4e EPISODE : LE LION SOUS LA PEAU DU LOUP
LA COLERE DES KAMI-KAZE
Le lendemain de leur célébration, nos héros se retrouvaient à la porte sud d'Heibetsu, pour accomplir en sens inverse le passage des montagnes. Ils découvrirent en effet qu'ils se rendaient tous à la Cité de la Grenouille Riche, près de la frontière des Dragons, des Licornes et des Lions.
L'automne avait bien avancé depuis leur arrivée sur les terres de Mirumoto Akuma. Les vents, glacés, parfois coupants comme des lames, soufflaient sur le chemin de pierre et de terre, maîtres incontestés de la montagne.
Ils tournaient, couraient, s'envolaient, de plus en plus forts à mesure que les samuraï, guidé par un solide paysan de la région, approchaient du col d'Heibetsu. Ils durent passer une première à la belle étoile, dans un abri qui était prévu sur le chemin.
Le lendemain, leur marche fut à nouveau contrarié par les vents froids. Le manteau neigeux s'épaississait à chaque heure, la température baissait en conséquence.
Au milieu du deuxième jour, ils virent, sur un chemin en contrebas, de nombreux paysans qui descendaient la route, affolés, emportant à la hâte avec eux bagages et enfants, comme forcés de fuir leur village proche, sous la menace de quelque danger soudain et terrifiant.
Encore quelques mètres à monter vers le col, et des Ize Sumi, presque nus au milieu de l'air glaçant, se dirigeaient vers nos héros. Ils n'avaient pas leur stoïque fierté habituelle : ils étaient tout à fait inquiets, et impatients de voir arriver les samuraïs. Dans un village juste avant le col d'Heibetsu, les kami-kaze, qu'Isawa Ayame avait sollicité au temple des Togashi, déchaînaient leur colère. Des créatures monstrueuses avaient surgi d'un vortex électrique, et envahi le village, tuant les habitants férocement.
Après le col, le climat serait plus clément : la descente vers la vallée des Libellules se ferait sous un ciel plus serein. Mais pour mériter de sortir d'Heibetsu, nos héros n'avaient pas d'autre choix que d'aller affronter les monstres envoyés par les esprits des vents.
En approchant du village, ils les distinguèrent peu à peu, dans la légère brume qui obscurcissait les bâtiments. Des monstres gros, d'une pièce, solide, immobiles encore. Un corps de cheval, un buste d'homme, une tête de taureau. Des centauminotaures.
Les sages Togashi s'étaient disposés autour du village, pour tracer des glyphes de protection. Ils essayaient d'apaiser les esprits en colère. Mais seule Ayame-san pouvaient les calmer pour de bon : il fallait pour cela s'adresser à eux par la méditation. Mais les terribles chimères étaient bien réelles, et ne seraient jamais rappelées par les esprits.
Kakita Hiruya accompagna les deux Phénix pour rejoindre le plus vite le centre du village ; Mirumoto Ryu et Shinjo Kohei, accompagnés de Riobe, prirent l'autre voie d'accès, dans l'espoir de créer une diversion.
Le village du col était un vrai petit labyrinthe, formé de murs et de bâtiments entrelacés, étroits, meurtriers pour une embuscade : à peine si deux hommes pouvaient passer et combattre côté à côté. Après avoir marché pendant quelques rues, le groupe mené par Ryu-san arriva en vue d'un étrange tourbillon parcouru de serpentins électriques : une des sources d'arrivée des centauminotaures.
Deux de ces créatures faisaient face. Le choc fut brusque, d'une violence sans concession. Riobe obligé de rester en arrière, le Dragon et la Licorne se lancèrent à l'attaque.
Le katana de Kohei rebondit sur le cuir solide de son adversaire. Un coup de corne en retour le blessa grièvement. Seule un moment face aux deux bestiaux, Ryu en blessa un, et reçut une navrure encore plus grave que Kohei en retour. Riobe arriva en renfort, pendant que Kohei dégageait le passage : il aida la samuraï-ko à tuer les deux puissantes chimères, qui s'écroulèrent lourdement, en faisant trembler le sol.
La blessure des deux samuraï était assez grave pour les empêcher de combattre avant longtemps.
Mais déjà, un nouvel adversaire, frappant du sabot à terre, fulminant des sabots, contractant les muscles de ses abdominaux et de ses bras, s'approchait dans le couloir des rues.
Entre temps, nos héros avaient juste eu le temps de secourir un malheureux paysan, armé d'un javelot. Le pauvre bougre pointait la bête pour l'empaler dans sa course. Riobe était monté à la hâte sur un des muret. Il avait bandé son arc, pendant que Ryu et Kohei, souffrant de graves blessures, le sabre à la main, attendait l'assaut qui allait être lancé.
