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Dossier #19 : Les truands
#11
Nos héros sont au fond du trou, mais leur vengeance sera terrible Angry
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#12
"Gamin, écoute mes mots. Ceux d'un vieux fou qui a déjà trop donné et trop vécu.
Viens.
Approche.
Tu es jeune et tu as la fougue d'un crétin d'idéaliste.
Non, ne dit rien. Je te connais Gustave; je t'ai pratiquement élevé... et surtout j'ai été comme toi : jeune et stupide. Je te vois aujourd'hui comme j'étais il y a 20 ans. Alors ferme la et écoute.
Un jour, tu t'enticheras et par là tu t'exposeras aux pires ennuis. Ne fais pas ces yeux Gus, Les femmes ont ce pouvoir et tu le sais. Un jour donc, une femme te mettra dans la merde et tu devra faire des choix.
Je ne vais pas te faire une leçon de morale sur tes relations amoureuses gamin, mais il y a une chose que tu dois faire quoiqu'il arrive. Tu dois le faire sans aucune hésitation, sans aucune limite, avec toute ton âme et de tout ton être : si quelqu'un s'attaque à elle de quelque forme de ce soit alors il n'y à qu'une chose à faire. Qu'une putain de chose à faire : Rends l'affaire personnelle.
Tu m'entends Gus?
Frappe tellement fort et avec tellement d'insistance que la moindre envie de combativité quitte à jamais ton adversaire.
Ne lui laisse le temps de souffler que pour t'offrir une opportunité de le frapper à nouveau. Rends l'affaire personnelle, gamin...."

Vassili Ivanovich, ami et mentor de Gustave Faivre.
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#13
Best worst sensei ever pasmal


bravo2

Quote:Frappe tellement fort et avec tellement d'insistance que la moindre envie de combativité quitte à jamais ton adversaire.

Vassili Ivanovich, il a suivi les cours du soir du dojo Bayushi. pasmal²
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#14
Haha vlà le mentor, j'adore, rends l'affaire personnelle Captain
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#15
DOSSIER #19

Ménard était tout sourire. Il goûtait sa première pipe du bureau, la meilleure, celle qui donnerait du goût à son travail pour la journée.

- Une belle journée, les enfants...

Maréchal et ses collègues s'assirent, le temps que le commissaire en ait fini avec les considérations météorologiques.
- Je vous avais demandé quarante heures. Nous les avons mises à profit.
Faivre et Turov étaient dans leurs petits souliers. Maréchal ne pouvait savoir à quel point ils étaient mal à l'aise.
- Nous allons nous concentrer sur les Vicari. Nos collègues de la brigade Urbaine sont persuadés que ceux-ci ont amassé un trésor de guerre grâce au marché noir.
- Toujours l'affaire Winclaz, dit Petitdieu.
C'est ce trafiquant qui avait été arrêté le soir de l'armistice, dans le cabaret où Maréchal faisait la fête avec Nelly.
- Il parle, lui ? demanda Maréchal.
- Il en a gros sur la patate, oui, dit Lehors. Le juge d'instruction l'a reçu plusieurs fois. On va démanteler sous peu tout le trafic qui a sévi pendant la guerre...
Ménard et ses deux hommes affichaient un triomphalisme qui n'était pas habituel. Les ordres pour mettre fin au marché noir devaient venir de haut, ce qui expliquait peut-être cet enthousiasme factice.

- Un des lieux de rendez-vous favoris des Vicari est une salle de boxe dans le quartier de Miraflore. Vous connaissez ?
Maréchal fit signe que non. Il ne fréquentait pas ce genre d'endroits. Faivre et Turov firent profil bas, dirent qu'ils ne connaissaient pas non plus.
- C'est le meilleur endroit pour les rencontrer. Mes hommes sont relativement connus, hélas, dit Ménard, qui s'était assis d'une jambe sur son bureau. Comme nous comptions vous associer à l'enquête, nous avons pensé à l'un de vous.
Ménard alluma sa pipe, très concentré.
Lehors prit la suite :
- Le détective Turov est le dernier arrivé à la Brigade Spéciale. Il a tout à fait l'allure d'un boxeur. Peut-être que vous avez déjà pratiqué ?
- Sur les quais, on pratique tous un peu la boxe, hein, surtout en fin de semaine.
Ménard et ses deux hommes rirent de bon coeur. C'était parfait ! Turov avait le profil idéal !
- Je vous laisse, dit le commissaire, je dois passer au Palais. Vous verrez les détails avec l'inspecteur Lehors...
- Commissaire, dit Maréchal.

Quand le gros Ménard fut sorti, la réunion perdit de sa solennité. On était maintenant entre collègues, entre hommes de terrain. Les policiers se serrèrent autour du bureau.
- C'est moi qui superviserai cette opération, dit Lehors. Je ne veux pas embarrasser outre mesure le patron avec cette histoire. Ce sera notre cadeau de départ à la retraite. On va lui servir la tête des Vicari sur un plateau d'argent.
- Il faut que ces salopards payent, murmura Faivre.
- Ce n'est plus une affaire personnelle, dit Lehors. On travaille ensemble à partir de maintenant. Je vais vous expliquer...
"Les Vicari s'intéressent à la boxe. Ils ont plusieurs champions à eux, et pas mal d'arbitres à leur solde. Le détective Turov pourrait facilement intégrer leur écurie, puis obtenir des renseignements sur leurs trafics.
- C'est dangereux, dit Maréchal. Turov, vous vous sentez capables de faire ça ?
D'expérience, Maréchal savait que l'infiltration d'un policier dans une bande de criminels ne se finissait pas toujours bien...
- Oui, dit Turov.
Tout le monde regarda le détective, qui garda son air résolu.
- Alors, c'est parfait ! dit Lehors.

