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12e Episode : "Plus jamais ça..."
#21
"Clémence, j'ai trop de boulot, on annule le voyage !"
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#22
mdr
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#23
Un bon fonctionnaire se doit de rendre son travail à l'heure...

Hein Philou?

Troll1
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#24
Tu pars à la pèche à la dynamite làlol
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#25
CHRONIQUES DE L'EMPIRE D'ÉMERAUDE

Le silence était revenu sur l'Outremonde. Et avec ce silence, l'immobilité et une solitude mortelle. Sur leur îlot spongieux, rongé par les eaux épaisses du marécage, le groupe des trois rônins et des quatre Hida dut constater que le groupe de Tadao ne pourrait pas venir à leur secours.
L'aîné des samuraï, vétéran de nombreuses batailles, ordonna au groupe d'avancer.
- Ne restons pas là...
Sur un autre îlot se trouvait une barque échouée. Ils s'en approchèrent prudemment, et constatèrent qu'aucune créature n'y avait trouvé abri.
- Il y a un camp de Nezumi non loin d'ici.
- Si loin dans l'Outremonde ?
- Les Nezumi ne sont pas touchés par la Souillure, dit le vétéran. Et ceux-ci sont réputés pour être de féroces chasseurs. Ils sont mal vus par les tribus près des collines : ils les prennent pour nos animaux domestiques... Ils sont farouches, mais je les ai déjà rencontrés. J'espère qu'ils se souviendront de moi.
- Pourvu qu'ils ne veuillent pas nous utiliser pour leur ragout du soir...

Les samuraï montèrent dans la barque, qui tangua, mais ne prit pas l'eau. Il restait une rame, et ils utilisèrent une vieille branche robuste pour en faire une deuxième. Lentement, la barque partit sur l'eau boueuse, pleine d'une végétation inquiétante. Deux hommes ramaient tandis que les autres surveillaient les fonds. Il était facile à des prédateurs aquatiques de se cacher dans la forêt d'algue sous-marine, ou quelque part sur les rives, parmi les roches et les arbres tortueux. Les samuraï n'entendirent pendant longtemps que le clapotis de l'eau, et de lointains grondements d'orage dans les cieux. Ils traversèrent des marécages puants, où la terre humide exhalait l'odeur des morts innombrables digérés par le sol.
Enfin, après des heures passées à ressentir une peur diffuse, étouffante, les explorateurs virent un village sur la rive. Des Nezumi armés de lances, sur un ponton de bois, les regardaient approcher. Les familles rentraient dans leur cahute, tandis que les guerriers de la tribu armaient leurs frondes et leurs arcs.
- Ils font quand même la différence entre nous et des démons ?
- Généralement, oui...

Ces Nezumis portaient des peintures effrayantes et des scarifications qu'ils s'infligeaient volontairement pour honorer leurs divinités guerrières. Les samuraï arrimèrent leur barque au ponton. Les Nezumi ne frémirent pas pendant que les humains mettaient pied sur la rive. Le vétéran s'inclina devant le chef de la tribu et lui fit comprendre, en langage des signes, qu'ils venaient en paix. Les autres frappèrent leurs lances sur le sol plusieurs fois.
Des femelles ressortirent, après leurs petits entre les jambes, fascinés par l'arrivée de ces créatures. La case du chef était ornée à son entrée du crâne difforme d'un monstrueux oni.
- Les Nezumi étaient là bien avant les hommes, chuchotait le vétéran, bien avant l'Empire... Ils nous considèrent comme d'une race inférieure... Si nous voulons passer la nuit, il va falloir nous habituer à cette idée.
- C'est... c'est dégoûtant, dit le plus jeune des Hida. Ces caricatures se prendraient pour nos maîtres... Ce sont des barbares répugnants, pire que nos etas.
- Silence, dit le vétéran, car ici, c'est nous qui sommes une race immonde, pervertie et décadente...
- Et ces vermines ont des dieux ?
Le jeune disait cela car ils passaient près d'un autel où étaient empalés des cadavres de gobelins que les mouches dévoraient, au pied de statues effrayantes d'hommes-rats.
- Plus un mot maintenant, sinon tu serviras à apaiser les appétits de leurs idoles.
Ils entrèrent brièvement dans la case du chef, puis furent conduits dans une baraque branlante à la sortie du village, à l'entrée d'une jungle de moisissure et de pourriture.
- J'ai... j'ai envie de vomir, dit le plus jeune.
- Maîtrise tes intérieurs, gronda le vétéran.
Les samuraï eurent droit à une épaisse soupe, apportée par une grosse femelle accompagnée de deux soldats.
- Si les Ancêtres nous voyaient...
- Les Ancêtres ne regardent pas jusqu'ici...

Les samuraï organisèrent des tours de garde et partirent le lendemain matin, sans que se soit dissipée la sourde hostilité des Nezumi à leur égard.
- Il n'aurait pas fallu rester une demi-journée de plus... Leurs dieux ont faim.
Ce fut une journée maussade. La progression dans la forêt fut harassante.
- Si les dieux le veulent, nous sortirons d'ici avant la nuit.
- Les dieux sont ici, eux ?
- Les dieux sont partout, jeunot... Même dans ces ténèbres, ils nous regardent encore. Même à travers les cieux les plus noirs, les habitants du paradis céleste n'oublient pas leurs enfants...
Le vétéran ne s'était pas trompé. Peu à peu, la jungle perdait son aspect monstrueux, et devenait plus claire. Le soleil réapparaissait. Les plantes, encore gigantesques, n'avaient plus de faux visages de démons et les arbres ne semblaient pas des statues figées de terreur. Des oiseaux chantaient en cœur dans les arbres, alors que la nuit obscurcissait doucement les lieux.
Une étrange paix régnait maintenant. La terre devenait plus solide. Enfin, juste avant qu'il ne fasse complétement noir, les samuraï sortirent de la forêt, et se retrouvèrent en haut d'une montagne abrupte, dominant une grande vallée verdoyante, immense, où l'on distinguait les feux de plusieurs villages. Et au centre de la vallée, au milieu de champs labourés, un grand palais qui ressemblait à une perle de jade.

Samurai

- Ce sera long...
Tadao ressortait d'une réunion avec le conseil des Inquisiteurs Kuni. Il comprenait qu'il ne faudrait pas compter avant longtemps sur une nouvelle expédition dans l'Outremonde. Qu'il y ait quatre samuraï du clan en perdition n'avaient pas ému les Hauts Inquisiteurs, pas plus que la menace, trop distante, de ce démon du Regret.
- C'est une créature primordiale du Dieu Maudit, avait argumenté, front à terre, Tadao.
- Vous n'avez pas à nous apprendre, Tadao-san, ce que sont les Shuten-Doji. Seulement, ce démon est logé, d'après ce que vous nous dites, chez nos lointains voisins des Royaumes d'Ivoire. Nous n'irons pas les défendre. Que le Shuten-Doji vienne à nous, et nous aurons de quoi le recevoir. En douteriez-vous ?
- Non, seigneur.
- En ce cas, concentrez-vous sur votre tâche de défense de la Cité de la Pieuvre.
- Bien, seigneur.

