21-03-2003, 12:18 PM
:LeLudwig: Le_Ludwig Productions et
![[Image: mgm2.jpg]](http://membres.lycos.fr/wilhelm2051/mgm2.jpg)
pr?sentent...
La Vengeance est un mets qui se d?guste comme un calice de Vieux Sang...

:demoniaque: HISTOIRE DE LAURA-GABRIELLE CERVANTES :demoniaque:
1ERE PARTIE : LA PERLE ET LE POIGNARD
OMBRES SUR VENISE
Le d?but du soir ?tait chaud, et d?j? ?pais, comme un caf? expresso ; la lagune se baignait sous une cuve brillante, qui refroidissait lentement, comme une marmite apr?s un festin de sorci?res. Mille couronnes cr?pusculaires finissaient de luire, rouges, ? la pointe de l?horizon. La chaude journ?e laissait l?atmosph?re luxuriante d?une jungle sur les palais v?nitiens. Une gondole passa dans un sillon chantant ; le grondement d?une vedette rasa les quais ; des splendeurs passaient sous les draps de l?obscurit?. La ville trempait dans les gr?ces printani?res d?un automne princier. Pigeons et ordures chauffaient aussi dans le ph?nix de cet ?crin, serti d?une ?meraude en serpent, tendrement lov?, d?gustant des charmes de verre, des tr?sors de marchands d?Orient.
C??tait la Renaissance, c??tait la nuit, sa palpitation. Le monde roulait, r?ve d?or, cuve d??b?nes et de flammes, dans la douceur du silence.

Dans une ruelle, une bande d?ombres, d?guis?s en spadassins ?amples manteaux, chapeaux pointus, masques de carnaval ? glissaient, discrets comme leurs ombres, sans craindre le ridicule. Ils montaient un court escalier entre des b?timents nus. Nos bandits de com?die allaient silencieusement sur les pav?s, souples comme des servals ; parvenus dans une ruelle ? l??clairage timide, sous une enseigne de bois qui mena?ait de se d?crocher, ils frapp?rent ? une porte d?auberge.
Un robuste domestique vint les introduire dans le b?timent. Ils pass?rent le vestibule, puis une salle de repas, d?cor? dans un go?t rustique, mais de bois noblement travaill?, et ils pass?rent ? la cave, au cellier, puis, par une trappe, descendirent vers un couloir taill? dans la pierre, o? ne luisaient que les m?ches fines de chandelles.
Pass?e une porte o? ?tait clou?e une t?te de bouc noir, ils entr?rent dans un appartement.
L?endroit ?tait bas de plafond, tapiss? au sol et sur les murs, avec, dans cet espace restreint, des chandeliers, des luminaires.
On baignait dans une lumi?re rouge tamis?e ; des lanternes en carton, quelques coffres dispos?s en d?sordre ; une table ronde, ? pied central, sur laquelle ?taient grav?es des signes cabalistiques en sang, or et cuivre. De vieux livres ?taient empil?s ? terre ; dans une cuvette pr?s de la table trempaient des restes d?abats animaux.
Une psych?, dont le cadre ?tait d?cor? avec la magnificence nacr?e caract?ristique de Venise, s?appuyait contre un mur. De chaque c?t? de ce miroir, des parchemins clou?s au mur, couleur gris-vert sombre, plein de formules de sabbat qui respirent la laideur ; pos? sur une table basse, un pr?sentoir avec diff?rents mod?les de couteau et de poignard aux manches ouvrag?s.
Le domestique fit signe aux visiteurs d?attendre, et se retira de l?appartement.
Une petite minute apr?s, alors que les ? spadassins ? pouvaient contempler ? loisir cette antre digne de la loge d?un th??tre italien ?ou d?une d?monne port?e sur les tenues en cuir et le spiritisme noir? ? entra pr?cis?ment la ma?tresse des lieux.
Elle ne portait pas ? ainsi qu?apr?s tout on aurait pu s?y attendre ? une combinaison de cuir clout?e int?grale, non plus qu?elle ne tenait un fouet aux lani?res piqu?e d??clats de verre.
Elle ?tait habill?e d?une robe grise, fine, comme compos?e de p?tales cristallines et de fum?e ; elle portait des escarpins noirs, des bagues de couleurs diff?rentes aux doigts, et son front ?tait ceint d?un diad?me, qui exer?ait, de par son ?clat myst?rieux, l?attrait d?un troisi?me ?il.
Le visage de cette femme n??tait pas gracieux ; il n??tait pas laid, il n??tait pas repoussant, mais quelques traits marquaient l?endurcissement par la tristesse. Le gris ? l?vres compl?tait cette non-beaut?.
Elle alla s?asseoir sur un imposant fauteuil en osier, dont le dossier se d?ployait comme une roue de paon lugubre.
- La Mascarade cherche t-elle ? en rajouter, pour m?impressionner ? demanda t-elle, d?une voix o? entraient le noir de la m?fiance, le blanc de la froideur, pour donner le gris d?une intonation inamicale.

