19-03-2011, 01:07 PM
(This post was last modified: 20-03-2011, 10:35 PM by Darth Nico.)
CHRONIQUES DE L'EMPIRE D'ÉMERAUDE
<span style="color:orange">Les 5 Rônins : 21ème Episode</span><!--/sizec-->
Tigre 402
LES MAUVAIS RÊVES<!--/sizec-->

<span style="color:orange">Les 5 Rônins : 21ème Episode</span><!--/sizec-->
Tigre 402
LES MAUVAIS RÊVES<!--/sizec-->

Quelques petits feux d'artifices éclataient dans le quartier des marchands. Du haut de son toit, Geki voyait passer des enfants avec leurs joujoux en bois, leurs cerceaux, leurs poupées. Ils sentaient le carnaval approcher, ces gosses, et n'y tenaient plus. Il fallait que les parents leur courent après pour qu'ils rentrent avant le couvre-feu.
Geki passa sur le toit suivant et avança pas à pas sur la corniche. Une patrouille arrivait. Le justicier nocturne ne remua plus un cil, caché derrière une cheminée. Les soldats entrèrent dans une auberge. Geki reprit sa course. C'est sur le toit du bâtiment d'après qu'il trouva l'entrée du grenier où il se glissa souplement.
Il se plaqua au sol. Un escalier branlant descendait au deuxième étage, où dormait un gros marchand de bétail et sa famille. Geki, grâce à ses semelles feutrées, descendit sans faire craquer une marche. Il courut au bout du couloir, où se trouvait un grand placard. Il y entra, silencieux et se cacha entre deux gros coffres de linge.
Les conspirateurs arrivaient dans la pièce en-dessous. Les informations des espions de l'Inquisiteur étaient une fois de plus exactes.
- Nous ferons vite ce soir, mes amis, dit l'un d'eux. Nous devons écourter le plus possible nos réunions.
- Parle, nous t'écoutons.
- Ikue n'est pas partie. Elle est encore en ville.
- Comment ?
- Après son départ, elle a en fait été ramenée en grand secret au palais. Il n'était pas prudent de la faire partir, à cause de la neige. Il n'y a que quelques personnes au courant.
- Quand partira-t-elle alors ?
- Peu importe. Ce qui compte est qu'elle reste au secret. Aussi faites passer le message.
- Bien. Quoi d'autre ?
Geki devinait qu'ils étaient quatre.
- Autre information plus importante : nous agirons au moment de la pièce de l'Ikoma.
- Alors c'est décidé ?
- Oui, à la fin du dernier acte, le sang des dieux coulera...
Geki frissonna.
- Le Grand Maître a le sens de la mise en scène.
- Oui. Mais à présent, plus un mot à ce sujet. Préparez-vous et d'ici-là, soyez muets comme des tombeaux.
- Bien.
Les conspirateurs se séparèrent.
Geki courut sur le toit. Les quatre hommes partaient chacun de leur côté ; il suivit celui qui allait vers le quartier des etas. Quand ils furent sortis des rues marchandes, Geki bondit du toit et atterrit à quelques pas derrière le conspirateur, qui avait tourné au coin de la rue. Il se jeta sur lui et le saisit à la gorge, puis l'entraîna dans une impasse.
- Où la fille est-elle cachée ?
- De quoi tu parles ?...
Geki serra plus fort :
- Je te brise la nuque d'un geste...
- Arrête, arrête...
- Où est la fille ?
- Elle... est... dans l'aile... impériale...
- Qui la garde ?...
- Jukeï... shinsen-gumi...
Geki lui brisa la nuque et l'abandonna entre deux tonneaux, puis il s'éclipsa par les toits, au moment où de gros nuages fantomatiques se déchiraient devant la grande lune d'hiver.

Sa course nocturne ne s'arrêta pas là. Il entra dans le palais impérial et grimpa sur un des plus hauts donjons. Des bougies brûlaient encore dans l'aile impériale. Geki, défiant le vide, avança sur une corniche étroite de deux pieds, puis grimpa d'un étage à même le mur, grâce à ses griffes. Il arrivait à la hauteur de la fenêtre éclairée. Par un panneau de papier, il discerna la silhouette d'une femme entourée de trois soldats assis. Il eut l'audace extrême de monter juste au-dessus de la fenêtre, sur l'avancée du toit et de s'accroupir. Mais des quatre personnes à l'intérieur, personne ne disait rien.