Tadao apprit la nouvelle à mots couverts à Mitsurugi et Sasuke. Ceux-ci comprirent qu'ils pouvaient dire adieu à Mamoru, Yojiro et Yatsume... Ils voulaient croire à leur survie, car ils en avaient vu d'autres, mais survivre à l'Outremonde ?...
Oui, c'était une partie de leur passé qui s'en allait.

Plus tôt dans la journée, Sasuke était allé au temple des Phénix, sous prétexte d'une visite de courtoisie, et il avait discuté avec Isawa Mizu, la tensaï de l'Eau.
- Pourrais-tu me rendre un service ? J'aurais besoin que tu gardes un œil sur les Serpents... Tout ça très officieusement, hein...
- Qu'est-il arrivé au juste à cette Chuda qui a disparu ? Elle a été emmenée par l'Inquisition ?
- Ne compte plus la revoir. Dans le meilleur des cas, elle a rejoint les Ancêtres, et plus certainement, un monde de souffrances et de supplices...
- Mais enfin, ce serait donc vrai, ces rumeurs sur les Chuda ?...
- Je ne suis sûr de rien, murmura Sasuke. Nous voudrions seulement savoir si nous devons nous méfier d'eux.
- Je les surveillerai, dit Mizu. J'espère seulement que c'est justifié.
- Tu saurais que c'est justifié si tu savais comment a fini la Chuda...
Sasuke ne dit rien de plus. Il remercia les Phénix pour leur accueil.

En ville, les suspicions devenaient de plus en plus lourdes sur les Serpents. L'échec de la mission de Tadao était sur toutes les lèvres ; il ne manquait pas de calomniateurs pour accuser les Chuda de cet échec. Les Crabes auraient été bien heureux de se décharger de cette responsabilité sur eux.
Pris à partie publiquement lors d'une soirée au palais des Grues, le tensaï du Vide, Isawa Masaakira, déclara simplement :
- Les Serpents sont nos hôtes, et d'excellents hôtes.
Nul n'osa évoquer la disparition de la Chuda. La famille Kuni resta muette à ce sujet. Et personne n'imaginait les Lions mêlés directement à cette affaire.
De fait, les Serpents ne sortaient plus de leur temple. C'était mieux pour tout le monde. Les pires bruits couraient à leur sujet chez les Yasuki, les marchands du peuple, les tavernes et les ruelles de la Pieuvre. On évoquait leur départ prochain, ou bien leur convocation à tous chez les Kuni, pour passer le test de la glyphe.

Samurai

Matsu Mitsurugi attendait sa convocation pour s'expliquer sur l'enlèvement de Doji Ikue. En attendant, il n'avait pas le droit de la voir. Il avait détruit l'honneur d'un samuraï et de sa famille, bravé la colère des Grues, tout cela à présent pour une trop brève nuit d'amour, et pour être séparée d'elle aussi brusquement, et sans savoir s'il pourrait l'approcher de nouveau un jour. A en croire l'ambassadeur Noyuki, qui, par ses relations chez les Yasuki, récoltait les bruits d'alcôve, les Grues avaient l'intention de faire appel aux Bayushi, en sous-main bien sûr, pour venger leur honneur : soit lancer une campagne de calomnie contre Mitsurugi, soit carrément le défier en duel sous un prétexte quelconque, jusqu'à ce que mort s'en suive.
- Je veux qu'il crève, je veux qu'il finisse la tête dans la merde !
C'était en substance le souhait du père de Kakita Yagyu.
- Sans compter, dit Noyuki, que les disciples de Yagyu vont vouloir venger leur maître.
- Ils n'ont pas encore fait seppuku, ceux-là ?
Mitsurugi les attendait, les disciples !... En attendant, sa situation pourrissait sur pied.
Matsu Kokatsu ne suivait cette histoire que de loin. Il était régulièrement invité au palais des familles impériales, et ne disait rien de ses rendez-vous là-bas. Sur Ikue, il disait juste :
- La cour d'hiver sera bientôt là. Attends-toi à ce qu'elle soit agitée pour toi, quoique Hanteï Norio décide pour vous deux...
- Je tiendrai tête, dit Mitsurugi.
C'était Kokatsu qui avait excité son samuraï à frapper. Maintenant, c'est comme s'il s'en lavait les mains. Il était préoccupé par des affaires qui dépassaient ces histoires de jalousie et d'honneurs. Ce devait donc quand même être grave ! Mais c'était comme si cela dépassait tellement Mitsurugi qu'il ne fallait pas lui en parler.

Isawa Mizu ne donnait pas de nouvelles des Serpents à Sasuke. Pour peu qu'Isawa Masaakira ait compris, il avait pu facilement ordonner à sa tensaï de se taire. Ces derniers jours, les Phénix trouvaient tous les prétextes pour ne recevoir personne. Les Serpents vivaient cloîtrés entre leur pavillon et leur quartier de jardin. Les serviteurs s'en approchaient à peine, juste pour apporter à manger et faire du nettoyage, en vitesse.

Six jours après le retour de l'Outremonde, Sasuke reçut une invitation des Phénix. C'était Isawa Masaakira, qui désirait s'entretenir avec lui. Le shugenja parla en tête à tête avec son ancien senseï, et revint au palais d'Ivoire accompagné d'Isawa Nobuyoshi, le tensaï de l'Air. Ce dernier s'agenouilla face à Matsu Mitsurugi :
- Seigneur, mon maître, Isawa Masaakira, s'apprête à partir au palais Isawa.
Mitsurugi ne dit rien. Mais pour que les tensaï soient rappelés là-bas, c'est à dire devant le conseil élémentaire, c'est qu'il se passait des choses graves.
- Mon maître désire te demander la permission que Matsu Sasuke parte avec nous.
Les cinq tensaï réunis. Mitsurugi attendit un moment pour la forme, puis dit qu'il donnait sa permission. C'était joué d'avance car Sasuke avait compris quand il avait reçu l'invitation de Masaakira.
Les Phénix et Sasuke partirent le surlendemain. Les Serpents restaient au temple avec les samuraï Shiba, et personne ne les en vit sortir.