Tout semblait trop facile, trop lisse. Maréchal attendait de savoir quel était le pot aux roses. Il était sûr que Lehors leur cachait des informations.
- Rien d'autre à nous dire ? lui demanda t-il. C'est tout de même un coup risqué. J'aimerais autant être bien au courant de tout avant d'autoriser le détective Turov à se jeter à l'eau.
- Si nous savions tout, nous n'aurions pas besoin d'infiltrer quelqu'un !

C'était imparable. La Brigade Spéciale déjeuna dans la brasserie en face du quai.
- Je préfère vous le dire dès maintenant, dit Maréchal, il y a quelque chose de pourri dans cette affaire... Faites bien attention à vous, Turov. Les Vicari ne vous rateront pas, et je ne sais pas pourquoi, je ne veux pas attendre trop d'aide de la part de nos chers collègues.

Faivre n'avait pas les idées assez claires pour juger. Il ne voyait que la vengeance à venir contre Fabio. Quand il entendit Maréchal dire que Turov se mettait en danger, la première idée qui lui vint fut de s'infiltrer lui aussi ! Oui, il se fabriquerait une identité d'emprunt, connue de personne sinon de lui, en cas de coup dur. Il approcherait Fabio et le frapperait au moment où il s'y attendrait le moins !
- Ça va ? dit Maréchal.
Faivre sortit de ses pensées :
- Oui, oui... Je pense comme vous, chef... Il y a du pas clair là-dessous...


¤


Turov eut des faux papiers le surlendemain. Il s'appellerait Zakaïev Kovach, docker, boxeur, avec un petit casier judiciaire et un palmarès conséquent dans les rixes et les combats clandestins des salles de la Vague Noire et de Galippe.

La salle était installée dans une ancienne usine d'empaquetage de viande qui avait périclité. Turov y fit sa première apparition, discrète, le surlendemain soir de la réunion avec Ménard. C'était un lieu informel, très grand, poussiéreux, qui paraissait encore plus immense dans la pénombre grise, entrecoupée de raies de lumières. Des filles traînaient. Il y avait un coin bistrot, avec un comptoir qui paraissait interminable, comme si des milliers de personnes avaient pu s'y accouder. Il n'y avait qu'un serveur, qui servait en silence les rares clients. Il y avait quatre grands rings, très éloignées les uns des autres, deux plus petits dans un coin.
Un petit trapu défaisait les bandes de sa main, fatigué.
- Tu cherches quelque chose ? demanda t-il en voyant Turov.
- Je cherche un partenaire...
- On n'est pas dans la même catégorie on dirait. Toi, tu es poids haltère au moins... Attends, je vais voir, j'ai un ami... Tu t'appelles comment ?
- Kovach.

- Attends-moi au zinc.
Il y avait quelques bourgeois, qui venaient surveiller leurs champions, dont un, très vulgaire, avec de grosses bagues et un manteau en fourrure tapageur.
Kovach paya quelques coups, on lui dit de revenir le lendemain soir, qu'il aurait quelques rencontres de réservées.
- Je vais faire le tour de la salle...
Turov tapa dans quelques sacs, soupesa les haltères.

Il y avait plus de monde qui arrivait, des parieurs petits ou gros, des journalistes qui venaient à la pêche à la rumeur. Une faune incertaine, de gens qui ne venaient pas du même monde. Des adolescents entraient, certains même pas majeurs à coups sûrs. Turov vit même quelques gamins, cachés en haut de la coursive, à l'étage. Personne ne s'occupait d'eux. Il y avait aussi des Pandores en civils, sûrement un homme des Moeurs.
Kovach fit quelques rencontres, serra des mains, se renseigna sur les rencontres. Il ne partit pas tard.
Il n'avait pas remarqué Faivre, déguisé en dandy, avec un chapeau melon et une fausse moustache, qui avait lui aussi pris ses marques dans la salle.

Turov fit son rapport à Maréchal le lendemain matin :
- Bon, allez-y doucement, dit l'inspecteur. Ne brusquez rien. Nos amis de la Crim' m'ont l'air bien pressés. Or, Ménard ne part pas encore à la retraite avant quelques semaines. Allez vous reposer, et ce soir, continuez à faire votre trou là-bas.

Faivre reprit son déguisement le soir-même. Il venait avec une des prostituées de Galippe, Inès, qu'il ferait passer pour sa part. Turov était à la corde à sauter, serrait des mains, se fondait parfaitement dans le décor. Il avait retrouvé des dockers. Faivre jouait celui qui contrefait une fausse assurance. Il s'était mis avec Inès au comptoir et faisait le coq devant le serveur, qui écoutait, indifférent.
Le lendemain soir, Kovach avait un petit match, suivi par quelques visiteurs qui l'encouragèrent mollement. Des filles attendaient les combattants au pied des cordes. C'était la fin de semaine. La salle se remplissait doucement, d'un peuple mélangé dans cette lumière grise et crue. Faivre serrait la main à plusieurs indics potentiels, faisait passer quelques billets. Turov tapait dans un sac, riait avec d'anciens collègues des quais. Une grosse rencontre commençait, le coup de cloche retentissait entre les murs de pierre. La foule se massait, des mains tendaient des billets. Du comptoir, Faivre voyait deux corps ruisselants, des éclats de bave, des éclairs de gants rouges, on criait. Un homme partait dans les cordes. Des coups de cloches, des coups frappés sur le sol, une clameur, un homme partait sur une civière, puis le public se dispersait aussi vite, affairé.
Une femme revenait pour parler à Faivre :
- Comment tu t'appelles ? murmurait-elle.
- Eugène de Mouplin, ma douce...
- De quoi ?... Un aristo, quoi...
- Eugène de Mouplin. Vicari veut-il me recevoir ?
- C'est ton soir de chance...