Elle regardait fixement les cinq visiteurs grim?s.
- Tr?s bien, dit l?un d?eux, tombons le masque puisque notre h?tesse nous en prie.
- Je dis simplement, continua la grise femme, que vous avez de dr?les de mani?re ? la Camarilla? Le carnaval n?est pas en cette saison.
- Veuillez nous excuser, Madame, mais il ?tait convenu ainsi?
- Sans quoi il est vrai, intervint le domestique qui ?tait revenu et qui se tenait derri?re les visiteurs, j?aurais pu aussi trucider proprement nos visiteurs? Il ?tait convenu de ne laisser rentrer que cinq hommes portant des masques ? long nez et des manteaux bruns.
Les cinq hommes se retourn?rent. Sous leurs manteaux, ils port?rent la main ? leurs armes.
- M?fiez-vous, messieurs, sourit la femme, mon Brujah ne plaisante pas. Il m?a fallu du temps pour le dompter, et d?sormais il est mon cerb?re fid?le?
Les visiteurs abaiss?rent la main qui venait de s?emparer de leur arme. Ils se d?firent de leurs amples manteaux et retir?rent leurs masques : deux d?entre eux ?taient des Nosf?ratus ; le troisi?me, ? en juger par le frisson qui l?agitait, par le regard vitreux, fuyant, par les cicatrices nombreuses trac?es sym?triquement sur le visage ? qui aurait pu donner ? croire qu?il ?tait tomb? dans un buisson de ronces ?, ?tait certainement un Malkavien. Les deux autres, on n?aurait pu pr?ciser leur clan.
L?un d?eux portait beau : moustache fi?re et bouc ? la d?Artagnan : une cicatrice pleurait de son ?il gauche et venait accrocher la commissure de la l?vre ; le dernier ?tait plus replet, habill? d?une robe d?un bleu profond, avec un tissu mauve ?l?gamment nou? sur la t?te.
- Si ces messieurs veulent que je les d?barrasse, dit le domestique Brujah, aimable comme poignard dans la gorge.
Les cinq visiteurs lui confi?rent leurs d?guisements. Le domestique alla les accrocher ? un porte-manteau de bois. Un beau porte-manteau en bois noueux, taill? en forme d?arbre sur lequel ?taient perch?s de belles chauves-souris noires comme minuit.
LE FRISSON ASSAMITE
- Alors, maintenant la Camarilla accepte de tomber le masque? dit la ma?tresse des lieux, alors que son diad?me prit un ?clat gris plus p?n?trant.
- Il semble que les circonstances l?exigent, affirma le d?Artagnan. Mais nous vous invitons maintenant ? rejoindre ? votre tour la Mascarade? provisoirement. Et pour une somme importante?
- Notre ma?tre, commen?a d?une voix douce le petit replet habill? en robe, ne d?rangerait pas la c?l?bre v?nitienne et tr?s puissante Assamite pour?
- Cessez donc votre boniment ! r?pliqua celle-ci. Je n?aime pas les tours et d?tours des gens de la Camarilla, qui usent mille artifices, qui veulent toujours se d?rober derri?re une nouvelle apparence? Nous Assamites sommes plus directes !? Quelle est donc votre affaire ?
- Pardonnez, ch?re Cervant?s, dit le mousquetaire, mais notre seigneur a la r?putation d??tre franc du collier, pour le dire sans d?tour ! Sans quoi, il ne serait pas qui il est, et nous ne serions pas l? !?
- Et qui est donc ce beau Prince des T?n?bres, qui veut go?ter aux frissons Assamites ? fit, narquoise, la d?nomm?e Cervant?s.
- Co-naissez, naissez-vous ? articula le Malkavien au visage lac?r?, pris de tremblement comme une pythie en transe, naissez-vous le prince le seigneur le baron et sultan duc s?r?nissime Lucien Hieronymus, ma?tre des rues de la gare de l?Est et de l??le de Malte ??
- Calme-toi donc. Peut-?tre que tu devrais nous laisser parler, sugg?ra le d?Artagnan.
- Hieronymus Lucien ? C?est bien le nom qu?il a prononc? ? dit Cervant?s.
- Exactement, Hieronymus Lucien, r?pondit d?un l?air inspir? le ca?nite replet, Lucien, le c?l?bre diable qui a hant? les campagnes de France. Lucien, le perdu ! l?h?r?siarque ! le loup du G?vaudan !? le Ctulhu !
La Cervant?s rit doucement :
- Oui, je connais ce Lucien? Une belle l?gende le devance. Il a terroris? le Moyen-Age, je crois? Et ainsi donc je pourrais rencontrer ce personnage? Je constate que sa r?putation ne ment pas sur ce point : il aime les m?langes in?dits, il aime les apparences chatoyantes, touffues, il aime surprendre?
- Prendre surprendre pendre et d?pendre ! l?cha le Malkavien dans un tremblement fi?vreux, son regard semblant ? chaque parole vouloir s?enfuir ? toutes jambes.
- Avant de poursuivre, si nous faisions les pr?sentations ? sugg?ra Cervant?s, en portant ? ses l?vres une coupe de sang purpurin que son domestique venait de lui apporter.
- Volontiers madame, bien volontiers ! fit le ca?nite en robe, d?un air p?n?tr?. Il est impoli de notre part de ne pas l?avoir fait d?entr?e de jeu.
L?homme s??claircit la voix.
- Les deux Nosf?ratus ici pr?sents sont le cousin D?sastre et la cousine Pers?phone?
- Original, commenta Cervant?s.
- Notre Malkavien se nomme Ronce-Vive, et je me passerai de vous en expliquer la raison !? Il pratique le body art sur lui-m?me souvent ; parfois sur des personnes consentantes, ou non?
L?orateur toussota. On regardait de c?t? le Malkavien, dont les expressions corporelles indiquaient qu?il n?y pr?tait pas attention : il ?treignait du regard les tapisseries vieillies.
- Le beau sire ici pr?sent, reprit le ca?nite au turban, est le Tor?ador Anton van Steenwick, qui fut fameux mousquetaire du Roy, qui ferrailla avec le c?l?bre Cyrano de Bergerac, eut maille ? partir avec l?Inquisition, et perdit la vie au si?ge de Maastricht, en m?me temps que d?Artagnan soi-m?me ! N?est-ce pas romanesque ?
- Certainement, approuva froidement Cervant?s. Et vous-m?mes ?
- Et moi-m?me, je suis nomm? Fantas et? eh bien je suis un peu mage et quelque peu sp?cialis? dans certains grimoires et?
- Fantas veut dire, intervint van Steenwick le Tor?ador, qu?il est quelque peu li? au clan Tremere, sans pour autant ?tre appr?ci? par ses membres. Il est trop heureux d??tre le prot?g? du seigneur Lucien.
- Lucien m?nerait-il des recherches? occultes ? demanda l?Assamite (elle n?avait pu retenir cette curiosit?, comme on ne peut se retenir de croquer une friandise app?tissante).
- Certainement ! certainement ! dit Fantas, comme poss?d? des flammes magiques de la parole. Et d?ailleurs, d?ailleurs !?
- Fantas, dit le Nosf?ratu nomm? D?sastre, nous ne sommes pas l? pour parler de cela !?
- Exactement, dit l?Assamite (? contrec?ur, car pour le coup, elle ravalait sa curiosit?.) Si vous me disiez pourquoi vous avez accompli tout ce beau voyage. Certainement pas seulement pour le caf? du Harry?s Bar ou les beaux gondoliers?
A part soi, les visiteurs s??tonnaient du ton de familiarit? qui apparaissait dans la voix de l?Assamite. Ils s?attendaient, en venant ?van Steenwick en particulier ? ? rencontrer une princesse : il n?avait en face d?eux qu?une femme sans charme, mais qui ne manquait pas d?indiquer, dans ses intonations, combien elle ?tait dangereuse.
Ronce-Vive le Malkavien fixait avec avidit? les signes grav?s sur la table : il semblait les d?chiffrer comme un autiste g?nial d?crypte du chald?en.
- Puisque les pr?sentations sont faites, dit Fantas le Tremere, nous pouvons vous d?clarer que nous sommes ici, belle Laura de Cervant?s, pour vous emmener avec nous ? Paris !? oui, la Ville Lumi?re, pensez donc !
- Mettons les choses au point, siffla l?int?ress?e : mon nom exact est Laura-Gabrielle Cervant?s. Oubliez donc d?y adjoindre une particule. Et je peux vous suivre ? Paris, oui. Mais est-ce pour les bateaux-mouches ? pour le Ritz ? pour assassiner une soutane de Notre-Dame ?
- Pas du tout ! pas du tout ! dit Fantas, les mains grandes ouvertes ? hauteur de son visage, comme s?il mimait le port d?une boule de cristal.
- En r?alit?, poursuivit van Steenwick le Tor?ador, notre ma?tre Lucien aimerait se d?barrasser d?une personne rivale, puissante, bien introduite dans les meilleurs milieux de la Camarilla?
- Et pour maintenir sa ridicule mascarade, r?torqua l?Assamite, la Camarilla doit se salir les mains, et embaucher une personne comme moi? Et apr?s cela, votre Prince de Paris pr?tendra ?tre le garant des lois? Amusant, je le note?
Il y eut un silence g?n?. Le Malkavien marmottait ? son seul usage des paroles d?inqui?tudes et de menaces.
- A vrai dire, intervint Pers?phone la Nosf?ratu, notre ma?tre ne pr?tend pas agir pour le Prince Fran?ois Villon? Il serait m?me en froid avec ce dernier.
- Tiens donc ? fit la Cervant?s. C?est exquis dans ce cas, vraiment?. Et pour ajouter au piquant, dites-moi que cette rivale encombrante est au contraire une prot?g?e du Prince ?
- Eh bien, dit le cousin D?sastre, nous approchons du vrai?
- Tr?s bien, fit l?Assamite, en d?gustant son verre. J?aime quand le frisson est au rendez-vous? Puisqu?il s?agit de Hieronymus Lucien? susurra t-elle, d?un air de m?chancet? voluptueuse, qui laissait para?tre un certain charme mauvais sur sa personne. Je n?aurais pas accept? de travail pour la clique de la Camarilla?
- Du tout du tout ! dit Fantas le mage. Vous travaillerez sous l?ombre et sous le voile du secret ! Comment en serait-il autrement avec notre ma?tre Lucien ?
- Et comptez-vous, siffla l?Assamite comme une vip?re, me payer avec l?or sorti des cornues de vos recherches alchimiques, ma?tre Fantas ?
- Du tout, dit van Steenwick. Nous parlons de v?ritables euros. Votre prix sera le n?tre, cela va de soi.
- Tr?s bien. Vous allez donc me pr?ciser qui est cette personne importante dont souhaite se d?barrasser votre ma?tre. Et vous allez m?expliquer pourquoi il ne s?en charge pas lui-m?me. Et je vous fixerai un prix. Je vous donnerai un num?ro de compte en Irlande, indiqua Cervant?s.
- Nous allions bien s?r en venir ? des explications approfondies, assura van Steenwick.
- J?ignorais que Cervant?s ?tait un nom irlandais.
C??tait Ronce-Vive qui venait de prononcer clairement et distinctement cette phrase. On en fut surpris : il ?coutait donc toute la conversation, derri?re ses airs ?gar?s.
L?Assamite se leva, le verre ? la main, but les derni?res gouttes en s?approchant du Malkavien.
- Tu es tout ou?e, donc fou et dangereux, dit-elle, le visage presque coll? contre les cicatrices de Ronce-Vive? Alors je vais te dire, pour toi dont l?esprit vagabonde ?elle passa son bras autour de la nuque du Malkavien ? je suis n?e sous un autre nom, ? Dublin. J?ai ?chou? ? s?duire Oscar Wilde, et j?ai ?chou? ? nouveau avec Guillaume Apollinaire : il m?a rejet? en me disant que j?avais une triste figure. Et depuis, en souvenir de cet affront, j?ai pris le nom du p?re du chevalier ? la Triste Figure? Cette r?ponse te convient-elle, Malkavien ?
Mais Ronce-Vive ?tait d?j? retomb? dans les limbes de son autisme.
L?Assamite eut un sifflement de d?dain. Fantas pr?senta ces excuses pour Ronce-Vive, puis, pour clore l?incident, Cervant?s fit servir des calices remplis d?un sang onctueux ? ses visiteurs et leur fit donner des si?ges.
- J?oubliais messieurs, reprit l?Assamite. Je n?ai pas l?habitude d?exiger de l?argent pour mes services. Vous oubliez que les Assamites demandent? du sang.
- Du sang de qui ? demanda Fantas.
Cervant?s eut un rire qui fit sentir au Tremere sa na?vet?.
- Mais voyons, puissant mage? il ne peut s?agir du sang de troupeau.
- Du sang de vampire, vous voulez dire ?
- Exactement. Et pas n?importe quelle sang? Je suis un serpent, un serpent venu des d?serts de l?Est, de la forteresse d?Alamuth? Je me nourris du sang de mes proies.
Les visiteurs se turent quelques secondes, le temps de peser ce que signifiait cette demande.
- Au fond, dit le Tor?ador pour briser la glace, nous pensions bien que votre prix serait en ces termes? Nous n?avons pas re?u de consignes pour n?gocier quoi que ce soit.
- Tr?s bien, dans ce cas, je serai ravie de tremper mes l?vres dans le sang de ma prochaine victime? Regardez : c?est sans doute cette arme qui lui tranchera la gorge.
Avec les mani?res d?une femme qui d?voile ses dessous affriolants ? son amant, Cervant?s sortit d?une boite nacr? un poignard de rituel, ? la lame recourb?e. Cervant?s le prit d?licatement, et le fit passer ? la coterie de Lucien.
- Prenez-le, je vous en prie? C?est une arme magnifique, alors prenez garde.
- Le nombre d?encoches sur le manche correspond au nombre de victimes ? demanda D?sastre le Nosf?ratu.
Cervant?s eut un rire sinistre qui ne laissa pas de doute sur la r?ponse. La lame brillait, et le manche prenait ? la garde la t?te d?un cobra, si vivant qu?on aurait pu croire qu?il allait vous mordre.
On redonna l?arme ? l?Assamite, qui la rangea dans la bo?te.
- Et maintenant, si vous me parliez plus en d?tail de cette proie?
Plusieurs heures apr?s, alors que la nuit s??claircissait l?g?rement, dans la brume endormie du point du jour, une vedette ? moteur passa en vrombissant sur la lagune. Elle fut suivie de deux autres, qui quitt?rent laiss?rent derri?re elle la cit? v?nitienne, radieuse comme une jeune mari?e dont la vie ne serait que lune de miel.

ECLATS PARISIENS
A Paris, une authentique Rolls Royce venait de se garer rue de Rivoli, pr?s de la place de l?H?tel de Ville. Ce soir l?, la patinoire restait ouverte tard : les patineurs ?voluaient sur la glace, dans la f?erie des d?corations de No?l.
V?tu d?un long manteau en fourrure, d?un chapeau haut de forme, portant une longue canne ? pommeau de p?lican, des gants en peau de biche et sur le nez un lorgnon dor?, un imposant personnage sortit de la Rolls chrom?, ?pousseta son ?paule, et partit aussit?t d?un pas alerte en direction du Louvre.
Des passants siffl?rent d?admiration en contemplant le magnifique v?hicule, dont la figure de proue les narguait en ricanant. Il ne s?agissait pas d?un ange argent?, mais d?un petit satyre, au sourire charg? de sarcasmes. On s??tonnait de cette substitution, mais on restait frapp? de stupeur admirative. On fit remarquer que ce devait ?tre un v?hicule d?enfer?
Le chauffeur ne pr?tait aucune attention au cercle qui se formait autour de la Rolls. Il restait au volant, ? lire une revue de mode am?ricaine, sans daigner jeter un regard aux badauds. Plusieurs agents de police regardaient depuis leur poste de faction la voiture, fascin?s eux aussi. Dans Paris, soufflait le vent, la lumi?re poudreuse, et une pellicule de neige fine comme une toile d?araign?e.
L?homme qui marchait h?tivement jeta un regard en arri?re, et sourit de l?attroupement qui se formait autour de son v?hicule. Il p?n?tra dans le Louvre par le passage Richelieu. L?, un gardien l?attendait ? la barri?re, et le fit entrer rapidement. Notre personnage prit l?escalier m?canique, arr?t? ? cette heure de la nuit, en regardant les statues athl?tiques de la cour Marly plong?e dans l?obscurit?. Le gardien et le visiteur arriv?rent sous la Pyramide, qui luisait comme une ?toffe de nuit en verre, et dispensait ? la galerie souterraine l??clairage myst?rieux d?une nef translucide.
Les deux hommes se dirig?rent sans attendre vers la cour Marly. Le gardien appuya sur un bouton dissimul? sur le socle d?une statue de Napol?on. Un socle qui supportait une sculpture de lion puissant se d?pla?a, r?v?lant un petit escalier qui menait au sous-sol..
- C?est ici, monsieur, dit le gardien. Vous ?tes attendu.
- Tr?s bien.
- Arriv? en bas, n?oubliez pas de refermer le passage.
- N?ayez crainte, je suis un habitu? des lieux.
Le visiteur disparut dans le passage, et le gardien se h?ta de rejoindre son chemin de ronde normal.

