers des poitrines yakuzas, dans de grands jaillissements de sang.
Kohei poussait des cris vengeurs et les yakuzas hurlaient sous les coups assénés par les samuraï. Les paysans du village, effrayés, se terraient chez eux.
Les ennemis furent tous frappés à mort. Un lourd silence retomba après cette brève mais fulgurante explosion de violence.
Sans attendre, les samurai firent claquer les rênes des montures, repartant pour le château Mirumoto. Arrivé peu après, Riobe put constater le carnage. Les habitants osaient enfin sortir de chez eux. Il était temps d'appeler les eta pour dégager les cadavres mutilés...
Dame Soleil avait presque disparu à l'horizon. Elle lançait ses rayons d'adieu, orangés presque rouge, quand les cavaliers franchissaient à toute allure la poterne du palais, dans le tremblement du galop.
A suivre...
SHIBA
Dame Soleil descendait lentement dans le ciel, éclairant cette belle après-midi d'automne de sa douce lumière.
Nos héros, lancés à bonne allure sur leurs chevaux à travers la campagne d'Heibetsu, ne partageaient pas la bonne humeur des paysans qu'ils croisaient : ils ne préparaient pas les festivités du lendemain avec la bonne humeur et le souci dans l'attente de ces réjouissances.
Ils ne ménageaient pas leurs montures, sur les routes caillouteuses qui les menaient vers un petit bois au pied des montagnes qui cernaient la vallée.
Avec Kohei en tête sur son grand destrier Shinjo, ils arrivèrent dans un petit village où l'on préparait des guirlandes et des lampions de couleur pour décorer le village. Le chef des yorikis, qui se permettait d'aider la population alla vers nos héros sans inquiétude. Nos samurai ne mirent pas pied à terre : ils demandèrent où se trouvaient les villages de gaijins de la région. Le yoriki leur indiqua le chemin : il fallait traverser la groupe qui grimpait en serpentant à travers le bois.
Les montures furent sommées de repartir au galop. Le tremblement provoqué par le passage des cavaliers avait inquiété les paysans qui pensaient la région paisible. On ne pensa ensuite plus à ces jeunes guerriers qui cravachaient sous le soleil.
Taro-san avait prévenu que dans les montagnes se trouvaient des villages occupés par des organisations de bandits appelés yakuzas. Malandrins des plus féroces, ils s'occupaient de toutes les activités deshonorables qui n'échoyaient pas aux étas, comme le commerce des geishas, les drogues... Akuma-san devait tolérer ce commerce, tant qu'il gardait des mesures raisonnables.
Nos héros auraient sans doute à négocier avec les yakuzas.
Après avoir quitté la forêt, ils croisèrent un chemin qui montait sur la pente de plus en plus dénudée. Au loin, un important soulévement de poussière s'annonçait : c'était trois cavaliers lancés à vive allure.
Les Licornes Moto.
Les samuraï attendirent l'arrivée de ces bushis de sombre réputation. Les deux groupes se saluèrent froidement. Les Motos voulaient régler une dette d'honneur avec les rônins. Ils avaient profité de l'aide de Hida Sotan, resté en arrière avec ses hommes. Maintenant, ils montaient vers le domaine des gaijins. Nos héros déclarèrent qu'ils cherchaient Kazu pour l'interroger. Les Moto voulaient simplement sa tête.
Il ne restait donc plus qu'à faire route ensemble.
Ayamé-san était certaine qu'ils étaient sur la bonne piste. Voici ce que disait la première sentence de son parchemin :
"Des montagnes gaijins viennent
Les faux parchemins menteurs."