D'autres coups de cloches. Turov était en sueur. Deux poids légers montaient sur le ring n°3. Des assoiffés arrivaient au comptoir. Une bagarre éclatait devant les vestiaires. Trois vigiles accouraient, séparaient les deux lutteurs, en emportait un dans les douches et au passage le cognait contre un des casiers.
La fille conduisait Faivre parmi la foule. Les serveurs se pressaient avec des plateaux de bière. Les vigiles finissaient de flanquer deux vendeurs de drogue dehors. Faivre tournait brusquement la tête : il venait de voir Tavörn avec ses mignons, qui applaudissait comme un hystérique les deux boxeurs.
Ouf ! La fille l'amenait dans un coin de la salle, où trois tables étaient dressés. Une dizaine d'homme étaient assis, trois en habits voyants, avec de grands cols, des chaussures reluisantes, les autres bâtis comme des armoires. Faivre reconnut celui du milieu : Fabio Vicari.
La rencontre prenait un tournant imprévu : le favori tombait au sol, l'arbitre commençait à frapper le sol en cadence, les parieurs se déchaînaient.
Fabio fumait négligemment sa cigarette, faisant mine de ne pas s'intéresser au nouvel arrivant.
Turov s'épongeait le visage et offrait sa tournée.

- Fabio, c'est l'homme dont je t'ai parlé...
- Asseyez-vous, disait Fabio en applaudissant.
Il gardait son fume-cigarettes entre les dents. La foule acclamait le champion inattendu.
- Merveilleux, merveilleux... Je savais qu'on pouvait compter sur lui...
- Il parle du perdant, dit le voisin de Fabio à l'adresse de Faivre.
Il fit un petit clin d'oeil.
- Magnifique tout cela.
Fabio dit au serveur de remettre une tournée.
- Alors, monsieur...
- De Mouplin.
- De Mouplin... On me dit que vous appréciez la boxe et les belles choses.
- C'est vrai, ma foi. J'aime toutes sortes de belles choses.
- A commencer par cette femme qui vous accompagne. Belle pièce.
- Il s'agit de ma soeur.
Faivre l'avait dit en prenant un air si naïvement indigné que tout le monde éclata de rire.
- Il n'y a pas d'offense, voyons ! Je m'en excuse ! Vous noterez que ce n'est pas marqué sur son front !
- Non, bien sûr...
- Vous êtes amusant, monsieur de Mouplin. C'est déjà une qualité appréciable. Que buvez-vous ?
- La même chose que vous...
- Alors juste une bière pour le moment, il commence à faire chaud.

Faivre aurait voulu sauter à la gorge du Vicari ; il devait se contenir et, en plus, jouer le dandy stupide.
- Il faudra que vous me présentiez votre soeur. Ce serait criminel de votre part de nous la cacher.
- Bien évidemment, elle serait ravie de faire votre connaissance. Elle est juste un peu timide...
Faivre vit qu'il avait réussi : Fabio voulait sa soeur. C'était si évident !... Implicitement, il finirait par la demander en échange ! C'était couru ! Faivre s'écoeurait, d'imaginer qu'il pourrait être en train de vendre sa soeur, et de se dire qu'il jouait à cela avec une amie de Sélène. Il tint le coup, ce soir-là, mais passa la journée suivante, prostrée dans son bureau.
Maréchal ne lui fit pas de remarques. A peine si, à un moment, Faivre grogna qu'il était passé voir Sélène à l'hôpital, qu'elle n'allait pas mieux.
Les jours passaient. Turov se faisait des relations dans le milieu, entendait parler des trafics des uns et des autres.
- Ils me jaugent encore. Ils veulent savoir si je suis fiable.
- Ne les brusquez pas, répéta Maréchal. Tout au plus, demandez un service, mais ne proposez rien vous-mêmes. Faites-leur comprendre que vous avez besoin d'eux, pour de la poudre, de l'alcool, ce que vous voudrez. Montrez que vous êtes disponible, un peu paumé...

Dans la journée, Faivre était plus Faivre que jamais, renfrogné, irritable, comme pour mieux être Mouplin le soir, dandy naïf qui s'intéressait au "marché de l'art". C'était rageant, il ne pouvait rien dire à Maréchal, alors qu'il avait drôlement bien hameçonné Fabio Vicari ! Il travaillait plus vite que Turov !
- Tiens, je vous invite chez Gronski, décida Maréchal. Il y a longtemps.

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#16
DOSSIER #19


Gronski, qui était à la cuisine depuis le matin, avait les mains pleines de sauce ; il salua les policiers en leur tendant le poignet :
- Salut patron, vous nous servez quoi aujourd'hui ?
- Asseyez-vous, on est presque prêts.

C'était un jour calme. Il n'y avait que les employés du funiculaire qui prenaient leur pause. Maréchal mit sa serviette à carreaux et consulta le menu avec attention.
Le patron offrit les apéritifs.
- Je vous mets le menu du jour ? J'ai de la soupe et du hareng en sauce.
- C'est parfait, dit Maréchal.
- Pas trop de poisson pour le détective, dit Faivre en désignant Morand, ça rend intelligent, et il l'est déjà trop pour être policier. Pas vrai, Morand ?...
- Comme vous dites, dit le Scientiste.
Les policiers trinquèrent.