En bas, l?imposant personnage p?n?tra dans une salle o? l?on entreposait des ?uvres gard?es en r?serve. Un Nosf?ratu surgit des t?n?bres, et demanda au visiteur de le suivre. Ils descendirent encore quelques ?tages.
Dans un couloir humide, ils crois?rent un jeune homme au pas press?.
- Tiens donc, fit le visiteur, dont la voix semblait profonde comme l?obscurit?. N??tes-vous pas ce nouveau-n? Tor?ador, qui organise des visites nocturnes du mus?e ?
- Par l?Enfer !?
Le visiteur sourit de l?effroi du jeune homme ; celui-ci porta la main ? la bouche :
- Je veux dire? pardonnez-moi, Sire Lucien !? Oui, je me nomme Aladax Lucinius, et il est exact que ?
- Tr?s bien. Votre Sire est bien Tropovitch ?
- Oui, c?est vrai?
- Vous a t-il parl? de l?Op?ra ?
- L?Op?ra de Paris ? Non? Le jeune homme tremblait: qui sait ce qu?apporterait une mauvaise r?ponse !
- Dans ce cas, dites-lui de vous inviter pour le 20 d?cembre. Dites-lui que c?est moi qui insiste.
- Tr?s bien, Sire Lucien? Je ferai comme vous dites. Je vous remercie?
- Ce sera La fl?t? enchant?e. Un artiste comme vous aime la belle musique, n?est-ce pas ?
- Tout ? fait et je ?
- Alors dans ce cas, c?est parfait. Vous serez aux premi?res loges.
- Je l?esp?re? et bonne nuit ? vous Sire?
Lucinius n?avait pas termin? sa phrase que le terrible Sire avait repris sa marche. Le mart?lement de son pas, r?p?t? par l??cho, prolongeait le frisson que provoquait sa simple pr?sence. Sans parler de sa voix : on aurait jur? qu?il avait une caverne log?e dans la gorge !
Le jeune Tor?ador s??loigna rapidement, pour rejoindre les riches ca?nites qui venaient d?Italie ou d?Allemagne pour admirer les ?uvres du mus?e.

DIALOGUES EN SOUS-SOL
Le visiteur du soir, qui ?tait bien Hieronymus Lucien fut introduit dans la crypte du Prince Villon : un portail en fer ouvrag? s?ouvrit comme une gueule et l?avala.
Une goule mena ensuite Lucien ? un petit salon Napol?on III, d?cor? de petits tableaux de bacchanales de Poussin. Lucien se fit servir ? boire, et attendit plusieurs minutes.
Il avait vid? son verre, et s?impatientait.
Il tapotait nerveusement de sa canne sur le tapis. La porte s?ouvrit dans son dos : un huissier entra et annon?a :
- Le Prince Fran?ois Villon !
Lucien se retourna et retira son chapeau.
Le ma?tre de la Camarilla parisienne entra nonchalamment, son porte-cigarette ? la main. Lucien s?inclina l?g?rement. Derri?re Villon entra un ca?nite qui pouvait avoir le corps d?un mortel de cinquante ans : s?v?re comme un comptable protestant, smoking gris, cravate fine ; le visage allong?, les yeux scrutateurs, la bouche et tous les traits du visage que l?on devinait habitu?s ? ne se crisper que pour exprimer l?essentiel.
- Sire Armand d?Hubert bonsoir, fit Hieronymus Lucien, j?ignorais que vous seriez de cette r?union?
Armand d?Hubert ?tait le Primog?ne Ventrue de Paris.
- Bonsoir Sire Lucien r?pondit d?Hubert. Le Prince a effectivement tenu ? ce que j?assiste ? cette rencontre? plut?t impr?vue.
- J?ai h?sit? ? la solliciter, il est vrai, dit Lucien ?qui avait affaire ici ? un sup?rieur hi?rarchique, bien que lui, Lucien, soit un personnage de plus de prestige que le raide Armand d?Hubert. Mais j?ai cru qu?il ?tait de mon devoir de vous parler d?s ce soir...
Le Prince Villon regardait sans inqui?tude son vassal Lucien.
- Sire Lucien, voulez-vous une de ces excellentes cigarettes de Virginie ? C?est le Prince de Washington qui me les envoie?
- Je sais, Prince, fit Lucien d?un air g?n?, qui ne dissimulait que mal son agacement, mais je ne peux h?las pas fumer, comme vous?
- Parlez-nous de cette affaire si urgente, dit Armand d?Hubert.
Lucien donna son manteau, son chapeau et sa canne ? l?huissier. Puis il prit une courte inspiration, comme l?avocat avant la plaidoirie.
- Je vais aller droit au but, Prince. Vous savez que je ne me permettrais pas de solliciter de votre temps et de votre biens?ance pour des billeves?es. (Ce genre de langage aga?ait profond?ment Armand d?Hubert l??conome, mais il faisait partie des joliesses de langage que le Prince go?tait). Je pense que l?on fomente actuellement des activit?s destin?es ? renverser le pouvoir de la Camarilla sur Paris.
- Et qui repr?senterait un tel risque selon vous ? demanda le Primog?ne Ventrue.
- J?ignore qui est la t?te du complot, mais je crois qu?il faut agir rapidement, Sire d?Hubert.
- Nous appr?cions votre aide, Sire Lucien, mais vous n??tes gu?re pr?cis dans vos assertions? fit remarquer le Ventrue.
- Des membres du Sabbat. Voil? la menace, repartit Lucien, la voix charg?e de menace et de grandiloquence.
Le Ventrue hocha la t?te, pensif. Il se caressa le menton.
- Comment savoir ce que vous avez derri?re la t?te, Sire Lucien? Vous semblez oublier la disgr?ce que notre Prince a prononc? contre vous, il y a de cela seulement quatre ans?
Villon se contenta de toiser Lucien d?un air snob, quoiqu?emprunt de s?v?rit?. Cet air qui avait le don de mettre hors de lui Lucien. Ce dernier eut le sang qui afflua au visage.
- Sire d?Hubert, j?admets avoir eut la main l?g?re en juillet 1998, mais je n?admets pas ?tre ainsi tois? ! Vous Primog?ne Ventrue avez tous les droits, hormis celui de porter atteinte ? un Sire qui est votre ?gal en g?n?ration, et qui plus est un appui indispensable de la Camarilla.
Lucien s?en prenait au Ventrue, mais c??tait une mani?re d?attaque indirecte contre Villon.
- Vous ?tes bien col?rique, Sire Lucien, dit le Ventrue. Nous connaissons du reste bien vos humeurs d?artiste? J?ai peur de percevoir une tentative maladroite de votre part pour obtenir une r?habilitation, avant le moment venu. Voudriez-vous forcer la main du Prince ?
Lucien faillit r?pondre qu?il ne pourrait forcer cette main tant que d?Hubert serait occup? ? manger dedans. Il se retint et choisit l?effet :
- Ecoutez-moi Armand d?Hubert !? Si je prends le mal de venir ici, ce n?est pas pour mendier ma r?habilitation ! Pour ma part, je sais vivre hors des salons du Louvre et de ses intrigues. Je viens vous avertir que des S?thites pourraient fomenter un attentat et que ?
- Vous semblez pourtant ne pas ?tre f?ch? avec les disciples de Set, Sire Lucien, le coupa d?Hubert, de sa voix de percepteur qui vient enqu?ter sur vos comptes aux Antilles. Des t?moins dignes de foi pourraient affirmer vous avoir vu en leur compagnie.
- Mensonges, Sire d?Hubert ! Mensonges et hypocrisies ! Ces belles bouches pleines de fiel vous versent leurs mensonges ? l?oreille ! Prenez garde de ne pas trop y pr?ter attention, Sire ! Moi au contraire, je vous avertis de dangers r?els. Je n?ai pas cru longtemps ? cette G?henne qui couve, mais prenez garde ! Elle n?est pas si loin que l?on croit. Elle pourrait se d?clencher sous peu.
- Ces paroles ne ressemblent pas, dit le Ventrue, ? quelqu?un que tous, au Louvre, le Prince en premier, croyait certes prompt ? l?action, mais endurci par l?exp?rience. Seriez-vous pris au pi?ge de vos propres mascarades priv?es, Sire Lucien ?
- A votre guise, Sire Armand ! Prenez-le ? la l?g?re. Lucien laissait la col?re gronder dans sa voix. Il savait que m?me le Primog?ne Ventrue, solide comme une porte blind?e, ne pouvait y ?tre insensible. Prenez garde, Sire, n?anmoins aux cr?atures qui tournent comme des harpies autour de notre Prince.
A ce moment, Villon laissa ?chapper un rire moqueur et haussa les ?paules. Il tira sur sa cigarette et dit :
- Voyons, Sire Lucien, vous n?y pensez pas. Si vous voulez parler de la Comtesse Constance de Bathory, il y a bien longtemps qu?elle n?attise plus mes passions?
? Qui attise encore tes passions, mon Prince ? ?
Lucien reprit d?un air sombre :
- J?ai bien peur que cette vip?re soit mieux log?e dans des nids d?intrigues que ne le pensez, Prince?
- Il suffit Sire Lucien, coupa d?Hubert. Je crois que vous m?langez trop vos ranc?urs personnelles avec la r?alit? des jeux du pouvoir. Il est clair que vos rancunes contre la Comtesse Bathory obscurcissent votre jugement? Allons, la Comtesse Bathory, alli?e des S?thites, cela ne tient pas debout !
- La v?rit? est parfois aussi am?re que surprenante, Sire...
- Si vous ne voulez rien ajouter ? ces belles pens?es, Sire Lucien, je crois que cet entretien doit se terminer.
- En revanche, intervint le Prince, en souriant, comme perdu dans ses pens?es, nous serons bien s?r heureux d?assister ? votre soir?e ? l?Op?ra. Nous comptons beaucoup sur Tropovitch et vous pour nous r?galer les oreilles et les yeux. N?est-ce pas Sire Armand ?
- Tout ? fait Prince. Je pense que le th??tre est un domaine o? le Sire Lucien excelle ? contrairement ? d?autres arts?
- Je vous remercie Sire de cette marque de confiance, dit Lucien en s?inclinant ?et sans relever la pique du Ventrue. Mais pour le bien de la Mascarade, souvenez-vous de ce que j?affirme?
- La Comtesse Bathory, dit d?un ton rogue le Ventrue, est appr?ci?e de la cour du Louvre, et le restera jusqu?? ce qu?elle accomplisse des actions nuisibles ? notre ?tiquette ?ce qui n?est pas encore le cas pour le moment?
- C?est ? vous ? disposer des informations que des gens inform?s comme moi peuvent vous fournir, Sire Armand. Si vous n??tes pas convaincu par la menace des S?thites, puis-je cependant vous conseiller de regarder du c?t? de Saint-Germain en Laye ? On y a aper?u nombre de rassemblements de Tzymices? et peut-?tre quelques Tremeres? On parle d?infants non d?clar?s au Prince?
- Tiens donc ? fit Villon, qui sous le coup de la surprise perdit de sa nonchalance. Si c?est le cas, il faudra aviser en cons?quence Sire Armand.
Lucien sentit qu?il venait de marquer un point.
- Tout ? fait, Prince. Quoique par ailleurs, je n?ai encore jamais entendu parler de pareilles activit?s ? Saint-Germain, et que la haine du Sire Lucien contre les Tremeres fasse partie de sa l?gende?
- Il ne tient qu?? vous, Sire Armand, dit Lucien en remettant son manteau, d?envoyer des informateurs sur place, pour d?m?ler la r?alit? de mes affabulations.
- Nous verrons bien, dit le Prince Villon, ?vasif. D?une d?marche r?veuse, il fit quelques pas vers la porte qui menait ? ses appartements. Bonne soir?e, Sire Lucien.
- Je vais mettre la derni?re main ? un spectacle qui, j?en suis s?r, vous ravira, r?pondit Hieronymus.
Le Prince sortit en souriant dans le vague.
Lucien remit son chapeau, et alla vers la sortie de la crypte de la Camarilla, accompagn? d?Armand d?Hubert.
- Vous avez incontestablement marqu? des points, Sire Lucien. Mais ne croyez pas trop vite que votre z?le fera oublier vos actes de 1998.
- A ma connaissance, on a jamais rien pu prouver contre moi.
- Non, et c?est heureux pour vous. Vous pourriez d?j? ?tre frapp? d?ostracisme?
- Allons donc ! Un authentique Parisien comme moi !?
- Nous allons v?rifier pour Saint-Germain en Laye. Mais je vous conseille de vous en tenir ? l?Op?ra. La chor?graphie et l?art lyrique sont votre domaine ; moi je m?occupe de garder en ordre une cours o? la poigne du Prince peine ? se faire sentir.
- Villon affiche il est vrai une nonchalance qui pourrait l?affaiblir dans l?opinion de son propre clan?
- Autre chose, Sire Lucien. Oubliez un peu la Comtesse Bathory : le Prince a bien plus d?estime pour elle que pour vous.
Lucien s?arr?ta devant la porte en fer qui marquait la limite du domaine de la Camarilla :
- Je n?aurai pas de peine, d?ici peu, ? montrer que cette pr?f?rence est contraire aux int?r?ts du Prince.
- Bonne soir?e, Sire Lucien. Et la prochaine fois, ?vitez de vous pavaner dans la rue avec ce costume de lord Anglais?
- Vous ne voulez pas sortir voir ma Rolls ? Je viens juste de l?acheter !
- Merci mais j?ai du travail.