Geki remonta sur le toit et alla dans l'aile des Lions. Il se glissa par le soupirail à charbon, remonta à l'étage des Matsu. Un soldat baîllait tout fort. Geki bondit au plafond et s'y adossa, bras et jambes en extension. Le soldat passa en se grattant mollement sous les bras, puis alla s'asseoir un peu plus loin. Geki, qui s'engourdissait, relâcha la jambe et le bras droits et, partant comme un pendule qui se balance, se raccrocha à la poutre que tenait son bras gauche. Il s'y pendit par les jambes. Le soldat ouvrit un oeil, s'étira, et continua sa ronde distraitement.
Quand il fut parti, Geki descendit. Le parquet était bien ciré ; notre justicier glissa dessus plutôt qu'il n'y marcha. Il approcha d'une chambre où retentissait un puissant ronflement. Il l'entrouvrit. Il reconnut le général Kokatsu. Il sourit et referma le panneau.
Dans la seconde chambre, dormant d'un sommeil paisible, le poète Noyuki. Une autre encore : raté, c'était un autre homme.
- Que se passe-t-il ? dit soudain ce personnage.
- Rien, rien, seigneur, murmura Geki, j'ai cru entendre du bruit et à tout hasard...
- Laissez-moi dormir... 'z'aurez de mes nouvelles...
Il se rendormait déjà.
Enfin, dans la quatrième, c'était Mitsurugi.
Geki se glissa dans la chambre de l'ambassadeur et referma le panneau juste quand un soldat arrivait. Il s'assit devant le lit et murmura :
- Ambassadeur...
Mitsurugi remua sur son lit.
- Ambassadeur.
Cette fois, il ouvrit les yeux :
- Je viens vous parler, ambassadeur.
- Qui es-tu ? dit Mitsurugi, en cherchant instinctivement son sabre.
- Je suis Geki...
- Geki ?... J'ai entendu parler de toi, oui...
Mitsurugi se frotta les yeux.
- On dit que tu en as après les Yasuki corrompus.
- Oui. Vous et moi sommes du même bord.
- Je n'irais pas jusque là...
- Je viens vous avertir qu'Ikue n'est pas partie. Elle est au palais impérial.
- Quoi ?
Mitsurugi avait crié en murmure, mais il avait failli hurler pour de bon.
- Ils ne l'ont pas emmenée, mais ils l'ont mise au secret.
- Tu es sûr ?
- Je reviens de là-bas...
- Bien, j'aviserai.
- Autre chose : "ils" attaqueront le soir de la pièce de Noyuki...
- Tu en es sûr ?...
Geki avait déjà disparu.
Mitsurugi se mit sur les coudes. Son sang bouillait. Le ciel bleuissait à peine à l'horizon. Il sut qu'il ne pourrait pas se rendormir. Il enfila un kimono et alla aux bains thermaux.
Il se mit dans l'eau jusqu'au cou, et somnola, alors que les premiers oiseaux se mettaient à chanter pour accueillir l'aurore.

Lui aussi très matinal, Ikoma Noyuki retrouva Mitsurugi aux bains.
- Ma parole, vous avez eu une nuit agitée...
- Un mauvais rêve, dit seulement notre héros.
- Je comprends, dit Noyuki en descendant dans le bassin voisin.
On sentait qu'il faisait allusion au départ d'Ikue.
- Ce doit être la pleine lune, dit l'ambassadeur Akodo qui arrivait, de mauvaise humeur. Un soldat m'a dérangé cette nuit... Il va avoir de mes nouvelles celui-là !
- Nous sommes tous fatigués, dit Noyuki. Ce pays ne nous vaut rien ! L'hiver est interminable, et avec l'arrivée du carnaval...
- Serez-vous prêts pour votre pièce ? demanda l'ambassadeur Akodo.
- Bien sûr. Ce serait un déshonneur pour moi si je n'étais pas prêt à temps.
Mitsurugi les écoutait d'une oreille distraite. Il bouillait de colère mais ne savait pas dans quel sens diriger cette colère. Entrer avec fracas dans le palais impérial ?... Défier en duel Otomo Jukeï ?... Demander à Sasuke de les brûler tous !...