Maréchal venait chez Gronski depuis avant la guerre. Il s'était habitué à ce restaurant, qui était devenu un second quartier général -surtout depuis qu'il soupçonnait OBSIDIENNE d'avoir mis leurs locaux sur écoute. Il aimait bien ces murs en brique, avec leur gros crépis, le plancher recouvert de sciure, le comptoir cabossé. L'inspecteur laissait traîner son regard, rêveur, sur la salle, quand son oeil fut attiré par les chromatographies accrochées au mur. Elles devaient être là depuis des années et il n'y avait jamais prêté attention. C'était des images de boxeurs en grand format, dont plusieurs étaient dédicacées.

La patronne arrivait avec son chaudron de soupe.
- Chaud devant !
Elle posa le gros récipient en fonte, qui devait venir d'un fonds de cantine militaire :
- Approchez les gamelles !
Elle était plus âgée que le patron et avait encore de la poigne pour son âge. Elle devait approcher de la retraite, mais on l'imaginait mal cesser de travailler. Elle était trop bien dans son restaurant, avec ses habitués et sa popote comme à la maison.
- Dites, fit Maréchal, c'est le patron sur le chromato, là ?
- Je veux, inspecteur ! C'était pendant les championnats de 191 ou 192...

C'était surprenant. Maréchal, dont le métier était de tout noter, n'avait jamais fait attention à ces portraits. Ils faisaient partie du décor.
- Je ne les avais jamais vus, dit Maréchal, rêveur et attendri.
- C'est normal, dit Morand, si vous venez ici depuis longtemps, votre cerveau s'habitue à l'environnement et les informations envoyées par les nerfs optiques ne plus aussi bien prises en compte...
- Il en sait des choses, lui ! dit la patronne, qui remportait son chaudron.
Elle traînait dans ses vieilles savattes, avec sa grosse robe à carreaux blancs et bleus. A peine si elle avait enlevé ses bigoudis. Elle rentra dans la cuisine et on l'entendit reposer le chaudron sur le plan de travail. D'autres clients arrivaient, entraient dans la salle à l'atmosphère épaissie par les émanations de la cuisine.
- Gronski boxeur, ça alors, répéta Maréchal.
Morand décida ne plus rien dire. Il but sa soupe brûlante avec application. Turov avait déjà fini l'assiette et grattait le plat.
- Faut pas lui en promettre, dit Gronski avec un clin d'oeil, tandis qu'il apportait les verres à la table d'à côté.

La patronne, Annabelle, dite Annie, apporta les harengs grillés.
- Régalez-vous !
Maréchal commanda une bouteille. Il s'attira un regard de travers du Scientiste, mais Faivre servit d'autorité tout le monde.
- On obéit aux ordres, détective ! Si le chef boit, on boit.
- Ouais, fit Turov, qui terminait une assiette en rab'.

Il y eut encore la tarte de la patronne, puis le petit dijo offert par la maison.
- C'était délicieux tout ça !
Il n'y avait plus que les policiers dans la salle surchauffée. Gronski rangeait la cuisine. Maréchal dit à sa femme de venir s'asseoir avec eux :
- Alors comme ça, le chef était boxeur dans le temps ?
- Un peu, oui ! Championnat intercité de 190, médaille d'argent ! Argent encore en 191 et médaille d'or au tournoi des îles.
Maréchal siffla :
- Hé bien, quel palmarès !... Dites, patron !
On devinait Gronski, qui faisait semblant de ne pas entendre.
- C'est un timide dans le fond, dit Annie. Allez, viens donc, papa ! Te fais pas désirer, va...
Gronski sortit de sa tanière, sous les applaudissements. Il but un verre avec les policiers, fit le modeste.
- Tiens, va donc chercher l'album chromato...
- Tu crois ? Ces messieurs ont peut-être du travail plus sérieux que de...
- Cela pourrait au contraire grandement nous aider dans notre enquête, dit Maréchal.