Samurai

Les samuraï sortirent de la forêt vierge au petit matin, après une nuit passée sur les hauteurs. Ils descendirent dans la vallée. Des paysans misérables, à la peau sombre, les regardaient, ahuris. Bientôt, le bruit dut courir dans la région que des étrangers étaient arrivés, car une patrouille se présenta. C'était des humains à la peau couleur cuivre, vêtus de pantalons bouffants, avec des glaives très courbes à la ceinture et des bijoux en or. Ils avaient des lances qu'ils pointèrent sur les Rokugani : il leur intimait sans doute possible l'ordre de les suivre.
Ils les amenèrent dans la cité bâtie autour de l'immense palais de marbre vert. Les maisons étaient en bois et en torchis, et les gens étaient miséreux, pouilleux, à croire qu'ils ne se lavaient jamais. Tandis qu'en arrivant aux abords du palais, on entrait dans un monde de luxe inouï. Des jardins raffinés mais d'un goût étrange, avec des fontaines et des cages à oiseaux, des bassins parfumés. Un décor de rêve, d'une pureté éclatante pour le carrelage presque transparent du palais. De grands seigneurs en habits tout blanc, avec des turbans sur la tête. Certains avaient des ongles presque aussi longs que le bras !
Les Rokugani n'osaient pas lever le petit doigt, toujours fermement cernés par la soldatesque. Des femmes dans des robes aux couleurs éclatantes avaient les cheveux qui touchaient le sol, et plusieurs points dorés peints sur le front. A l'autre bout des jardins, de monstrueux animaux, des éléphants, à peine connus à Rokugan, attrapaient des branchages avec leurs trompes.
Le palais était surmonté d'un grand dôme étincelant, et de plusieurs tours. Pour s'y rendre, il fallait prendre une grande promenade avec un bassin en son centre, dans lequel le palais se reflétait parfaitement.
Inutile d'ajouter que tous les courtisans avaient les yeux rivés sur les étrangers crasseux qui traînaient leurs sandales au milieu de ces splendeurs. Pas un nuage dans le ciel, le soleil éclatant du matin.

Parmi ces étrangers, les samuraï virent alors sortir, de derrière une enfilade de colonnes, des samuraï Rokugani ! Ils en furent encore plus stupéfaits.
Ceux-ci portaient la barbe, et des kimonos aux tons blanc et mauve. Incrédule, le vétéran Hida voulut s'avancer mais un des soldats lui pointa sa lance sous le menton. Un seigneur, dont la barbe grise était entortillée et nouée plusieurs fois, fit un petit signe et les soldats s'écartèrent. Les samuraï sortis du palais purent s'approcher :
- Salutations. Mon nom est Shinjo Goro, ambassadeur du clan de la Ki-Rin auprès du Palais de Marbre.
Les Crabes ne savaient quoi répondre, sans parler de Mamoru, Yatsume et Yojiro, qui étaient loin de s'attendre à une telle rencontre ! Il y avait une éternité que le clan de la Ki-Rin avait quitté Rokugan pour suivre Shinjo dans un périple infini.
Le chef des Hida se présenta et présenta ses hommes.
L'ambassadeur se gratta la barbe et dit :
- Il vaudrait mieux que vous veniez avec moi...
Puis il s'approcha d'un des seigneurs, parla à voix basse avec lui puis fit signe aux Rokuganis de le suivre.
- Vous veniez ici exprès pour notre ambassade ?
- Par les dieux, dit le Hida, pas du tout ! Nous ne savions pas que le septième clan majeur connaissait ce pays !
- Vous ne venez pas aux Royaumes d'Ivoire par hasard, tout de même ?...
Tandis qu'ils parlaient, les samuraï arrivaient dans une bâtisse près de l'enceinte du grand palais. Elle était gardée par d'autres bushi de la Ki-Rin, surpris de voir arriver ces étrangers. Shinjo Goro fit donner des chambres à ses hôtes et les laissa se laver et se changer.
Puis il les rencontra dans son bureau :
- Je suis honoré de vous recevoir dans mon palais.
- L'honneur est pour nous, dit le vétéran Hida.
- Pardonnez-moi d'être direct, mais avez-vous une idée de l'endroit où vous êtes ?
La phrase aurait pu être comique, d'autant que Shinjo Goro parlait avec un accent bizarre, qui devait être celui des Rokugani des débuts de l'Empire. Il était rocailleux, avec des consonances barbares. Les Crabes pouvaient encore s'y faire, mais on aurait mal imaginé l'ambassadeur Goro dans les salons distingués des Grues !
Ceci dit, cela ne changeait rien au fait que les Rokugani étaient perdus.
- Vous êtes au Palais de Marbre, samuraï, résidence du Raja Avishnar, prince de Golimar. Imaginez un daimyo...
- Comment se fait-il que le clan de la Ki-Rin soit arrivé jusqu'ici ? N'étiez-vous pas parti plein ouest ?
Shinjo Goro haussa les épaules :
- Notre destin est d'aller là où le vent nous porte... Du reste, nous ne sommes qu'une ambassade. Le gros de nos troupes se trouve bien loin, dans les Sables Brûlants, à des mois de voyage d'ici.
Les Hida expliquèrent comment ils étaient arrivés aux Royaumes d'Ivoire.
- Je n'ai pas entendu parler de ce démon du Regret, dit Goro. Je ne sais pas tout, mais une menace comme celle-ci, j'en aurais eu vent...
- Maintenant que nous sommes là, nous ne pouvons pas repartir, dit bravement le Hida. Nous devons rencontrer ce... "raja".
- Le Raja a déjà demandé à vous voir, mais pas dans l'état dans lequel vous êtes arrivés !... Il vous accueillera en son palais si je lui certifie que vous êtes des hôtes de bonne compagnie. Le Raja n'aime rien tant que les plaisirs et les distractions. Autant vous dire que vous ferez partie des amusements du palais.
- Shinio Goro-sama, nous ne sommes pas venus ici amuser un seigneur, si puissant soit-il. Nous avons des ordres de Kuni Tadao...
La phrase parut dérisoire ; que pouvaient valoir les ordres de l'Inquisiteur ? Et quand bien même c'eût été l'Empereur ?...

Shinjo Goro sourit :
- Vous pourrez rester en mon ambassade le temps qu'il vous plaira. Mais je doute que le Raja vous laisse partir à la chasse au démon chez lui...
- Prévenons-le au moins du danger...
Goro haussa encore les épaules. Cette arrivée d'une bande de Rokugani aux abois faisait franchement incongru, et plus encore leur désir d'aller sans tarder exterminer un démon ! Est-ce que c'est une manière d'arriver chez les gens !