Il fut formidable, bref, et meurtrier. Mugissant, de ses quatre lourds sabots, la chimère lança sa course. Riobe lançait sa flèche, et une fraction d'instant plus tard, la bête rentrait en plein dans Kohei, le piétinant affreusement, brisant de plus tous les os du paysan. Retourné comme la terre après le passage du sillon, Kohei gisait inconscient à terre.
Riobe avait intercepté la course de l'animal : il avait sauté sur lui, vaillamment, tranchant net sa jugulaire dans son élan héroïque. Mugissant comme les vents, beuglant comme un démon, le centauminotaure s'effondra sur le sol.
Riobe n'avait reçu qu'une blessure superficielle. Ryu accepta de rester veiller Kohei. Le rônin allait rejoindre l'autre groupe.
Isawa Ayame, entourée de Ikky-san et Hiruya-san, avait atteint la place centrale du village. La Grue avait dégaîné son sabre pour tuer instanément une, puis deux des formidables chimères. Les vents sifflaient, sinistres, en s'engouffrant dans les rues étroites. Le sang avait giclé de la gorge, le sabre avait passé dans un éclair bleuté, et rejoint son fourreau.
Le tourbillon magique des élèments de l'air se dressait sur la petite place. Il se tordait comme un serpent pris de convulsions. Ayame-san alla s'agenouiller devant lui. Se concentrant, elle fit le vide en elle, dissipa son esprit du monde et pénétra dans celui des Fortunes.
Pendant qu'Ayame plongeait dans sa transe, un monstre plus gros que les autres était arrivé. Plus puissant, plus cruel, il conduisait le troupeau des chimères. La Grue et le Phénix firent face.
L'énorme centauminautore tournait lentement autour d'eux, pour leur couper toute retraite. Puis vint la charge. Hiruya frappa juste mais pas assez pour que la blessure affaiblisse le monstre. Ikky se lança le sabre en avant, au mépris du danger, et entailla encore une fois le monstre, mais là encore pas assez pour l'arrêter. Hiruya ne réussit réussi à totalement s'écarté du chemein de la bête et fut blessé, mais il en fallait plus pour le mettre en difficulté. En revanche, la samourai-ko eut à payer chèrement sa bravoure : elle fut littéralement fauchée par la bête en furie. Se détournant de sa victime, le monstre se retourna alors contre le bushi Kakita. Ce dernier encore réussit encore à le blesser : jamais son katana n'avait eu à frapper plusieurs fois de suite un adversaire pour l'anéantir ! Mais bouillant de rage comme un volcan de lave, le centauminotaure tenait bon. Sur le point de mourir, elle eut le temps de lui envoyer un dernier coup de sabot. Ikky en fut grièvement blessée. Contenant sa douleur, le vaillant Hiruya finit par l'achever. Il aida le yojimbo à s'appuyer contre un mur.
Ignorant ce combat, Ayame s'était plongée dans le tourbillon des vents. Un kami-kaze était là. Il s'adressait bien à la shugenja.
C'était bien lui qui avait envoyé les créatures vengeresses. Humble face à cette force surhumaine, Ayame-san cherchait le moyen d'apaiser la colère de l'élémentaire. Mais le kami n'avait sans doute qu'indifférence pour les humains. Sollicité pour donner un bien, il devait rétablir l'équilibre cosmique en déchaînant un mal. Etait-ce un jeu pour lui de déchaîner ces centauminotaures ? Non, certainement. Mais la shugenja avait eu la folie de croire que l'on pouvait en appeler aux Fortunes sans les remercier.
Injurié par cet oubli, l'esprit avait donc envoyé cette punition pour rappeler que les hommes ne sont pas libres de disposer de ces pouvoirs. Ayame baissait la tête, pour montrer qu'elle comprenait la leçon : elle n'oublierait plus désormais de faire offrande.
Mais il était trop tard pour qu'elle sorte indemne : sa méditation fut soudain interrompue par une attaque traîtresse d'une chimère. Les sabots frappèrent de plein fouet la shugenja, qui fut jetée à terre, impuissante.
Elle aperçut alors son yojimbo, grièvement blessée, appuyée contre un mur.
Alors que surgissait le monstre qui frappa traitreusement Ayame, le destin des deux Phénix aurait pu s'arrêter là. Leur vie n'avait tenu qu'à un fil : celui de la lame de Hiruya-san et de Riobe. Le rônin avait couru à travers la ville, et était arrivé juste à temps pour seconder Hiruya. Tous deux, ils tuèrent le centauminotaure, puis un second.
Ils se précipitèrent vers la shugenja, frappée de plein fouet par les sabots. Tout comme Ryu, Ikky et Kohei, elle survivrait, mais il lui faudrait du temps pour panser ses plaies.
L'esprit du vent avait accepté les excuses d'Ayame-san. Il se retirait. Et ses créatures étaient toutes mortes.
Mais à quel prix... Seuls la Grue et le rônin étaient encore en état de combattre. Les autres avaient été terrassés. Ils ne pourraient pas tenir sur leurs jambes avant plusieurs jours...
A suivre...