Gronski monta à l'étage, dans leur petit appartement et en ramena un gros volume en cuir.
- Ah, parfait, dit l'inspecteur en mettant ses lunettes. Voyons cela...
Il y avait plusieurs images de Gronski en jeune premier du ring, des clichés pris pendant des matchs, d'autres à la fin, où il levait le bras avec l'arbitre.
- Dites-donc, vous fréquentiez le beau linge.
On reconnaissait à ses côtés, sur le ring, l'actrice Mariselle Jabert, le dramaturge Vivien Novachevski, d'autres vedettes de la fin du siècle dernier. Gronski dans un grand restaurant, avec des amis. A une table au fond, on reconnaissait quelques cadors de la pègre. Des gens depuis envoyés au Château ou morts à la guerre.
- C'était des sacrés gaillards, ceux-là, hein, dit Gronski, gêné.
- Je ne vous le fais pas dire ! Mais SÛRETÉ a eu raison d'eux !...
L'ancien boxeur tournait les pages :
- Tenez, là, vous avez quelques grands... Jonas Mslka, dit "trois reprises" ; Paulus Turniet, dit "Octo-Paul" ; Malidan "Le Levier" Futber ; et puis, Karl Rosen...
- Et là, c'est vous... Avec eux, dit Maréchal.
- Oh oui, on était comme une bande, quoi, des copains... Lui, c'était Xiev Polupso, un ancien de la foire, un tordeur de fer... Parfois, il y avait des vedettes qui venaient nous voir. Mademoiselle Jabert était toujours très distinguée par exemple.
Il rougissait comme un écolier amoureux de sa maîtresse.
- C'est merveilleux, dites-moi, hein...
Maréchal sollicitait l'approbation de ses collègues, qui hochèrent la tête, convaincus. [Image: julian33.gif]
L'inspecteur-chef finit son verre et dit :
- Dites-moi, Gronski, vous n'avez jamais été entraîneur ?
- Moi ? Ah non, pourquoi ?... C'est fini tout ça... Maintenant, je sers à boire et à manger et j'écoute ce que disent les clients.
Maréchal le fixa avec un regard aigu :
- Et si je vous demandais, comme un service, d'entraîner un ami à moi ?
- Pardon ?
Gronski partit d'un gros rire, qui masquait sa gêne.
- Boxer, c'est une chose, mais entraîner quelqu'un...
- Je suis sûr que vous seriez tout à fait compétent. Un grand champion comme vous !
- Je lui ai toujours dit, cria Annie depuis la cuisine, où elle avait les mains dans la vaisselle, qu'il faudrait qu'il passe le flambeau. Mais monsieur préfère faire la tambouille... La cantinière du régiment, c'est moi, que je lui dis...
Elle revenait, en s'essuyant avec un énorme chiffon.
- Il pourrait faire une petite salle d'entraînement. Au sous-sol, on a largement la place. Mais il n'écoute pas. Monsieur est bien dans ses pantoufles.
- Oh, écoute Annie !
Les policiers éclatèrent de rire.
Maréchal roulait une cigarette :
- Vous faites quoi ce soir, monsieur Gronski ?
- Moi ? Oh ben, je fais les comptes et puis, j'ai des commandes à préparer et puis...
Il se cherchait des occupations. Annie croisa le regard de l'inspecteur-chef, comprit et dit :
- Mais arrête donc de raconter des craques, hein ! Ce soir, tu vas sortir avec tes clients, voilà. Et la compta, je m'en occupe. Tu crois qu'une femme ne sait pas additionner deux et deux, hein !
- Pas du tout, je ne dis pas ça, mais d'habitude...
- Tu vas me laisser m'en occuper, voilà. Toi, tu vas sortir un peu de ta piaule, aller prendre l'air. Des semaines qu'il ne sort plus d'ici. A peine s'il se souvient qu'il y a des quais dehors et le funiculaire.
- Tu exagères toujours...
Ils partirent dans la cuisine, où Gronski essaya de négocier à voix basse, sans s'énerver. Annie baissait à peine la voix :
- Espèce de grosse bête ! Un excellent client, Maréchal, presque un ami, te demande de l'aide ! Et toi, tu vas te défiler. Non, Aldovar Gronski ! Tu vas y aller, un point c'est tout. On va ressortir ton beau costume et tes chaussures...
- Oh non...
Maréchal, qui lui-même pouffait de rire, dit à ses hommes de se contenir.

Le couple ressortit. Repenti, et assez fier de lui, Gronski dit :
- Bon, on se retrouve à quelle heure alors ?
- A la bonne heure ! Dix huit heures ce soir, je passe vous prendre. Ne cirez pas trop vos chaussures, on ne va pas dans le grand monde.


¤


Gronski se souvenait de Miraflore, bien sûr.
- C'était déjà une grande salle à l'époque, évidemment.
Il avait son gros pardessus, une casquette, ce qui le changeait complètement par rapport au Gronski au crâne dénudé, en tablier de cuisine.
- Il y avait des tournois, ici, pas toujours très réguliers, hein...
- Rassurez-vous, dit Maréchal, ça n'a pas trop changé de ce point de vue...
Ils entrèrent dans l'entrepôt. Il y avait déjà du monde. Gronski se sentait tout de suite à l'aise, comme chez lui. Il n'avait pas mis les pieds dans une salle depuis plus de dix ans mais c'était comme hier. Il regardait d'un oeil expert les équipements, les gens, les seaux d'eau, le comptoir.
Maréchal lui offrit une bière :
- Une bière Maréchal, alors, dit Gronski, à la fois à l'aise dans ce milieu et gêné d'y revenir.

L'inspecteur-chef lui laissait le temps de se réacclimater. Gronski vida son verre :
- Hé bien non, ça n'a pas changé tant que ça.
Il était l'heure d'en venir au fait :
- Je voudrais que vous entraîniez mon détective... Turov, s'empressa d'ajouter Maréchal.
- Ah bon ! rit Gronski, qui avait imaginé, un instant, le Scientiste affichant ses mollets de jeune fille et ses bras frêles.
- Oui, Turov.
- Il a la carrure, dit Gronski qui allumait une cigarette, mais a t-il l'entraînement ?
- Il était sur les quais, vous savez. Là-bas, c'est une question de survie...
- Boxer n'est pas cogner, dit Gronski. Il faut encore savoir placer des coups...
- Il s'agira surtout de faire illusion, je ne vous le cache pas... Mais je crois Turov capable de faire mieux qu'illusion.
- Sûr, il a le bon gabarit.
- Ce ne sera pas pour longtemps. Nous préparons un coup de filet important. J'ai besoin d'un homme dans la place.
- Ici ? murmura Gronski.
Maréchal répondit d'un hochement de tête.
Gronski se leva de son siège, s'approcha d'un ring, regarda ses successeurs. Deux d'entre eux montaient, applaudis par quelques mauvais garçons des environs.
Maréchal lui laissait le temps d'observer.
- Il faut voir ce qu'il donne, oui, dit Gronski.
- Je vous l'enverrai demain matin.
- Annie espérait depuis des lustres que je m'y remette. Je ne pensais pas que ça arriverait si vite.
- Ce n'est pas un engagement très long...
- Bien sûr, bien sûr...
Il hésitait encore mais au fond, il avait déjà dit oui.
Maréchal lui proposa un autre verre :
- Non, merci. J'aime mieux être frais demain, si la journée commence tôt !

Ils redescendirent à Névise. Maréchal n'avait pas vu Faivre, sous l'ami d'Eugène de Mouplin, qui continuait à discuter avec les uns et les autres dans la salle.