Samurai

La fête fut somptueuse, le lendemain soir. Rasés de près, dans des kimonos Ki-Rin, les quatre Hida et les trois rônins furent éblouis par les décorations fantastiques, les costumes magiques des invités, et les cracheurs de feu, les dresseurs d'animaux, les jongleurs et les contorsionnistes.
- Regarde discrètement à ta droite, souffla Yojiro à Mamoru, je crois que celui-là vient d'avaler son sabre en entier !
Yatsume avait déjà vu faire ça, dans son clan, mais l'avaleur n'était pas volontaire !
Les Rokugani étaient la curiosité de la soirée, l'amusement ! Les enfants voulaient les toucher ; l'un d'eux proposa pour rire de les jeter aux tigres, mais Shinjo Goro intervint pour requérir la faveur de remettre cette distraction à plus tard. Un seigneur intervint et accepta la requête de l'ambassadeur. La mère dut emporter son enfant en pleurs, très fâchée de cette décision.
Nos héros se retrouvèrent à table, et on vit arriver le Raja, entouré d'une escouade d'au moins quarante hommes en armes. Tout le monde s'inclinait, l'assistance se figeait. Le Prince était jeune, élégamment vêtu. Il appréciait le charme qu'il exerçait sur sa cour.
Lentement, Avishnar de Golimar prit place au milieu de la table et frappa dans ses mains : la fête reprit, encore plus éblouissante qu'avant. Il y eut un déferlement de danseuses qui se tordaient le ventre, des acrobates qui firent une pyramide de vingt personnes et encore d'autres bateleurs incroyables. Les Rokuganis ne savaient où donner de la tête. Le Prince fit un discours d'accueil aux étrangers, Goro traduisant ses paroles. Il parlait avec une habileté gracieuse, en longues phrases, et tout le monde souriait à ses compliments, et rit avec lui plusieurs fois. Shinjo Goro avait du mal à tout traduire, mais on sentait que d'exquises politesses sortaient de la bouche du Raja.
Yatsume, elle, nota immédiatement qu'elle ne laissait pas le beau Prince indifférent ! Le regard d'Avishnar était déjà plein de braises. Pendant le repas, c'est à peine s'il la quitta des yeux.
On apporta au bas mot une dizaine de plats et les Rokugani firent plusieurs fois des efforts pour ne pas grimacer.
- Qu'est-ce... qu'est-ce c'est que ça ?
- De la cervelle de singe, murmura Goro. Si vous tenez à ne pas finir dans le ventre des tigres, je vous conseille d'en manger avec appétit !
- Et... et ça ?
- Des brochettes de cancrelas au miel... Et là, des euh... enfin, ma foi... des testicules de taureau à la menthe... Symbole de virilité ! Le Prince en mange deux à chaque repas. Il a une vingtaine d'épouses, figurez-vous.
Les Hida croquèrent ensuite dans du poisson au riz décoré de petits fruits rouges. Ils mordirent même à belle dent, et juste après, vidèrent une carafe d'eau chacun, la bouche en feu !
Le Prince rit de la mésaventure.
- Très bon signe, fit Goro. Non, ne recrachez pas ces piments, ce serait une injure mortelle... Et reprenez des couil... des testicules de taureau, sinon vous passerez pour des fillettes.
Heureusement, il y avait un vin délicieux, qui aidait à faire passer cette nourriture dont même un démon digne de ce nom n'aurait pas voulu !
- Le Raja s'inquiète de savoir si vous avez eu assez de moelle ?
- Oui, parfait, dirent les Hida, en souriant tant qu'ils pouvaient.
Le dernier plat fut un beau tas de serpents encore vivants, que les cuisiniers saignèrent et firent rôtir devant les invités, avant de les flamber au vin et de les couvrir de caramel. Le serpents rôtirent sur les charbons, longuement, et de petites flammes crépitaient autour d'eux.
- Vous croyez que c'est un signe ? fit, sincèrement inquiet, un des Hida.
- Je n'en sais rien, dit le chef du groupe. Mangeons, ce ne sera pas le pire plat de la soirée...

Après les serpents, on apporta d'énormes coupes de desserts ; en particulier, des petits gâteaux cubiques moelleux, dont Yojiro se gava sans vergogne ! Les autres invités riaient en le voyant dévorer comme un affamé.
- Des loukhoums, dit Shinjo Goro. Vous n'avez pas inventé ça à Rokugan ?
- Emmenons la recette !
Après le repas, il y eut encore d'autres spectacles ; des invités se retirèrent, et les Rokugani restèrent avec le Raja. Celui-ci discuta longuement avec l'ambassadeur Goro, qui faisait mille politesses pour être agréable au jeune prince. Pendant ce temps, les Hida et les rônins retrouvaient leurs marques : sans qu'il soit besoin de parler la langue, ils avaient compris qu'un concours de boisson venait de se lancer ! Yojiro fut opposé à gros homme huileux, vêtu seulement d'un turban et d'un pagne.
- Un fakir, expliqua Goro. Un ascète...
- Un ascète garni, nota un Hida.
C'est Yojiro qui l'emporta. Le fakir roula en arrière et fut emporté par des serviteurs.
Le Prince rit encore à pleines dents et se leva, marquant la fin du repas. Il s'approcha de Yatsume et la prit par la main, délicatement, et l'emmena avec lui.
Les autres Rokugani rentrèrent à l'ambassade. Dans la rue, Yojiro fut pris de crampe et alla vomir dans une ruelle sordide. Les Hida riaient sans s'arrêter.
- Tu as dû abuser des loukhoums, nota Mamoru.

Samurai
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#26
CHRONIQUES DE L'EMPIRE D'ÉMERAUDE

Avishnar de Golimar était le plus rayonnant des hommes !
L'aube se levait une nouvelle fois sur son royaume, et le soleil ne semblait émerger de l'horizon que pour contempler son palais de marbre, le plus magnifique du monde. Il regardait le jour monter, comme un dieu du jour en adoration devant la nuit qui se retirait -comme lui cette nuit quand il avait fait emmener Yatsume dans sa chambre.
Ils avaient quitté la salle du banquet et avaient rejoint les appartements du prince. Ils avaient encore bu, en écoutant les mélopées envoûtantes des chanteuses et des musiciennes ; ils avaient commencé tendrement, comme des amoureux pour qui la nuit n'aura jamais de fin, parmi les rideaux légers soulevés par le souffle du vent, les tapisseries envoûtantes. Et pour finir, il s'était jeté violemment sur elle et s'était longuement déchaîné, enragé d'un coup après elle.

Des servantes avaient ensuite guidé Yatsume vers sa chambre, où elle avait pris un bain.

A l'ambassade de la Ki-Rin, le repas de la veille pesait encore sur l'estomac de tout le monde.
- Il est bien rare que le Prince fasse d'aussi magnifiques réceptions et que nous y soyons invités, dit Shinjo Goro. Vous devez être envoyés par les dieux...
Il servait un thé léger et quelques fruits.