Lucien, content de son dernier effet, repartit dans les entrep?ts souterrains du mus?e, accompagn? d?une goule, ressortit dans la cour Marly puis rejoignit son v?hicule. Les passants continuaient de se rincer l??il en se regardant dans la carrosserie de la Rolls, tandis que le chauffeur fumait des cigarettes am?ricaines en feuilletant n?gligemment le dernier num?ro de Vanity Fair.
Quand il vit Lucien arriver d?un pas alerte vers lui, il ordonna ? la foule de se disperser et mit le contact. Plusieurs amateurs de voiture manqu?rent tomber en p?moison en entendant ronfler le moteur.
Lucien monta ? l?arri?re, et lan?a ? haute voix :
- Chauffeur, ? la maison !
La Rolls d?marra comme une fus?e, et Lucien partit d?un grand rire, qui r?sonna dans toute la rue de Rivoli.
Sur le chemin, il re?ut un coup de t?l?phone : c??tait van Steenwick, le Tor?ador, qui l?appelait, pour le pr?venir que ? la perle grise de Venise serait sous peu ? Paris. ?
Au feu rouge, dans le trafic, la Rolls ressemblait ? un long dauphin argent? au milieu des bancs de requins qu??taient les Mercedes des hommes d?affaires. Lucien s?approcha de l?oreille de son chauffeur :
- Nous n?allons plus ? l?h?tel. Nous allons rendre une visite impromptue ? Tropovitch.
Le chauffeur fit gronder le moteur, et battit ? plate couture au d?marrage les berlines noires. Et la Rolls partit dans la folle agitation nocturne, vers la Seine aux milles couleurs nocturnes, quand glissent sur elle des bateaux-mouches fant?mes.

UNE DANGEREUSE INTERPRETATION
Eros Tropovitch, ma?tre de musique du Prince Villon ?certains disaient son saltimbanque attitr? ? tournait nerveusement en rond dans le salon de r?ception de sa demeure de l??le Saint-Louis. Trois goules domestiques se tenaient immobiles dans la pi?ce, sans oser prononcer un mot.
Tropovitch se rongeait ses ongles sur ses canines aff?t?s. Fatigu? par cet ?nervement, il alla soudain au piano, s?assit brusquement, et entama une interpr?tation fracassante de musique dod?caphonique ; il parcourait ? l?allure d?une dactylographe les quatre-vingt huit touches, martelait les notes, disloqua les m?lodies avec fr?n?sie et donna ? sa demeure un r?cital court mais d?ment, o? les accords se promenaient au hasard, comme des morceaux de v?hicule apr?s une collision. Il frappait les touches comme pour jouer de la batterie, poussait ? bout son piano jouant comme on se sert d?un marteau piqueur, au milieu de la fanfare d?une usine de montage. Il aimait la musique concr?te.
Apr?s quelques minutes ? cette cadence, il parcourut d?un doigt la longueur du clavier, frappa de tous ses doigts les touches, et maintint le son, qui vibra longuement dans la pi?ce, comme l??cho d?un cristal pur au milieu de vitres bris?es.
Tropovitch entendit alors des applaudissements derri?re lui.
- Sire Lucien? enfin vous ?tes l? !
- Mes f?licitations ma?tres, votre technique est toujours aussi? athl?tique.
- En effet. Il faut garder la forme? et se tenir au courant de l?avant-garde. Connaissez-vous Cecil Taylor ou Edgar Var?se ?? Mais assez parl? de mes talents !? Qu?a donn? votre entrevue avec Villon ?
- J?allais y venir? mais avant, offrez-moi donc un verre de ce d?licieux sang hongrois?
- Ah mon breuvage des Carpates !? A la sant? d?Ersebeth Bathory alors !?
Tropovitch alla ? une armoire, et servit deux verres ? whisky de cette liqueur ?paisse.
- A la sant? d?Ersebeth Bathory ! dit Lucien en levant son verre
Les deux Sires trinqu?rent et savour?rent leur verre. Lucien regarda ? travers les fins rideaux les bords du fleuve, les p?niches anim?es. Tropovitch cong?dia ses domestiques, baissa les lumi?res et ferma les volets. Lucien s??tait assis dans un fauteuil. Ses yeux rougeoyaient dans l?obscurit?, signe chez lui d?une intense activit?.
- Alors, dit Tropovitch, assis au piano, vous me faites br?ler d?impatience?
Les canines de Lucien scintillaient ? la maigre clart? de la lune qui filtrait ? travers la fen?tre.
- J?ai rencontr? Villon comme pr?vu. Armand d?Hubert ?tait l? aussi. Evidemment, il ?tait l? pour soutenir Villon, qui est trop faiblard pour m?affronter en face ? face. C?est le Ventrue qui a fait toute la conversation?
- Vous ne croyez pas que Villon joue la com?die ? demanda Tropovitch, inquiet.
- Ecoutez-moi : je m?y connais en com?die, et je peux vous dire que Villon est sur la pente descendante? Non, il ne joue pas la com?die ! Il s?est amolli, il est d?cadent ! Il ne s?entoure plus que de faibles, de petits politiciens gris. Pour ne rien dire des artistes sans talent ? qui il accorde ses faveurs? Croyez-moi, si d?Hubert ne lui servait pas de canne, il y aurait beau temps que Villon aurait mordu la poussi?re?
- Et ensuite ? Tropovitch se rongeait les ongles.
- Calmez-vous donc ! Que craignez-vous ?? Villon n?est plus qu?un poseur, un ? h?doniste ? comme la plupart des Tor?adors !? Il y a dix ans encore, il m?aurait inqui?t?, mais maintenant non? D?ailleurs, depuis les ?v?nements de 1998, c?est d?Hubert qui a pris les choses en main. Villon, lui, se laisse vivre.
- Que leur avez-vous dit ?
- Ah ah ! Je leur ai fait mon grand num?ro ! du cabotinage pour music-hall !? Ils m?ont pris pour un acteur victime de son r?le. Mais quand je leur ai parl? de Saint-Germain en Laye, l? ils ont tiqu?. Surtout le Ventrue. Ils ont senti que je n??tais pas demeur?, que j?avais encore des oreilles o? il faut.
- Nous jouons sur la corde raide, Lucien? Je me demande si?
- Si quoi ?
- S?il ne faudrait pas revoir nos ambitions?
Lucien posa son verre sur un gu?ridon, se leva vivement et dit :
- Que voulez-vous dire, Tropovitch ? Vous voudriez annuler maintenant ? Mais c?est impossible ! Impossible !? Il est trop tard pour vous montrer pusillanime cher ma?tre de musique ! La soir?e ? l'Op?ra aura lieu, quoiqu'il arrive. La partition est entam?e : il faut l'ex?cuter jusqu'au final.
- Mais nous parlons de meurtre, de sang, de diablerie?
- Croyez-vous que cela ait jamais arr?t? un vampire ?? La diablerie est interdite, mais nous savons tous qu?elle est le d?lice supr?me auquel puisse go?ter un ca?nite !? La diablerie est interdite, sans quoi tous les Brujah et tous les Anarchs du monde sauteraient ? la gorge des plus Anciens? Mais go?ter le sang d?un fils de Ca?n est un bonheur que les plus intr?pides ne pourront pas s?emp?cher de d?sirer, vous comprenez ??
- Bien s?r, mais?
- Alors cessez de vous faire des scrupules ! Vous ?tes bien na?f si vous croyez qu?un vampire doit toujours ?tre ? humain ?? Non. Nous ne sommes plus des mortels, Tropovitch ! Nous sommes devenus des b?tes. Les humains sont bestiaux ? leurs heures. Eux aussi d?vorent. Et nous, nous n?avons plus l??cueil de la mort qui nous attend !? Nous ne savons plus quand la b?te en nous rel?ve la t?te, et quand l?humanit? fl?chit l??chine !?

- Vous parlez comme ces Lasombras? fit Tropovitch en baissant la t?te et en regardant le fond de son verre.
Lucien lui marchait dans la pi?ce, serrait les poings, s?animait d?une vigueur tragique.
- Non, je ne suis pas encore du Sabbat ! Parce que je n?ai pas renonc? aux prestiges des masques !
- Vous ha?ssez le naturel?
- Non, Tropovitch ! Non !? Mais je ne suis pas seulement un animal plein de rage, expos? ? la peur et aux hasards de l?obscurit? !? et je vous le prouverai ? l?Op?ra ! Vous sentirez alors combien j?avais raison ! Je m?nerai ma politique jusqu?au bout, m?me si cela d?plait ? Villon et ? sa clique !
- Les Judicars vont avoir notre peau, comme ils ont d?j? eu la peau du Ravnos et du Gangrel !
- Ne me faites pas rire avec ces deux-l? ! Ils n??taient pas de notre carrure. Et contre nous, les services du Prince se casseront les dents.
- Comment comptez-vous op?rer ?
- Le public verra tout, et il ne verra rien ! Il applaudira au sublime, au merveilleux de Mozart. il aimera la Reine de la Nuit, et il la verra succomber. Et le Prince d?couvrira l?immonde? Ils se croiront ? l?op?ra, et ils se retrouveront dans le burlesque, int?ressant, non ?
- Et vos hommes sont d?j? ? Venise ?
- Ils sont m?me sur le chemin du retour, figurez-vous : ? l?heure qu?il est, mes goules conduisent les corbillards qui les ram?nent. Et ils reviennent avec la plus belle perle de la lagune : froide comme un serpent, noire comme l??b?ne?
- Mais vous vous rendez compte !? M?me les Tzymices h?siteraient ? engager les services d?un Assamite !
- Vous n?aurez rien ? craindre Tropovitch! Je serai l? pour ma?triser tout le d?roulement de notre sauterie?
- Et vous ne craignez pas les fausses notes ??
- Moi aussi ? ma mani?re, Tropovitch, je suis un ma?tre de l?improvisation?
Lucien ricana de bon c?ur, et finit d?une gorg?e son verre. Le musicien, tout en fixant droit dans les yeux Lucien, approcha sa main des touches du piano, et joua quelques notes de marche fun?bre.
Lucien en rit de plus belle, avant de se servir un autre verre.
Eblouissant, un bateau glissa sur la Seine, moussant l?eau de sa lumi?re, qui gicla aux alentours sur les b?timents, ainsi que des couronnes de lauriers blancs, sur les deux Sires ca?nites qui devisaient sur l??le Saint-Louis.