Turov commença l'entraînement tôt le matin, dans le sous-sol de Gronski. Annie, trop heureuse, tenait la cuisine seule. Maréchal passa après le coup de feu du midi. Gronski n'était pas convaincu :
- Il manque de technique, de régularité... C'est bon pour le baston sur les quais, ça, mais sur un ring, il ne tiendra pas la distance...
- Je vous propose d'y retourner ce soir. Il y a une grosse rencontre. Vous verrez un peu le gabarit des concurrents.
- Pourquoi pas ?

Gronski passa la fin d'après-midi allongé sur son lit, à fixer le plafond. Annie vint le rejoindre après sa vaisselle :
- A quoi tu penses ?
- A rien, je me repose. On ressort ce soir.
- Tu vas l'entraîner ?
- Mais oui, mais oui...
- Oh, tu n'es pas à prendre avec des pincettes, dis...
Elle se releva. Gronski l'en empêcha, la prit dans ses bras.
- Je ne m'attendais pas à remettre les pieds dans une salle de boxe de sitôt, c'est tout...
- Tu n'allais pas continuer à faire du gras jusqu'à la retraite, Gronski. Il fallait bien que tu t'y remettes...
- Seulement, la boxe, ce n'est pas que les beaux clichés avec les vedettes, les copains, faire la bringue, hein... Tu n'as pas connu ce monde. Il y a des salauds dedans...
- Et des policiers pour les arrêter.

Gronski se leva, alla à la fenêtre, regarda les quais : les algues qui dérivaient, sur les silhouettes blanches des palais immergés, les lumières molles sur l'eau, un mitier qui passait en barque, les lumières qui s'éteignaient dans les bureaux de la Brigade Spéciale.
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#17
DOSSIER #19


La Brigade Spéciale entama sa journée du lendemain chez Gronski. Annie leur servait du café, de la soupe, des oeufs et des saucisses. La veille au soir, l'ancien boxeur avait décliné l'invitation de retourner à la salle. Maréchal n'avait pas insisté.

Annie débarrassait la table. Elle avait engagé une fille de salle, un peu sotte mais dévouée, qui s'occupait des autres clients. Il fallait la tenir à l'oeil, car elle gaffait facilement.
- Ce n'est pas grave, souriaient les employés du funiculaire, débonnaires.
Certains lui pinçaient les fesses. La fille ne comprenait pas, s'étonnait. Annie la grondait pour qu'elle se presse.

Turov et Gronski étaient déjà descendus à la cave. Les coups résonnaient à travers le plancher en bois du comptoir. Des ouvriers entraient :
- Le patron fait des travaux ?
- Il abat au moins un mur porteur, non ?

Maréchal se leva de table :
- Bon, ce n'est pas le tout mais nous avons du travail. On vous laisse avec les champions, Annie, on repassera les voir ce midi.

Faivre passa à l'hôpital. Sélène respirait toujours par un tube. On lui faisait plusieurs injections à la fois.
Maréchal eut Lehors pendant plus d'une heure au parlophone, pendant que Morand recevait le lot habituel d'illuminés et de frappadingues, qui n'avaient rien de mieux à faire de leurs journées que de solliciter la police.
- Vous dites que le fantôme de votre arrière-grand-père rôde autour de chez vous ?
Une partie non négligeable d'entre eux avaient en fait juste besoin qu'on écoute leurs malheurs. Morand s'y laissait prendre à chaque fois, jouait le fin psychologue. D'autres fois, Maréchal avait coupé court. Aujourd'hui, il laissait faire.
Morand s'engageait dans des discussions interminables, avec des pauvres gens trop heureux qu'on leur découvre des troubles compliqués. Certains auraient bien pris pension ici. D'autres ressortaient inquiets sur eux-mêmes. Certaines mamies envoyaient ensuite des cadeaux à ce jeune homme très bien qui s'était penché sur leurs misères. Il y avait encore une boîte de chocolats, pour le détective Vinsler.

Maréchal ressortait de son bureau, heureux de prendre l'air.
- Il devient le chéri de ses dames, dit Clarine.
- Nous ne sommes pas non plus le bureau des plaintes.
Faivre revenait de l'hôpital, de mauvaise humeur. Maréchal mit poliment à la porte les emmerdeurs et emmena sa brigade chez Gronski.

Turov était attablé devant sa soupe. Gronski passait le balais. Quand les policiers entrèrent, il dit à Turov qu'il fallait ranger le sous-sol, nettoyer.
- J'y vais.

Les policiers s'attablèrent. Annie apportait le chaudron de soupe de vermicelles.
- Alors, cette mâtinée ?
Gronski fit la moue. Les policiers n'insistèrent pas.

L'entraînement reprit le lendemain matin. Pendant trois jours, la cave retentit des coups sourds de Turov et des cris de Gronski.
Maréchal décida ce dernier à retourner à la salle. Il ne se doutait toujours pas que Faivre y passait une partie de ses soirées sous le déguisement de Mouplin.
Il y avait plusieurs champions ce soir, qui participaient à un tournoi organisé par le clan des Vicaris.
- C'est après eux que vous en avez, hein...
Maréchal changea de sujet :
- Que pensez-vous de Turov ?
- Ça ira ce que ça ira ! Il donnera le change sur un ring. N'attendez pas non plus des miracles !... Il a le physique pour tenir quelques reprises. S'il tombe sur quelqu'un d'un peu costaud, il risque quand même le tapis...
- Je suis certain que vous avez fait du bon travail.

Gronski n'approchait pas des rings. Il jetait un oeil aux combats, de temps en temps. il commentait pour lui-même, vivait intérieurement le match puis s'en détournait vite.
- Je voulais votre avis sur les sportifs...
- Des seconds couteaux pour la plupart, dit l'ancien boxeur. Ils se battent comme des truands. Où est la technique là-dedans ?... A mon époque, on avait le respect du beau geste.
Gronski ricana de s'entendre parler comme un vieux schnock. Il reprit un verre, dit qu'il devait rentrer :
- Je dois faire tourner le restaurant demain. Je ne peux pas laisser Annie et la petite tout faire...
- Je comprends...