- A ce sujet, nous n'avons pu parler de ce démon...
L'ambassadeur sembla contrarié.
- Bien, oui... Avant d'en parler au Prince ou à un de ses conseillers, je devrais peut-être vous faire découvrir brièvement les Royaumes d'Ivoire. Je crois qu'au mieux, vous n'aurez qu'une autorisation de traverser les terres du Raja jusque chez notre voisin... Je doute qu'il vous suive à la chasse au démon.
Les Rokugani étudièrent la région attentivement, penchés sur la carte :
- A l'est d'ici, le chemin que vous avez dû suivre, approximativement. Cette rivière que vous avez remontée, qui prend sa source ici et qui coule jusqu'à l'Outremonde. Au nord, une région de montagnes réputées infranchissables, habitées par des démons du feu... Plus à l'ouest, le reste des Royaumes d'Ivoire. Chaque région est gouvernée par un Raja. Et tout en haut, un Maharadjah. L'Empereur si vous voulez... Il existe aussi un système fort compliqué de castes, je vous en épargnerai les détails. Vous seriez étonnés d'apprendre qu'ils se préoccupent comme nous de leur réincarnation. Ce sont moins des barbares qu'à première vue...
- Et au sud, ici ?
- La côte. Et un comptoir du clan de la Mante. Hé oui, ils sont arrivés jusqu'ici ! Pour retourner par la mer dans notre Empire, il faut longer la côte vers l'est, puis toujours le long de la côte, vers le nord, et on arrive au large de l'archipel de la Mante.
"Ensuite, en reprenant du comptoir des Mantes, vous pouvez remonter la piste vers le nord-est. Et vous trouverez un fortin de notre clan, en pleine jungle. Notre ambassade ici au palais de marbre est la seule dans les Royaumes.
- Et par la côte en allant à l'ouest ?
- J'ignore ce qu'il y a après. Le comptoir des Mantes marque pour nous une frontière au-delà de laquelle nous ne sommes pas allés. Je suppose que si vous continuez longtemps, pendant des mois peut-être, vous trouverez la côte des Sables Brûlants. Mais nous ne sommes jamais allés là-bas. Personne de mon clan. Ma famille se trouve en plein cœur du désert, au nord des montagnes de feu dont je vous ai parlé. Moi et mes hommes avons trouvé un passage vers ces Royaumes, en passant dans un défilé au milieu des montagnes de feu. Reportez vers l'ouest la distance de Otosan-Uchi à la forêt Shinomen, et vous irez une idée d'où est ce défilé.

L'ambassadeur invita ses hôtes à un repas frugal.
- Nous devrions aller voir comment se porte Yatsume, suggéra Mamoru.
- Votre amie ? dit Goro. Entre nous soit dit, si j'étais vous, je me réjouirais pour elle. Mais je ne compterais pas la revoir. Je pense qu'elle va finir sa vie au palais de marbre. Et pour elle, c'est une chance inespérée. Pardonnez-moi, mais pour le Prince, qu'elle soit rônin ne compte pas. Or, Avishnar de Golimar a eu le coup de foudre pour elle. Il va en faire sa favorite. Elle sera magnifiquement traitée. Je ne vois pas une femme qui s'en plaindrait.
- Vous ne connaissez pas Yatsume, toussota Yojiro. Elle a son caractère. Elle est assez... indépendante. Un peu sauvage, disons.
- A l'heure qu'il est, elle doit se baigner dans une pleine piscine parfumée et essayer les plus belles robes du palais. Croyez-vous que même une entêtée y résisterait ?
- Nous n'allons pas la laisser là-bas, dit Yojiro.
- Pourquoi pas ? Avez-vous mieux à lui proposer ?...
Les rônins ne surent quoi répondre.
- C'est un conte de fées pour elle, dit Goro.
"A propos de conte de fée, laissez-moi vous raconter une histoire. Le héros en est le père de l'actuel Prince. L'ancien Raja, Krishmar, était tombé éperdument amoureux d'une femme, et d'une seule. Or la tradition veut que le Raja ait au moins quinze femmes. Mais Krishmar refusait absolument. Des conseillers traditionalistes voulurent mettre à l'épreuve cette épouse unique : ils voulaient montrer qu'elle n'était pas si exceptionnelle. Alors, ils lui lancèrent publiquement ce défi : puisqu'elle était la plus belle du royaume, elle devait avoir un esprit à la hauteur de sa grâce naturelle. Elle devrait donc raconter chaque à son Raja une histoire différente, qui l'enchanterait à chaque fois. Et ce, pendant mille et une nuits.
"Rouge de honte et de colère, l'épouse accepta. Oui, elle releva ce défi surhumain. Alors, elle raconta des histoires, nuit après nuit, saison après saison... Une année passa, et l'épouse n'était pas à court d'inspiration. Les conseillers voyaient venir leur défaite. Nul ne sait ce qu'ils firent vraiment. Toujours est-il qu'un soir, la belle épouse se trouva privée de voix. Elle ne pouvait rien dire. Elle supplia son époux, pleura, fit signe qu'elle écrirait l'histoire et qu'une servante raconterait pour elle. Mais les conseillers espionnaient à la porte, et demandèrent à la voir. Devant eux, elle ne put articuler un mot. Le triomphe des conseillers était complet. La mort dans l'âme, le Raja dut constater que sa femme n'avait pas été à la hauteur. Elle s'était surestimée, elle n'était donc pas parfaite, comme le croyait Khrismar. Elle fut emmenée séance tenante au bourreau, qui la décapita proprement (vous aurez noté que le bourreau était déjà prêt, en pleine nuit !wink.
"Voilà. Le Raja observa deux années complètes de deuil, jusqu'à ce qui aurait dû être la mille-et-unième nuit. Puis il consentit à prendre des épouses. Il en prit plein, et ne s'occupa jamais d'elle. A peine s'il visitait leur chambre de temps en temps, sans passion. L'actuel Raja est le fils de la première épouse. Mais il a à peine connu sa mère. Quand il est arrivé au pouvoir, il a fait sauvagement exécuté les conseillers de son père. Ils ont été piétinés sous des éléphants, je vous passe les détails.
"Depuis, il vénère le souvenir de sa mère comme une déesse. Pourquoi est-ce que je vous raconte cette histoire ? Pour vous dire que le Raja vénère les femmes. Alors que son père s'en fichait, le Raja cherche parmi ses épouses laquelle est la réincarnation de sa mère...

- Attendez, sourit un Hida, vous n'êtes pas en train de nous dire que Yatsume... ?
- Je n'en sais rien, dit Goro. Je dis juste qu'habituellement, le Prince choisit soigneusement ses épouses. Il les courtise longtemps, les étudie, les inspecte comme on regarde une perle pour voir qu'elle n'a pas de défaut. Or, pour la première fois, Avishnar a emmené dans sa chambre une femme, comme ça.
- Ça ne lui arrive jamais d'habitude, une de passage ? dit un Hida, goguenard.
- Jamais.
L'ambassadeur était catégorique.
- Pour le Prince, son harem est une œuvre d'art. Et il ne se permet aucune faute de goût.
- Ah, c'est beau d'être un esthète ! fit un Hida, qui avait reçu au visage un coup de griffe d'oni.
- Bref, tout ceci pour vous dire, conclut l'ambassadeur, que votre amie Yatsume ne sortira du palais de marbre que le jour où ses cendres seront dispersées dans le fleuve sacré.
Un Hida écrasa une larme :
- C'est émouvant, ces histoires...
Les autres levèrent les yeux au ciel.

La BEC sortit du palais.
- C'est pas croyable, cette histoire, dit Yojiro.
Il tapa distraitement dans un caillou.
- Monsieur le collectionneur de femmes et bouffeur de couilles de taureau est bien aimable, mais là, il pousse le bouchon un peu loin... Et les histoires à dormir debout, là...
- On doit sortir Yatsume de ce palais.