Notre héros, qui avait passé des heures dans l'eau, sortit prendre son déjeuner.
- Nous nous voyons tout à l'heure, dit son collègue Akodo.
- Bien sûr, bien sûr, dit Mitsurugi, qui avait oublié qu'il y avait une réunion avec les Hida, en vue de traités pour des routes commerciales qui...
Mitsurugi retrouva Noyuki pour le repas du matin. Ils frappèrent leurs baguettes et commencèrent à manger. Mitsurugi n'était pas, pour le coup, à prendre avec des baguettes. Noyuki, qui avait passé une excellente nuit, ne fit pas de remarque.
- ... sommeil un peu difficile... fit à un moment Mitsurugi.
- Certainement la pleine lune.
- ... en ai plein le dos de ce pays, surtout...
Il se demandait quand Sasuke, parti dans les montagnes de l'ouest, serait de retour.
Alors qu'on desservait le repas, pendant que les deux hommes soufflaient sur le thé brûlant, un soldat arriva et annonça que Doji Suzume s'était présenté au palais.
- Il attend dans la première salle de réception.
- Allons bon, que veut-il ?... Faites le attendre. Qu'on lui serve une collation s'il en a envie.
Mitsurugi, bougon, alla prendre un bain froid et s'habiller. Il alla ensuite sans se presser dans la salle de réception où Suzume attendait, agité.
- Bien le bonjour, mon cher Suzume, dit Mitsurugi, qui essayait de surmonter sa mauvaise humeur.
Il avait dû le faire attendre une bonne heure.
- Ah, Mitsurugi...
Le jeune homme le voyait arriver comme un sauveur. Il avait les yeux rougis. Il était mal coiffé, son kimono avait des plis. D'un regard, Mitsurugi lui fit comprendre qu'il était habillé comme un... comme un !...
- Mitsurugi, pardonnez-moi... J'ai dû venir ici...
L'ambassadeur s'assit. Il sentit que c'était sérieux. Il s'assit posément et servit du thé.
- Racontez-moi vos malheurs.
- Voilà, en un mot comme en cent : je me suis disputé avec mon père.
- Allons donc... ts-ts. Pouvez-vous m'expliquer ce comportement ?
Il fallait le gronder à présent !
- Ecoutez, depuis le départ d'Ikue... Nous ne vivons plus !
Mitsurugi le regarda d'un oeil sombre, menaçant, pour lui signifier que lui non plus -ne vivait plus !
- Je veux dire, dit Suzume, de plus en plus gêné, que j'ai appris que mon père savait, pour Ikue... Il savait qu'on allait nous la prendre... Et il n'a rien fait !
Mitsurugi regarda sévèrement le jeune homme :
- Et vous vous êtes fâché ?
- Oui... Oui, parce qu'à ce moment, dans la maison, il y avait ces... les... des soldats du shinsen-gumi !
Il avait retenu au moins trois ou quatre insultes entre ses mots !
- ... Ils ont entendu des éclats de voix !
- Pourquoi étaient-ils chez vous ?
- Pour dire à mon père qu'Ikue était bien partie... Que tout allait bien... Il faut vous dire que ces gens-là se croient tout permis ! Ils arrivent chez vous, s'installent... Font comme chez eux.
- Pas chez nous ! ricana Mitsurugi. Il ferait beau voir qu'ils mettent un orteil ici !
Il ne demandait qu'à voir ça !
- C'est pour ça que je suis venu chez vous... Mon père a voulu me calmer, je me suis encore plus énervé...
- Votre colère est injustifiable, dit Mitsurugi. Soyons clairs : le shinsen-gumi n'est qu'une bande de rats, d'aventuriers, de mercenaires... Ce sont des usurpateurs en tous points, mais vous n'avez pas, pour autant, les moyens d'excuser votre faute contre votre père. Ce que vous avez fait est très grave. Aussi, vous allez retourner sur l'heure chez vous et vous jeter aux pieds de votre père, pour le supplier de vous pardonnez... Et s'il refuse -et il refusera- vous demanderez encore et...
- Mitsurugi-sama, pardonnez-moi, mais ce n'est pas si simple. J'ai le shinsen-gumi après moi !
- Quoi ?