Après une montée plus rude, les samurai atteignirent le village des yakuzas. Le chef vint à leur rencontre, s'inclinant bas face à cette troupe impressionnante. Il avait un visage dur, un maintien raide, des expressions coupantes et des gestes nerveux. Derrière lui, de plusieurs bâtisses sortaient des fumeroles de pavot séché ; on entendait aussi le bruit de travailleurs cloîtrés dans leur boutique. Il faisait bien vilain en cet endroit ; d'autant plus que le chef se montrait réticent à aider les samurai. Il ne voulait rien savoir de cette prétendue bande de rônins. Malgré les menaces répétées de Ryu-san, il refusait de parler, se protégeant derrière les traités officieux passés avec Akuma-san, qui assuraient la paix aux yakuzas. Or, le chef prenait cette enquête de nos héros pour une déclaration de guerre.
L'insistance de Ryu-san, aidé de la persuasion de Kakita Hiruya, eut raison de la résistance du bandit. Il murmura que la bande de rônins se terrait dans les écuries, avec des otages.
Sans attendre, les samurai se dirigèrent vers le bâtiment, à la sortie du village et le cernèrent. De l'intérieur, un des rônins cria qu'il avait le couteau sous la gorge des otages, qu'il voulait pour lui et ses hommes des montures pour fuir.
Conditions inacceptales évidemment.
- Laissez au moins sortir les montures, bande de moins que rien, cria Kohei.
La patience des Moto était déjà à bout. D'un commun accord, les samurai décidèrent d'enfumer les canailles dans les écuries. Kohei, les trois Moto et Riobe enflammèrent leurs flèches malgré les protestations des yakuzas. Ils criblèrent l'intérieur du bâtiment ; une abondante fumée de paille se dégagea bientôt des écuries. Plusieurs otages parvinrent à courir au-dehors, pleurant et toussant. Les rônins durent se précipiter à leur tour vers l'air frais.
C'était le signal de la curée.

Les cinq autres étaient décidés à se battre en duel honorable. Depuis leurs montures, les Moto observaient d'un air goguenard nos jeunes héros se lancer au combat.
La mêlée fut rapide et violente. L'échange de coups commença entre Ryu, Kohei et Riobe : le rônin fut blessé, avant que la bushi Dragon, payant sa dette, n'expédie de ses deux sabres l'adversaire de Riobe. Kohei eut raison de son opposant et acheva les agonisants. Il reçut une éraflure qui n'atteint pas sa puissance.
A leurs côtés, Hiruya se préparait à en découdre selon les règles du iaijutsu. Shiba Ikky, secrêtement jalouse de l'art du sabre de la Grue, se plaça à ses côtés.
Leurs deux adversaires avaient la main sur la garde. Foudroyantes, les lames jaillirent des fourreaux d'Ikky et de son adversaire. Ce dernier s'écroula, mortellemet frappé. Ikky battit l'air de sa lame pour la nettoyer du sang ennemi et rengaina sereinement.
Hiruya n'avait pas eu à sortir sa lame : son adversaire avait reconnu sa supériorité. Il préféra s'avouer vaincu sans coup férir.
Ce rônin fut interrogé et promit de répondre si on lui laissait la permission de mourir dans l'honneur.
Mirumoto Ryu l'accorda, contre l'avis des Moto, pressés d'en finir. Le rônin savait que Kazu avait aidé Hikozaemon à rencontrer un empoisonneur au tournoi des rônins. Kazu se cachait dans un repaire troglodyte de gaijins, où il devait retrouver le chef de toute la bande... Qui était donc ce personnage à la tête de tous les rônins et créatures de l'ombre alliées ?...
BAYUSHI
Pendant que les samurai montaient le sentier malaisé, Ayamé-san demanda à parler à part à Hiruya-san. Elle était inquiète à cause de la seconde phrase dictée par les kamikaze (


"Nemesis a placé le Crabe sur le chemin de la Grue.
Le Crabe vient du sud, riche mais souillé."
La shugenja n'était pourtant pas certaine que cette phrase lui ait été dictée par les esprits : elle craignait que des puissances maho n'aient réussi à pénétrer dans le cercle de méditation, ayant ainsi altéré le message des vents. Cette phrase pouvait être une ruse des démons... Toutefois, il convenait de se méfier, même si, le coupable vraisemblablement désigné, Hida Sotan, n'avait pas fait montre d'hostilité à l'égard de Kakita Hiruya. Il convenait de surveiller les Crabes à tout le moins...