A suivre...
![[Image: mgm2.jpg]](http://membres.lycos.fr/wilhelm2051/mgm2.jpg)

pr?sentent...
La Vengeance est un mets qui se d?guste comme un calice de Vieux Sang...

:demoniaque: HISTOIRE DE LAURA-GABRIELLE CERVANTES :demoniaque:
1ERE PARTIE : LA PERLE ET LE POIGNARD

OMBRES SUR VENISE
Le d?but du soir ?tait chaud, et d?j? ?pais, comme un caf? expresso ; la lagune se baignait sous une cuve brillante, qui refroidissait lentement, comme une marmite apr?s un festin de sorci?res. Mille couronnes cr?pusculaires finissaient de luire, rouges, ? la pointe de l?horizon. La chaude journ?e laissait l?atmosph?re luxuriante d?une jungle sur les palais v?nitiens. Une gondole passa dans un sillon chantant ; le grondement d?une vedette rasa les quais ; des splendeurs passaient sous les draps de l?obscurit?. La ville trempait dans les gr?ces printani?res d?un automne princier. Pigeons et ordures chauffaient aussi dans le ph?nix de cet ?crin, serti d?une ?meraude en serpent, tendrement lov?, d?gustant des charmes de verre, des tr?sors de marchands d?Orient.
C??tait la Renaissance, c??tait la nuit, sa palpitation. Le monde roulait, r?ve d?or, cuve d??b?nes et de flammes, dans la douceur du silence.

Dans une ruelle, une bande d?ombres, d?guis?s en spadassins ?amples manteaux, chapeaux pointus, masques de carnaval ? glissaient, discrets comme leurs ombres, sans craindre le ridicule. Ils montaient un court escalier entre des b?timents nus. Nos bandits de com?die allaient silencieusement sur les pav?s, souples comme des servals ; parvenus dans une ruelle ? l??clairage timide, sous une enseigne de bois qui mena?ait de se d?crocher, ils frapp?rent ? une porte d?auberge.
Un robuste domestique vint les introduire dans le b?timent. Ils pass?rent le vestibule, puis une salle de repas, d?cor? dans un go?t rustique, mais de bois noblement travaill?, et ils pass?rent ? la cave, au cellier, puis, par une trappe, descendirent vers un couloir taill? dans la pierre, o? ne luisaient que les m?ches fines de chandelles.
Pass?e une porte o? ?tait clou?e une t?te de bouc noir, ils entr?rent dans un appartement.
L?endroit ?tait bas de plafond, tapiss? au sol et sur les murs, avec, dans cet espace restreint, des chandeliers, des luminaires.
On baignait dans une lumi?re rouge tamis?e ; des lanternes en carton, quelques coffres dispos?s en d?sordre ; une table ronde, ? pied central, sur laquelle ?taient grav?es des signes cabalistiques en sang, or et cuivre. De vieux livres ?taient empil?s ? terre ; dans une cuvette pr?s de la table trempaient des restes d?abats animaux.
Une psych?, dont le cadre ?tait d?cor? avec la magnificence nacr?e caract?ristique de Venise, s?appuyait contre un mur. De chaque c?t? de ce miroir, des parchemins clou?s au mur, couleur gris-vert sombre, plein de formules de sabbat qui respirent la laideur ; pos? sur une table basse, un pr?sentoir avec diff?rents mod?les de couteau et de poignard aux manches ouvrag?s.
Le domestique fit signe aux visiteurs d?attendre, et se retira de l?appartement.
Une petite minute apr?s, alors que les ? spadassins ? pouvaient contempler ? loisir cette antre digne de la loge d?un th??tre italien ?ou d?une d?monne port?e sur les tenues en cuir et le spiritisme noir? ? entra pr?cis?ment la ma?tresse des lieux.
Elle ne portait pas ? ainsi qu?apr?s tout on aurait pu s?y attendre ? une combinaison de cuir clout?e int?grale, non plus qu?elle ne tenait un fouet aux lani?res piqu?e d??clats de verre.
Elle ?tait habill?e d?une robe grise, fine, comme compos?e de p?tales cristallines et de fum?e ; elle portait des escarpins noirs, des bagues de couleurs diff?rentes aux doigts, et son front ?tait ceint d?un diad?me, qui exer?ait, de par son ?clat myst?rieux, l?attrait d?un troisi?me ?il.
Le visage de cette femme n??tait pas gracieux ; il n??tait pas laid, il n??tait pas repoussant, mais quelques traits marquaient l?endurcissement par la tristesse. Le gris ? l?vres compl?tait cette non-beaut?.
Elle alla s?asseoir sur un imposant fauteuil en osier, dont le dossier se d?ployait comme une roue de paon lugubre.
- La Mascarade cherche t-elle ? en rajouter, pour m?impressionner ? demanda t-elle, d?une voix o? entraient le noir de la m?fiance, le blanc de la froideur, pour donner le gris d?une intonation inamicale.

Elle regardait fixement les cinq visiteurs grim?s.
- Tr?s bien, dit l?un d?eux, tombons le masque puisque notre h?tesse nous en prie.
- Je dis simplement, continua la grise femme, que vous avez de dr?les de mani?re ? la Camarilla? Le carnaval n?est pas en cette saison.
- Veuillez nous excuser, Madame, mais il ?tait convenu ainsi?
- Sans quoi il est vrai, intervint le domestique qui ?tait revenu et qui se tenait derri?re les visiteurs, j?aurais pu aussi trucider proprement nos visiteurs? Il ?tait convenu de ne laisser rentrer que cinq hommes portant des masques ? long nez et des manteaux bruns.
Les cinq hommes se retourn?rent. Sous leurs manteaux, ils port?rent la main ? leurs armes.
- M?fiez-vous, messieurs, sourit la femme, mon Brujah ne plaisante pas. Il m?a fallu du temps pour le dompter, et d?sormais il est mon cerb?re fid?le?
Les visiteurs abaiss?rent la main qui venait de s?emparer de leur arme. Ils se d?firent de leurs amples manteaux et retir?rent leurs masques : deux d?entre eux ?taient des Nosf?ratus ; le troisi?me, ? en juger par le frisson qui l?agitait, par le regard vitreux, fuyant, par les cicatrices nombreuses trac?es sym?triquement sur le visage ? qui aurait pu donner ? croire qu?il ?tait tomb? dans un buisson de ronces ?, ?tait certainement un Malkavien. Les deux autres, on n?aurait pu pr?ciser leur clan.
L?un d?eux portait beau : moustache fi?re et bouc ? la d?Artagnan : une cicatrice pleurait de son ?il gauche et venait accrocher la commissure de la l?vre ; le dernier ?tait plus replet, habill? d?une robe d?un bleu profond, avec un tissu mauve ?l?gamment nou? sur la t?te.
- Si ces messieurs veulent que je les d?barrasse, dit le domestique Brujah, aimable comme poignard dans la gorge.
Les cinq visiteurs lui confi?rent leurs d?guisements. Le domestique alla les accrocher ? un porte-manteau de bois. Un beau porte-manteau en bois noueux, taill? en forme d?arbre sur lequel ?taient perch?s de belles chauves-souris noires comme minuit.

LE FRISSON ASSAMITE
- Alors, maintenant la Camarilla accepte de tomber le masque? dit la ma?tresse des lieux, alors que son diad?me prit un ?clat gris plus p?n?trant.
- Il semble que les circonstances l?exigent, affirma le d?Artagnan. Mais nous vous invitons maintenant ? rejoindre ? votre tour la Mascarade? provisoirement. Et pour une somme importante?
- Notre ma?tre, commen?a d?une voix douce le petit replet habill? en robe, ne d?rangerait pas la c?l?bre v?nitienne et tr?s puissante Assamite pour?
- Cessez donc votre boniment ! r?pliqua celle-ci. Je n?aime pas les tours et d?tours des gens de la Camarilla, qui usent mille artifices, qui veulent toujours se d?rober derri?re une nouvelle apparence? Nous Assamites sommes plus directes !? Quelle est donc votre affaire ?
- Pardonnez, ch?re Cervant?s, dit le mousquetaire, mais notre seigneur a la r?putation d??tre franc du collier, pour le dire sans d?tour ! Sans quoi, il ne serait pas qui il est, et nous ne serions pas l? !?
- Et qui est donc ce beau Prince des T?n?bres, qui veut go?ter aux frissons Assamites ? fit, narquoise, la d?nomm?e Cervant?s.
- Co-naissez, naissez-vous ? articula le Malkavien au visage lac?r?, pris de tremblement comme une pythie en transe, naissez-vous le prince le seigneur le baron et sultan duc s?r?nissime Lucien Hieronymus, ma?tre des rues de la gare de l?Est et de l??le de Malte ??
- Calme-toi donc. Peut-?tre que tu devrais nous laisser parler, sugg?ra le d?Artagnan.
- Hieronymus Lucien ? C?est bien le nom qu?il a prononc? ? dit Cervant?s.
- Exactement, Hieronymus Lucien, r?pondit d?un l?air inspir? le ca?nite replet, Lucien, le c?l?bre diable qui a hant? les campagnes de France. Lucien, le perdu ! l?h?r?siarque ! le loup du G?vaudan !? le Ctulhu !
La Cervant?s rit doucement :
- Oui, je connais ce Lucien? Une belle l?gende le devance. Il a terroris? le Moyen-Age, je crois? Et ainsi donc je pourrais rencontrer ce personnage? Je constate que sa r?putation ne ment pas sur ce point : il aime les m?langes in?dits, il aime les apparences chatoyantes, touffues, il aime surprendre?
- Prendre surprendre pendre et d?pendre ! l?cha le Malkavien dans un tremblement fi?vreux, son regard semblant ? chaque parole vouloir s?enfuir ? toutes jambes.
- Avant de poursuivre, si nous faisions les pr?sentations ? sugg?ra Cervant?s, en portant ? ses l?vres une coupe de sang purpurin que son domestique venait de lui apporter.
- Volontiers madame, bien volontiers ! fit le ca?nite en robe, d?un air p?n?tr?. Il est impoli de notre part de ne pas l?avoir fait d?entr?e de jeu.
L?homme s??claircit la voix.
- Les deux Nosf?ratus ici pr?sents sont le cousin D?sastre et la cousine Pers?phone?
- Original, commenta Cervant?s.
- Notre Malkavien se nomme Ronce-Vive, et je me passerai de vous en expliquer la raison !? Il pratique le body art sur lui-m?me souvent ; parfois sur des personnes consentantes, ou non?
L?orateur toussota. On regardait de c?t? le Malkavien, dont les expressions corporelles indiquaient qu?il n?y pr?tait pas attention : il ?treignait du regard les tapisseries vieillies.
- Le beau sire ici pr?sent, reprit le ca?nite au turban, est le Tor?ador Anton van Steenwick, qui fut fameux mousquetaire du Roy, qui ferrailla avec le c?l?bre Cyrano de Bergerac, eut maille ? partir avec l?Inquisition, et perdit la vie au si?ge de Maastricht, en m?me temps que d?Artagnan soi-m?me ! N?est-ce pas romanesque ?
- Certainement, approuva froidement Cervant?s. Et vous-m?mes ?
- Et moi-m?me, je suis nomm? Fantas et? eh bien je suis un peu mage et quelque peu sp?cialis? dans certains grimoires et?
- Fantas veut dire, intervint van Steenwick le Tor?ador, qu?il est quelque peu li? au clan Tremere, sans pour autant ?tre appr?ci? par ses membres. Il est trop heureux d??tre le prot?g? du seigneur Lucien.
- Lucien m?nerait-il des recherches? occultes ? demanda l?Assamite (elle n?avait pu retenir cette curiosit?, comme on ne peut se retenir de croquer une friandise app?tissante).
- Certainement ! certainement ! dit Fantas, comme poss?d? des flammes magiques de la parole. Et d?ailleurs, d?ailleurs !?
- Fantas, dit le Nosf?ratu nomm? D?sastre, nous ne sommes pas l? pour parler de cela !?
- Exactement, dit l?Assamite (? contrec?ur, car pour le coup, elle ravalait sa curiosit?.) Si vous me disiez pourquoi vous avez accompli tout ce beau voyage. Certainement pas seulement pour le caf? du Harry?s Bar ou les beaux gondoliers?