La BEC approcha du palais d'Ivoire. Malgré ses airs magnifiques, c'était militairement une forteresse imprenable, ou presque. S'ils avaient disposé d'une armée d'éléphants ! De régiments de shugenjas !...
Mais là, ils étaient... deux. Peut-être six, au cas où ils décidaient les Hida. Mais jamais les samuraï de la Ki-Rin ne les aideraient. Un ambassadeur n'attaque pas le palais où il est en poste ! Même Mitsurugi ne faisait pas ça !

Alors que la BEC allait retourner à l'ambassade, ils entendirent une grande agitation dans le palais. Des gardes couraient en tous sens, des servantes criaient, c'était la panique !
Yatsume n'avait-elle pas apprécié les robes du Raja ?

Samurai

Le repas, l'accueil, les danseurs, très bien. La nuit d'amour, parfaite. La mâtinée, fort agréable, à se pomponner, à se faire belle, avec quinze servante qui se mettaient en quatre pour rendre Yatsume belle comme la Fortune de l'Amour. La promenade avec Avishnar dans le parc, délicieuse.
C'est après que le sang de Yatsume n'avait fait qu'un tour. Elle était rentrée dans le palais au bras du Prince, et celui-ci l'avait emmenée dans une très grande salle où une vingtaine de femmes vivaient dans un luxe incroyable, vautrées dans des coussins énormes. La pièce était gardé par de grands éphèbes noirs aussi musclés que des bœufs, mais souffrant du même manque que ces ruminants...
Et quand Yatsume avait fait son entrée, elle avait vu une vingtaine de regards de jalousie, de mépris et de haine la perçaient comme autant de lames. Un samuraï de la Ki-Rin était là pour faire l'interprète, et il déclara fièrement à Yatsume qu'elle aurait l'honneur de passer le reste de sa vie dans ce décor enchanteur.
Yatsume blêmit, et avant qu'elle puisse réagir, la porte se refermait derrière elle. Elle avait le sentiment d'être jetée dans une fosse de piranhas. Les autres épouses lui auraient bien arraché les yeux au cure-dents pour fêter son arrivée !
Un des eunuques désigna à Yatsume la place où elle devait aller : des servantes l'attendaient. Notre héroïne se retourna et frappa à la lourde porte, en criant qu'on la laisse sortir. Un grand éclat de rire partit dans la salle, et un eunuque s'approcha d'elle comme d'une petite fille pas sage. Il devait dire :
- Allez, il faut vous calmer maintenant...
Yatsume se ressaisit. Puisqu'elle ne pouvait taper dans les parties sensibles, elle opta pour le croc-en-jambe en règle ! L'eunuque s'écroula, et Yatsume se précipita vers la fenêtre. Les autres femmes se mirent à glapir et à crier comme des oies ; trois gardes s'interposèrent, mais Yatsume les reçut à coup de balayettes et les envoya aux tapis moelleux ! En un rien de temps, notre héroïne avait traversé la pièce, et, armée d'une hallebarde, sautait par la fenêtre et se recevait dans les jardins. Elle avait à peine pu repérer les lieux dans la mâtinée !
Elle entama une course désespérée entre les massifs d'arbre.
La BEC, qui était à une grille, passa alors à l'action : Yojiro fracassa la porte et Mamoru se précipita dans l'allée ; Yatsume les vit et courut vers eux. Les gardes du palais, pas habitués à une attaque venant de l'intérieur, n'avaient pas eu le temps de réagir que les trois rônins s'enfuyaient vers l'ambassade.

Après une course ventre à terre, ils arrivèrent aux écuries, où ils détachèrent trois des immenses chevaux montés par la Ki-Rin, et partirent au galop, montant ces terribles montures à crue ! Les Ki-Rin n'avaient pas eu le temps de réagir, que les trois rônins quittaient la ville, et partaient dans la jungle !

Samurai

Ce ne fut plus ensuite qu'une longue chevauchée qui s'arrêta violemment.

La BEC connaissait en gros la région grâce à la carte de l'ambassadeur. Ils avancèrent à en faire crever les montures. Celles-ci ne moururent pas, mais s'écroulèrent, incapables d'avancer. En plus, la nuit tombait déjà. Ils prirent du repos, au bord d'un ruisseau, où les chevaux purent boire abondamment et brouter. Ils n'avaient jamais monté ces montures, puisqu'à Rokugan on ne trouvait que des poneys.
Il allait faire sombre avant peu.
- Nous nous repérerons aux étoiles, dit Yojiro. Ils doivent avoir les mêmes ici que chez nous...
Ils reprirent la route pendant la nuit. Ils traversèrent de grandes étendues désertes, inconscients ou presque de ce qu'ils faisaient. A l'aube, ils entendirent le grondement rassurant de la mer. L'eau apparut enfin, dorée dans l'aurore ; ils passèrent au galop dans un village qui s'éveillait à peine. Épuisés, ils virent un port en bois sur la plage où claquait le drapeau des Mantes. Ils y demandèrent l'hospitalité : Mamoru montra son blason du clan du Crabe, et les Mantes ne purent refuser de les accueillir.
Ils payèrent leur séjour en monnaie Crabe. Les Mantes ne manqueraient pas de ramener cet argent dans leur archipel. Ils passèrent la journée à se reposer. Ils étaient loin déjà du palais de marbre. Ils avaient payé assez cher pour que les Mantes ne posent pas de question. Et puis, ils avaient promis de repartir très vite.
- Nous cherchons le clan de la Ki-Rin.
Cela parut rassurer les Mantes, qui crurent avoir affaire à des serviteurs de ce clan (ce qui expliquait aussi les chevaux). On leur indiqua le sentier à suivre pour trouver l'avant-poste des samuraï de Shinjo. Pour le moment, nos héros avançaient sans savoir où ils allaient. Ils voulaient trouver le repaire du Shuten-Doji du Regret et rentrer à Rokugan...
Le lendemain de leur arrivée, ils partaient du comptoir et retraversèrent une grande région sauvage, avant de retrouver la jungle. Les Mantes leur avaient donné des plans, et ils trouvèrent, en fin de journée, le fortin des Ki-Rin, construit sur une île accessible par deux ponts.
Tentant le tout pour le tout, ils dirent qu'ils venaient de chez l'ambassadeur Goro (ce n'était pas faux, après tout !wink et qu'ils étaient en mission pour l'Empire.
- Un démon ? Nous ne savons pas s'il y a un démon comme vous nous le décrivez dans la région, dirent les samuraï Shinjo.
"Notez qu'il y a quand même une région interdite d'accès, au nord-est d'ici. Mais c'est en pleine jungle. Si vous y allez, vous risquez de rencontrer le seigneur Akuma...
- Qui est-ce ?
- On dit qu'il vient de Rokugan, lui aussi... Que c'est un paria... Que c'est un fou, qui est devenu un demi-dieu pour les sauvages de cette forêt. Ils vénèrent des dieux cannibales...
- Cela paraît un bon début.
- Vous voulez y aller ? Sachez que nous pouvons vous indiquer le chemin mais nous ne rentrerons pas là-bas. Nous n'attirerons pas une malédiction sur notre clan rien que pour vous...