Gronski ne fermait presque jamais. A peine s'il s'accordait une fois l'an quelques jours au bord de la mer. Maréchal paya les consommations. Gronski se vissa la casquette sur la tête et partit, impatient de rentrer chez lui.
- Au fait, dit Maréchal, qui ne voulait pas finir la soirée sur une note morose, vous n'aviez pas un surnom dans le temps ?
- Moi ?... Oh, si. Certains disaient : "uppercut" Gronski... Voyez le genre...
Il mimait le coup, s'amusait, puis s'enfonçait les mains dans les poches et tâchait d'oublier cette gloire passée.
Ce n'est pas ce soir que Turov, alias Kovach, monterait pour de bon sur le ring. Les Vicari occupaient la salle. C'était un soir où ils se montraient, affichaient leur réussite. Faivre/Mouplin était attablé avec Fabio. Il discutait à voix basse entre deux rencontres.
- Vous vous intéressez aux belles choses, je crois...
- Que voulez-vous dire ? dit Fabio.
- J'ai quelques oeuvres d'art de famille, dont je n'ai plus le goût, mais qui plairaient à quelqu'un comme vous.
- Tiens donc, pourquoi pas ?
Faivre savait d'expérience que les crapules parvenues, comme tous les parvenus, aiment afficher leur richesse par l'achat de meubles, décorations, oeuvres d'art clinquantes. Les Vicari étaient tout à fait dans cette phase où l'ascension sociale doit se marquer par un luxe tapageur.

On entendit une clameur à l'entrée. Une bousculade, des cris, des hommes qu'on retenait d'aller se battre.
- Que se passe t-il ? dit Faivre en se levant.
Il avait vu Maréchal se diriger vers la sortie et craignit le pire.
- Rien du tout, dit Fabio, que ces choses-là n'atteignaient pas. Parlons plutôt de vos trésors de faille.
- Bien sûr...
Du coup, Mouplin passait aux yeux de Fabio pour un tendre, un fils à papa qui ne supporte pas la violence. C'était toujours ça de pris.

Maréchal ne voulait pas sortir sa carte de SÛRETÉ, tout gâcher dès maintenant. Il réussit à s'extraire de la foule compacte avec quelques autres clients, faillit tomber sur les pavés luisants, se releva. Il agrippa son revolver dans sa poche et résista à la tentation de le sortir.
C'était allé vite. Gronski poussait déjà la porte quand un homme de son âge s'était interposé :
- Alors, on ne dit pas bonjour aux amis ?
Gronski avait reculé, révulsé. Il avait essayé de garder sa contenance mais l'autre était là pour le provoquer.
- Rosen ?... Si je m'attendais à te voir...
- Pourquoi ne viens-tu pas boire un verre pour parler du bon vieux temps ?
Le Rosen en question parlait haut et fort, face au timide Gronski qui était pressé de s'en aller...
- Pas ce soir, vieux...
- Allons, allons, tu ne va pas faire offense...
- Non, merci, une autre fois.
Gronski avait voulu forcer le passage. Les deux brutes qui entouraient Rosen avait attrapé Gronski par le col. Celui-ci en avait écarté un ; l'autre l'avait empoigné, Rosen s'était mis de la partie.
- Fous-moi la paix, Rosen !...
On avait flanqué Gronski dehors, et les quelques autres clients qui se trouvaient là.
- Tu fais vraiment peine à voir, mon pauvre Aldo...

Humilié, Gronski s'éloignait, la tête basse. Maréchal mémorisa le visage de cette grosse brute de Rosen. Il était entouré d'hommes des Vicaris. L'inspecteur rejoignit Gronski.
- Merde, merde, merde !
Maréchal redescendit sans dire un mot. Gronski lui dit bonsoir rapidement et rentra chez lui en claquant la porte. Pas fier, l'inspecteur rentra chez lui et se coucha. Nelly dormait depuis longtemps.

Il arriva au bureau le premier. Quand Clarine arriva, il lui demanda d'appeler l'Urbaine pour avoir la fiche de ce Karl Rosen. Ils eurent la réponse en milieu de journée.
- Il a un casier typique, dit Clarine.
Coups et blessures, braquages, trafics divers et autant d'interpellations n'ayant pas abouti.
- Il a trouvé dans les Vicari une famille d'accueil, dit Faivre.
Maréchal passa seul chez Gronski le midi. Annie laissa la fille le servir. C'en était fini de l'entente cordiale. Il vit bien qu'Annabelle l'évitait. Gronski ne sortait pas de sa cuisine. On l'entendait crier sur la pauvre fille, qui servait de souffre-douleur. Il ne put leur dire un mot.
- Ça va mal là-bas, dit-il à ses hommes en rentrant.
- Il fallait s'y attendre, dit Faivre.