A part soi, les visiteurs s??tonnaient du ton de familiarit? qui apparaissait dans la voix de l?Assamite. Ils s?attendaient, en venant ?van Steenwick en particulier ? ? rencontrer une princesse : il n?avait en face d?eux qu?une femme sans charme, mais qui ne manquait pas d?indiquer, dans ses intonations, combien elle ?tait dangereuse.
Ronce-Vive le Malkavien fixait avec avidit? les signes grav?s sur la table : il semblait les d?chiffrer comme un autiste g?nial d?crypte du chald?en.
- Puisque les pr?sentations sont faites, dit Fantas le Tremere, nous pouvons vous d?clarer que nous sommes ici, belle Laura de Cervant?s, pour vous emmener avec nous ? Paris !? oui, la Ville Lumi?re, pensez donc !
- Mettons les choses au point, siffla l?int?ress?e : mon nom exact est Laura-Gabrielle Cervant?s. Oubliez donc d?y adjoindre une particule. Et je peux vous suivre ? Paris, oui. Mais est-ce pour les bateaux-mouches ? pour le Ritz ? pour assassiner une soutane de Notre-Dame ?
- Pas du tout ! pas du tout ! dit Fantas, les mains grandes ouvertes ? hauteur de son visage, comme s?il mimait le port d?une boule de cristal.
- En r?alit?, poursuivit van Steenwick le Tor?ador, notre ma?tre Lucien aimerait se d?barrasser d?une personne rivale, puissante, bien introduite dans les meilleurs milieux de la Camarilla?
- Et pour maintenir sa ridicule mascarade, r?torqua l?Assamite, la Camarilla doit se salir les mains, et embaucher une personne comme moi? Et apr?s cela, votre Prince de Paris pr?tendra ?tre le garant des lois? Amusant, je le note?
Il y eut un silence g?n?. Le Malkavien marmottait ? son seul usage des paroles d?inqui?tudes et de menaces.
- A vrai dire, intervint Pers?phone la Nosf?ratu, notre ma?tre ne pr?tend pas agir pour le Prince Fran?ois Villon? Il serait m?me en froid avec ce dernier.
- Tiens donc ? fit la Cervant?s. C?est exquis dans ce cas, vraiment?. Et pour ajouter au piquant, dites-moi que cette rivale encombrante est au contraire une prot?g?e du Prince ?
- Eh bien, dit le cousin D?sastre, nous approchons du vrai?
- Tr?s bien, fit l?Assamite, en d?gustant son verre. J?aime quand le frisson est au rendez-vous? Puisqu?il s?agit de Hieronymus Lucien? susurra t-elle, d?un air de m?chancet? voluptueuse, qui laissait para?tre un certain charme mauvais sur sa personne. Je n?aurais pas accept? de travail pour la clique de la Camarilla?
- Du tout du tout ! dit Fantas le mage. Vous travaillerez sous l?ombre et sous le voile du secret ! Comment en serait-il autrement avec notre ma?tre Lucien ?
- Et comptez-vous, siffla l?Assamite comme une vip?re, me payer avec l?or sorti des cornues de vos recherches alchimiques, ma?tre Fantas ?
- Du tout, dit van Steenwick. Nous parlons de v?ritables euros. Votre prix sera le n?tre, cela va de soi.
- Tr?s bien. Vous allez donc me pr?ciser qui est cette personne importante dont souhaite se d?barrasser votre ma?tre. Et vous allez m?expliquer pourquoi il ne s?en charge pas lui-m?me. Et je vous fixerai un prix. Je vous donnerai un num?ro de compte en Irlande, indiqua Cervant?s.
- Nous allions bien s?r en venir ? des explications approfondies, assura van Steenwick.
- J?ignorais que Cervant?s ?tait un nom irlandais.
C??tait Ronce-Vive qui venait de prononcer clairement et distinctement cette phrase. On en fut surpris : il ?coutait donc toute la conversation, derri?re ses airs ?gar?s.
L?Assamite se leva, le verre ? la main, but les derni?res gouttes en s?approchant du Malkavien.
- Tu es tout ou?e, donc fou et dangereux, dit-elle, le visage presque coll? contre les cicatrices de Ronce-Vive? Alors je vais te dire, pour toi dont l?esprit vagabonde ?elle passa son bras autour de la nuque du Malkavien ? je suis n?e sous un autre nom, ? Dublin. J?ai ?chou? ? s?duire Oscar Wilde, et j?ai ?chou? ? nouveau avec Guillaume Apollinaire : il m?a rejet? en me disant que j?avais une triste figure. Et depuis, en souvenir de cet affront, j?ai pris le nom du p?re du chevalier ? la Triste Figure? Cette r?ponse te convient-elle, Malkavien ?

Mais Ronce-Vive ?tait d?j? retomb? dans les limbes de son autisme.
L?Assamite eut un sifflement de d?dain. Fantas pr?senta ces excuses pour Ronce-Vive, puis, pour clore l?incident, Cervant?s fit servir des calices remplis d?un sang onctueux ? ses visiteurs et leur fit donner des si?ges.
- J?oubliais messieurs, reprit l?Assamite. Je n?ai pas l?habitude d?exiger de l?argent pour mes services. Vous oubliez que les Assamites demandent? du sang.
- Du sang de qui ? demanda Fantas.
Cervant?s eut un rire qui fit sentir au Tremere sa na?vet?.
- Mais voyons, puissant mage? il ne peut s?agir du sang de troupeau.
- Du sang de vampire, vous voulez dire ?
- Exactement. Et pas n?importe quelle sang? Je suis un serpent, un serpent venu des d?serts de l?Est, de la forteresse d?Alamuth? Je me nourris du sang de mes proies.
Les visiteurs se turent quelques secondes, le temps de peser ce que signifiait cette demande.
- Au fond, dit le Tor?ador pour briser la glace, nous pensions bien que votre prix serait en ces termes? Nous n?avons pas re?u de consignes pour n?gocier quoi que ce soit.
- Tr?s bien, dans ce cas, je serai ravie de tremper mes l?vres dans le sang de ma prochaine victime? Regardez : c?est sans doute cette arme qui lui tranchera la gorge.
Avec les mani?res d?une femme qui d?voile ses dessous affriolants ? son amant, Cervant?s sortit d?une boite nacr? un poignard de rituel, ? la lame recourb?e. Cervant?s le prit d?licatement, et le fit passer ? la coterie de Lucien.
- Prenez-le, je vous en prie? C?est une arme magnifique, alors prenez garde.
- Le nombre d?encoches sur le manche correspond au nombre de victimes ? demanda D?sastre le Nosf?ratu.
Cervant?s eut un rire sinistre qui ne laissa pas de doute sur la r?ponse. La lame brillait, et le manche prenait ? la garde la t?te d?un cobra, si vivant qu?on aurait pu croire qu?il allait vous mordre.
On redonna l?arme ? l?Assamite, qui la rangea dans la bo?te.
- Et maintenant, si vous me parliez plus en d?tail de cette proie?
Plusieurs heures apr?s, alors que la nuit s??claircissait l?g?rement, dans la brume endormie du point du jour, une vedette ? moteur passa en vrombissant sur la lagune. Elle fut suivie de deux autres, qui quitt?rent laiss?rent derri?re elle la cit? v?nitienne, radieuse comme une jeune mari?e dont la vie ne serait que lune de miel.

ECLATS PARISIENS
A Paris, une authentique Rolls Royce venait de se garer rue de Rivoli, pr?s de la place de l?H?tel de Ville. Ce soir l?, la patinoire restait ouverte tard : les patineurs ?voluaient sur la glace, dans la f?erie des d?corations de No?l.
V?tu d?un long manteau en fourrure, d?un chapeau haut de forme, portant une longue canne ? pommeau de p?lican, des gants en peau de biche et sur le nez un lorgnon dor?, un imposant personnage sortit de la Rolls chrom?, ?pousseta son ?paule, et partit aussit?t d?un pas alerte en direction du Louvre.
Des passants siffl?rent d?admiration en contemplant le magnifique v?hicule, dont la figure de proue les narguait en ricanant. Il ne s?agissait pas d?un ange argent?, mais d?un petit satyre, au sourire charg? de sarcasmes. On s??tonnait de cette substitution, mais on restait frapp? de stupeur admirative. On fit remarquer que ce devait ?tre un v?hicule d?enfer?
Le chauffeur ne pr?tait aucune attention au cercle qui se formait autour de la Rolls. Il restait au volant, ? lire une revue de mode am?ricaine, sans daigner jeter un regard aux badauds. Plusieurs agents de police regardaient depuis leur poste de faction la voiture, fascin?s eux aussi. Dans Paris, soufflait le vent, la lumi?re poudreuse, et une pellicule de neige fine comme une toile d?araign?e.
L?homme qui marchait h?tivement jeta un regard en arri?re, et sourit de l?attroupement qui se formait autour de son v?hicule. Il p?n?tra dans le Louvre par le passage Richelieu. L?, un gardien l?attendait ? la barri?re, et le fit entrer rapidement. Notre personnage prit l?escalier m?canique, arr?t? ? cette heure de la nuit, en regardant les statues athl?tiques de la cour Marly plong?e dans l?obscurit?. Le gardien et le visiteur arriv?rent sous la Pyramide, qui luisait comme une ?toffe de nuit en verre, et dispensait ? la galerie souterraine l??clairage myst?rieux d?une nef translucide.
Les deux hommes se dirig?rent sans attendre vers la cour Marly. Le gardien appuya sur un bouton dissimul? sur le socle d?une statue de Napol?on. Un socle qui supportait une sculpture de lion puissant se d?pla?a, r?v?lant un petit escalier qui menait au sous-sol..
- C?est ici, monsieur, dit le gardien. Vous ?tes attendu.
- Tr?s bien.
- Arriv? en bas, n?oubliez pas de refermer le passage.
- N?ayez crainte, je suis un habitu? des lieux.
Le visiteur disparut dans le passage, et le gardien se h?ta de rejoindre son chemin de ronde normal.