Du coin de l'oeil, Mirumoto Ryu surveillait les trois cavaliers Moto, qui ne le remarquaient pas, montés qu'ils étaient sur leurs grands destriers. Ils désapprouvaient surement le fait que la bushi Dragon ait aidé le rônin à pratiquer son seppuku : ce dernier avait faibli, donc Ryu-san lui avait tranché la tête. Beaucoup d'honneur pour un rônin indigne, pensaient les Moto. Ce qu'ils ignoraient, tout comme les autres samuraï, c'est que le rônin s'était confessé à voix basse : selon lui, les Moto étaient là pour retrouver les oeufs de Jade. Ils venaient expédier les témoins de leurs activités louches. C'était bien, à l'en croire, un réglement de compte avec la bande à laquelle appartenait Kazu...
La course du soleil l'amenait déjà à décliner : Dame Soleil se parait de sa robe de plumes de phénix à mesure qu'elle descendait vers l'est. Le temps accordé par Taro-san était bientôt écoulé. Le chemin montagnard devenait de moins en moins praticable. Nos héros durent descendre de cheval pour s'engager dans un pierrier. Les repaires gaijins se trouvaient, selon les Moto, dans des grottes un peu plus haut. Alors qu'ils s'arrêtaient pour attacher les chevaux, un sifflement aigu retentit et résonna dans tous les alentours.
Plusieurs hommes, semblables à ceux qui attaquaient les caravanes près du col d'Heibetsu, apparurent de derrière des rochers, en surplomb des samurai. L'un d'eux, dans un mauvais Rokugani barbare, leur conseilla de faire demi-tour.
Cela ne fit bien sûr que renforcer la détermination de nos héros. Plusieurs flèches s'écrasèrent à leurs pieds ; puis, alors qu'ils avaient commencé à monter dans le pierrier, les gaijins déclenchèrent un éboulis. Hiruyan et Ryu avaient eu le temps de se mettre à couvert d'un rocher, ainsi qu'Ayamé et Ikky. Mais Riobe, blessé lors du dernier combat, peinait à rejoindre une roche derrière laquelle s'abriter. Un des montagnards allait déclencher un ébboulis sur lui : Kohei se jeta devant lui, décocha une flèche au brigand qui l'abattit net. Les trois Moto mirent un genou à terre, visèrent : leurs trois flèches partirent dans un bel ensemble, mais ratèrent leur cible.
Kohei et Riobe visèrent aussi ; vexés de leur échec, les Moto armèrent à nouveau. Cinq flèches partirent à l'unisson, perçant les gorges des gaijins. D'autres pierres roulèrent encore, mais cette fois, tout le monde était à l'abri. Les derniers opposant, voyant six des leurs à terre, se dispersèrent dans la montagne.
Les neuf samuraï grimpèrent la côte : à l'avant, les Licorne, la Grue et le Dragon ; les deux Phénix et le rônin montaient au pas.
Dans la paroi de la montagne était creusée une grotte : une habitation troglodyte, renforcée par des poutres, avec des torches accrochées aux murs. A l'intérieur, plusieurs rônins se mirent en travers de la route des samuraï. Cette fois, il n'y eut pas de quartier. Kazu se nichait au fond de la grotte, bleu de peur face à la troupe qui arrivait. L'air glacée des hauteurs sifflait en s'engouffrant dans la grotte.
Les Moto voulaient en finir avec Kazu immédiatement. Ryu et Hiruya demandèrent à l'interroger auparavant. Il savait trop de choses. Dos au mur, main sur le sabre, Kazu tremblait comme une feuillle dans le vent. Riobe le regardait avec désapprobation : la veille, il pensait parler avec un samurai un peu perdu, mais honnête, pas avec le complice d'une bande de criminels.