Le lendemain, les trois rônins chevauchaient en compagnie de deux éclaireurs Shinjo², qui s'arrêtèrent à la lisière d'un paysage exubérant, où la végétation ressemblait à la danse suspendue de mille esprits en délire. Ils passèrent une rivière à cheval, tandis que les éclaireurs s'en retournaient au fortin. Les chevaux frémissaient, les narines et les yeux dilatés. Ils ruaient. Heureusement que nos héros avaient maintenant des rênes pour les tenir ! Des prédateurs rôdaient mais les oiseaux, qui connaissaient à peine les humains, ne s'envolaient pas. Ils continuaient leurs chants immenses et enivrants. Nos héros durent descendre de monture. Ils continuèrent à pied sur un sol trempé ; après une longue marche, ils arrivèrent aux contreforts d'une grande montagne dont on apercevait le sommet à travers les feuillages. Et dans la pente, un plateau ; sur ce plateau, une robuste pyramide à degrés enrobée de plantes.

Samurai

Les cinq tensaï étaient arrivés au château du conseil élémentaire. Seul Isawa Masaakira fut d'abord autorisé à rencontrer le conseil des cinq maîtres. Il ne dit rien ou presque en retrouvant ses disciples. Ceux-ci avaient attendu, en méditation. Sasuke avaient vu les regards surpris ou même effrayés qu'on lui lançait. Il était parti comme un moins que rien, il revenait sous la bannière du Lion !
- Le conseil élémentaire nous ordonne d'aller visiter les terres du clan du Serpent, dit seulement Masaakira.

Les tensaï remontèrent vers le nord-est, et pénétrèrent chez les Chuda, entre les Phénix et les Dragons. Des troupes de plus en plus nombreuses de Shiba se massaient à la frontière.
Les tensaï retrouvèrent d'autres groupes de shugenja, qui visitaient chaque village, chaque maison. Les Chuda, terrifiés, ne pouvaient qu'ouvrir leurs portes, sinon on les défonçait. Les Dragons venaient de l'ouest et passaient aussi de leur côté les terres Chuda au peigne fin.
Ils trouvèrent de nombreuses familles malades, et il y eut plusieurs cas avérés de Souillure. Ceux-là furent aussitôt décapités et brûlés en place public. Les Phénix repartaient que les corps n'étaient pas encore calcinés.
- Allez, sortez de là !
Cela virait au cauchemar. Masaakira était empli d'une colère, d'une sale colère. Il fallait trouver tous ceux qui étaient touchés, violer l'intimité des familles, malmener vieillards, enfants et femmes sans ménagement.
Les troupes des Shiba entrèrent par petits groupes pour assister les shugenjas.
- Cinq cas aujourd'hui, autant hier, comptait Isawa Nobuyoshi.
- Et autant demain, ajouta Isawa Ichibei.
- Je ne pensais pas qu'on en était là, murmura Matsu Sasuke.
Ils passèrent encore une journée à inspecter des villages. Les autres groupes de shugenjas avaient la mine aussi sombre :
- Une famille entière hier, disait l'un.
- Presque tout un village, dirent des Mirumoto. Nos frères Togashi ne savent plus comment apporter du réconfort à ces malheureux Serpents.
Isawa Masaakira ne dit rien, mais lui et ses tensaï s'étaient compris. La pitié des Togashi ne serait bientôt plus nécessaire.
- Ça suffit comme ça, décida le tensaï du Vide, nous rentrons pour que je rende compte devant le conseil élémentaire.

Cette fois, ce fut plus long. Masaakira et d'autres nobles shugenjas restèrent presque une journée entière avec les maîtres élémentaires. Leurs disciples, une bonne cinquantaine de shugenjas en tout, les attendait à l'extérieur.
Alors que l'après-midi était bien entamée, le bruit lointain d'un gong retentit. D'abord très faible, puis il s'amplifia, et résonna à toutes volées, immense martèlement venu de nulle part et qui paraissait assez puissant pour ébranler les cieux. Sasuke repensait à la prophétie donnée à Maya :


"Quand le nuage et la cendre couvriront le serpent,
Il pleuvra des regrets

L’enfant aux trois étoiles
Frappera un gong

Le silence couvrira cinq nuits
Et l’oubli couvrira la honte"


Où était ce gong qui frappait si fort qu'on l'entendait de si loin ?... C'était comme si Osano-Wo lui même frappait... Dans la jungle des Royaumes d'Ivoire, on entendit aussi ce gong. Les trois rônins montaient les marches de la pyramide ; ils avaient le sang qui leur battait dans la tête, et les coups monotones, interminables, assourdissants, résonnaient et la jungle en tremblait. Encore quelques marches et ils arriveraient devant l'entrée. Des cailloux roulèrent d'en haut ; nos héros levèrent la tête : ils reconnurent Pureté. L'affreux mort-vivant était là, enveloppé de son drap blanc accroché à son grand chapeau, son sabre à la main. Essoufflés, nos héros s'arrêtèrent face à lui.
- Tu es encore en vie ? fit Mamoru, rageur. La dernière fois n'a pas suffi ?
Pureté restait immobile, en garde.
- Le seigneur Akuma ne souhaite pas vous recevoir...

Les trois rônins dégainèrent et se disposèrent face à lui.
Pureté ne trembla pas. Les rônins attaquèrent ensemble. En quelques passes rapides, ce fut joué.
Pureté ressembla à un eclair blanc : il esquiva les attaques et blessa Mamoru, reçut un coup de Yatsume et de Yojiro, puis il blessa Yojiro. Mamoru le blessa, mais Pureté répliqua en passant son sabre au travers de la poitrine de Yojiro. Ce dernier tomba à terre et roula au bas de plusieurs marches. Il resta allongé, inerte, le sang coulant à gros bouillons. Yatsume et Mamoru se remirent en garde et attaquèrent ensemble : ils tranchèrent la tête et un bras de Pureté, et l'achevèrent violemment en le lardant de coups. Ils le démembrèrent et le laissèrent là. Ils jetèrent un regard à Yojiro, qui ne bougeait plus.
Ils étaient blessés, mais ils devaient tenter le tout pour le tout. Ils entrèrent dans la pyramide.

La pièce était sombre, remplie d'un encens âcre, épais. Un humain était assis en tailleur, sur un tapis, derrière un rideau verdâtre. Deux brûloirs rougeoyaient à ses côtés. C'était de plus en plus un cauchemar sans issue. Mamoru et Yatsume se mirent en garde. L'homme se leva et passa le rideau. Mamoru recula alors d'un pas :
- Qui êtes-vous donc ? dit l'homme.
Mamoru avança d'un pas :
- Je suis Hida Yasashiro.
L'autre, un fort samuraï au crâne chauve, le regardait de ses yeux qui semblaient morts.
- Je ne vous connais pas...
- Moi, je vous connais, souffla Mamoru. Vous êtes... vous êtes le seigneur Akuma...
- Le maître de ces lieux... L'humble serviteur du démon du Regret, oui...
Il parlait comme s'il n'attachait aucune importance à ces paroles, comme si ses yeux voyaient dans un autre monde :
- Le Shuten-Doji m'a appris à vaincre mes peurs... et mes regrets. Ceux que votre clan m'ont infligés, Yasashiro-san...