En bas, l?imposant personnage p?n?tra dans une salle o? l?on entreposait des ?uvres gard?es en r?serve. Un Nosf?ratu surgit des t?n?bres, et demanda au visiteur de le suivre. Ils descendirent encore quelques ?tages.
Dans un couloir humide, ils crois?rent un jeune homme au pas press?.
- Tiens donc, fit le visiteur, dont la voix semblait profonde comme l?obscurit?. N??tes-vous pas ce nouveau-n? Tor?ador, qui organise des visites nocturnes du mus?e ?
- Par l?Enfer !?
Le visiteur sourit de l?effroi du jeune homme ; celui-ci porta la main ? la bouche :
- Je veux dire? pardonnez-moi, Sire Lucien !? Oui, je me nomme Aladax Lucinius, et il est exact que ?
- Tr?s bien. Votre Sire est bien Tropovitch ?
- Oui, c?est vrai?
- Vous a t-il parl? de l?Op?ra ?
- L?Op?ra de Paris ? Non? Le jeune homme tremblait: qui sait ce qu?apporterait une mauvaise r?ponse !
- Dans ce cas, dites-lui de vous inviter pour le 20 d?cembre. Dites-lui que c?est moi qui insiste.
- Tr?s bien, Sire Lucien? Je ferai comme vous dites. Je vous remercie?
- Ce sera La fl?t? enchant?e. Un artiste comme vous aime la belle musique, n?est-ce pas ?
- Tout ? fait et je ?
- Alors dans ce cas, c?est parfait. Vous serez aux premi?res loges.
- Je l?esp?re? et bonne nuit ? vous Sire?
Lucinius n?avait pas termin? sa phrase que le terrible Sire avait repris sa marche. Le mart?lement de son pas, r?p?t? par l??cho, prolongeait le frisson que provoquait sa simple pr?sence. Sans parler de sa voix : on aurait jur? qu?il avait une caverne log?e dans la gorge !
Le jeune Tor?ador s??loigna rapidement, pour rejoindre les riches ca?nites qui venaient d?Italie ou d?Allemagne pour admirer les ?uvres du mus?e.

DIALOGUES EN SOUS-SOL
Le visiteur du soir, qui ?tait bien Hieronymus Lucien fut introduit dans la crypte du Prince Villon : un portail en fer ouvrag? s?ouvrit comme une gueule et l?avala.
Une goule mena ensuite Lucien ? un petit salon Napol?on III, d?cor? de petits tableaux de bacchanales de Poussin. Lucien se fit servir ? boire, et attendit plusieurs minutes.
Il avait vid? son verre, et s?impatientait.
Il tapotait nerveusement de sa canne sur le tapis. La porte s?ouvrit dans son dos : un huissier entra et annon?a :
- Le Prince Fran?ois Villon !
Lucien se retourna et retira son chapeau.
Le ma?tre de la Camarilla parisienne entra nonchalamment, son porte-cigarette ? la main. Lucien s?inclina l?g?rement. Derri?re Villon entra un ca?nite qui pouvait avoir le corps d?un mortel de cinquante ans : s?v?re comme un comptable protestant, smoking gris, cravate fine ; le visage allong?, les yeux scrutateurs, la bouche et tous les traits du visage que l?on devinait habitu?s ? ne se crisper que pour exprimer l?essentiel.
- Sire Armand d?Hubert bonsoir, fit Hieronymus Lucien, j?ignorais que vous seriez de cette r?union?
Armand d?Hubert ?tait le Primog?ne Ventrue de Paris.
- Bonsoir Sire Lucien r?pondit d?Hubert. Le Prince a effectivement tenu ? ce que j?assiste ? cette rencontre? plut?t impr?vue.
- J?ai h?sit? ? la solliciter, il est vrai, dit Lucien ?qui avait affaire ici ? un sup?rieur hi?rarchique, bien que lui, Lucien, soit un personnage de plus de prestige que le raide Armand d?Hubert. Mais j?ai cru qu?il ?tait de mon devoir de vous parler d?s ce soir...

Le Prince Villon regardait sans inqui?tude son vassal Lucien.
- Sire Lucien, voulez-vous une de ces excellentes cigarettes de Virginie ? C?est le Prince de Washington qui me les envoie?
- Je sais, Prince, fit Lucien d?un air g?n?, qui ne dissimulait que mal son agacement, mais je ne peux h?las pas fumer, comme vous?
- Parlez-nous de cette affaire si urgente, dit Armand d?Hubert.
Lucien donna son manteau, son chapeau et sa canne ? l?huissier. Puis il prit une courte inspiration, comme l?avocat avant la plaidoirie.
- Je vais aller droit au but, Prince. Vous savez que je ne me permettrais pas de solliciter de votre temps et de votre biens?ance pour des billeves?es. (Ce genre de langage aga?ait profond?ment Armand d?Hubert l??conome, mais il faisait partie des joliesses de langage que le Prince go?tait). Je pense que l?on fomente actuellement des activit?s destin?es ? renverser le pouvoir de la Camarilla sur Paris.
- Et qui repr?senterait un tel risque selon vous ? demanda le Primog?ne Ventrue.
- J?ignore qui est la t?te du complot, mais je crois qu?il faut agir rapidement, Sire d?Hubert.
- Nous appr?cions votre aide, Sire Lucien, mais vous n??tes gu?re pr?cis dans vos assertions? fit remarquer le Ventrue.
- Des membres du Sabbat. Voil? la menace, repartit Lucien, la voix charg?e de menace et de grandiloquence.
Le Ventrue hocha la t?te, pensif. Il se caressa le menton.
- Comment savoir ce que vous avez derri?re la t?te, Sire Lucien? Vous semblez oublier la disgr?ce que notre Prince a prononc? contre vous, il y a de cela seulement quatre ans?
Villon se contenta de toiser Lucien d?un air snob, quoiqu?emprunt de s?v?rit?. Cet air qui avait le don de mettre hors de lui Lucien. Ce dernier eut le sang qui afflua au visage.
- Sire d?Hubert, j?admets avoir eut la main l?g?re en juillet 1998, mais je n?admets pas ?tre ainsi tois? ! Vous Primog?ne Ventrue avez tous les droits, hormis celui de porter atteinte ? un Sire qui est votre ?gal en g?n?ration, et qui plus est un appui indispensable de la Camarilla.
Lucien s?en prenait au Ventrue, mais c??tait une mani?re d?attaque indirecte contre Villon.
- Vous ?tes bien col?rique, Sire Lucien, dit le Ventrue. Nous connaissons du reste bien vos humeurs d?artiste? J?ai peur de percevoir une tentative maladroite de votre part pour obtenir une r?habilitation, avant le moment venu. Voudriez-vous forcer la main du Prince ?
Lucien faillit r?pondre qu?il ne pourrait forcer cette main tant que d?Hubert serait occup? ? manger dedans. Il se retint et choisit l?effet :
- Ecoutez-moi Armand d?Hubert !? Si je prends le mal de venir ici, ce n?est pas pour mendier ma r?habilitation ! Pour ma part, je sais vivre hors des salons du Louvre et de ses intrigues. Je viens vous avertir que des S?thites pourraient fomenter un attentat et que ?
- Vous semblez pourtant ne pas ?tre f?ch? avec les disciples de Set, Sire Lucien, le coupa d?Hubert, de sa voix de percepteur qui vient enqu?ter sur vos comptes aux Antilles. Des t?moins dignes de foi pourraient affirmer vous avoir vu en leur compagnie.
- Mensonges, Sire d?Hubert ! Mensonges et hypocrisies ! Ces belles bouches pleines de fiel vous versent leurs mensonges ? l?oreille ! Prenez garde de ne pas trop y pr?ter attention, Sire ! Moi au contraire, je vous avertis de dangers r?els. Je n?ai pas cru longtemps ? cette G?henne qui couve, mais prenez garde ! Elle n?est pas si loin que l?on croit. Elle pourrait se d?clencher sous peu.
- Ces paroles ne ressemblent pas, dit le Ventrue, ? quelqu?un que tous, au Louvre, le Prince en premier, croyait certes prompt ? l?action, mais endurci par l?exp?rience. Seriez-vous pris au pi?ge de vos propres mascarades priv?es, Sire Lucien ?
- A votre guise, Sire Armand ! Prenez-le ? la l?g?re. Lucien laissait la col?re gronder dans sa voix. Il savait que m?me le Primog?ne Ventrue, solide comme une porte blind?e, ne pouvait y ?tre insensible. Prenez garde, Sire, n?anmoins aux cr?atures qui tournent comme des harpies autour de notre Prince.

A ce moment, Villon laissa ?chapper un rire moqueur et haussa les ?paules. Il tira sur sa cigarette et dit :
- Voyons, Sire Lucien, vous n?y pensez pas. Si vous voulez parler de la Comtesse Constance de Bathory, il y a bien longtemps qu?elle n?attise plus mes passions?
? Qui attise encore tes passions, mon Prince ? ?
Lucien reprit d?un air sombre :
- J?ai bien peur que cette vip?re soit mieux log?e dans des nids d?intrigues que ne le pensez, Prince?
- Il suffit Sire Lucien, coupa d?Hubert. Je crois que vous m?langez trop vos ranc?urs personnelles avec la r?alit? des jeux du pouvoir. Il est clair que vos rancunes contre la Comtesse Bathory obscurcissent votre jugement? Allons, la Comtesse Bathory, alli?e des S?thites, cela ne tient pas debout !
- La v?rit? est parfois aussi am?re que surprenante, Sire...
- Si vous ne voulez rien ajouter ? ces belles pens?es, Sire Lucien, je crois que cet entretien doit se terminer.
- En revanche, intervint le Prince, en souriant, comme perdu dans ses pens?es, nous serons bien s?r heureux d?assister ? votre soir?e ? l?Op?ra. Nous comptons beaucoup sur Tropovitch et vous pour nous r?galer les oreilles et les yeux. N?est-ce pas Sire Armand ?
- Tout ? fait Prince. Je pense que le th??tre est un domaine o? le Sire Lucien excelle ? contrairement ? d?autres arts?
- Je vous remercie Sire de cette marque de confiance, dit Lucien en s?inclinant ?et sans relever la pique du Ventrue. Mais pour le bien de la Mascarade, souvenez-vous de ce que j?affirme?
- La Comtesse Bathory, dit d?un ton rogue le Ventrue, est appr?ci?e de la cour du Louvre, et le restera jusqu?? ce qu?elle accomplisse des actions nuisibles ? notre ?tiquette ?ce qui n?est pas encore le cas pour le moment?
- C?est ? vous ? disposer des informations que des gens inform?s comme moi peuvent vous fournir, Sire Armand. Si vous n??tes pas convaincu par la menace des S?thites, puis-je cependant vous conseiller de regarder du c?t? de Saint-Germain en Laye ? On y a aper?u nombre de rassemblements de Tzymices? et peut-?tre quelques Tremeres? On parle d?infants non d?clar?s au Prince?
- Tiens donc ? fit Villon, qui sous le coup de la surprise perdit de sa nonchalance. Si c?est le cas, il faudra aviser en cons?quence Sire Armand.
Lucien sentit qu?il venait de marquer un point.
- Tout ? fait, Prince. Quoique par ailleurs, je n?ai encore jamais entendu parler de pareilles activit?s ? Saint-Germain, et que la haine du Sire Lucien contre les Tremeres fasse partie de sa l?gende?
- Il ne tient qu?? vous, Sire Armand, dit Lucien en remettant son manteau, d?envoyer des informateurs sur place, pour d?m?ler la r?alit? de mes affabulations.
- Nous verrons bien, dit le Prince Villon, ?vasif. D?une d?marche r?veuse, il fit quelques pas vers la porte qui menait ? ses appartements. Bonne soir?e, Sire Lucien.
- Je vais mettre la derni?re main ? un spectacle qui, j?en suis s?r, vous ravira, r?pondit Hieronymus.
Le Prince sortit en souriant dans le vague.
Lucien remit son chapeau, et alla vers la sortie de la crypte de la Camarilla, accompagn? d?Armand d?Hubert.
- Vous avez incontestablement marqu? des points, Sire Lucien. Mais ne croyez pas trop vite que votre z?le fera oublier vos actes de 1998.
- A ma connaissance, on a jamais rien pu prouver contre moi.
- Non, et c?est heureux pour vous. Vous pourriez d?j? ?tre frapp? d?ostracisme?
- Allons donc ! Un authentique Parisien comme moi !?
- Nous allons v?rifier pour Saint-Germain en Laye. Mais je vous conseille de vous en tenir ? l?Op?ra. La chor?graphie et l?art lyrique sont votre domaine ; moi je m?occupe de garder en ordre une cours o? la poigne du Prince peine ? se faire sentir.
- Villon affiche il est vrai une nonchalance qui pourrait l?affaiblir dans l?opinion de son propre clan?
- Autre chose, Sire Lucien. Oubliez un peu la Comtesse Bathory : le Prince a bien plus d?estime pour elle que pour vous.
Lucien s?arr?ta devant la porte en fer qui marquait la limite du domaine de la Camarilla :
- Je n?aurai pas de peine, d?ici peu, ? montrer que cette pr?f?rence est contraire aux int?r?ts du Prince.
- Bonne soir?e, Sire Lucien. Et la prochaine fois, ?vitez de vous pavaner dans la rue avec ce costume de lord Anglais?
- Vous ne voulez pas sortir voir ma Rolls ? Je viens juste de l?acheter !
- Merci mais j?ai du travail.