En fin de journée, Annabelle passa voir les policiers :
- Il dit qu'il voudrait bien vous parler.
On devinait qu'elle savait très bien de quoi il s'agissait. Elle avait dû lui parler longuement après le départ des clients.
- Venez avec moi.
Faivre, Turov et Morand suivirent Maréchal.
- Il vous attend en bas, dit Annabelle.
La fille essuyait la salle, la tête basse.
Les policiers descendirent par la trappe derrière le comptoir.
Gronski était dans sa salle, le visage fermé mais l'air résolu :
- J'ai fait du rangement...
Il marmonna pendant un moment, pendant qu'il s'affairait pour se donner une contenance. Puis il les invita à remonter. Il ferma la boutique, dit à la fille de rentrer chez elle.
On s'assit à table, Annie apporta les apéritifs et monta à l'appartement, non sans avoir lancé un dernier regard à Gronski.
- Vous avez droit à quelques explications...
Gronski remplit les verres et en vida aussitôt la moitié d'un.
- L'homme qui s'est interposé... Karl Rosen, dit la Torpille.
Maréchal sortit sa fiche à SÛRETÉ.
- C'est bien lui, dit Gronski, qui ne voulait pas mettre son nez dedans. Ce type était la bête noire de la bande... On savait tous qu'il finirait mal. Il ne jouait pas réglo, déjà à l'époque...
Les policiers laissaient l'ancien boxeur s'exprimer comme il le voulait, remettre ses souvenirs en ordre.
- Il salopait le boulot. Il participait à des paris juteux, des combats faussés, vous voyez... Il touchait déjà à la poudre à l´époque. Les salles honnêtes ne voulaient pas de lui. Il se battait en dehors des combats, il faisait des histoires. Il parlait toujours de casser la gueule aux gens. Il faisait le malin. Il disait : "Un jour, vous verrez..."
- Ils sont nombreux à s'être couchés devant lui ? demanda Faivre, qui comprenait parfaitement la colère de Gronski.
- Ouais. Mais pas moi. Pas moi. J'ai dit non. Pourtant, j'aurais pu toucher gros. Mais non. Et j'ai fini par être sorti du circuit. J'ai compris qu'il fallait que j'arrête. Mon dernier combat, j'ai perdu face à lui, mais je peux vous dire qu'il a souffert pour me mettre au tapis. Je ne me suis pas laissé faire.
Gronski rit jaune, les policiers l'encouragèrent.
- Ah oui, il en a bavé ce jour-là. Il n'était plus habitué à un adversaire qui se défend. Les copains, je m'en souviens, m'ont regardé quand je suis descendu. Ils avaient peur pour moi... "Gronski, tu as fait le con". Mais je m'en foutais,. et eux ils m'admiraient. Je suis parti la gueule refaite, mais la tête haute vous voyez. Après moi, c'était fini. Ils savaient que Rosen avait gagné. Il a salopé la fin de toute notre génération...
"Aujourd'hui, ce salaud de Rosen s'est remis dans le circuit. J'ai vu le gars qu'il entraîne. Todi Bartolomeu. Une petite frappe ce gars-là, ça se voit tout de suite. Rosen doit lui apprendre à frapper sous la ceinture et à simuler. C'est ce qu'il sait faire de mieux...

Maréchal alluma une cigarette. Le silence se fit quelques instants. Gronski remplit d'autres verres :
- Et vous croyez, demanda Maréchal -et tout le monde avait la question sur les lèvres, que Turov peut le battre ?...
Gronski reboucha la bouteille, regarda avec sévérité Maréchal et dit, son visage se détendant brièvement :
- Bien sûr. On va y travailler, non ?

Les policiers sourirent.
- Par contre, je te préviens, dit Gronski à Turov, on redouble la cadence dès demain. Je veux que tu flanques cette lopette au tapis, que tu lui en fasses voir de toutes les couleurs ! Je veux que tu le fasses danser, qu'il mange les cordes, tu comprends ? Les gens veulent du spectacle, on va leur en donner.
- Voilà qui est parlé, dit doucement Maréchal.
Gronski regardait sur le côté, vers le fond de la salle :
- Ils croient que le vieux Aldo est fini... Ah, tiens, on va rire...

Les policiers partirent tard, d'un pas pressé, échauffés :
- Bartolomeu est le poulain des Vicari, dit Maréchal. Turov va lui mettre sa raclée et prendre sa place. Demain matin, j'appelle Lehors. Il sera d'accord. Ensuite, on organise une rencontre...
- Excellent chef, dit Faivre, pour qui la défaite de Bartolomeu serait le signe annonciateur de la déchéance des Vicari.

A l'hôpital, Sèlène se maintenait entre la vie et la mort.
Lehors et Petitdieu s'entretenaient avec le commissaire Ménard, à voix basse dans son bureau. Faivre retournait chez les filles de Galippe. Maréchal ne trouvait pas le sommeil.

Toute la nuit, Gronski ne put trouver le sommeil. Le sang lui cognait dans la tête. Il s'assoupit pendant deux heures. Au petit matin, il s'éveillait avec dans la bouche et dans la peau le goût et l'odeur de l'ancien temps, de la boxe, du sang, de la peur avant le combat et de l'exaltation de la victoire. Il retrouvait quelque chose de ce moment, quinze ans plus tôt, dans cette même chambre, assis sur ce même lit, quand il retirait pour la dernière fois les bandes de ses mains.





FIN DU DOSSIER


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#18
Quatre boules de cuir
Tournent dans la lumière
De ton œil électrique, boxe, boxe
O déesse de pierre

O déesse de pierre
Pour atteindre ton coeœur
Il n'est qu'une marinère, boxe, boxe
Il faut être vainqueur

Quatre boules de cuir
Et soudain deux qui roulent
Répandant leurs châtaignes
Dans le cri de la foule

Enfant je m'endormais
Sur des K.O. de rêve
Et c'est moi qu'on soutient
Et c'est moi qu'on soulève

O déesse de pierre
Je prendrai ma revanche
Et j'aurai ton sourire, boxe, boxe
Comme une maison blanche

Oui, j'aurai ton sourire
Point final de mes poings
Même si dans les coins, boxe, boxe
J'y vois encore luire
Quatre boules de cuir
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#19
Superbe comme toujours, une belle ambiance de film noir smile
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