Il n'y avait plus de doute pour Mamoru. Ce seigneur Akuma n'était autre que le capitaine Yasuki Kuma ! L'officier glorieux, le héros, qui appartenait en fait au Gozoku, qu'il était allé chercher avec son groupe, et qu'ils avaient vu mort dans l'Outremonde !
- J'étais parti vous chercher, parce vous apparteniez au Lotus ! gronda Mamoru. Et mes camarades y ont laissé la vie, avant de devenir des démons, comme "Pureté" !
- Vos camarades, dit Akuma sans passion, ont juste vu la lumière... Ils ont trouvé la seule lucidité qui vaille en ce monde, et qui nous maintient en vie par-delà la mort. Alors que vous autres, faibles humains, êtes bien aveugles... Toute ma vie, j'ai cherché la lucidité... Chez les Grues, puis chez vous, Crabes...
- Et chez les Lotus !
- Non, c'est moi qui apportais cette lucidité chez les Lotus... C'était moi, le maître des Lotus...
Mamoru recula d'un pas, Yatsume aussi.
Ils avaient en face d'eux Lotus en personne ! Du moins l'ancien ! Le complice de Nuage, corrompu par l'Outremonde !
- C'est votre clan qui a causé ma perte, prononça Akuma. Je lui rendrai la pareille, mais pas en provoquant sa perte... Non, en l'amenant dans la gloire de Fu-Leng...
- Finissons-en, dit Yatsume.
Les deux rônins approchèrent lentement d'Akuma. Celui-ci avait un sabre à la ceinture, sans fourreau. Il dégaina lentement. Il ferma les yeux et prit une inspiration très profonde, d'un souffle qui venait d'ailleurs. Puis il chargea brusquement, comme un taureau, et frappa coup sur coup les deux rônins. Ceux-ci n'eurent pas le temps de frapper ; du sang gicla et ils tombèrent.
- Le démon guide ma lame, samuraï. Qui guide la vôtre ? Personne. Vos dieux vous ont abandonnés.
Les deux rônin reculèrent. C'est Mamoru qui se releva le premier.
- Pars, Yatsume, gémit-il... Pars avec Yojiro !
- Yojiro est mort !
- Peut-être pas ! Peu importe, pars !...

Yatsume n'avait jamais connu le paisible Mamoru dans cet état. Il était dans cette transe propre à ceux qu'on appelle les Quêteurs de Morts. Yatsume recula de quelques pas, puis tourna le dos. Elle ressortit de la pyramide, et trouva Yojiro, qui tentait d'escalader les marches. Elle le prit sur son dos et commença la descente avec lui. On entendait des grondements partout autour. Il devait rester une cinquantaine de marches, et ça semblait infini. Des monstres grondaient, se rapprochaient.
A l'intérieur, Mamoru se jeta à l'attaque. Il vit une ombre de sourire sur la lèvre d'Akuma. Ce dernier évita son coup, ressortit son sabre souplement et abattit Mamoru. Akuma resta immobile longtemps, le sabre à bout de bras, à regarder dans les ténèbres.

Samurai

Isawa Masaakira ressortait du conseil élémentaire, alors que le bruit du gong continuait à retentir.
- Les ordres ont été clairs, dit-il aux tensaï. Nous partirons à l'avant-garde de l'armée. Cette fois-ci, c'est notre clan entier qui y va. Notre daimyo, le seigneur Shiba Gaijushiko mènera les troupes. Et il n'a signé aucune déclaration de guerre contre les Serpents.
Les tensaï frémirent. Une attaque sans déclaration de guerre. Il n'y avait que contre l'Outremonde que cela était possible. Cela signifiait que le clan entier était corrompu.

Cela dura cinq jours et cinq nuits.
Les armées Shiba montèrent à l'assaut des montagnes du Serpent, et détruisirent, village après village, maison après maison, l'ensemble des membres du clan du Serpent et la plupart de leurs paysans. Des torrents de flammes se déversèrent dans les montagnes, où il fit clair comme en plein jour pendant une semaine d'affilée. Les bushi tuaient à vue quiconque n'était ni Phénix ni Dragon. Toute la montagne paraissait brûler ! Chaque coup de sabre tua net, chaque sort provoqua des ravages. Au cœur de ces massacres, les tensaï, et singulièrement Matsu Sasuke, qui propagea la mort, et ne connut pas de ces cinq nuits la fraîcheur. Les enfants hurlaient, d'autres étaient muets de peur ; ce ne furent que des milliers de cris arrêtés brusquement par une lame. Les portes du monde du massacre s'ouvraient toutes grandes pour engloutir ces âmes qui iraient se battre pour l'éternité. Les montagnes semblaient s'ouvrir directement sur les plaines des enfers.
Le matin du sixième jour, l'aube fut grise, presque noire. Les montagnes étaient des ruines, un paysage de mort, noir de charbon à perte de vue. Et dans les ruines, des corps calcinés, certains encore tremblants ; des crânes fumants, des mains qui cherchaient la fuite.

- Allons, c'est terminé, dit Isawa Masaakira, partons.

A la Cité de la Pieuvre, Matsu Mitsurugi se réveilla en voyant brûler le temple des Serpents. Il sortit dans la rue, où il croisa la troupe de Kuni Tadao. L'Inquisiteur s'arrêta, et salua Mitsurugi, le visage fermé. Des cris venaient du temple.
- Je leur ai quand même offert le droit de faire seppuku...

Mamoru se tordait de douleur ; il attendait que Akuma l'achève. Yatsume ne voyait pas la fin des marches.

Samurai

La nouvelle de la destruction du clan du Serpent parvint à l'Empereur, bien après être arrivée à Tadao et aux autres clans accueillant des Serpents. Le Divin Fils du Ciel envoya un émissaire au conseil élémentaire des Phénix. Le Maître du Vide le reçut devant une large assemblée des plus grands seigneurs du clan.
L'émissaire s'agenouilla et dit simplement :
- Pourquoi ?...
Le Maître du Vide détourna le regard et balaya la question d'un revers de main :
- Plus jamais ça...



Samurai<span style="color:#006400">FORCE ET HONNEUR, SAMURAÏ !
Samurai
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#27
Oh les pavés:shock:

Tu t'es surpassés gronico, je vais savourer ce petit gout de curry smile
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#28
Et tout est bien... qui finit bien !...biggrin
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#29
' Wrote:"Clémence, j'ai trop de boulot, on annule le voyage !"

Voila un homme!
Bon j'avais de la lecture en retard. Ben vach' c'est E.N.O.R.M.E 'Excellent, Naturellement Original et Royalement Mené à Exécution"
:clap:
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#30
Moultes félicitationsbravo2
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