Les Moto ricanèrent en voyant Kazu se liquéfier de peur. Ils tournèrent le dos et ressortirent de la grotte. Ils savaient que nos héros le tueraient après l'avoir interrogé. Riobe lui aussi ressortit, pour s'asseoir au calme, afin de soulager ses douleurs.
Ayamé-san voyait en Kazu l'unique espoir de prouver son innocence à Taro-san. De plus, elle savait que la quatrième phrase du parchemin était celle-ci :
"Un Dragon aux écailles noirs
Se niche au palais."
Elle l'avait lue à ses compagnons, qui comprirent qu'un traître se trouvait au palais d'Akuma-san.
Kazu implorait nos héros de lui laisser la vie sauve s'il parlait. Condition inacceptable : il pourrait plutôt faire seppuku s'il donnait des informations précises. En particulier, qui était le chef de toute la bande ? Quand viendrait-il ?
Kazu l'ignorait, car ce mystérieux personnage portait toujours un masque de samuraï. Nos héros pensaient qu'il avait d'ailleurs abandonné Kazu : il ne viendrait jamais le retrouver ici...
Le rônin reculait tant qu'il pouvait, devant le cercle menaçant qui se formait devant lui. Il savait que la Grue pouvait dégainer et le frapper aussitôt. Il regardait affolé tous les samuraï. Il se savait perdu. Avisant l'entrée de la grotte, il vit que les Moto étaient partis.
Il cria alors que ces Licornes étaient complices de la bande ! Ryu répondit qu'elle savait déjà ça : cela correspondait à la confession du rônin au village. Affolé, Kazu répété que les Moto avaient besoin des oeufs de jade pour guérir leur souillure ! Mais les oeufs avaient été emportés par le sombre maître de Kazu.
Cette révélation ne surprit pas outre mesure : la facheuse réputation des Moto n'allait pas contre elle. Kazu lâcha soudain que les Crabes de Hida Sotan étaient également complices ! Souillés eux aussi, ils étaient alliés des Moto depuis longtemps. Tous venaient récupérer les oeufs de jade et tuer les rônins. De plus, Hida Sotan connaissait Hikozaemon (un ancien Hida ne l'oublions pas) et l'avait aidé à monter la troupe des rônins qui avaient attaqué le village aux poissons précieux. C'était pour cela que Hida Sotan était allé chez les Libellules : car le village était à proximité. Mais comme nos héros étaient à la poursuite de Hikozaemon, il n'avait pu le rencontrer avant sa mort, chez les Lions.
Et c'était bien lui, Kazu qui avait aidé Hikozaemon à trouver un empoisonneur au tournoi des rônins, et qui avait conseillé d'éliminer Honzo, le rônin qui avait parlé à Riobe.
Tout se tenait.
SHINJO
Dame Soleil disparaitraît bientôt derrière les montagnes. Et la parole donnée par les samuraï à Mirumoto Taro ne pourrait être tenue.
Malgré toutes les révélations qu'il venait de faire, nos héros ne voulaient pas laisser repartir Kazu. De fait, il appartenait à la même bande de rônins dont Akuma-san avait exigé toutes les têtes. Le laisser partir, c'était ne pas respecter son devoir, donc se condamner au deshonneur. Il fallait donc tuer Kazu. Kakita Hiruya allait brandir son sabre, de même que Mirumoto Ryu, quand le rônin tomba à genoux et supplia les samurai de l'écouter encore.
Il demandait la parole d'honneur des samurai de pouvoir partir, en échange d'une dernière information qui sauverait l'honneur d'Ayamé-san. C'était à Mirumoto Ryu que revenait la décision : Kazu répéta qu'elle devait jurer sur l'honneur de laisser la vie sauve au rônin. Celui-ci s'enfuirait chez les gaijins et sa route ne croiserait plus celle d'Heibetsu, ni de nos héros.
Grave décision à prendre. Fallait-il faire une entorse au serment prêté à Akuma-san pour sauveur l'honneur de la shugenja Isawa ?