Lucien, content de son dernier effet, repartit dans les entrep?ts souterrains du mus?e, accompagn? d?une goule, ressortit dans la cour Marly puis rejoignit son v?hicule. Les passants continuaient de se rincer l??il en se regardant dans la carrosserie de la Rolls, tandis que le chauffeur fumait des cigarettes am?ricaines en feuilletant n?gligemment le dernier num?ro de Vanity Fair.
Quand il vit Lucien arriver d?un pas alerte vers lui, il ordonna ? la foule de se disperser et mit le contact. Plusieurs amateurs de voiture manqu?rent tomber en p?moison en entendant ronfler le moteur.
Lucien monta ? l?arri?re, et lan?a ? haute voix :
- Chauffeur, ? la maison !
La Rolls d?marra comme une fus?e, et Lucien partit d?un grand rire, qui r?sonna dans toute la rue de Rivoli.
Sur le chemin, il re?ut un coup de t?l?phone : c??tait van Steenwick, le Tor?ador, qui l?appelait, pour le pr?venir que ? la perle grise de Venise serait sous peu ? Paris. ?
Au feu rouge, dans le trafic, la Rolls ressemblait ? un long dauphin argent? au milieu des bancs de requins qu??taient les Mercedes des hommes d?affaires. Lucien s?approcha de l?oreille de son chauffeur :
- Nous n?allons plus ? l?h?tel. Nous allons rendre une visite impromptue ? Tropovitch.
Le chauffeur fit gronder le moteur, et battit ? plate couture au d?marrage les berlines noires. Et la Rolls partit dans la folle agitation nocturne, vers la Seine aux milles couleurs nocturnes, quand glissent sur elle des bateaux-mouches fant?mes.

UNE DANGEREUSE INTERPRETATION
Eros Tropovitch, ma?tre de musique du Prince Villon ?certains disaient son saltimbanque attitr? ? tournait nerveusement en rond dans le salon de r?ception de sa demeure de l??le Saint-Louis. Trois goules domestiques se tenaient immobiles dans la pi?ce, sans oser prononcer un mot.
Tropovitch se rongeait ses ongles sur ses canines aff?t?s. Fatigu? par cet ?nervement, il alla soudain au piano, s?assit brusquement, et entama une interpr?tation fracassante de musique dod?caphonique ; il parcourait ? l?allure d?une dactylographe les quatre-vingt huit touches, martelait les notes, disloqua les m?lodies avec fr?n?sie et donna ? sa demeure un r?cital court mais d?ment, o? les accords se promenaient au hasard, comme des morceaux de v?hicule apr?s une collision. Il frappait les touches comme pour jouer de la batterie, poussait ? bout son piano jouant comme on se sert d?un marteau piqueur, au milieu de la fanfare d?une usine de montage. Il aimait la musique concr?te.
Apr?s quelques minutes ? cette cadence, il parcourut d?un doigt la longueur du clavier, frappa de tous ses doigts les touches, et maintint le son, qui vibra longuement dans la pi?ce, comme l??cho d?un cristal pur au milieu de vitres bris?es.

Tropovitch entendit alors des applaudissements derri?re lui.
- Sire Lucien? enfin vous ?tes l? !
- Mes f?licitations ma?tres, votre technique est toujours aussi? athl?tique.
- En effet. Il faut garder la forme? et se tenir au courant de l?avant-garde. Connaissez-vous Cecil Taylor ou Edgar Var?se ?? Mais assez parl? de mes talents !? Qu?a donn? votre entrevue avec Villon ?
- J?allais y venir? mais avant, offrez-moi donc un verre de ce d?licieux sang hongrois?
- Ah mon breuvage des Carpates !? A la sant? d?Ersebeth Bathory alors !?
Tropovitch alla ? une armoire, et servit deux verres ? whisky de cette liqueur ?paisse.
- A la sant? d?Ersebeth Bathory ! dit Lucien en levant son verre
Les deux Sires trinqu?rent et savour?rent leur verre. Lucien regarda ? travers les fins rideaux les bords du fleuve, les p?niches anim?es. Tropovitch cong?dia ses domestiques, baissa les lumi?res et ferma les volets. Lucien s??tait assis dans un fauteuil. Ses yeux rougeoyaient dans l?obscurit?, signe chez lui d?une intense activit?.
- Alors, dit Tropovitch, assis au piano, vous me faites br?ler d?impatience?
Les canines de Lucien scintillaient ? la maigre clart? de la lune qui filtrait ? travers la fen?tre.
- J?ai rencontr? Villon comme pr?vu. Armand d?Hubert ?tait l? aussi. Evidemment, il ?tait l? pour soutenir Villon, qui est trop faiblard pour m?affronter en face ? face. C?est le Ventrue qui a fait toute la conversation?
- Vous ne croyez pas que Villon joue la com?die ? demanda Tropovitch, inquiet.
- Ecoutez-moi : je m?y connais en com?die, et je peux vous dire que Villon est sur la pente descendante? Non, il ne joue pas la com?die ! Il s?est amolli, il est d?cadent ! Il ne s?entoure plus que de faibles, de petits politiciens gris. Pour ne rien dire des artistes sans talent ? qui il accorde ses faveurs? Croyez-moi, si d?Hubert ne lui servait pas de canne, il y aurait beau temps que Villon aurait mordu la poussi?re?
- Et ensuite ? Tropovitch se rongeait les ongles.
- Calmez-vous donc ! Que craignez-vous ?? Villon n?est plus qu?un poseur, un ? h?doniste ? comme la plupart des Tor?adors !? Il y a dix ans encore, il m?aurait inqui?t?, mais maintenant non? D?ailleurs, depuis les ?v?nements de 1998, c?est d?Hubert qui a pris les choses en main. Villon, lui, se laisse vivre.
- Que leur avez-vous dit ?
- Ah ah ! Je leur ai fait mon grand num?ro ! du cabotinage pour music-hall !? Ils m?ont pris pour un acteur victime de son r?le. Mais quand je leur ai parl? de Saint-Germain en Laye, l? ils ont tiqu?. Surtout le Ventrue. Ils ont senti que je n??tais pas demeur?, que j?avais encore des oreilles o? il faut.
- Nous jouons sur la corde raide, Lucien? Je me demande si?
- Si quoi ?
- S?il ne faudrait pas revoir nos ambitions?
Lucien posa son verre sur un gu?ridon, se leva vivement et dit :
- Que voulez-vous dire, Tropovitch ? Vous voudriez annuler maintenant ? Mais c?est impossible ! Impossible !? Il est trop tard pour vous montrer pusillanime cher ma?tre de musique ! La soir?e ? l'Op?ra aura lieu, quoiqu'il arrive. La partition est entam?e : il faut l'ex?cuter jusqu'au final.
- Mais nous parlons de meurtre, de sang, de diablerie?
- Croyez-vous que cela ait jamais arr?t? un vampire ?? La diablerie est interdite, mais nous savons tous qu?elle est le d?lice supr?me auquel puisse go?ter un ca?nite !? La diablerie est interdite, sans quoi tous les Brujah et tous les Anarchs du monde sauteraient ? la gorge des plus Anciens? Mais go?ter le sang d?un fils de Ca?n est un bonheur que les plus intr?pides ne pourront pas s?emp?cher de d?sirer, vous comprenez ??
- Bien s?r, mais?
- Alors cessez de vous faire des scrupules ! Vous ?tes bien na?f si vous croyez qu?un vampire doit toujours ?tre ? humain ?? Non. Nous ne sommes plus des mortels, Tropovitch ! Nous sommes devenus des b?tes. Les humains sont bestiaux ? leurs heures. Eux aussi d?vorent. Et nous, nous n?avons plus l??cueil de la mort qui nous attend !? Nous ne savons plus quand la b?te en nous rel?ve la t?te, et quand l?humanit? fl?chit l??chine !?

- Vous parlez comme ces Lasombras? fit Tropovitch en baissant la t?te et en regardant le fond de son verre.
Lucien lui marchait dans la pi?ce, serrait les poings, s?animait d?une vigueur tragique.
- Non, je ne suis pas encore du Sabbat ! Parce que je n?ai pas renonc? aux prestiges des masques !
- Vous ha?ssez le naturel?
- Non, Tropovitch ! Non !? Mais je ne suis pas seulement un animal plein de rage, expos? ? la peur et aux hasards de l?obscurit? !? et je vous le prouverai ? l?Op?ra ! Vous sentirez alors combien j?avais raison ! Je m?nerai ma politique jusqu?au bout, m?me si cela d?plait ? Villon et ? sa clique !
- Les Judicars vont avoir notre peau, comme ils ont d?j? eu la peau du Ravnos et du Gangrel !
- Ne me faites pas rire avec ces deux-l? ! Ils n??taient pas de notre carrure. Et contre nous, les services du Prince se casseront les dents.
- Comment comptez-vous op?rer ?
- Le public verra tout, et il ne verra rien ! Il applaudira au sublime, au merveilleux de Mozart. il aimera la Reine de la Nuit, et il la verra succomber. Et le Prince d?couvrira l?immonde? Ils se croiront ? l?op?ra, et ils se retrouveront dans le burlesque, int?ressant, non ?
- Et vos hommes sont d?j? ? Venise ?
- Ils sont m?me sur le chemin du retour, figurez-vous : ? l?heure qu?il est, mes goules conduisent les corbillards qui les ram?nent. Et ils reviennent avec la plus belle perle de la lagune : froide comme un serpent, noire comme l??b?ne?
- Mais vous vous rendez compte !? M?me les Tzymices h?siteraient ? engager les services d?un Assamite !
- Vous n?aurez rien ? craindre Tropovitch! Je serai l? pour ma?triser tout le d?roulement de notre sauterie?
- Et vous ne craignez pas les fausses notes ??
- Moi aussi ? ma mani?re, Tropovitch, je suis un ma?tre de l?improvisation?
Lucien ricana de bon c?ur, et finit d?une gorg?e son verre. Le musicien, tout en fixant droit dans les yeux Lucien, approcha sa main des touches du piano, et joua quelques notes de marche fun?bre.
Lucien en rit de plus belle, avant de se servir un autre verre.
Eblouissant, un bateau glissa sur la Seine, moussant l?eau de sa lumi?re, qui gicla aux alentours sur les b?timents, ainsi que des couronnes de lauriers blancs, sur les deux Sires ca?nites qui devisaient sur l??le Saint-Louis.

A suivre...