Cette fois, Mitsurugi ne pourrait pas se contenter d'un sermon tout fait :
- Qu'avez-vous fait, Suzume ?
- Ils m'ont accusé de rébellion contre mon père ! Ils voulaient m'emmener !
- ... et vous vous êtes enfui, soupira Mitsurugi.
Une servante débarrassait les plateaux.
- Et donc, vous vous êtes dit que le shinsen-gumi ne viendrait pas vous chercher ici...
- C'est vrai... Mais je voulais juste vous le dire... Je vais partir...
- Où ça ?
Avec ses grands airs, Suzume était capable de vouloir partir en exil, à l'autre bout du monde !
- Je vais me rendre au temple de Shingon.
Rassuré, Mitsurugi dit :
- Oui, c'est sage. Le temps de vous calmer et de réfléchir à votre retour chez votre père.
Suzume éclata en sanglots. Mitsurugi avait droit à tout !
- Ma soeur...
L'ambassadeur qui, lui, n'avait certainement pas le droit de pleurer, attrapa le bras de Suzume et, sans trop le vouloir, lui vrilla douloureusement :
- Cessez de pleurnicher ! Je... C'est interdit chez nous, d'accord !
Il se rendit compte qu'il lui faisait mal. Il le lâcha.
Il dit :
- Si vous voulez des larmes et des grincements de dents et de la pleurnicherie, allez voir la famille Asahina...
Suzume renifla et préféra en rire.
- Je m'excuse, Mitsurugi...
Il allait recommencer !
- Bon, allez voir les bons moines ! Dans votre situation, c'est encore le mieux !
Notre héros parvint à mettre son ex-futur-beau-frère dehors. Quand il eut refermé le panneau, il soupira, soulagé.
Il avait cette réunion avec les Hida en début d'après-midi. Un rayon de soleil perçait les gros nuages neigeux. L'air était frais, vivifiant. Des "tambours" sortaient du palais Hida en grande pompe et allaient vers la grand'place à l'intersection des quartiers nobles et marchands.

- Oyez ! Oyez ! Seigneurs, marchands, paysans, miséreux !
Quatre forts Hida étaient montée sur une estrade, pendant que trois autres battaient la mesure au tambour. L'Inquisiteur Tadao arrivait. La foule s'agglutinait déjà. On savait de quoi il s'agissait : une nouvelle expédition partait dans l'Outremonde. C'était Hida Goemon qui criait les annonces :
- Occasion vous est donnée de donner votre vie pour la plus grande gloire de l'Empereur ! Quiconque combattra aujourd'hui verra les dieux lui sourire au paradis ! Quiconque meurt permettra à sa famille de toucher une prime d'un demi-koku !
De braves éclopés et paysans accouraient.
- Signe-là. Mets une croix, cela suffira. Et attends derrière l'estrade.
Tadao regardait d'un air satisfait les recrues affluer.
Yatsume et Avishnar étaient dans la foule.
- Je vais m'engager.
- Tu es folle !
- Nous devons gagner de l'argent, dit Yatsume. L'Inquisiteur paye bien.
- Mais non, voyons...
- J'ai déjà survécu à pire.
Il était inutile de la retenir. Yatsume avança vers l'estrade. Tadao la reconnut et lui fit signe d'avancer en coupant la file :
- Signe ici, rônin.
- Merci, Inquisiteur.
- Ton bras sera un précieux ajout à mon expédition. Une fois encore, nous vaincrons.
Yatsume reconnut Hida Yasashiro, qui alignait les volontaires engagés.
- Départ demain matin ici-même, cria l'Inquisiteur.
Yatsume revint à la cour des miracles avec Avishnar. Yoriku le Bouffon se réveillait seulement.
- Grand Empereur, dit notre héroïne en s'agenouillant, je vais partir combattre les démons.
- Tu plaisantes !
- Je le fais pour ma fille. Et ma fille, je te la confie, avec mon ami Avishnar.
- Tu as une âme trempée de noblesse, dit sérieusement le Bouffon. Ta famille est la bienvenue ici tant qu'elle le voudra. Nous prierons pour toi.
- Je serai revenue avant le carnaval.
- Dans l'Outremonde, tu vas connaître un tout autre genre de carnaval, ma chère...
- Il en faudra plus pour venir à bout de moi !
A suivre...