Mirumoto Ryu accepta, en jurant qu'elle truciderait Kazu si jamais elle le retrouvait. Celui-ci implora sa pitié, la remercia à genoux de sa bonté.
Nos héros attendaient la dernière révélation.
Elle était terrible en effet : il y avait un traître au palais d'Akuma-san, et c'était Agasha Nahoko, la shugenja du feu qui accusait Ayamé. Elle était l'âme damnée du maître de Kazu. Elle seulement avait pu glisser des parchemins de maho dans le coffre d'Ayamé...
Jusqu'où croire la parole d'un rônin ? Pendant que, étonnés, les samurai réflechissaient à cette révélation, Kazu partit en courant sans demander son reste. Il grimpa vers les hauteurs gaijins, aussi vite que si les démons le poursuivaient.
Il était plus que temps de redescendre vers le palais Mirumoto, car l'heure de Shinjo avançait dangereusement. Riobe avait redescendu la pente : il attendait à côté des montures. Les Moto étaient déjà bien loin. Ils avaient salué Riobe puis étaient partis. Une intuition suggérait à nos héros qu'ils ne les reverrait pas de sitôt. Ils avaient éliminé les rônins trop génants. Maintenant, ils allaient sans doute rentrer au pays, ou chercher ailleurs un remède à leur souillure...
Comme le temps pressait, Shinjo Kohei, monté sur son rapide destrier, offrit à Isawa Ayamé de la porter sur les ailes du vent jusqu'au palais. Shiba Ikky, quoique l'offre fut bonne, ne pouvait vraiment l'accepter. Elle galoperait à dos de poney à côté de la Licorne. Quant à Riobe, blessé, il assura qu'il rentrerait plus lentement : on avait pas d'inquiétude à se faire pour lui, il serait bientôt au palais.
Ayamé monta derrière Kohei, sur le haut destrier et la Licorne lança sa monture au galop. La shugenja s'agrippait comme elle pouvait, tandis que les poneys de Ryu, Hiruya et Ikky peinaient à suivre. La Licorne passait dans la forêt comme un coup de vent violent, les branches craquants de toutes parts sur son passage, dans le bruit du sol martelé par les sabots fougueux.
Au village que les paysans décoraient, les cavaliers eurent une mauvaise surprise : des hommes armés les attendaient en travers de la route. C'étaient les yakuzas, armés de lames et de serpes de paysans. L'ignoble valetaille ! Alors que ses compagnons arrivaient sur leurs poneys, Kohei demanda poliment à la shugenja de descendre. Les autres samurai mirent aussi pied à terre. Les yakuzas attendaient, faisant tournoyer leurs nunchakus.
Kohei les défia du regard en ricanant, pendant que Ryu, Ikky et Hiruya avançaient pas à pas, menaçants.
La Licorne sortit alors, avec délectation, d'un grand fourreau attaché à son cheval, un magnifique no-daichi, long katana de bataille.

La charge en jeta un à terre, pendant que la lame du no-daichi fendait le crâne d'un deuxième. La Grue, le Phénix et le Dragon étaient arrivés au combat : les sabres jaillirent vivement, taillant bientôt en travers des poitrines yakuzas, dans de grands jaillissements de sang.
Kohei poussait des cris vengeurs et les yakuzas hurlaient sous les coups assénés par les samuraï. Les paysans du village, effrayés, se terraient chez eux.
Les ennemis furent tous frappés à mort. Un lourd silence retomba après cette brève mais fulgurante explosion de violence.
Sans attendre, les samurai firent claquer les rênes des montures, repartant pour le château Mirumoto. Arrivé peu après, Riobe put constater le carnage. Les habitants osaient enfin sortir de chez eux. Il était temps d'appeler les eta pour dégager les cadavres mutilés...
Dame Soleil avait presque disparu à l'horizon. Elle lançait ses rayons d'adieu, orangés presque rouge, quand les cavaliers franchissaient à toute allure la poterne du palais, dans le tremblement du galop.
A suivre...
